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Lettre ouverte de Human Rights Watch aux candidats en lice pour le poste de président de la Commission de l'Union africaine

28 janvier 2025

Objet : Le nouveau thème annuel de l'UA sur les réparations devrait mettre l'accent sur les victimes et leurs descendants et prendre en compte les abus contemporains  

Chers candidats au poste de président de la Commission de l’Union africaine, 

Nous vous écrivons dans la perspective de la 38e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA), au cours de laquelle un nouveau président de la Commission de l'UA (la Commission) sera élu pour une période de quatre ans. 

L'élection du président de la Commission, le plus haut responsable de la Commission et le représentant légal de l'UA, offre à l’organisation l'occasion de se pencher sur son bilan en matière de promotion et de protection des droits humains en Afrique, et de choisir un candidat qui placera ces droits au centre de sa vision. 

Alors que l’élection approche, Human Rights Watch vous demande instamment de prioriser la protection des droits humains dans votre vision pour l'Afrique. Placer la protection des droits humains au centre des politiques de l'organisation permettra non seulement de renforcer la bonne gouvernance, mais aussi de défendre la dignité humaine, le respect de l'État de droit et la justice sociale sur l'ensemble du continent africain. 

Les problématiques urgentes en matière de droits humains sur lesquelles nous attirons votre attention incluent : 

  1. L’impunité pour les violations : Plusieurs gouvernements africains ignorent régulièrement les appels à la reddition des comptes, ainsi que leur obligation d'enquêter sur les violations graves des droits humains et de demander des comptes à ceux qui en sont responsables, ce qui nourrit d’autres abus, en particulier pendant les conflits et les périodes d'instabilité politique. 
  1. Le manque de protection pour les civils dans les conflits : Des parties belligérantes en Afrique, y compris des acteurs étatiques et non étatiques, continuent de commettre de graves violations du droit international humanitaire et de graves crimes internationaux, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Les initiatives régionales et internationales visant à protéger les civils ont donné des résultats limités. 
  1. Les violations des droits civils et politiques : Dans de nombreux pays, les autorités font preuve d'une grande intolérance vis-à-vis de la dissidence. Les journalistes, les membres de la société civile et les membres de l'opposition politique sont confrontés à la répression en raison des critiques qu'ils émettent à l'égard des gouvernements et du fait qu’ils dénoncent des violations des droits humains. La répression comprend des meurtres, des enlèvements, des disparitions forcées, des détentions illégales et des persécutions judiciaires, autant de pratiques qui étouffent la participation démocratique.  
  1. Les violations des droits économiques et sociaux : Des millions de personnes n'ont pas accès aux services de base en raison de la corruption, de l'inflation et des conflits, ce qui aggrave l'insécurité alimentaire et porte atteinte aux droits socio-économiques. 

 

Le thème de l'UA pour l’année 2025 est le suivant : « Justice pour les Africains et les personnes d'ascendance africaine grâce aux réparations ». Sous ce thème, l'UA est censée « constituer un front commun et uni pour la cause de la justice [...] et des réparations aux Africains », à la fois ceux du continent et de la diaspora, pour des crimes historiques, y compris l'esclavage transatlantique, le colonialisme et l'apartheid. 

Ce thème suscite l'espoir que l'UA et ses États membres changeront la façon dont les crimes historiques et leurs profonds héritages sont traités aujourd’hui. Jusqu'à présent, les communautés touchées en Afrique et dans la diaspora ont été le seul catalyseur des processus de réparation demandant aux gouvernements européens de rendre des comptes pour des abus commis par les autorités coloniales et leurs conséquences aujourd’hui. Du fait du refus des gouvernements européens de reconnaître le droit aux réparations, peu de processus politiques dans ce sens ont vu le jour, et ceux-ci ont par ailleurs été menés en excluant les communautés concernées.  

Le thème de l'UA devrait placer les acteurs africains aux commandes. L'UA et ses membres devraient veiller à ce que tout processus de réparation soit fondé sur des consultations sérieuses et que les victimes et leurs descendants y soient représentés et y participent de manière significative. L'UA devrait donner suite aux engagements pris par les États membres dans la proclamation d'Accra sur les réparations, notamment en appuyant les actions menées par les descendants des victimes en vue d'obtenir des réparations. 

Human Rights Watch a documenté comment, il y a plus de 50 ans, les peuples autochtones des îles Chagos ont été déplacés de force de leurs îles par le Royaume-Uni, avec le soutien des États-Unis, et continuent de se voir refuser le droit de retourner vivre sur les îles, ce qui constitue un crime colonial contre l'humanité persistant. L'UA devrait exhorter le gouvernement de Maurice, qui est en train de signer un traité avec le Royaume-Uni sur le statut des îles Chagos, à garantir une réelle participation des Chagossiens dans la prise de décision concernant leur patrie et dans tout autre programme de réparation. Elle devrait faire pression pour que les Chagossiens aient droit à des réparations pour les crimes commis à leur encontre, y compris le droit de retourner vivre sur toutes leurs îles et de recevoir une compensation adéquate.  

L'UA et ses États membres devraient également prendre des mesures pour garantir des réparations et des recours pour les graves abus contemporains commis sur le continent. 

Les autorités tchadiennes n'ont versé qu'une partie du montant total accordé par les tribunaux aux victimes des crimes commis par Hissène Habré et ses agents. L'UA, qui a soutenu le tribunal basé au Sénégal ayant jugé Hissène Habré et fut mandatée pour mettre en place un fond pour collecter et distribuer les réparations, devrait travailler avec le gouvernement tchadien pour s'assurer que toutes les victimes reçoivent l'intégralité de l’indemnisation qui leur est due. 

Plusieurs pays africains sont en proie à des conflits armés, avec de graves conséquences pour les civils, qui paient le prix fort des hostilités entre les parties au conflit responsables d'abus. Human Rights Watch a constaté que des acteurs étatiques et non étatiques en Afrique ont commis des abus flagrants à l'encontre de civils dans le contexte de conflits, et ont poussé des millions de personnes à fuir à l'intérieur et à l'extérieur de leur pays, exacerbant des situations humanitaires déjà difficiles, notamment dans l'est de la République démocratique du Congo, en Éthiopie, au Soudan, et dans la région du Sahel (Burkina Faso, Mali).  

L'UA devrait aller au-delà des déclarations de condamnation superficielles et habituelles et prendre des mesures pour stopper les atrocités, protéger les civils pris dans les conflits et garantir des réparations pour les crimes internationaux. L'UA devrait également faire pression sans équivoque sur les autorités nationales pour qu'elles demandent des comptes aux auteurs d'abus dans le cadre de procès libres et équitables, et soutenir les mécanismes judiciaires régionaux ou internationaux lorsque ceux mis en place au niveau national se sont révélés incapables de rendre justice.  

Dans l'est de la RD Congo, le président de la Commission devrait donner la priorité à la revitalisation des processus de Luanda et de Nairobi visant à résoudre le conflit en cours

Au Soudan, Human Rights Watch a documenté la commission de violations du droit de la guerre par toutes les parties au conflit, y compris des crimes contre l'humanité commis par les Forces de soutien rapide (RSF) et des milices alliées. Les combats et les mesures bureaucratiques des parties belligérantes dans les zones qu'elles contrôlent augmentent le risque de propagation de la famine, qui sévit déjà dans certaines régions du pays. Des discussions antérieures au sein de l'UA sur la protection des civils au Soudan n'ont pas abouti à des mesures concrètes pour protéger ou prévenir les atrocités commises à l'encontre des civils. L'UA devrait étudier les possibilités offertes par la résolution 2719 des Nations unies afin de mettre en place d'urgence une mission de protection des civils et empêcher de nouvelles atrocités au Soudan. 

L'action de l'UA vis-à-vis du Burkina Faso n'a pas permis d'endiguer les abus généralisés commis par des acteurs étatiques et non étatiques dans le pays, y compris de possibles crimes contre l'humanité commis par les forces de sécurité et des milices alliées à l'encontre des civils. L'UA devrait reconnaître l'ampleur des violations commises par toutes les parties au conflit et les exhorter à respecter le droit international humanitaire. 

La réponse de l'UA en Éthiopie a été mitigée tandis que les atrocités dans le pays se sont poursuivies. Bien que l'UA ait négocié un accord pour mettre fin aux combats dans la région du Tigré et mis en place un mécanisme de surveillance, elle n'a pas communiqué publiquement sur des violations en cours. Le nouveau président de la Commission devrait exhorter la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples à publier le rapport final de sa commission d'enquête, dont le mandat a été interrompu prématurément après deux années de travail important et malgré la poursuite des exactions dans la région du Tigré.  

L'UA devrait également pousser les gouvernements concernés à instaurer les mécanismes de reddition des comptes attendus depuis longtemps pour juger les auteurs de crimes internationaux conformément à sa politique en matière de justice transitionnelle, y compris un mécanisme de justice internationalisé en RD Congo et le tribunal hybride soutenu par l'UA pour le Soudan du Sud

Plusieurs gouvernements africains continuent de restreindre les activités pourtant légales de leurs détracteurs, des organisations de la société civile, des opposants politiques et des journalistes, notamment au Burkina Faso, au Burundi, en Éthiopie, au Mali, au Niger, en RD Congo et au Rwanda. Les forces de sécurité nationales ont fait un usage excessif de la force, avec des conséquences parfois mortelles, contre des manifestants pacifiques, notamment en Guinée, au Kenya, au Mozambique, au Nigeria, en Ouganda et au Tchad. L'UA devrait exhorter tous les États membres à prendre des mesures plus fortes pour faire respecter l'État de droit et les libertés fondamentales et demander des réparations pour les violations des droits civils et politiques. 

Human Rights Watch entretient des relations positives et productives avec la Commission de l'UA et de nombreux États membres de l’organisation. Nous espérons vivement que le nouveau président de la Commission de l'UA et d'autres responsables de l’organisation prendront des mesures concrètes et décisives concernant les situations décrites ci-dessus, et nous restons à votre disposition pour tout complément d'information. 

Respectueusement, 

 

Mausi Segun, Directrice de la division Afrique, Human Rights Watch 

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