Skip to main content

Cameroun : Massacre de civils dans la région séparatiste

Au moins 21 morts dans une attaque contre le village de Ngarbuh ; Une enquête indépendante est nécessaire

Cérémonie de commémoration des victimes du massacre de Ngarbuh, le 21 février 2020, à la cathédrale Sainte-Thérèse l de Kumbo, dans la région Nord-Ouest du Cameroun. © 2020 Privé
Cérémonie de commémoration des victimes du massacre de Ngarbuh, le 21 février 2020, à la cathédrale Sainte-Thérèse l de Kumbo, dans la région Nord-Ouest du Cameroun. © 2020 Privé

(Nairobi) – Les forces gouvernementales et des membres armés de l’ethnie peule ont tué au moins 21 civils, dont 13 enfants et une femme enceinte, le 14 février 2020 dans le village de Ngarbuh au Cameroun. Ils ont également incendié cinq maisons, pillé de nombreux autres biens et passé à tabac des habitants. Les cadavres de certaines des victimes ont été retrouvés carbonisés dans leur maison. Le gouvernement dément que ses troupes aient délibérément commis des crimes.

« Les meurtres de civils, y compris d’enfants, commis dans des conditions horribles, sont des crimes odieux qui devraient faire l’objet d’enquêtes effectives et indépendantes et leurs responsables devraient être traduits en justice », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Nier que ces crimes aient été commis ajoute encore au traumatisme subi par les survivants et ne fera qu’encourager les troupes gouvernementales à commettre d’autres atrocités. »

Human Rights Watch a interrogé 25 personnes, dont trois témoins des meurtres et sept proches de victimes, sur ces événements qui se sont déroulés à Ngarbuh, dans la division de Donga Mantung, dans la région Nord-Ouest du Cameroun. Cette zone est gravement affectée par des violences entre les forces gouvernementales et des groupes armés qui cherchent à obtenir la création d’un État indépendant dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Des membres de l’ethnie peule vivent à Ngarbuh et dans les environs. Ils sont souvent désignés sous le nom de Mbororos et forment une communauté essentiellement pastorale.

Human Rights Watch a également obtenu des listes des victimes auprès de cinq sources et s’est entretenu avec des personnes, y compris des membres des familles de victimes et des habitants qui se sont occupés des enterrements, qui ont confirmé de manière indépendante les identités des victimes.

Des témoins ont affirmé qu’entre 10 et 15 militaires, dont des membres du Bataillon d’intervention rapide (BIR), unité d’élite de l’armée camerounaise, et au moins 30 Peuls armés ont tout d’abord pénétré à pied dans Ngarbuh 1, un quartier de Ngarbuh, le 13 février vers 11h00 du soir, pillant de nombreuses maisons. Certains membres de ces forces ont ensuite poursuivi leur route vers le quartier de Ngarbuh 2, pillant des maisons et passant à tabac des habitants. Vers 5h00 du matin le 14 février, un groupe de militaires et de Peuls armés a attaqué le quartier de Ngarbuh 3, tuant 21 civils dans quatre maisons, puis incendiant celles-ci.

Human Rights Watch a aussi examiné des images satellite prises avant et après l’attaque de Ngarbuh 3. Les images d’après l’attaque, prises le 14 février à 10h24 du matin, heure du Cameroun, montrent plusieurs maisons de Ngarbuh présentant des dommages qui cadrent avec un éventuel incendie.

Un homme de 32 ans, qui a été témoin du meurtre de toute sa famille, dont sept enfants, a déclaré : « J’ai entendu des coups de feu et je me suis immédiatement enfui pour me cacher à côté de chez moi. De là, j’ai vu les militaires abattre tous les membres de ma famille un par un alors qu’ils tentaient de s’enfuir. Ils ont d’abord tué notre mère. Puis ils ont tué les enfants, dont les corps tombaient sur elle. Puis ils ont incendié ma maison. »

Human Rights Watch a tenté à plusieurs reprises de contacter un membre de haut rang du gouvernement mais n’a pas reçu de réponse. Le ministre de la Défense du Cameroun a fait deux déclarations le 17 février. Il a tout d’abord annoncé que le gouvernement avait ouvert une enquête et que ses résultats seraient rendus publics. Dans une seconde déclaration plus tard dans la journée, il a indiqué que les résultats de l’enquête « pourraient être rendus publics au moment opportun. » Dans les deux déclarations, il affirmait que des « terroristes » armés avaient attaqué les forces de sécurité du gouvernement et que l’affrontement avait entraîné l’explosion de réservoirs de carburant, ce qui avait détruit plusieurs habitations et causé la mort d’une femme et de quatre enfants. Cette affirmation a été réitérée le 18 février, dans un communiqué de presse, par le ministre de la Communication.

Toutefois, des témoins et des habitants, avec lesquels Human Rights Watch s’est entretenu, ont affirmé qu’il n’y avait pas eu de confrontation entre les séparatistes armés et les forces de sécurité, qu’ils n’avaient pas entendu d’explosion et que les meurtres avaient été délibérés.

Les résidents ont affirmé que l’attaque visait à punir les civils soupçonnés d’héberger des combattants séparatistes. Douze témoins ont affirmé qu’après les meurtres, les militaires s’étaient adressés aux habitants de Ngarbuh 2, les avertissant que leur village serait détruit s’ils continuaient d’abriter des séparatistes.

Lors de ce discours et immédiatement après, des militaires ont menacé les habitants, reconnaissant qu’ils avaient tué des enfants à Ngarbuh 3 et avertissant qu’ils feraient de même à Ngarbuh 2. « Les militaires ont fait irruption dans ma maison », a déclaré une femme de 45 ans. « Ils ont dit que mes enfants étaient des combattants Ambas [séparatistes] et ils ont cherché des armes à feu. Ils n’en ont pas trouvé mais ils m’ont battue et ont dit : ‘Nous avons déjà tué des enfants à Ngarbuh 3, nous pouvons vous tuer aussi.’ »

Le 16 février, une équipe conjointe du Bureau de Coordination des affaires humanitaires (OCHA) et du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations Unies a tenté de faire une évaluation des besoins en matière humanitaire à Ngarbuh, mais des militaires du BIR l’ont bloquée à Ntumbaw, le village le plus proche de Ngarbuh, où les équipes de l’ONU avaient commencé à interroger des personnes déplacées du fait de l’attaque. Des témoins ont affirmé que les militaires avaient photographié les personnes qui étaient interrogées et empêché l’équipe de l’ONU de faire son travail.

Dans une déclaration le 17 février, le Secrétaire général de l’ONU a exprimé sa préoccupation au sujet des meurtres de civils à Ngarbuh et exhorté le gouvernement du Cameroun à ouvrir une enquête et faire rendre des comptes aux responsables. Le lendemain, le porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a déclaré que les autorités camerounaises devraient s’assurer que leurs forces de sécurité « se conforment aux normes pertinentes du droit international lors de la conduite de leurs opérations. » Le 21 février, quatre responsables de l’ONU, les Représentants spéciaux du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé, pour la question des violences sexuelles commises en période de conflit et pour les violences faites aux enfants, ainsi que son Conseiller spécial pour la prévention des génocides, ont diffusé une déclaration conjointe dans laquelle ils expriment leur profonde préoccupation au sujet des informations faisant état d’un accroissement des violences dans les régions anglophones, y compris l’attaque contre Ngarbuh, et appellent le gouvernement camerounais à assurer le plein respect des droits humains.

Les États-Unis ont appelé le gouvernement à autoriser l’ouverture d’une enquête indépendante et à assurer la sécurité des témoins. Les meurtres de Ngarbuh ont également été condamnés par d’autres pays, dont la France, le Canada et le Royaume-Uni.

Ce n’est pas la première fois que les autorités camerounaises nient que leurs troupes aient tué des civils. En 2018, une enquête menée par Amnesty International, la BBC et des journalistes d’investigation a montré que des militaires camerounais apparaissant sur une vidéo avaient commis les exécutions extrajudiciaires de deux femmes et de deux enfants dans la région Extrême Nord du pays. Le ministre de la Communication avait tout d’abord rejeté la séquence vidéo comme étant « de la fausse information. » Toutefois, sept militaires avaient par la suite été arrêtés en rapport avec ces meurtres. Leur procès est en cours.

« Le gouvernement du Cameroun devrait autoriser une enquête indépendante, avec participation de l’ONU, sur le massacre de Ngarbuh et rendre publics ses résultats », a affirmé Ilaria Allegrozzi. « Pour être certains que leur assistance ne facilite pas la commission d’atrocités, les partenaires du Cameroun devraient suspendre leur coopération militaire en attendant les résultats de cette enquête. »

Contexte

Les membres de l’ethnie peule vivant à Ngarbuh et dans les environs sont aussi appelés Mbororos et forment une communauté essentiellement pastorale. Avant l’escalade de la crise dans les régions anglophones, des conflits avaient éclaté entre les Peuls et les agriculteurs locaux au sujet de ressources naturelles, notamment des terres de pâturage. Ils se sont exacerbés depuis 2017, quand des violences ont éclaté dans les régions Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun. Les séparatistes armés ont pris pour cible les Peuls pour s’emparer de leur bétail et les ont accusés de se joindre à des groupes d’auto-défense proches du gouvernement. Des groupes armés peuls ont aussi attaqué des communautés où des séparatistes armés sont réputés opérer.

Les meurtres commis à Ngarbuh 3

Les recherches effectuées par Human Rights Watch font apparaître que les meurtres de civils à Ngarbuh 3 ont été délibérés. Des témoins et des habitants ont affirmé qu’entre 10 et 15 membres des forces de sécurité avaient agi de concert avec un groupe d’environ 30 hommes d’ethnie peule habillés en civil et armés de machettes, de bâtons et de fusils de chasse.

Trois témoins ont affirmé que l’attaque de Ngarbuh 3 s’était produite le 14 février 2020 vers 5h00 du matin. Les militaires et les Peuls armés ont attaqué quatre maisons, tuant par balles la plupart des habitants. Ils ont aussi incendié les maisons, incinérant ainsi les cadavres.

Dans une maison, les militaires ont tué sept personnes, dont cinq enfants, appartenant tous à la même famille. Un proche, âgé de 45 ans, accouru sur les lieux après les meurtres, a indiqué que quatre des enfants avaient moins de 12 ans.

Dans une deuxième maison, les militaires et les Peuls armés ont tué neuf personnes : sept enfants et deux femmes.

Un habitant qui faisait partie des personnes qui ont enterré les corps a déclaré à Human Rights Watch : « Quand je suis arrivé sur les lieux, je n’en croyais pas mes yeux. C’était horrible. Certains des corps ont été brûlés au-delà de toute reconnaissance. Les survivants étaient choqués et paniqués. Mais beaucoup ont fui dans la brousse, craignant pour leur vie. »

Dans une troisième maison, les militaires et les Peuls armés ont tué deux personnes, dont une femme enceinte.

Dans une quatrième maison, les militaires et les Peuls armés ont tué trois personnes, dont un enfant. Une femme qui vivait dans cette maison a été grièvement blessée mais a survécu. Un parent des victimes a affirmé qu’il avait trouvé la seule survivante avec des blessures causées par des coups de machette sur tout le corps.

Pillages et passages à tabac

Douze témoins ont décrit comment les forces de sécurité et les Peuls armés avaient pillé les maisons à Ngarbuh 1 et à Ngarbuh 2, forcé les habitants à sortir et les avaient battus.

Une femme de 32 ans a déclaré que les militaires avaient menacé de la tuer si elle ne leur donnait pas d’argent. « Ils me frappaient sans arrêt à coups de crosse de fusil et demandaient de l’argent », a-t-elle dit.

Un autre habitant de Ngarbuh 2, un pasteur, a déclaré :

Les militaires étaient accompagnés d’un groupe de Peuls armés. Ils sont entrés de force et ont pillé toutes les maisons de Ngarbuh 2. Ils ont fait sortir les habitants de force, moi compris, et nous ont rassemblés sur la place du village, près du marché. Certaines personnes étaient ligotées avec des cordes. Ils nous ont forcés à nous allonger à plat ventre sur le sol. Nous n’avions pas le droit de lever la tête. Si vous le faisiez, ils vous frappaient à coups de machette… Nous avons ensuite été libérés.

---------------

Dans les médias

Le Monde   DW     RFI

TV5Monde (juin 2020)

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays