(Nairobi) – L’annonce par le Cameroun de l’ouverture d’une enquête sur le meurtre, le 1er juin 2022, de neuf personnes dans le village de Missong, dans la région du Nord-Ouest, est un premier pas important vers l’obligation de rendre des comptes pour le meurtre présumé de civils par les forces gouvernementales, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Dans un communiqué du 7 juin, Cyrille Serge Atonfack Guemo, le porte-parole de l’armée, a officiellement reconnu la responsabilité de l’armée dans les tueries de Missong, les qualifiant de « malheureux incident » et de « méprise ». Il a précisé que quatre soldats ont été arrêtés et qu’une enquête avait été ouverte. Il a également présenté ses condoléances aux familles des victimes.
« La reconnaissance par l’armée de sa responsabilité et l’annonce de l’ouverture d’une enquête sont des étapes essentielles vers la justice pour ces crimes graves », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités doivent maintenant s’assurer que l’enquête soit approfondie, impartiale et indépendante, et permette d’établir une chronologie claire des événements et l’identification de tous les responsables, notamment au sein de la chaîne de commandement, dans le but d’engager des poursuites. »
Entre le 2 juin et le 5 juillet, Human Rights Watch a s’est entretenu par téléphone six habitants de Missong, dont cinq ont été témoins des meurtres, ainsi que le chef du village, connu sous le nom de « fon ». Human Rights Watch a également examiné trois photographies et quatre vidéos partagées directement avec ses chercheurs et qui montrent les corps de certaines des victimes et leur inhumation. Human Rights Watch a fait part de ses conclusions à Atonfack dans un courrier électronique daté du 27 juin, mais ce dernier n’a pas répondu.
Dans le communiqué du 7 juin, Atonfack a déclaré qu’un groupe de « villageois hostiles » avait affronté des soldats du 53ème bataillon d’infanterie motorisée (BIM) partis à la recherche d’un soldat disparu et que, dans le cadre d’une réponse « manifestement disproportionnée » et « précipitée », les soldats avaient ouvert le feu, tuant neuf civils, dont quatre femmes et une fillette de 18 mois. Human Rights Watch n’a cependant trouvé aucune preuve d’une confrontation entre soldats et villageois, ou d’une provocation de ces villageois qui aurait pu amener les soldats à recourir à la force meurtrière.
« Ils [les soldats] ont commencé à tirer au hasard », a déclaré une femme qui vit à Missong et se trouvait sur place. « Il n’y a eu aucune violence de la part des villageois, ni la moindre confrontation. Ils sont venus et ont tué les nôtres. C’était un acte sauvage, sans aucune justification. Dès que nous avons compris ce qui se passait, nous avons fui dans la brousse où nous sommes restés jusqu’au lendemain matin ».
Les témoins et le chef de Missong ont déclaré qu’à la mi-mai, les forces gouvernementales avaient établi leur base à Abar, à moins d’un kilomètre de Missong. Ils venaient régulièrement s’approvisionner à Missong où la population locale leur réservait un bon accueil. Selon eux, le matin du 1er juin, les soldats s’étaient réunis avec des villageois chez le fon pour manger et se ravitailler. Suite à ce rassemblement, tous les soldats sont rentrés à leur caserne, sauf deux d’entre eux qui sont restés et seraient allés boire et fumer de la drogue chez un habitant de Missong. Quand le commandant a pris conscience que ces hommes avaient disparu, il a envoyé deux soldats à Missong pour les retrouver.
Les habitants de Missong ont déclaré que les soldats n’avaient pas tout de suite retrouvé les deux soldats, qu’ils avaient pensé que des combattants séparatistes actifs dans la région les avaient tués ou kidnappés et qu’ils avaient tué neuf personnes en représailles contre la population locale, soupçonnée d’abriter des combattants séparatistes.
Un homme d’affaires de 31 ans dont la femme de 28 ans a été tuée et dont l’enfant de 14 mois a été blessé dans l’attaque a déclaré : « Les soldats tiraient et nous nous sommes précipités dans la maison pour nous mettre à l’abri. Je me suis caché sous le lit. Trois soldats sont entrés, ont traîné ma femme au dehors et l’ont abattue. Elle a reçu une balle dans le bras droit et dans le cou. Une des balles a touché le bébé qu’elle portait dans ses bras. Le bébé a été blessé à la jambe gauche. J’ai entendu les soldats dire en anglais pidgin : "Cet animal a survécu", en parlant de mon enfant. »
Un habitant de Missong âgé de 22 ans a déclaré : « Nous avons vu les soldats tirer sur la "maison njangi", là où ils [les soldats disparus] s’étaient rendus. Ils tiraient comme des fous et nous nous sommes précipités vers le buisson le plus proche. Quand nous sommes revenus à la maison, nous y avons retrouvé cinq corps, puis quatre autres dans le village, dont celui d’un enfant et celui du fils du fon ».
Les habitants ont déclaré avoir enterré les corps des personnes tuées le 2 juin.
L’attaque de Missong n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans un schéma de violations systématiques des droits humains par les forces de sécurité camerounaises dans les régions anglophones depuis 2016. Il est toutefois rare qu’une déclaration du gouvernement reconnaisse les manquements de l’armée. Il est déjà arrivé que les autorités nient la véracité d’informations selon lesquelles leurs forces ont commis de graves violations des droits humains dans les régions anglophones, et ont accusé ceux qui les ont découvertes, notamment Human Rights Watch, de propagande séparatiste et de déstabilisation du Cameroun.
Dans un cas, les autorités ont d’abord nié toute responsabilité de leurs forces dans le massacre de 21 civils, dont 13 enfants, dans le village de Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest, le 14 février 2020. Par la suite, après des pressions soutenues aux niveaux national et international, elles ont admis que des soldats étaient impliqués dans le massacre.
Les combattants séparatistes qui cherchent à obtenir l’indépendance des deux régions anglophones du Cameroun ont également commis de graves violations des droits humains, notamment des meurtres, des enlèvements et des attaques généralisées contre l’éducation.
« Il faut espérer que la décision du gouvernement de rendre ces meurtres publics, d’ouvrir une enquête et d’arrêter quatre soldats marque la fin du déni et de la dissimulation de la vérité s’agissant de graves violations des droits humains », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les autorités devraient rendre compte des progrès de l’enquête et en faire connaître les conclusions. »
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