(Dar es-Salaam, le 14 février 2017) – Plus de 40 pour cent des adolescents de Tanzanie sont exclus d’un enseignement secondaire de premier cycle de qualité, malgré la décision positive du gouvernement de rendre le premier cycle secondaire gratuit, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 109 pages, intitulé « ‘I Had a Dream to Finish School’: Barriers to Secondary Education in Tanzania » (« J’ai rêvé de finir l’école : Obstacles à l’enseignement secondaire en Tanzanie »), examine les obstacles, dont certains sont dus à des politiques gouvernementales dépassées, qui empêchent plus de 1,5 million d’adolescents d’aller à l’école secondaire et obligent de nombreux élèves à abandonner leur scolarité en raison de la mauvaise qualité de l’éducation. Au rang des problèmes rencontrés par ces adolescents figurent le manque d’écoles secondaires dans les zones rurales, l’existence d’un examen qui limite l’accès à l’enseignement secondaire, ou encore une politique gouvernementale discriminatoire d’expulsion des filles enceintes ou mariées.
« La suppression des frais de scolarité et de cotisations scolaires pour le secondaire a été un grand pas vers l’amélioration de l’accès à l’enseignement secondaire », a déclaré Elin Martínez, chercheuse auprès de la division Droits des enfants au sein de Human Rights Watch et auteure du rapport. « Toutefois, le gouvernement devrait faire davantage pour lutter contre les sureffectifs dans les classes, la discrimination ou les abus qui compromettent l’éducation de nombreux adolescents. »
Human Rights Watch a mené en 2016 des entretiens avec plus de 220 élèves du secondaire, adolescents non scolarisés, parents, experts en éducation, activistes locaux, partenaires du développement et fonctionnaires des gouvernements nationaux et locaux dans huit districts de quatre régions de Tanzanie. Cette enquête a coïncidé avec la mise en place de la gratuité du premier cycle de l’enseignement secondaire pour tous les élèves tanzaniens de la Classe I (« Form I ») à la Classe IV (« Form IV »).
Depuis la proclamation de l’indépendance en Tanzanie en 1961, l’éducation a été une priorité nationale pour tous les gouvernements successifs, et 22 % du budget 2016-2017 ont été alloués à l’éducation. Mais la Tanzanie est un pays à revenu faible, dont la population est l’une des plus jeunes au monde, 43 % des habitants ayant moins de 15 ans.
Depuis 2005, le gouvernement a pris des mesures importantes pour augmenter l’accès à l’enseignement secondaire, en s’engageant notamment à construire des écoles secondaires dans chaque zone administrative (« ward »). Human Rights Watch a pourtant constaté que dans certaines régions rurales éloignées, les élèves doivent parcourir jusqu’à 25 kilomètres pour se rendre à l’école, et que beaucoup n’ont pas d’école secondaire dans leur quartier. Certains adolescents n’avaient pas non plus les moyens d’aller à l’école, en raison de certains coûts liés à la scolarité, comme ceux des transports, des uniformes, des livres ou de l’hébergement.
« L’école a officiellement commencé le 11 janvier, mais pas pour moi, pas encore, parce que mes parents ne [peuvent pas] m’acheter les uniformes, le sac ou le matériel scolaires », a expliqué à Human Rights Watch une jeune fille de 16 ans à Dar es-Salaam. « [Ils] m’ont dit d’attendre d’avoir l’argent... Il nous faut 75 000 shillings tanzaniens [34 USD]. »
De nombreux enfants n’ont pas accès à l’enseignement secondaire parce qu’ils échouent à l’examen obligatoire de fin d’études à l’école primaire. Comme les élèves ne sont pas autorisés à repasser l’examen, cet échec signifie généralement pour eux la fin de leur scolarité. Depuis 2012, les résultats de ces examens décident de l’accès à l’enseignement secondaire pour environ 1,6 million d’enfants. La plupart d’entre eux n’ont pas été autorisés à se réinscrire en Standard 7, qui correspond à la dernière année de l’école primaire. Une fois déscolarisés, nombre d’adolescents sont à cours d’options pour terminer leur éducation de base ou suivre une formation professionnelle.
Selon la Banque mondiale, moins d’un tiers des filles qui accèdent au premier cycle de l’enseignement secondaire vont au bout de leurs études. Les écoles expulsent systématiquement les élèves qui tombent enceintes en arguant d’une « atteinte aux bonnes mœurs ». Les directives gouvernementales obligent également les filles mariées de force avant 18 ans à abandonner l’école. Chaque année, environ 8 000 filles abandonnent l’école secondaire en raison d’une grossesse.
Human Rights Watch a constaté que les responsables scolaires font régulièrement passer des tests de grossesse obligatoires, ce qui est une pratique à la fois abusive et discriminatoire. Dans la plupart des cas, les filles ne sont pas autorisées à se réinscrire à l’école après la naissance de leur enfant, ou sont empêchées de le faire à cause du manque de soutien de la communauté, ou d’un accès limité aux services de la petite enfance.
Le gouvernement devrait interdire les tests de grossesse dans les écoles, mettre fin à l’expulsion des filles mariées ou enceintes et publier sans tarder une circulaire destinée aux établissements scolaires pour autoriser les jeunes mères à poursuivre leurs études secondaires, a déclaré Human Rights Watch.
L’éducation secondaire de qualité reste également inaccessible pour la plupart des adolescents handicapés. Malgré le plan global d’éducation inclusive du gouvernement, les écoles sont souvent sous-équipées ou trop mal dotées en ressources pour accueillir les enfants souffrant de divers types de handicaps. La plupart des enseignants manquent aussi de formation en matière d’éducation inclusive. Le gouvernement devrait veiller à ce que les élèves handicapés bénéficient d’un soutien adéquat qui leur permette d’apprendre sur un pied d’égalité avec les élèves sans handicap.
Human Rights Watch a constaté que la pratique répandue du châtiment corporel, qui prend souvent des formes brutales et humiliantes dans les écoles tanzaniennes, affecte également la fréquentation scolaire. Le châtiment corporel reste légal en Tanzanie, en violation des obligations internationales du pays, et atteint des niveaux alarmants selon l’African Child Policy Forum. Dans les écoles visitées par Human Rights Watch, les enseignants utilisaient systématiquement des châtiments corporels et notamment les coups, donnés avec les mains, des bâtons de bois ou de bambou, ou d’autres objets.
Les élèves de sexe féminin sont aussi très exposées au harcèlement sexuel, et dans certaines écoles, à des enseignants qui les incitent ou les forcent à avoir des relations sexuelles. Les responsables signalent rarement les agressions sexuelles à la police et de nombreuses écoles ne disposent pas de mécanisme de signalement confidentiel. En 2011, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a constaté qu’environ une fille sur dix avait été victime de violences sexuelles attribuées à un enseignant.
Le gouvernement devrait interdire les châtiments corporels dans les écoles et mettre en place des systèmes confidentiels d’alerte pour que les élèves n’hésitent pas à dénoncer les mauvais traitements. Les responsables gouvernementaux devraient enquêter de manière approfondie sur les allégations d’abus sexuels commis par des enseignants et engager des poursuites contre leurs auteurs.
« Le gouvernement tanzanien s’est engagé à plusieurs reprises à garantir l’accès à l’éducation secondaire pour tous », a conclu Elin Martínez. « Il devrait maintenant ouvrir la voie à l’enseignement secondaire, en mettant fin aux politiques discriminatoires et abusives et en supprimant les obstacles qui persistent pour de nombreux élèves qui devraient pouvoir accéder à une éducation de qualité. »
Témoignages extraits du rapport :
« On nous bat très fort. S’ils te battent aujourd'hui, alors tu ne te sentiras mieux que dans deux jours... Un professeur peut te battre 15 fois s’il le souhaite. »
– Rashidi, 18 ans, Mwanza, nord-ouest de la Tanzanie
« Il y a des professeurs qui ont des relations sexuelles avec des élèves – je connais beaucoup de [filles] à qui c’est arrivé... Si une élève refuse, elle est punie... je me sens mal par rapport à ça... même quand on le signale, ce n’est pas pris au sérieux. À cause de ça, on ne se sent pas en sécurité. En 2015, trois filles ont abandonné l’école à cause d’histoires sexuelles avec des professeurs. »
– Joyce, 17 ans, Shinyanga, nord de la Tanzanie
« Il n’y a pas de machine Perkins [machine permettant d’écrire en braille], pas de manuels. Les machines que nous sommes censés utiliser... ne fonctionnent pas. Cela nous empêche de bien faire nos devoirs et nos exercices. Je suis noté toutes les deux semaines, voire un mois plus tard [que le reste de la classe]. Du coup je suis à la traîne en matière d'excellence – au moment où je reçois mes notes, j'ai déjà deux ou trois sujets de retard. »
– Nasser, 18 ans, un élève de Classe IV, qui est aveugle et inscrit dans un internat à Shinyanga, dans le nord de la Tanzanie
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Article / tweet (2018)
En #Tanzanie, l’Église soutient la politique de déscolarisation des filles enceintes https://t.co/LvW4eYRwXI pic.twitter.com/sUGFRgoqD6
— La Croix Africa (@LaCroixAfrica) 5 mars 2018