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Quel est le sujet de ce rapport ?
Le rapport de mapping de l'ONU a été élaboré par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et décrit les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises en République démocratique du Congo (RDC) entre mars 1993 et juin 2003. Il s'agit d'un document dense et détaillé, basé sur des recherches extensives et rigoureuses effectuées par une équipe d'une vingtaine de professionnels congolais et internationaux en matière de droits humains sur une période de 12 mois. Le rapport examine 617 des incidents les plus graves survenus dans tout le Congo sur une période de 10 ans et fournit des détails sur des cas graves de massacres, de violence sexuelle et d'attaques contre des enfants, ainsi que d'autres exactions commises par une série d'acteurs armés, notamment des armées étrangères, des groupes rebelles et des forces du gouvernement congolais.

Le rapport indique que les femmes et les enfants ont été les principales victimes de la plupart des actes de violence recensés par l'équipe. Afin de « refléter comme il convient l'ampleur de ces actes de violence commis par tous les groupes armés » contre les personnes les plus vulnérables, le rapport consacre des chapitres spécifiques aux crimes de violence sexuelle contre les femmes et les filles, ainsi qu'aux violences contre les enfants. Il consacre également un chapitre au rôle joué par l'exploitation des ressources naturelles par rapport aux crimes commis au Congo.

Le rapport conclut que la majorité des crimes documentés peuvent être qualifiés de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. En référence à une série particulière d'événements qui se sont déroulés entre 1996 et 1997, le rapport soulève la question de savoir si certains crimes commis par l'armée rwandaise et son allié congolais, le groupe rebelle de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), contre des réfugiés hutus rwandais et des citoyens hutus congolais (voir ci-après pour d'autres détails) pourraient être qualifiés de crimes de génocide. Le rapport précise qu'il appartiendrait à un tribunal compétent de rendre une telle décision.

L'objectif du projet de mapping n'était pas  d'« établir de responsabilités individuelles ni à jeter le blâme. » Au contraire, le rapport indique que le projet de mapping « se veut un premier pas, après un violent conflit, vers un processus de vérité parfois douloureux mais nécessaire » et qu'il cherche à « [regarder] vers l'avenir en identifiant plusieurs chemins que pourrait emprunter la société congolaise pour composer avec son passé, lutter contre l'impunité et faire face aux défis présents de façon à empêcher que de telles atrocités ne se reproduisent. » Une partie importante du rapport est consacrée à une évaluation du système de justice congolais actuel, au cadre juridique pour juger ces crimes et aux options de justice transitionnelle.

Pourquoi ce rapport est-il important ?  
Le rapport de mapping de l'ONU est un rappel puissant de la gravité des crimes commis au Congo et de l'absence choquante de justice. Le rapport remarque que la période couverte par le projet de mapping est  « probablement l'un des chapitres les plus tragiques de l'histoire récente de la RDC. » Ces dix années, indique-t-il, ont été « marquées par une série de crises politiques majeures, de guerres et de nombreux conflits ethniques et régionaux qui ont provoqué la mort de centaines de milliers, voire de millions, de personnes. » Il note que « rares ont été les civils, congolais et étrangers, vivant sur le territoire de la RDC qui ont pu échapper à ces violences. »

Il s'agit de la première fois que ces crimes, perpétrés par une diversité d'acteurs, sont analysés, rassemblés et organisés méthodiquement dans un rapport officiel de l'ONU. Nombre des événements mentionnés ont été documentés auparavant, notamment par l'ONU elle-même et par des organisations non gouvernementales, mais d'autres avaient largement été passées sous silence. Suivi d'une action nationale et internationale ferme, ce rapport pourrait constituer une contribution majeure à la fin de l'impunité et rompre le cycle de violence au Congo et plus largement dans la région des Grands Lacs.

Existe-t-il des différences entre la version qui a été divulguée à la presse en août et la version officielle publiée par l'ONU le 1er octobre ?
Il n'y a pas de différence substantielle. Le rapport n'a pas été sensiblement altéré. La version officielle publiée le 1er octobre comporte des éclaircissements supplémentaires sur la définition juridique du crime de génocide, ainsi que des arguments pour et contre la qualification de certains des événements de 1996 et 1997 de crimes de génocide. Le rapport présente certains des facteurs qui pourraient amener un tribunal à qualifier certains de ces crimes de crimes de génocide, ainsi que des considérations contraires qui pourraient conduire un tribunal à conclure à l'absence d'intention spécifique, élément requis pour établir qu'un crime de génocide a été commis.  Le rapport déclare qu' « une enquête judiciaire complète portant sur les événements qui se sont produits au Zaïre en 1996 et 1997 sera nécessaire afin qu'un tribunal compétent puisse décider de ces questions. »  

La version officielle inclut les commentaires du gouvernement congolais. D'autres gouvernements ont eu l'opportunité de publier leurs réponses sur le site web du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.

Le gouvernement rwandais, en particulier, a protesté énergiquement contre le rapport et a menacé de retirer ses 3 000 Casques bleus de la mission conjointe de maintien de la paix Union Africaine - ONU au Darfour si le rapport était publié et si l'allégation de crimes de génocide commis par ses troupes au Congo n'était pas supprimée du document. L'ONU a résisté à ces pressions et le 24 septembre, le Président du Rwanda, Paul Kagame, a renoncé à sa menace. 

Quelle est l'origine de ce rapport ? Pourquoi l'ONU a-t-elle décidé maintenant d'examiner les crimes passés commis au Congo ?
L'ONU avait déjà auparavant enquêté sur certains des crimes décrits dans le rapport, notamment en 1997 quand Kofi Annan, alors Secrétaire général, avait désigné une équipe d'enquêteurs pour examiner les crimes graves commis au Congo de mars 1993 à décembre 1997. Mais ces enquêtes ont été bloquées à plusieurs reprises par le gouvernement congolais, dirigé alors par Laurent Désiré Kabila (père de Joseph Kabila, le président actuel), qui était arrivé au pouvoir avec l'aide du Rwanda et de l'Ouganda.

En dépit de ces tentatives pour bloquer l'équipe enquêtrice, l'ONU avait quand-même publié les conclusions préliminaires de l'équipe en 1998, selon lesquelles certains des massacres commis en 1996 et 1997 par l'armée rwandaise et ses alliés rebelles congolais, l'AFDL, pouvaient constituer un génocide. Du fait que son travail avait été sérieusement entravé, l'équipe a demandé d'autres investigations et a réclamé que les preuves et autres informations sensibles qu'elle avait obtenues soient entreposées dans un endroit sûr jusqu'à ce qu'une enquête plus approfondie soit possible.

En septembre 2005, la mission de maintien de la paix de l'ONU au Congo, la  MONUC, a découvert trois fosses communes à Rutshuru, dans la province du Nord Kivu, dans l'est du Congo, liées à des crimes commis en 1996 et 1997. Cette macabre découverte était un rappel des horreurs qui avaient eu lieu et de l'absence persistante de justice. Elle a servi de déclencheur à la réouverture des enquêtes. Le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, avec le soutien du Secrétaire général de l'ONU, a démarré le projet de mapping, baptisé ainsi parce qu'il devait documenter les crimes les plus graves commis dans un laps de temps et une zone géographique définis, et élargi le mandat pour inclure les violations des droits humains et du droit humanitaire international commises au cours de la seconde guerre du Congo, entre 1998 et 2003.

En mai 2007, le Président Joseph Kabila a approuvé le projet de mapping et en juillet 2008, une équipe est arrivée au Congo pour entamer le travail. Cette fois, l'équipe a pu travailler librement.

Pourquoi le gouvernement rwandais est-il si contrarié par ce rapport ?
Le gouvernement rwandais, ainsi que d'autres gouvernements désignés dans le rapport, sont évidemment sensibles aux allégations de crimes commis par leurs troupes. Si le rapport documente des crimes atroces perpétrés par de nombreux groupes armés au Congo, certains des crimes les plus graves, selon le rapport, ont été commis par l'armée rwandaise (l'Armée patriotique rwandaise, APR) et ses alliés, le groupe rebelle congolais de l'AFDL, au Congo en 1996 et 1997.

Le rapport indique que les attaques commises par l'APR et l'AFDL « révèlent plusieurs éléments accablants qui, s'ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide. » À tout le moins, conclue-t-il, « les informations recueillies à ce jour permettent de confirmer fermement que ces [attaques] étaient bien des crimes contre l'humanité. »

Le gouvernement rwandais a reçu une copie préalable du rapport en juillet et a cherché depuis à le rejeter et à le discréditer, affirmant que les accusations de génocide sont absurdes et irresponsables et que le rapport a été fait à l'instigation de personnes qui sont opposées au gouvernement rwandais. Le gouvernement rwandais a exercé de fortes pressions sur le Secrétaire général Ban Ki-moon, pour stopper la publication du rapport, en plus de sa menace de retirer ses 3 000 Casques bleus du Darfour. Il a aussi encouragé d'autres pays africains à dénoncer le rapport. Dans un communiqué daté du 24 septembre, le gouvernement ougandais a lui aussi rejeté le rapport et a déclaré que celui-ci sapait l'engagement de l'Ouganda à continuer de contribuer aux opérations de maintien de la paix. 

De telles réactions ne servent qu'à entraver les efforts pour mettre un terme à l'impunité dans la région des Grands Lacs et pour trouver une solution durable au conflit persistant au Congo. En cherchant à empêcher la publication d'un rapport aussi important en recourant aux menaces et à l'intimidation, les gouvernements rwandais et ougandais ne font que soulever d'autres questions quant au comportement de leurs troupes et donne l'impression qu'ils ont quelque chose à cacher. Le rapport mérite une réponse sérieuse, et non un démenti général selon lequel des crimes pourtant bien documentés n'auraient prétendument jamais eu lieu.

Mais n'y a-t-il pas eu un génocide contre les Tutsis au Rwanda ? Comment peut-il y avoir eu aussi un génocide contre les Hutus ?
En 1994, plus de 500 000 personnes ont été brutalement massacrées lors d'un génocide au Rwanda planifié par des politiciens hutus extrémistes et autres autorités contre la minorité tutsie. Les extrémistes ont été vaincus en 1994 par le Front patriotique rwandais (FPR) dominé par les Tutsis et dirigé par Paul Kagame, l'actuel président rwandais, ce qui a mis fin au génocide. Craignant des attaques en représailles, plus d'un million d'Hutus rwandais ont fui le Rwanda pour se réfugier dans l'est du Congo [qui s'appelait alors le Zaïre]. Les réfugiés étaient accompagnés d'individus ayant pris part au génocide - notamment des membres de l'ancienne armée rwandaise et des milices interahamwe - qui ont pris le contrôle des camps de réfugiés établis par la communauté de l'aide internationale près de la frontière entre le Rwanda et le Congo. En 1996, le gouvernement rwandais, soutenu par l'Ouganda, a envahi l'est du Congo pour détruire les camps, et de concert avec le groupe rebelle congolais constitué  à la hâte, l'AFDL, ils ont marché sur la capitale, Kinshasa, renversant le Président Mobutu Sese Seko, qui avait soutenu les extrémistes hutus.

Le rapport de mapping explique qu'après que l'armée rwandaise et ses alliés congolais ont franchi la frontière pour pénétrer dans l'est du Congo en 1996, ils ont lancé « des attaques en apparence systématiques et généralisées » contre les Hutus dans ce que le rapport décrit comme une « apparente poursuite impitoyable et des massacres de grande ampleur de réfugiés hutus », entraînant la mort de « plusieurs dizaines de milliers » de personnes. Le rapport déclare que « l'usage extensif d'armes blanches (principalement des marteaux) et l'apparente nature systématique des massacres de survivants, dont des femmes et des enfants, après la prise des camps [de réfugiés] pourrait indiquer que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre ou assimilables à des dommages collatéraux. » Il ajoute que « parmi les victimes, il y avait une majorité d'enfants, de femmes, de personnes âgées et de malades, souvent sous-alimentés, qui ne posaient aucun risque pour les forces attaquantes. »

Le rapport décrit aussi le massacre systématique de Hutus congolais qui n'avaient joué aucun rôle dans le génocide au Rwanda mais qui ont été pris pour cible lors de réunions publiques et à des barrières mises en place par l'armée rwandaise ou leurs alliés congolais de l'AFDL, puis emmenés à l'écart et tués. Le rapport établit que « les multiples attaques contre les Hutus établis au Zaïre [Congo], qui ne faisaient pas partie des réfugiés semblent confirmer que c'étaient tous les Hutus, comme tels, qui étaient visés. » Il conclut que les recherches ont révélé « plusieurs éléments accablants qui, s'ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide. »

C'est le ciblage présumé d'individus sur la base de leur appartenance ethnique - indépendamment du fait qu'ils soient rwandais ou congolais, combattants ou civils - qui soulève la question d'une éventuelle commission de « crimes de génocide » au Congo. Le crime de génocide a une définition juridique très spécifique, à savoir la commission d'un certain nombre d'actes (notamment des meurtres et des dommages corporels ou psychiques graves) « dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».[1] Le terme « génocide » ne renvoie pas à l'ampleur des crimes, mais au ciblage intentionnel d'un groupe avec l'objectif spécifique de l'éliminer en partie ou totalement.

Le Front patriotique rwandais s'est vu à juste titre attribuer le mérite d'avoir mis fin au génocide au Rwanda, mais cela ne l'exonère pas de la responsabilité de crimes que ses propres forces ont pu commettre au cours des mois et des années qui ont suivi, tant au Rwanda qu'au Congo. La justice pour des dizaines de milliers de citoyens congolais et de réfugiés rwandais est essentielle pour obtenir une paix durable dans la région africaine des Grands Lacs.

Ce rapport traite-t-il davantage du Rwanda que du Congo ?  
Il s'agit d'un rapport sur le Congo et les atrocités effroyables subies par les Congolais de la part d'acteurs tant nationaux qu'étrangers. Il fait état de bien d'autres atrocités, en plus de celles commises par l'armée rwandaise et ses alliés. Il comporte une quantité considérable d'informations relatives aux crimes commis par des groupes rebelles congolais et par les forces armées nationales du Congo, ainsi que par des forces armées ougandaises, burundaises, angolaises, tchadiennes et zimbabwéennes et d'autres groupes rebelles étrangers.

On dit souvent qu'au moins 5 millions de personnes sont mortes au Congo. Le rapport évoque-t-il ces décès ?
Des enquêtes de mortalité détaillées réalisées par l'International Rescue Committee ont conclu que près de cinq millions personnes sont mortes au Congo depuis 1998 à cause du conflit, dont la grande majorité du fait de la malnutrition et du manque d'accès aux traitements médicaux. Le rapport de mapping s'intéresse spécifiquement aux meurtres et autres exactions infligées délibérément aux civils. Il ne documente pas les nombreuses centaines de milliers d'autres décès survenus comme conséquence indirecte des violences.

Ce rapport documente-t-il des crimes de violence sexuelle ?
Le rapport de mapping de l'ONU a établi que les femmes et les enfants ont été les principales victimes d'une grande partie des violences et consacre un chapitre aux crimes de violence sexuelle contre les femmes et les filles. Il a établi que : « Entre 1993 et 2003, la violence sexuelle fut une réalité quotidienne qui ne laissa aucun répit aux Congolaises. Qu'elles soient écolières ou mères de famille, fiancées, mariées ou veuves, simples paysannes ou épouses de dirigeants politiques, d'anciens membres de l'armée ou des fonctionnaires, militantes de partis d'opposition, travailleuses humanitaires ou membres d'associations non gouvernementales, elles ont subi sans discrimination de classe sociale ou d'âge, et pour une variété de motifs, des violences sexuelles sous leurs formes les plus diverses. »

L'équipe de mapping a aussi pu confirmer à une échelle massive des cas de violence sexuelle qui n'avaient pas été documentés auparavant ou seulement de façon limitée, en particulier le viol de femmes et d'enfants réfugiés hutus en 1996 et 1997.

Le rapport fait-il référence à l'exploitation des ressources naturelles ?
Oui, le rapport consacre un chapitre à cette question. Il remarque à ce sujet : « Il aurait été impensable de  dresser l'inventaire des violations les plus graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003 sans examiner, même brièvement, le rôle qu'a joué l'exploitation des ressources naturelles dans la commission de ces crimes. Dans un nombre important d'événements, la lutte entre les différents groupes armés pour l'accès, et le contrôle, aux richesses de la RDC a servi de toile de fond aux violations perpétrées à l'encontre des populations civiles. » Le chapitre documente la façon dont le désir de contrôler les minerais, le bois et autres ressources a agi comme un puissant facteur de motivation pour les parties au conflit congolaises et étrangères.

C'est un rapport historique. Quel est son intérêt pour le Congo d'aujourd'hui ?
Le rapport a une pertinence immédiate pour la situation au Congo aujourd'hui et il constitue un rappel sévère des conséquences de l'impunité. Nombre des types d'atrocités commises contre les civils documentées dans ce rapport se poursuivent. Les forces de sécurité congolaises et une multitude de groupes armés utilisent toujours les mêmes tactiques et stratégies d'exactions, encouragées par le fait qu'il n'y a eu aucune obligation de rendre des comptes pour les atrocités précédentes.

Cela a été particulièrement manifeste dans une série de viols commis contre plus de 300 femmes et filles à Walikale, dans l'est du Congo, en août 2010, qui ont été largement rapportés par la presse. Le rapport de l'ONU souligne le lien direct entre le manque d'obligation de rendre des comptes pour les auteurs de ces crimes et la continuation de crimes graves perpétrés à l'encontre des populations civiles. La création de mécanismes de justice pour commencer à exiger des comptes aux auteurs de ces crimes sera essentielle pour mettre fin à ce cycle de violence.

Quelle est la réponse du gouvernement congolais au rapport ?
L'ONU a soumis une copie du projet de rapport au gouvernement congolais en juin 2010. Le gouvernement congolais a communiqué à l'ONU des commentaires détaillés, qui ont été incorporés dans la version finale. Le 1er octobre, le gouvernement congolais a déclaré dans un communiqué qu'il accueillait favorablement la publication du rapport et qu'il était « consterné devant cette horreur indicible et étendue des crimes que le peuple congolais a endurés. » La déclaration poursuit : «  Les victimes méritent justice. Elles méritent que leurs voix soient entendues par nous leurs dirigeants, mais également par la communauté internationale dans son ensemble. »  Le gouvernement a annoncé qu'il était « déterminé à tout mettre en œuvre en vue d'amener les coupables devant la justice et obtenir des réparations pour les victimes ». Il a appelé  à une conférence au Congo avec des experts juridiques et des bailleurs de fonds internationaux, pour discuter en détail des options juridiques présentées dans le rapport de mapping afin de déterminer une marche à suivre.

La société civile congolaise a soutenu fermement le rapport. Le 3 septembre, une coalition de 220 organisations de défense des droits humains à travers le pays a publié un communiqué de presse saluant le rapport et réclamant que des mécanismes judiciaires appropriés soient mis en place pour que les auteurs des crimes soient tenus de rendre compte de leurs actes et pour rendre justice aux victimes. Selon les propres termes d'un défenseur des droits humains, « [le rapport] répond à notre plaidoyer fait pendant longtemps pour le rétablissement de l'équilibre moral dans la société congolaise sur la base des idéaux nobles de justice, d'équité, de paix, de fraternité et de solidarité nationale tels que définis dans la constitution du 18 février 2006, en faveur de tout Congolais et tout être humain vivant en RDC. » 

Pourquoi personne n'a-t-il été traduit en justice pour ces crimes s'ils étaient déjà bien connus à cette époque ?
Le manque de justice pour ces crimes a été un échec majeur des gouvernements de la région des Grands Lacs et de la communauté internationale, et a sans aucun doute contribué à la poursuite des attaques contre les civils au Congo. Les tentatives successives pour enquêter sur ces crimes ont été bloquées, et les rapports des organisations de défense des droits humains nationales et internationales faisant état de l'ampleur des crimes ont été ignorés. La culpabilité pour ne pas être intervenu afin de stopper le génocide au Rwanda en 1994 a conduit de nombreux gouvernements à fermer les yeux sur les crimes effroyables commis par les forces rwandaises au Congo et, par extension, sur les crimes commis par d'autres forces armées sur le territoire congolais. Les populations civiles ont payé le prix fort pour cette politique désastreuse.

Le gouvernement congolais a tenté de chercher recours auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) pour crimes d'agression et violations majeures du droit humanitaire international par le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi au cours de la deuxième guerre du Congo, de 1998 à 2003. La CIJ a rendu un jugement en décembre 2005, qui concluait que les forces armées ougandaises avaient perpétré des violations généralisées des droits humains au Congo entre 1998 et 2003 et avaient violé le principe de non-recours à la force dans les relations internationales et le principe de non-intervention. La Cour a ordonné à l'Ouganda de payer des réparations pour un montant d'environ 6 milliards de dollars au Congo. Aucune somme n'a encore été versée.

Le même tribunal a déclaré qu'il ne pouvait pas juger dans une affaire similaire intentée par le gouvernement congolais contre le Rwanda, étant donné que le Rwanda ne reconnaît pas la CIJ et qu'il n'est pas un État partie aux conventions de l'ONU contre la torture et à d'autres instruments relatifs aux droits humains. En particulier, le Rwanda s'est référé à sa réserve concernant l'Article IX de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[2]. La CIJ peut seulement accepter une affaire si elle a le consentement des deux parties. Le Rwanda n'a pas donné son consentement, se mettant ainsi à l'abri de ce qui aurait probablement été un résultat similaire aux conclusions de la Cour sur l'Ouganda.

En 2003, lors de l'Assemblée générale de l'ONU, le Président Joseph Kabila a demandé qu'une cour pénale internationale pour le Congo enquête sur les crimes et exige des comptes à leurs auteurs. Son appel  a trouvé écho auprès des groupes de la société civile congolaise. Ces appels ont été ignorés.   

La Cour pénale internationale (CPI) peut-elle juger les crimes décrits dans le rapport de mapping ?
La CPI a été créée pour juger les cas de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre qui ont eu lieu à partir de juillet 2002, quand le Statut de Rome, qui a créé la Cour, est entré en vigueur. Nombre des événements décrits dans le rapport de mapping sont survenus avant cette date. Toutefois, certains des crimes commis dans la seconde moitié de 2002 et en 2003, tels que ceux commis dans le district de l'Ituri, relèvent du mandat de la CPI. En avril 2004, le gouvernement congolais a référé la situation au Congo à la CPI. Le Bureau du Procureur a déterminé, deux mois plus tard, qu'il avait compétence pour les crimes commis au Congo après le 1er juillet 2002, et des enquêtes sont en cours depuis lors. Trois dirigeants de groupes armés congolais ont été arrêtés à la suite d'inculpations prononcées par la CPI et sont en cours de jugement à La Haye. Le procureur de la CPI mène également d'autres enquêtes dans les provinces du Kivu dans l'est du Congo sur les crimes commis depuis juillet 2002.

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) peut-il enquêter sur ces crimes ?
Le mandat du TPIR est de juger les crimes de génocide et autres violations graves du droit humanitaire international commises au Rwanda en 1994. Il peut aussi juger les crimes commis par des Rwandais dans des États voisins durant la même période, mais la plupart des crimes commis par les forces rwandaises documentés dans le rapport de mapping de l'ONU ont eu lieu après 1994 et donc ne relèvent pas du mandat du tribunal. Permettre au tribunal de se charger de ces cas exigerait de modifier son mandat. De plus, le tribunal doit avoir terminé ses procès d'ici la fin 2011 en première instance et il ne prend pas de nouvelles affaires. Il semble peu probable qu'il y ait suffisamment d'intérêt au niveau international pour élargir le mandat du tribunal et pour le faire fonctionner au-delà de sa date actuelle d'achèvement.

Dans ce cas, quel tribunal devrait juger ces crimes ?
C'est là une des questions clés auxquelles le rapport de mapping de l'ONU cherche à répondre, et il présente plusieurs options. L'équipe de mapping a constaté que le système judiciaire congolais manque de capacité à court - ou moyen- terme pour poursuivre les crimes qu'elle a documentés, en dépit des réformes judiciaires récentes initiées par le gouvernement avec le soutien de bailleurs de fonds internationaux. Parmi les options qu'il expose, le rapport exprime une forte préférence pour la création d'un modèle hybride : une chambre judiciaire mixte intégrée dans le système judiciaire congolais avec des juges et autres personnels congolais et internationaux pour rendre justice aux victimes. Ce modèle suit des recommandations similaires de la part de nombreux rapporteurs spéciaux de l'ONU et organisations de la société civile congolaise. Human Rights Watch soutient également ce modèle.

La « chambre mixte » proposée serait en grande partie calquée sur le modèle de la Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie mise en place début 2005 au sein de la Cour d'État de Bosnie.[3] Il s'agirait d'une institution nationale intégrée dans le système judiciaire congolais et appliquant les lois et procédures congolaises, mais disposant de ses propres magistrats, de son propre parquet (pour les enquêtes et poursuites), de son propre greffe, ainsi que ses propres bureaux pour la défense et les victimes. Elle jugerait exclusivement les crimes de guerre passés et présents, les crimes contre l'humanité et les actes de génocide, et inclurait temporairement du personnel non congolais. Établir une « chambre mixte » au sein même du système judiciaire national serait conforme au principe selon lequel c'est aux États qu'il incombe au premier chef de réprimer les violations graves des droits humains perpétrées sur leur territoire. Créée par les autorités congolaises et intégrée dans le système judiciaire national, la « chambre mixte » serait la propriété du Congo. Elle pourrait également profiter au système judiciaire congolais à plus longue échéance grâce à un renforcement des capacités et s'inscrirait donc dans la droite ligne des efforts internationaux actuels visant à renforcer l'État de droit au Congo. La mise en place d'une chambre mixte au sein du système judiciaire congolais avec le soutien d'experts judiciaires internationaux pourrait procurer au système judiciaire national l'élan dont il a besoin pour s'attaquer à l'impunité endémique dont bénéficient les auteurs des crimes les plus graves.

De plus, étant donné le contexte politique tendu entourant les crimes documentés dans le rapport de mapping de l'ONU, la présence de personnel international dans la « chambre mixte » confèrerait la crédibilité et la légitimité nécessaires à ses enquêtes sur les crimes dont les auteurs présumés seraient des ressortissants étrangers.

Quelles sont les suites à donner à la publication de ce rapport ?
Les crimes graves documentés dans le rapport de mapping ne peuvent plus être ignorés. Le rapport exige une réponse sérieuse de la part de l'ONU et de ses États membres, notamment du gouvernement congolais et d'autres gouvernements africains dont les forces armées ont participé aux atrocités. Jusqu'à maintenant, pareille réponse a fait cruellement défaut.

Le Conseil de sécurité de l'ONU, en tant que principal organisme de l'ONU responsable pour les menaces à la sécurité et à la paix internationales, devrait débattre officiellement du rapport et insister pour que tous les pays dont des ressortissants ont participé aux crimes apportent leur aide aux efforts pour rendre la justice. Le gouvernement congolais devrait rapidement donner suite à sa proposition d'organiser une réunion avec des experts et des bailleurs de fonds compétents au Congo pour envisager les options en matière judiciaire et non-judiciaire exposées par le rapport et décider de la marche à suivre.  

Le personnel de Human Rights Watch a-t-il participé à l'exercice de mapping ?
Non. Le projet de mapping et la rédaction du rapport ont été réalisés exclusivement par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme. L'équipe de l'ONU a consulté de nombreuses organisations non gouvernementales nationales et internationales, dont Human Rights Watch, et s'est référé à leurs publications relatives aux événements en question. Celles-ci comprenaient des rapports publiés par Human Rights Watch, dont certains sont cités en annexe du rapport de mapping. L'équipe de mapping a aussi eu recours à un large éventail d'autres sources et a mené elle-même des enquêtes détaillées, interrogeant 1 280 témoins. Dans de multiples cas, les propres conclusions de Human Rights Watch correspondent à celles du rapport de mapping de l'ONU.

 


[1] Article 2 de la Convention de 1948 sur le génocide.

[2] Cinq juges ont commenté à ce moment-là : « Il est gravement préoccupant qu'en ce début du XXIe siècle on laisse encore au bon vouloir des États le soin de consentir ou non à ce que la Cour statue sur les allégations de génocide qui seraient formulées à leur encontre. Il faut considérer comme très grave qu'un État soit à même de soustraire à l'examen judiciaire international une requête le mettant en cause pour génocide. Un État qui agit ainsi se montre aux yeux du monde bien peu assuré de ne jamais, au grand jamais, commettre de génocide. » Cour internationale de justice, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Rwanda), Opinion séparée conjointe des Juges Higgins, Kooijmans, Elaraby, Owada et Simma, 3 février 2006.

[3] Pour plus d'informations sur la Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie, voir Human Rights Watch, Looking for Justice: The War Crimes Chamber in Bosnia and Herzegovina (« En quête de justice : la Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine »), février 2006, https://www.hrw.org/en/reports/2006/02/07/looking-justice.

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