(Nairobi, le 23 mars 2022) – L’engagement pris par la Tanzanie d’adopter des lignes directrices assurant que les établissements fassent en sorte que les mères adolescentes puissent retourner étudier d’ici juin 2022 est un tournant majeur en faveur de l’éducation des filles, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et Accountability Counsel.
Le 8 mars, le gouvernement tanzanien et la Banque mondiale ont publié l’accord qu’ils ont passé pour restructurer le Secondary Education Quality Improvement Program de la Tanzanie (Programme d’amélioration de la qualité de l’éducation secondaire ou SEQUIP), financé par un prêt de 500 millions USD de la Banque mondiale, afin d’adopter de nouvelles mesures pour mettre véritablement un terme à l’exclusion scolaire des élèves qui sont enceintes ou mères.
« Le gouvernement de Tanzanie a fait un premier pas important et encourageant pour réparer une injustice ancienne à l’égard des filles », a déclaré Elin Martínez, chercheuse senior auprès de la division Droits des enfants de Human Rights Watch. « À présent les autorités devraient accélérer l’adoption de lignes directrices solides et conformes aux droits humains et intégrer dans la loi et dans la pratique des protections pour les élèves qui sont enceintes ou mères. »
Le 24 novembre 2021, le ministère de l’Éducation, des Sciences et des Technologies a publié une circulaire qui établit que la grossesse et la maternité ne sauraient être des motifs d’expulsion pour les établissements publics. Les mineures qui sont devenues mères sont donc autorisées à retourner dans leur établissement public pour reprendre leur scolarité. La Tanzanie faisait partie des quelques pays d’Afrique bannissant explicitement de leurs établissements scolaires les filles qui tombent enceintes ou deviennent mères.
L’accord de restructuration, qui fait dépendre les décaissements des fonds à la mise en œuvre des promesses et des objectifs, expose des « directives sur la poursuite de la scolarité » qui précisent combien de temps les adolescentes enceintes sont autorisées à rester dans leur établissement avant prendre congé pour accoucher et après quel délai elles peuvent revenir en classe. Le gouvernement s’est par ailleurs engagé à interdire les « tests de grossesse involontaires », qui sont obligatoires dans la grande majorité des établissements secondaires et utilisés pour expulser les élèves enceintes. Le gouvernement établira aussi un système d’observation pour assurer à la fois le suivi du retour des filles dans les établissements publics afin de poursuivre leur scolarité et celui du respect des directives par les autorités locales.
Les directives et les actions d’accompagnement du gouvernement devraient constituer des mesures concrètes et immédiates afin de pouvoir éliminer les divers obstacles que rencontrent les adolescentes enceintes ou mères. Par ailleurs le gouvernement devra adopter d’autres mesures pour faire reculer les pratiques systémiques nocives au sein de son système éducatif et renforcer les protections pour les filles qui sont tombées enceintes ou devenues mères.
La Tanzanie devrait mettre à jour la Loi sur l’éducation afin d’en retirer les dispositions des Règlements éducatifs de 2002 (« Expulsion et exclusion des élèves de l’établissement ») permettant aux établissements d’expulser les élèves ayant « porté atteinte à la moralité » ou « contracté mariage », ainsi que l’amendement de 2016 de cette loi, qui demande aux chefs d’établissement de rapporter les mariages et les grossesses aux commissaires de district ou de région.
Les recherches approfondies de Human Rights Watch sur les lois protégeant le droit à l’éducation des élèves enceintes dans plus de trente pays de l’Union africaine ont constaté que l’émission de directives était souvent un tremplin vers l’adoption d’une politique nationale juridiquement contraignante. Afin de se conformer aux droits humains, les directives ou politiques traitant de la poursuite de la scolarité devraient se concentrer sur l’appui à apporter aux élèves pour qu’elles puissent rester scolarisées et minimiser la période d’interruption de leur scolarité.
Le gouvernement devrait éviter de fixer des conditions strictes ou pesantes qui exigent que les adolescentes se réinscrivent dans l’établissement, par exemple en prescrivant un délai obligatoire ou rigide pour la période d’absence après l’accouchement. Sa politique devrait également prévoir des aménagements spéciaux pour les jeunes mères scolarisées, par exemple des pauses leur permettant d’allaiter, des autorisations d’absence si leur bébé est malade ou qu’elles doivent l’amener dans un service médical, et un accès à des crèches ou centres pour la petite enfance proches de l’établissement.
L’accord de restructuration de la Banque mondiale appelle aussi à la mise en place d’une équipe opérationnelle afin de développer le programme gouvernemental Safe Schools, prévu dans le cadre du programme SEQUIP pour « créer un environnement d’apprentissage sûr pour les élèves », réduire la violence dans les établissements secondaires et renforcer l’appui aux adolescentes.
Le gouvernement devrait également établir un cadre de responsabilisation transparent, notamment un système permettant de traiter les réclamations au niveau de l’établissement et au niveau national, et donner l’opportunité aux élèves, aux organisations de la société civile, aux communautés et aux autres parties prenantes de soulever des questions et préoccupations liées à l’éducation.
La précédente politique de la Tanzanie, bannissant des établissements les élèves enceintes ou ayant eu un enfant, avait des conséquences désastreuses. La Banque mondiale estime que chaque année, 6 500 élèves enceintes interrompent leur scolarité en Tanzanie, tandis que des organisations non gouvernementales avaient précédemment estimé que près de 8 000 élèves étaient forcées d’abandonner chaque année.
« Afin d’assurer la mise en œuvre réussie des directives sur la poursuite de la scolarité des filles, ainsi que des autres composantes liées à son programme SEQUIP, le gouvernement devra créer des opportunités de consultation et dialoguer en permanence avec les organisations de la société civile, les mères adolescentes et les autres personnes affectées par ce programme », a conclu Teresa Mutua, adjointe senior chargée des communautés à Accountability Counsel. « Il est impératif que le gouvernement s’assure que tous les moyens d’entretenir un dialogue fonctionnent véritablement. »
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