Aux Représentants permanents des États membres et observateurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
Mesdames et Messieurs les Représentant-e-s,
A l’approche de la 54ème session ordinaire (11 septembre - 12 octobre 2023) du Conseil des droits de l’homme, nous, organisations soussignées de la société civile et de défense des droits humains, vous écrivons pour exhorter votre délégation à s’assurer que le Conseil des droits de l’homme adopte une résolution visant à proroger le mandat de la Commission internationale d’experts en droits de l’homme sur l’Éthiopie (ci-après « la Commission » ou l’ICHREE) pour un nouveau terme d’un an, jusqu’à Septembre 2024.
Compte tenu de la persistance de la situation grave en matière de droits humains en Éthiopie, laquelle requiert l’attention soutenue du Conseil des droits de l’homme, il apparaît clairement que le moment n’est pas venu de modifier l’approche du Conseil et de réduire les enquêtes indépendantes et le travail de collecte de preuves dans le pays.
L’ICHREE a effectué un travail essentiel malgré les tentatives répétées du gouvernement éthiopien de faire obstacle à ses investigations, notamment en refusant de coopérer avec les enquêteurs de l’ICHREE et de leur donner accès aux zones affectées par le conflit. Le gouvernement éthiopien a également tenté de faire supprimer le financement de ce mécanisme et de le faire révoquer prématurément. En dépit de tous ces défis, l’ICHREE a présenté son premier rapport en septembre 2022, dans lequel elle concluait avoir des motifs raisonnables de croire que toutes les parties au conflit dans le nord de l’Éthiopie avaient commis des crimes de guerre depuis que les combats avaient éclaté au Tigré en novembre 2020. Elle concluait aussi que certains des crimes qu’elle documentait continuaient d’être commis et soulignait la nécessité de mettre sur pied un mécanisme indépendant et impartial pour s’occuper de ces violations et soutenir les efforts visant à faire rendre des comptes aux responsables.
En novembre 2022, le gouvernement fédéral éthiopien et les autorités du Tigré ont signé un accord de cessation des hostilités. Bien que cet accord ait abouti à la fin des hostilités actives au Tigré et permis de restaurer certains aspects d’une vie civile normale, de graves abus continuent d’être perpétrés à l’encontre des civils, en violation de l’accord. Au Tigré, les forces érythréennes ont continué de faire subir aux femmes et aux filles des viols et d’autres formes de violence sexuelle, tout en faisant obstacle à l’apport d’assistance humanitaire dans les zones qu’elles contrôlent. Les autorités locales et les forces amharas dans la Zone du Tigré occidental ont poursuivi une campagne de nettoyage ethnique à l’encontre des Tigréens, au moins jusqu’à mars 2023. Dans une déclaration faite en août, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme suggère que les arrestations, les mises en détention et les déplacements de Tigréens dans la Zone se poursuivent.
Depuis avril 2023, des affrontements entre l’armée éthiopienne et la milice locale Fano ont éclaté dans la région amhara, les médias faisant état d’abus, tels que des meurtres, y compris de travailleurs humanitaires. Ce mois-là, les autorités fédérales ont arrêté des journalistes qui couvraient les désordres et ont imposé une suspension des liaisons internet dans la région. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a constaté qu’au moins 183 personnes ont été tuées dans des combats depuis juillet. Alors que les affrontements s’intensifiaient, le gouvernement a instauré l’état d’urgence le 4 août dans la région amhara, et a déclaré que cet état d’urgence pourrait être étendu à « n’importe quelle région du pays si nécessaire ». La loi d’urgence donne aux autorités le pouvoir d’effectuer des arrestations sans mandat, d’imposer des couvre-feu, de restreindre les déplacements et d’interdire les réunions publiques. Sous de précédents régimes d’état d’urgence, les autorités avaient procédé à des arrestations à grande échelle sur une base ethnique et à des placements en garde à vue prolongés sans inculpation ni procès. Depuis que cet état d’urgence a été instauré, les autorités ont arrêté des figures de l’opposition et auraient effectué des arrestations massives, plaçant notamment des détenus dans des lieux de détention inhabituels comme des écoles.
En Oromia, les forces gouvernementales et le groupe armé Armée de libération de l’Oromo (OLA) s’affrontent dans certaines zones depuis 2019, ce qui a conduit à la commission de graves abus contre les communautés oromos et d’autres minorités.
Après la signature de l’accord de cessation des hostilités, le gouvernement éthiopien s’est engagé à organiser des consultations nationales sur un processus de justice transitionnelle, avec l’intention affichée de parvenir à établir vérité, justice et réconciliation.
Nos organisations demeurent préoccupées du fait que le processus national de justice transitionnelle, tel qu’il est présenté dans le document officiel du gouvernement, a d’emblée mis l’accent sur la réconciliation plutôt que sur l’établissement de la vérité et des responsabilités, et sur l’indemnisation des victimes. Jusqu’ici, les initiatives du gouvernement n’ont pas répondu à de graves préoccupations concernant la capacité, la transparence et l’indépendance des institutions judiciaires éthiopiennes en vue de mener des enquêtes effectives et, lorsqu’il existe des éléments de preuve suffisants, de poursuivre les auteurs de crimes en vertu du droit international.
Le rapport conjoint de novembre 2021 du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) et de la Commission éthiopienne des droits de l’homme (EHRC) a également suscité des inquiétudes, du fait que les enquêtes effectuées par les institutions éthiopiennes n’étaient pas suffisamment conformes aux normes internationales et ne correspondaient pas à l’ampleur et à la portée des violations des droits humains commises dans le pays. Un groupe de travail gouvernemental créé en réponse à ce rapport n’a toujours pas présenté ses conclusions concernant les événements qui se sont produits au Tigré. Le rapport de septembre 2022 de ce groupe de travail faisait référence à quelques cas où des militaires éthiopiens ont été jugés devant des tribunaux militaires, sans aucune clarté concernant le grade des accusés, la nature des crimes dont ils étaient accusés ou les verdicts auxquels ces procès ont abouti. Le groupe de travail n’a pas fourni d’informations actualisées sur les enquêtes et sur les poursuites engagées contre des membres des forces régionales éthiopiennes ou des forces érythréennes.
La présentation actualisée faite oralement en mars au Conseil des droits de l’homme par le président de l’ICHREE, l’éminent juriste africain Mohamed Chande Othman, a également suscité des inquiétudes en ce qui concerne l’absence de voies [internes] vers l’établissement des responsabilités pour les graves violations commises par les forces érythréennes en Éthiopie.
Dans le contexte de la crise des droits humains en Éthiopie et de la nécessité d’enquêtes exhaustives, indépendantes, impartiales et transparentes, il est clair que le mandat de l’ICHREE demeure essentiel. La prorogation de son mandat permettrait également au Conseil de :
S’assurer de la poursuite de la documentation impartiale et indépendante des violations et abus des droits humains, laquelle ne devrait subir aucun retard pendant que le gouvernement lance le processus à plus long terme consistant à adopter des réformes institutionnelles et législatives visant à renforcer les institutions judiciaires et à combler les lacunes en matière de responsabilisation ;
S’assurer de la publication continue de rapports indépendants et de débats, notamment sur les mesures prises en interne pour établir les responsabilités. Même si le gouvernement éthiopien a accepté l’exercice d’activités de surveillance de la situation en matière de droits humains par le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme et par la Commission éthiopienne des droits de l’homme, il importe que leurs conclusions soient également rendues publiques. Les dialogues interactifs au sein du Conseil des droits de l’homme constituent le seul forum régulier de reportage public indépendant et de débats sur les événements relatifs aux droits humains dans le pays ; et
S’assurer de la préservation des preuves de crimes commis contre le droit international et de la participation aux enquêtes, dans des conditions sûres, de victimes et de témoins, dans l’optique d’un transfert à l’avenir de cette documentation, de manière responsable, à des autorités judiciaires indépendantes et compétentes.
Lors de sa 54ème session, le Conseil devrait adopter une résolution qui prolonge d’un an le mandat de l’ICHREE, afin de lui permettre de poursuivre son travail et de prendre la mesure de la magnitude, de la gravité et de la portée des violations et des abus commis par toutes les parties au conflit en Éthiopie, dont certains pourraient constituer des crimes au regard du droit international.
Nous vous remercions à l’avance de l’attention que vous voudrez bien porter à ces questions pressantes et sommes prêts à fournir de plus amples informations à votre délégation, si nécessaire.
Veuillez agréer, Mesdames et Messieurs les Représentant-e-s, l’expression de notre haute considération.
Sincèrement,
- Alliance of Civil Society Organizations of Tigray (ACSOT), Network of 72 CSOs in Tigray
- African Centre for Justice and Peace Studies (ACJPS)
- Africans for the Horn of Africa
- African Network against Extrajudicial Killings and Enforced Disappearances (ANEKED)
- Amnesty International
- Arakan Rohingya Society for Peace and Human Rights
- Association pour la Défense des Droits de la Personne et des Libertés Publiques (ADL)
- Association Tchadienne pour la Promotion et Défense des Droits de l'Homme (ATPDH)
- Association Nigérienne pour la Défense des Droits de l'Homme (ANDDH)
- Association of Tigrayan Communities in Canada
- Association of Tigrayans in Denmark
- Association of Tigrayans in the Netherlands
- Association of Tigrayans in France
- Association of Tigrayan Women in Sweden/TKFAS
- Atrocities Watch Africa
- The Botswana Centre for Human Rights (DITSHWANELO) - - Gaborone Botswana
- Center for the Advancement of Human Rights and Democracy (CARD)
- The Civil Society Human Rights Advocacy Platform of Liberia
- Christian Solidarity Worldwide (CSW)
- Dekna Foundation
- Education and Wisdom Development for Rohingya Women (EWDRW)
- Ethiopian Canadians for Peace
- Fédération Internationale pour les droits Humains (FIDH)
- Forum Mekete Italy
- Friends of Tigray
- Giving Back to Our Roots
- Global Centre for the Responsibility to Protect
- The Global Society of Tigray Scholars and Professionals (GSTS)
- Health Professionals Network for Tigray (HPN4Tigray)
- Human Rights Concern - Eritrea (HRCE)
- Human Rights First (Ethiopia)
- Human Rights Watch
- Irob Anina Civil Society (IACS)
- Lawyers for Human Rights
- Legal Action Worldwide (LAW)
- Legacy Tigray
- Mekete Tigray UK
- Observatoire des droits de l’Homme au Rwanda (ODHR)
- Omna Tigray
- One Day Seyoum
- Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH) - Guinea
- Organization for Justice and Accountability in the Horn of Africa (OJAH)
- Oromo Legacy Leadership & Advocacy Association (OLLAA)
- Pan African Lawyers Association (PALU)
- Physicians for Human Rights
- Rescue Tigrayan Rape Victims
- Robert F. Kennedy Human Rights (RFKHR)
- Rohingya Student Network (RSN)
- Rohingya Union for Women Education and Development (RUWED)
- Rohingya Women Association for Education and Development (RWAED)
- Samarbeidsfora for Norsk-Tigrayananere (4S-N-T) Norway
- Security and Justice for Tigrayans (SJT)
- Sudanese Human Rights Monitor (SHRM)
- Tigray Action Committee (TAC)
- Tigray Advocacy & Development -United Kingdom
- Tigray Human Rights Forum
- Tigray Youth Association in Italy
- Tigray Youth Network UK
- Tsilalna Tigray
- Union of Tigrayans in Belgium
- United Tegaru Canada (UTC)
- United Women of the Horn (UWH)
- Victims Advocates International (VAI)
- Women’s Association for Women & Victims’ Empowerment (WAVE)-Gambia
- Zimbabwe Human Rights Association