- Les forces armées éthiopiennes ont sommairement exécuté de nombreux civils à Merawi, une ville de la région d'Amhara fin janvier et février, lors de combats avec la milice Fano.
- Depuis le début du conflit armé à Amhara en août 2023, les forces fédérales ont commis de nombreuses exactions en toute impunité.
- Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme devrait lancer une enquête indépendante sur les abus commis à Amhara, et l'ONU et l'UA devraient envisager de suspendre les nouveaux déploiements de forces éthiopiennes dans le cadre des opérations de maintien de la paix.
(Nairobi, 4 avril 2024) – L’armée éthiopienne a exécuté sommairement plusieurs dizaines de civils et commis d’autres crimes de guerre le 29 janvier 2024, dans la ville de Merawi, dans la région d’Amhara située dans le nord-ouest de l’Éthiopie, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Cet incident a été parmi les plus meurtriers pour les civils depuis le début des combats, en août 2023, entre les forces fédérales éthiopiennes et la milice Fano dans cette région.
Les Nations Unies et l’Union africaine devraient envisager de suspendre tout nouveau déploiement de forces fédérales éthiopiennes dans des opérations internationales de maintien de la paix, jusqu’à ce que les commandants responsables de graves abus soient tenus responsables.
« Les meurtres brutaux de civils perpétrés par les forces armées éthiopiennes à Amhara contredisent les affirmations du gouvernement selon lesquelles il tente de rétablir l'ordre public dans la région », a déclaré Laetitia Bader, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Depuis le début des combats entre les forces fédérales et la milice Fano, les civils subissent à nouveau les abus de l’armée, qui agit en toute impunité. »
Tôt le matin du 29 janvier, des forces Fano ont attaqué un contingent de soldats éthiopiens qui se trouvaient dans la ville de Merawi, située à environ 30 kilomètres au sud de Bahir Dar, la capitale régionale d'Amhara. Les combattants de la milice Fano se sont alors retirés, laissant la ville sous le contrôle des forces fédérales éthiopiennes. Pendant six heures, des soldats éthiopiens ont tiré sur des civils dans les rues, et lors de perquisitions menées d’une maison à l’autre. Des dizaines de personnes – principalement des hommes, mais aussi des femmes – ont été tuées. Les soldats ont également pillé et dans certains cas détruit des biens civils.
Le 24 février, après une autre attaque menée par des combattants Fano à Merawi, les forces armées éthiopiennes ont exécuté sommairement plusieurs civils – huit civils selon certaines informations – dans cette ville
Entre le 9 février et le 14 mars, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 20 personnes, dont des victimes survivantes, des membres de familles de victimes, et des témoins. Human Rights Watch a également analysé et vérifié deux vidéos publiées sur les réseaux sociaux à la suite de l'attaque du 29 janvier, et examiné des images satellite qui corroboraient les récits des témoins. Le 5 mars, Human Rights Watch a transmis un résumé de ses conclusions préliminaires au gouvernement éthiopien, mais n'a reçu aucune réponse.
Des habitants de Merawi ont déclaré que les soldats avaient pillé des maisons, des hôtels et des entreprises, et brûlé au moins 12 véhicules motorisés à trois roues Bajaj.
Human Rights Watch n'a pas été en mesure de déterminer le nombre total de civils tués à Merawi. Des dirigeants communautaires ont partagé deux listes de victimes, comprenant au total 40 noms de personnes identifiées et enterrées à Merawi. Trois habitants ont estimé que plus de 80 personnes avaient été tuées, dont certaines avaient été enterrées ailleurs.
Human Rights Watch a vérifié et analysé une vidéo enregistrée le 30 janvier, montrant au moins 22 corps bordant la route principale de Merawi. Les forces éthiopiennes ont refusé de permettre à la communauté de récupérer les corps des victimes avant la fin de la matinée.
Selon l'organisation non gouvernementale Ethiopian Human Rights Council (Conseil éthiopien des droits humains, EHRCO), 89 civils ont été tués à Merawi. La Commission éthiopienne des humains (Ethiopian Human Rights Commission), un organisme de l'État fédéral, a dans un premier temps conclu que les forces éthiopiennes ont tué 45 habitants.
En vertu du droit international humanitaire applicable au conflit armé en Amhara, le meurtre délibéré ou les mauvais traitements de civils, ainsi que le pillage de biens civils sont interdits, et peuvent faire l’objet de poursuites en tant que crimes de guerre.
Des partenaires internationaux de l’Éthiopie, notamment les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni, ont publié des déclarations condamnant le massacre de civils et appelant à une enquête indépendante. Depuis la fin de l’enquête mandatée par l’ONU sur l’Éthiopie, en octobre 2023, la situation des droits humains dans ce pays a fait l’objet d’une surveillance internationale limitée.
Les gouvernements concernés devraient exhorter le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a examiner de près la situation des droits humains en Éthiopie. Ils devraient aussi appeler le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme à enquêter d’urgence sur les abus commis à Merawi et dans la région d’Amhara, ainsi que dans d'autres zones touchées par le conflit, et à publier leurs conclusions, selon Human Rights Watch. L'UE devrait appeler les autorités éthiopiennes à prendre des mesures concrètes pour empêcher de nouveaux abus contre les civils, notamment en autorisant des enquêtes indépendantes sur les meurtres de Merawi et en demandant des comptes aux responsables.
Texte complet en anglais : en ligne ici.
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Articles
Le Monde (article de Noé Hochet-Bodin)