(Washington) – L’initiative sans précédent de l’administration Trump, qui gèle les avoirs de procureurs travaillant pour la Cour pénale internationale (CPI), démontre un mépris flagrant pour les victimes des pires crimes commis dans le monde, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 2 septembre 2020, l’administration a annoncé l’imposition de sanctions par les États-Unis contre la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, ainsi que le directeur de la Division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération du Bureau de la Procureure, Phakiso Mochochoko.
Ces actions des États-Unis font suite à un décret présidentiel a vaste portée émis le 11 juin par le président Donald Trump. Ce décret évoquait de manière douteuse une urgence nationale, et autorisait l’imposition à certains responsables de la CPI un gel de leurs avoirs et une interdiction d’entrée sur le territoire américain, s’appliquant aussi à leurs familles. L’administration Trump avait menacé à plusieurs reprises de prendre des mesures pour gêner les enquêtes de la CPI, en Afghanistan et en Palestine, portant sur la conduite de ressortissants américains et israéliens, et avait déjà annulé le visa américain de la Procureure en 2019.
« Le fait que l’administration Trump se serve à mauvais escient de sanctions, conçues pour des individus suspectés de terrorisme et des barons de la drogue, à l’encontre de procureurs qui aspirent à la justice pour des crimes internationaux graves, met en relief l’échec des États-Unis à juger les actes de torture », a déclaré Richard Dicker, directeur du programme Justice internationale de Human Rights Watch. « En invoquant une ‘urgence nationale’ en vue de punir les procureurs enquêtant sur des crimes de guerre, cette administration fait preuve d’une profonde indifférence à l’égard des victimes. »
La CPI est le tribunal permanent international créé pour juger les personnes accusées de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et du crime d’agression. C’est suite aux atrocités commises au Rwanda et en ex-Yougoslavie au milieu des années 1990 que les gouvernements préoccupés par la situation avaient mis en place la CPI, afin de traduire en justice les auteurs de graves crimes internationaux, même si ce sont de hauts responsables. Actuellement 123 pays ont adhéré à la Cour pénale internationale, soit près des deux tiers des membres des Nations Unies. La Cour a ouvert des enquêtes judiciaires sur des atrocités présumées dans 12 pays, dont le Soudan, le Myanmar et l’Afghanistan.
En réponse au décret présidentiel de Trump de juin, 67 pays membres de la CPI, dont d’importants alliés des États-Unis, ont émis une déclaration conjointe transrégionale réaffirmant leur « soutien indéfectible à la Cour en tant qu’institution judiciaire indépendante et impartiale ». Cette réaction s’accompagnait de communiqués de la part de l’Union européenne, du président de l’Assemblée des États de la CPI ainsi que d’organisations non gouvernementales aux États-Unis et dans le reste du monde. Les pays membres de la CPI ont affirmé de façon répétée leur soutien à la Cour.
Ces sanctions affectent lourdement les personnes ciblées, qui non seulement n’ont plus accès à leurs avoirs aux États-Unis, mais sont également privées de toute interaction commerciale et financière avec des personnes ou entités qualifiées de « US persons », terme juridique s’appliquant à des individus ou résidents des États-Unis, ainsi qu’à des banques et autres sociétés. De plus, les sanctions des États-Unis ont un effet dissuasif sur les banques non américaines et les autres entreprises situées en dehors de la juridiction des États-Unis, qui craignent de perdre elles-mêmes l’accès au système bancaire américain si elles n’aident pas les États-Unis à exporter de fait les mesures d’application des sanctions.
Le décret présidentiel de juin est conçu non seulement pour intimider les responsables et employés de la Cour impliqués dans des enquêtes judiciaires cruciales, a déclaré Human Rights Watch, mais aussi pour dissuader la coopération avec la CPI de façon plus générale. Le décret autorise en effet à sanctionner les personnes ou entités non liées aux États-Unis (« non-US persons ») qui apportent leur assistance aux enquêtes judiciaires contestées par l’administration américaine.
Les États-Unis, qui n’est pas un pays membre du Statut de Rome, le texte fondateur de la CPI, s’oppose à son autorité sur les ressortissants de pays non membres, sauf si une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU l’a autorisée. Cependant, l’Afghanistan est un pays membre de la CPI, ce qui donne autorité à la Cour pour ouvrir une enquête et des poursuites contre des personnes ayant commis des crimes sur le territoire afghan ou autrement impliquées dans le conflit – et ce, quelle que soit leur nationalité.
Il est important de noter que la CPI est un tribunal de dernier recours, qui n’intervient que si les autorités nationales ne procèdent pas à des poursuites judiciaires dignes de ce nom dans leur pays. Le gouvernement afghan a demandé à la Procureure de la CPI de différer son enquête, affirmant que les autorités afghanes étaient à même d’effectuer des procédures judiciaires nationales crédibles ; mais il n’a pas fait preuve de la capacité et de la volonté de le faire. Les agents américains de haut niveau, civils comme militaires, qui pourraient s’avérer responsables d’avoir autorisé les actes bien documentés de torture et les autres mauvais traitements à l’encontre de détenus en lien avec le conflit en Afghanistan, ou de ne pas avoir sanctionné ceux qui ont commis ces abus, n’ont pas dû rendre compte de leurs actes devant les tribunaux des États-Unis.
Comme le Bureau de la Procureure se penche actuellement sur la requête de l’Afghanistan, et en raison des restrictions dues à la pandémie de Covid-19, la Cour n’effectue actuellement aucune mesure active d’enquête judiciaire dans le pays.
« Ce n’est pas la première fois que les membres de la CPI font front commun pour se tenir du côté des victimes et défendre le mandat de la Cour face à des attaques sans scrupules, notamment de la part des États-Unis », a conclu Richard Dicker. « Ces gouvernements devront se tenir prêts à faire tout le nécessaire pour veiller à ce que personne ne soit au-dessus des lois, même les ressortissants des pays les plus puissants. »
---------
Articles
TV5Monde/AFP Le Monde Le Point Ouest-France
Tweets
#CPI #US : Les #sanctions annoncées par l'administration Trump contre la Procureure de la Cour pénale internationale et un autre haut représentant de la CPI sont injustifiées et constituent un obstacle préoccupant à la justice internationale, selon HRW. https://t.co/lFWx8jU2Wz pic.twitter.com/xAwoRuSeLT
— HRW en français (@hrw_fr) September 3, 2020
#CPI #US : les #sanctions américaines contre la Procureure de la CPI sont injustifiées et préoccupantes. Plus d'infos >> https://t.co/lFWx8jU2Wz Mini-vidéo YT https://t.co/Goq63MWWTc (s/titres via cc) pic.twitter.com/esAaQe3ydV
— HRW en français (@hrw_fr) September 3, 2020
Sanctions américaines contre la Procureure de la #CPI : Il s'agit d'une "perversion ahurissante" des #sanctions, censées viser les personnes qui violent les droits humains et non celles qui sont chargées de les juger, selon @DickerRichard @hrw. https://t.co/cenbnreOWN @TV5MONDE
— HRW en français (@hrw_fr) September 2, 2020
Enquête sur des exactions américaines : Donald Trump sanctionne la #CPI. Pour HRW, ces mesures constituent une «perversion ahurissante» du principe des #sanctions, censées viser les criminels et non les procureurs. https://t.co/0BRCnp3NHO via @LaCroix @gbiassette
— HRW en français (@hrw_fr) September 3, 2020