(Nairobi) – Au Cameroun, dans un procès marqué par des vices de procédure, un tribunal militaire a condamné à mort quatre individus pour une attaque menée le 24 octobre 2020 contre une école à Kumba, dans la région du Sud-Ouest, a indiqué aujourd’hui Human Rights Watch. Cette attaque avait tué sept enfants et en avait blessé au moins 13 autres.
Parmi les 12 accusés, jugés devant le tribunal militaire de Buea depuis décembre 2020, figurent le propriétaire de l’école, son directeur et cinq enseignants. Le tribunal a reconnu quatre d’entre eux coupables de terrorisme, hostilité à la patrie, sécession, insurrection, meurtre, et possession illégale d’armes à feu. Le tribunal a condamné quatre autres accusés à cinq mois de prison et à une amende de 50 000 francs CFA (environ 89 dollars US) chacun, pour avoir prétendument omis de signaler la menace qu’ils avaient reçu des combattants séparatistes. Quatre autres ont été acquittés. Outre le recours à un tribunal militaire pour juger des civils, le procès a été entaché de graves irrégularités de procédure telles que la violation des droits des accusés à contester les preuves à charge et à présenter des preuves pour leur propre défense. Tous les enseignants ont été acquittés.
« Les victimes du massacre de Kumba ont le droit de s’attendre à une véritable enquête et à ce que les responsables soient traduits en justice dans le cadre d’un procès équitable », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Mais au lieu de cela, les autorités camerounaises semblent avoir imposé un simulacre de procès devant une juridiction militaire, avec un résultat prédéterminé, et aboutissant à un verdict de peine capitale, qui est pourtant illégale en vertu du droit international des droits humains. »
Le 24 octobre 2020, des hommes armés ont pris d’assaut l’école privée Mother Francisca International Bilingual Academy, dans le quartier de Fiango à Kumba. Personne n’a revendiqué les meurtres, mais le gouvernement a blâmé les séparatistes armés qui ont appelé au boycott de l’éducation dans les régions anglophones depuis 2017.
Les avocats de la défense ont décrit à Human Rights Watch les multiples vices de procédure lors du procès, notamment le manque inhérent d’indépendance et d’équité du processus auquel les civils sont confrontés devant un tribunal militaire. La défense n’a pas été autorisée à contre-interroger les témoins ; la procédure n’a pas été traduite de l’anglais ou du français dans le pidgin anglais parlé par la plupart des accusés ; ceux-ci ont été arbitrairement placés en détention ; et le recours à la peine de mort est préoccupant.
« Tout au long du procès, fondé sur des preuves circonstancielles plutôt que réelles, l’accusation n’a fait comparaître aucun témoin à qui nous aurions pu poser des questions », a expliqué à Human Rights Watch Atoh Walter Chemi, le principal avocat de la défense.
Les avocats de la défense ont déclaré que l’accusation a présenté tous ses éléments de preuve dans des déclarations écrites sans convoquer de témoins qui auraient pu être interrogés sur la teneur de leurs déclarations. L’article 336 du code de procédure pénale du Cameroun autorise le témoignage écrit si un témoin ne peut comparaître devant le tribunal. De telles exceptions devraient être rares et limitées aux occasions où il n’est pas possible de produire le témoin. De telles preuves devraient également être corroborées. Prononcer une condamnation uniquement ou principalement sur la base du témoignage non vérifié de témoins absents viole les normes d’un procès équitable.
Parmi les accusés figuraient cinq enseignants de Mother Francisca Bilingual Academy, le directeur de l’école, la propriétaire de l’établissement et son mari. Le jour de l’attaque, Chamberlin Ntou’ou Ndong, préfet du département de la Mémé dont Kumba est le chef-lieu, a ordonné à la police d’arrêter la propriétaire de l’école, son mari et deux enseignants à la station de police de Kumba pour « garantir leur sécurité », citant des risques de représailles de la part de la communauté. Mais les membres de la famille des victimes et les habitants de Kumba ont déclaré à Human Rights Watch qu’il était peu probable qu’ils soient en danger. « Ces enseignants auraient dû être présentés au procès en tant que témoins, et non en tant qu’accusés », a estimé Ikose Daniel Etongwe, un avocat de la défense.
Quatre jours après le massacre, le ministre camerounais de la Communication a déclaré que les forces de sécurité avaient tué un combattant séparatiste qui serait parmi les responsables. En février, selon les médias locaux, le porte-parole de l’armée avait annoncé que des éléments du Bataillon d’intervention rapide (BIR), une unité d’élite de l’armée, avaient tué un autre combattant séparatiste connu sous le nom de « Above the Law », qui aurait également été impliqué dans les tueries de l’école de Kumba.
Les avocats de la défense ont déclaré ne pas avoir été notifiés par l’accusation de ces meurtres et que ces éléments de preuve n’étaient pas mentionnés dans les enquêtes préliminaires. Au cours du procès, aucune référence n’a été faite à ces opérations militaires, aucun lien n’a été établi entre les combattants présumés tués et les accusés, et la défense n’a pas eu la possibilité de poser des questions au sujet des victimes. D’après les avocats de la défense, l’un des quatre condamnés à mort a admis être un ex-combattant séparatiste.
Les avocats ont ajouté que les 12 accusés ont été initialement détenus en l’absence d’inculpation pendant plus de 30 jours au commissariat et à la brigade de gendarmerie de Buea, en violation à la fois du droit international et du code de procédure pénale camerounais.
Le 14 septembre, les avocats de la défense ont notifié au tribunal leur intention de faire appel mais ont été tenus de s’acquitter de la somme de 200 000 CFA (environ 352 dollars US), le montant des amendes également infligées par le tribunal militaire aux quatre accusés, avant que leur appel ne puisse être accepté. Le 4 octobre, le secrétaire du tribunal militaire de Buea a informé les avocats de la défense des conditions de l’appel, dont un paiement de 420 000 CFA (environ 739 dollars US) supplémentaire, ce qui constituait manifestement un nouvel obstacle à un appel dans le cadre d’une procédure impliquant la peine de mort.
Le procès, qui n’a pas retenu l’attention des médias jusqu’au prononcé du verdict le 7 septembre, a débuté en décembre 2020. Les avocats de la défense ont déclaré que les 12 accusés ont été entendus lors d’une « audience marathon » d’une journée en juillet 2021.
Le recours à des tribunaux militaires pour juger des civils viole le droit international. Les procédures judiciaires militaires ne protègent généralement pas les droits fondamentaux à une procédure régulière ou ne satisfont pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité, a rappelé Human Rights Watch. Des organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch et Amnesty International, ont déjà documenté des procès militaires au Cameroun entachées de graves vices de forme dans lesquels la présomption d’innocence, le droit à une défense adéquate et l’indépendance de la procédure étaient tous gravement compromis.
Les tribunaux camerounais continuent d’imposer la peine de mort, bien que la dernière exécution signalée dans le pays remonte à 1997. Le Cameroun n’a pas ratifié le deuxième Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques relatif à l’abolition de la peine de mort. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples appelle de longue date les gouvernements africains à abolir la peine de mort et a adopté une résolution à ce sujet. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, dans son Observation générale sur le droit à la vie, a réitéré que lorsque la peine de mort n’a pas été abolie, elle ne peut être imposée que sous réserve d’un certain nombre de conditions strictes, pour les crimes les plus graves et lorsque les normes d’un procès équitable ont été parfaitement respectées, afin que la responsabilité pénale de la personne soit prouvée au-delà de tout doute raisonnable.
Selon le Comité, les procès dans lesquels les accusés n’ont pas été en mesure d’interroger les témoins pertinents ou ont été privés d’exercer un droit d’appel, entre autres violations, ne sont pas équitables et rendent toute condamnation à mort arbitraire. Il a également souligné que l’imposition de la peine capitale par un tribunal militaire à des civils viole le droit à la vie. Human Rights Watch s’oppose à la peine de mort dans tous les cas sans exception, quelles que soient la nature ou les circonstances du crime reproché.
« Le tribunal militaire n’aurait jamais dû juger de cette affaire impliquant des civils, et il semble ne pas avoir garanti le respect fondamental des normes des droits humains », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Si les autorités ont l’intention de rendre justice pour ce crime odieux commis contre des enfants, elles doivent lancer des poursuites crédibles devant les juridictions civiles et établir les responsabilités conformément aux normes internationales de procès équitable. »
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