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Le 20 janvier 2024, le président congolais Félix Tshisekedi a prêté serment pour un deuxième et dernier mandat de cinq ans. Les résultats officiels ont fait état d’une victoire écrasante à la suite d’un processus électoral pourtant vivement contesté et entaché de problèmes logistiques, d’irrégularités et de violences. Les candidats de l’opposition ont rejeté les résultats et appelé à l’organisation d’un nouveau scrutin.

L’influente Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a qualifié les élections de décembre de « catastrophe électorale » caractérisée par « la fraude, la corruption à grande échelle, le vandalisme de matériel électoral [et] l’incitation à la violence ». La mission d’observation électorale du Centre Carter a signalé qu’« au moins 19 décès ont été reliés à des actes de violence électorale, dont deux candidats ».

Invoquant des fraudes, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annulé les résultats dans deux circonscriptions et disqualifié 82 candidats des élections nationales et locales, dont certains issus de la coalition au pouvoir. Selon les chiffres fournis par la CENI, la coalition politique de Félix Tshisekedi a obtenu une majorité écrasante au Parlement.

Le président Tshisekedi est confronté à des défis importants, notamment l’aggravation de la violence dans l’est du pays avec le conflit armé en cours contre le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda, ainsi que d’autres fronts impliquant divers groupes armés non étatiques, la poursuite des violences à l’intérieur et autour de la province occidentale du Mai-Ndombe, l’accroissement des tensions intercommunautaires dans le Katanga, dans le sud du pays, la flambée des discours de haine et l’une des plus grandes crises de déplacement de population au monde.

Après une campagne électorale largement marquée par une rhétorique nationaliste et des déclarations belliqueuses ainsi qu’un premier mandat au cours duquel les mesures initiales visant à promouvoir les droits humains en RD Congo ont été rapidement éclipsées par l’intolérance à l’égard des voix dissidentes et le rétrécissement progressif de l’espace civique, le président Tshisekedi devrait placer la promotion et la protection des droits humains au cœur de la feuille de route de son gouvernement et adopter des réformes systémiques pour garantir le respect de l’état de droit.

Alors que des troupes de la Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC) se déploient pour soutenir les forces gouvernementales congolaises dans le Nord-Kivu, et que la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation au Congo (MONUSCO) se prépare à quitter le pays à la demande des autorités congolaises, le gouvernement Tshisekedi devrait faire de la protection des civils et de l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains une priorité, tout en prenant des mesures concrètes pour protéger les droits fondamentaux des personnes, comme suit :

1.      Respecter et protéger les droits à la liberté d’expression, à la liberté des médias, et le droit de réunion pacifique

Contrastant de manière saisissante avec la première année du mandat de Félix Tshisekedi, marquée par un recul significatif de la répression politique dans le pays, les autorités ont, au cours des quatre dernières années, exercé une répression de plus en plus sévère – y compris en ligne – contre les journalistes, les activistes des droits humains et pro-démocratie, les personnes critiques à l’égard du gouvernement, ainsi que contre des membres et des responsables de partis d’opposition.

Malgré l’engagement de Félix Tshisekedi en 2019 de faire des médias « un véritable quatrième pouvoir », les journalistes continuent d’être pris pour cibles en raison de leur travail. C’est notamment le cas de Stanis Bujakera, le reporter congolais le plus suivi sur les réseaux sociaux, détenu depuis le 8 septembre 2023 et poursuivi dans le cadre d’une affaire motivée par des considérations politiques.

Le 3 février 2024, des membres de l’Agence nationale de renseignement (ANR) ont arrêté et placé en détention cinq activistes pro-démocratie et deux autres personnes à la suite d’un rassemblement pacifique appelant à la fin de « l’occupation » du M23 dans la province orientale du Nord-Kivu, où le groupe armé est depuis longtemps responsable de crimes de guerre et d’autres exactions. Ils ont tous été interrogés sur des réunions post-électorales de l’opposition.

L’article 26 de la Constitution congolaise permet aux citoyens de manifester sans autorisation, à condition d’en informer les autorités au préalable. Cependant, au cours du premier mandat de Félix Tshisekedi, les forces de sécurité ont eu recours à un usage inutile ou excessif de la force, y compris parfois meurtrière, pour empêcher ou disperser des manifestations pacifiques.

Recommandations

  • Ordonner aux forces et agences de sécurité, en particulier à l’Agence nationale de renseignement (ANR), de cesser de menacer, d’intimider et d’arrêter arbitrairement et placer en détention des membres de l’opposition, des journalistes et des activistes qui critiquent les responsables ou la politique du gouvernement. Fermer tous les centres de détention administrés par les agences de sécurité de l’État, conformément aux engagements antérieurs de Félix Tshisekedi.
  • Mettre fin au harcèlement, y compris au harcèlement judiciaire qui comprend des poursuites, à l’encontre des membres de l’opposition, des détracteurs, des lanceurs d’alerte et des journalistes, et abandonner les accusations infondées portées contre eux.
  • Ordonner aux forces de sécurité de cesser de recourir à un usage excessif de la force lors des manifestations et enquêter sur les allégations crédibles de violations commises par les forces de sécurité et en tenir les auteurs responsables. Veiller à ce que la Garde républicaine et l’armée ne soient pas déployées sur les lieux de manifestations, et garantir la justice et que les responsabilités soient pleinement établies pour la tuerie de dizaines de civils par la Garde républicaine à Goma le 30 août 2023.
  • Veiller à ce que les forces de sécurité respectent les normes internationales en matière de réunion pacifique, notamment les Lignes Directrices sur la Liberté d’Association et de Réunion en Afrique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).
  • Abroger les lois pénales sur la diffamation, conformément à l’appel lancé en 2010 par la CADHP dans sa résolution 169, qui souligne « que les lois pénalisant la diffamation constituent une grave entrave à liberté d’expression et compromettent le rôle de contrôle des médias » et réformer le Code du numérique, qui criminalise le partage de « fausses informations ».

2.      Faire de la protection des civils en zones de conflit une priorité

Plus de 100 groupes armés sont toujours actifs dans les provinces orientales de l’Ituri, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Tanganyika. Nombre de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, notamment des massacres, des violences sexuelles, des recrutements d’enfants et des pillages.

La guerre contre les rebelles du M23, un groupe armé soutenu par le Rwanda, a occupé une place importante au cours des deux dernières années du premier mandat de Félix Tshisekedi et continue d’avoir des répercussions sur les civils, dont plus d’un million ont été déplacés par les combats et se trouvent dans une situation humanitaire désastreuse, selon les Nations Unies et des agences humanitaires. Le M23 contrôle de vastes pans du territoire du Nord-Kivu. Human Rights Watch a appelé à plusieurs reprises les gouvernements et les organisations régionales à faire pression sur le Rwanda pour qu'il cesse de fournir des armes et d'autres formes de soutien au M23, responsable d'innombrables crimes de guerre depuis de nombreuses années. Face à l’offensive du M23, une coalition de milices, elles-mêmes responsables d’exactions, appelées les « Wazalendo » (« patriotes » en swahili) ainsi que les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) – un groupe armé à majorité hutu et dont le leadership a participé au génocide de 1994 au Rwanda – reçoivent le soutien du gouvernement pour combattre aux côtés des soldats congolais. Le gouvernement Tshisekedi a également engagé des centaines de membres de sociétés militaires privées pour former et instruire des unités de l’armée et les forces congolaises ont acquis de nouveaux armements, notamment des drones armés, faisant craindre un conflit régional plus large.

En Ituri, des combattants de milices ont multiplié les attaques contre les civils en 2023, notamment contre les camps de personnes déplacées. Les troupes ougandaises continuent de traquer les combattants des Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), un groupe armé dirigé par des Ougandais et lié au groupe extrémiste armé l’État islamique, dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, dans le cadre d’un accord bilatéral avec la RD Congo.

Alors que la force de la Communauté d’Afrique de l’Est (East African Community, EAC) s’est retirée de la RD Congo fin 2023, les troupes de la SADC ont commencé leur déploiement en décembre au Nord-Kivu en soutien aux troupes gouvernementales congolaises. Parallèlement, le gouvernement Tshisekedi a demandé que la force de maintien de la paix de l’ONU, la MONUSCO, quitte le pays d’ici fin 2024.

Félix Tshisekedi a débuté son second mandat en étant également confronté à des violences dans la province occidentale du Mai-Ndombe, où les milices Mobondo attaquent des civils et les forces gouvernementales à proximité de Kinshasa, la capitale du pays.

Recommandations

  • Mettre immédiatement fin au soutien et à la collaboration avec les groupes armés responsables d’exactions qui forment la coalition Wazalendo, et avec les FDLR, dans le cadre de la lutte contre le groupe armé M23. Les responsables civils ou militaires impliqués de manière crédible dans le soutien à de tels groupes devraient être suspendus de leurs fonctions, faire l’objet d’une enquête et être poursuivis de manière adéquate.
  • Mettre en application les mandats d’arrêt contre des membres de groupes armés, dont le chef de milice Guidon Shimiray Mwissa, qui fait partie de la coalition Wazalendo bien qu’il soit recherché par les autorités congolaises pour des exactions et crimes contre l’humanité.
  • Améliorer puis lancer le programme de Démobilisation, Désarmement, Relèvement Communautaire et Stabilisation (PDDRCS) avec un soutien complet et à long terme pour dissuader les anciens combattants de reprendre le maquis.
  • Lutter contre les discours de haine et l’incitation à la haine et contre les actes de violence ou d’intimidation motivés par la haine. Veiller à ce que tous les auteurs de violences ethniques soient tenus pour responsables, y compris les fonctionnaires de l’Etat impliqués, et travailler avec les communautés minoritaires pour élaborer des mesures efficaces visant à fournir une meilleure protection et à identifier et résoudre les problèmes avant qu’ils ne donnent lieu à des infractions pénales.

3.      Réformer le système judiciaire et lutter contre la corruption

Dans une interview diffusée à la télévision d’État l’année dernière, Félix Tshisekedi a admis que le manque de progrès sur le plan judiciaire était « un bémol [de son] bilan », ajoutant que « malheureusement, dans notre cas, la justice détruit notre nation… et donc je pense ici que cette justice a besoin de réformes. »

Le système judiciaire congolais reste très dysfonctionnel, miné par la corruption et l’ingérence d’acteurs politiques et militaires. Le manque de moyens financiers et matériels entrave également gravement les procédures judiciaires, dont beaucoup sont par conséquent tout simplement à l’arrêt. De nombreux auteurs présumés de violations des droits humains n’ont pas encore été traduits en justice, tandis que les arrestations et détentions arbitraires, notamment de défenseurs des droits humains, de journalistes et de personnalités de l’opposition, se poursuivent.

La corruption généralisée nuit considérablement à la capacité de l’État à remplir ses obligations en matière d’éducation de qualité, de soins de santé, de sécurité sociale, et d’autres droits économiques, sociaux et culturels, et sape la confiance dans les autorités publiques et le contrat social dans le pays.

Recommandations

  • Mettre en place des réformes systémiques nécessaires pour reconstruire un système judiciaire à même de garantir une justice efficace, accessible, équitable et indépendante.
  • Mettre fin à l’ingérence politique et à la corruption dans le système judiciaire à tous les niveaux (y compris au sein de la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction du pays). Cela devrait inclure la garantie que les individus soupçonnés d’avoir tenté d’entraver les processus judiciaires, ou d’y faire interférence, soient tenus pour responsables de leurs actes, quel que soit leur rang.
  • Faciliter l’accès des victimes à la justice et garantir le respect du droit à un procès équitable, notamment en garantissant une assistance juridique aux accusés indigents.
  • Libérer sans inculpation les personnes détenues qui n’ont été reconnues coupables d’aucun crime ou qui attendent leur procès en détention préventive au-delà des délais prévus par la loi.
  • Prendre des mesures concrètes pour lutter contre la corruption, y compris en garantissant des procédures claires pour identifier, prévenir et enquêter sur les cas de corruption, de pots-de-vin et de détournements de fonds publics, et pour traduire en justice les responsables d’infractions liées à la corruption.
  • Assurer la protection juridique des lanceurs d’alerte, et soutenir l’adoption d’une loi sur la liberté d’information.
  • Réviser la loi sur la protection des défenseurs des droits humains, de manière à supprimer les dispositions qui criminalisent leurs activités.

4.      Donner la priorité à l’obligation de rendre des comptes pour les crimes graves

Au cours du premier mandat de Félix Tshisekedi, des consultations nationales ont eu lieu sur un éventuel processus de justice transitionnelle visant à traiter les crimes graves passés et présents en vertu du droit international. Cependant, le président ne s’est pas engagé à prendre des mesures concrètes pour mettre fin aux cycles récurrents de violence et d’impunité qui perdurent en RD Congo.

Les tribunaux congolais, essentiellement militaires, se sont saisis d’un nombre croissant d’affaires concernant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ceci étant, la plupart des atrocités commises en RD Congo restent impunies et les procédures nationales continuent de révéler les failles du système judiciaire du pays.

Tout processus futur de justice transitionnelle devrait inclure et donner la priorité à des mesures visant à faire progresser la responsabilité pénale pour les crimes graves.

Recommandations

  • Établir un mécanisme judiciaire internationalisé pour enquêter et poursuivre les crimes internationaux graves commis en RD Congo par des acteurs congolais et étrangers, y compris ceux documentés dans le rapport Mapping de l’ONU (couvrant les crimes commis entre 1993 et 2003) et d’autres plus récents.
  • Mettre en place un mécanisme formel de contrôle (vetting) afin d’identifier et de démettre provisoirement de leurs fonctions les membres des forces de sécurité et autres responsables du pouvoir exécutif suspectés d’être impliqués dans de graves violations des droits humains, indépendamment de leur rang, pendant que la justice étudie leur cas. Ces individus devraient faire l’objet d’une enquête équitable et, si cela est justifié, être poursuivis dans le cadre de procès conformes aux normes internationales. Cela devrait s’inscrire dans une réforme plus large du secteur de la sécurité.
  • Mettre en place un programme complet de réparations pour les victimes de crimes internationaux graves et leurs familles, conformément au droit international, pour les aider à reconstruire leurs vies.

5.      Réformer les institutions pour renforcer la démocratie

Les institutions clés, en particulier la Cour constitutionnelle et la CENI, sont perçues comme politisées et favorables aux autorités.

Plusieurs missions d’observation électorale ont noté le manque de confiance dans le processus électoral de décembre 2023. « L’impartialité de la Cour constitutionnelle est souvent remise en question », a relevé la Mission d’observation électorale de l’Union africaine. Elle a exhorté le gouvernement à « garantir l’indépendance et l’impartialité des institutions impliquées dans le processus électoral ». La mission d’observation électorale du Centre Carter a quant à elle déclaré que « les élections se sont déroulées dans un contexte de profond manque de confiance de la part de nombreux citoyens vis-à-vis d’un processus électoral équitable », en raison notamment « de la conduite des processus électoraux précédents, mais aussi de la composition de la CENI, ainsi que d’un manque de transparence, notamment en ce qui concerne le processus d’enregistrement des électeurs. »

La méfiance du peuple congolais vis-à-vis des institutions nationales est reflétée par le taux de participation qui a progressivement chuté lors des quatre élections générales organisées depuis l’indépendance du pays, pour atteindre un seuil historiquement bas de 43 % en décembre. Bien qu’ils aient rejeté les résultats des élections, les principaux candidats de l’opposition ont refusé de déposer un recours officiel auprès de la Cour constitutionnelle, estimant qu’elle ne l’examinerait pas de manière impartiale.

Les réformes du corps électoral lors du premier mandat de Félix Tshisekedi ne sont pas allées jusqu’à créer les conditions d’un processus impartial et crédible, en partie parce que le changement dans sa structure et sa composition n’a pas résolu le problème de sa « politisation ».

Le gouvernement Tshisekedi devrait prendre des mesures concrètes pour restaurer la confiance du peuple congolais dans les institutions démocratiques.

Recommandations

  • Mettre en place une commission d’enquête indépendante chargée d’enquêter de manière impartiale et de sanctionner de manière appropriée la mauvaise gestion, la fraude et la corruption qui auraient pu compromettre les élections générales de décembre 2023. La commission électorale ne devrait pas assurer le contrôle de son propre travail.
  • Réformer la CENI pour garantir son indépendance et sa crédibilité, notamment en garantissant que les membres nommés n’aient pas d’agenda politique et en assurant de solides mécanismes de contrôle.
  • Garantir l’indépendance et l’impartialité de la Cour constitutionnelle, notamment en veillant à ce que la nomination des juges ne soit pas contrôlée par la force politique au pouvoir.

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