(New York, le 5 mars 2020) – La décision de la Cour pénale internationale (CPI) d’autoriser l’ouverture d’une enquête en Afghanistan donne aux victimes d’atrocités l’espoir que justice sera faite à l’avenir, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le 5 mars 2020, les juges de la Chambre d’appel de la CPI ont approuvé à l’unanimité la demande de la Procureure d’enquêter sur les crimes présumés commis par les talibans, les forces de sécurité afghanes, l’armée américaine et le personnel de l’agence américaine de renseignement (CIA).
Les pays membres de la CPI devraient réaffirmer l’indépendance du tribunal face à la pression politique des États-Unis et d’autres pays hostiles à sa décision.
« La décision de la CPI d’autoriser l’ouverture d’une enquête sur les allégations d’atrocités commises en Afghanistan, malgré la pression exercée par les États-Unis et d’autres pays, réaffirme le rôle essentiel de cette Cour lorsque tous les autres voies vers la justice sont fermées » a déclaré Param-Preet Singh, directrice adjointe du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « La décision fait clairement entendre aux auteurs actuels ou potentiels de violations de droits, qu’en dépit de leur pouvoir, la justice pourrait un jour les rattraper. »
La décision a pour origine l’appel interjeté par la Procureure d’une décision d’avril 2019 de la chambre préliminaire de la CPI de rejeter la demande d’ouverture d’une enquête émanant de son bureau. La chambre préliminaire avait conclu qu’une enquête ne servirait pas « les intérêts de la justice », en invoquant les chances limitées d’aboutissement en raison de facteurs comme « la volatilité » du climat politique « liée au scénario afghan » et le manque probable de coopération des pays concernés. Le gouvernement américain avait antérieurement menacé la Cour et ses pays membres de mesures de rétorsion en cas d’une éventuelle enquête sur l’Afghanistan, et imposé la révocation du visa de la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda.
En novembre, Human Rights Watch, ainsi que huit autres organisations non gouvernementales, ont adressé un mémoire à la CPI traitant, entre autres sujets, de l’analyse erronée des « intérêts de la justice ». La Cour a, en appel, conclu que la chambre préliminaire avait commis une erreur en prenant en compte les intérêts de la justice mais avait tiré toutes les conclusions de fait nécessaires pour permettre à l’enquête de débuter.
Dans sa décision, la Cour a, en appel, autorisé une enquête sur les crimes présumés commis en Afghanistan depuis le 1er mai 2003, ainsi que sur d’autres crimes présumés commis dans d’autres pays membres de la CPI depuis le 1er juillet 2002 dont la source est le conflit armé en Afghanistan et suffisamment liés à la situation en Afghanistan. L’Afghanistan est membre de la CPI depuis le 1er mai 2003.
Dans sa demande de novembre 2017, la Procureure a en effet allégué que des crimes ont aussi été commis dans des centres de détention clandestins de la CIA en Pologne, Roumanie et Lituanie, toutes membres de la CPI. Selon un rapport récent de Human Rights Watch, des forces afghanes appuyées par la CIA ont procédé impunément à des exécutions sommaires et commis d’autres graves exactions entre la fin de 2017 et le milieu de 2019 qui pourraient aussi être du ressort de la Cour.
Les États-Unis ne sont pas un pays membre de la CPI, mais ont joué un rôle essentiel dans le transfert de deux suspects de la CPI à la Haye. En vertu du Statut de Rome, la CPI est habilitée à exercer sa compétence sur les crimes graves commis sur le territoire d’un État membre, quelle que soit la nationalité de l’accusé. Ce tribunal de dernier recours ne peut intervenir que lorsque les autorités nationales n’intentent pas véritablement de poursuites, comme l’a constaté la Procureure ici.
Le Secrétaire d’État américain Michael Pompeo a déclaré, lors de son annonce en mars 2019 de la politique d’interdiction de visas ciblant certains membres de la CPI, que les États-Unis seraient prêts à prendre d’autres mesures, notamment des sanctions économiques, si la CPI entreprenait l’enquête. Au cours d’une conférence de presse tenue après la décision du 5 mars, il a indiqué que les États-Unis annonceraient les mesures de riposte adoptées dans les semaines à venir. Les pays membres de la CPI devraient démontrer plus vigoureusement leur soutien pour l’indépendance de la Cour face aux tactiques d’intimidation de l’administration Trump a déclaré Human Rights Watch.
La décision de la CPI intervient juste avant les pourparlers de paix inter-afghans entre les talibans et le gouvernement afghan et d’autres dirigeants politiques sensés débuter le 10 mars. Les pourparlers devraient aborder en priorité les droits humains et la justice en vue de promouvoir une paix durable, a déclaré Human Rights Watch. Les recherches menées par Human Rights Watch en Afghanistan et sur d’autres situations de conflit a conduit à la conclusion que l’absence d’attribution de responsabilité de graves crimes internationaux peut avoir une incidence négative durable sur les efforts déployés pour parvenir à la paix.
« Le peuple afghan a payé chèrement le fait que ses responsables n’aient jamais engagé de poursuites contre les auteurs de crimes de guerre pendant les précédentes transitions politiques », a affirmé Param-Preet Singh. « La décision de la CPI offre aux victimes d’exactions en Afghanistan un véritable espoir de justice. »
L’Afghanistan a enduré des conflits armés depuis plus de quatre décennies, et les victimes et organisations non gouvernementales qui les soutiennent peuvent avoir des attentes irréalistes du nombre d’affaires que le tribunal peut juger. Le manque de clarté au sujet du mandat de la Cour risque d’inciter des efforts délibérés pour fausser ou politiser son rôle, ce qui ébranlerait éventuellement la volonté des victimes et des témoins de divulguer des renseignements aux enquêteurs.
Pour limiter ces risques, la CPI devrait prendre des mesures pour expliquer la nature et l’ampleur de l’enquête, notamment ses limites, a déclaré Human Rights Watch.
L’enquête de la CPI devra affronter de nombreuses difficultés. L’instabilité du contexte sécuritaire et la difficulté du paysage politique pour la justice en Afghanistan illustrent à la fois la nécessité d’une enquête de la CPI et les difficultés que la Cour risque de rencontrer pour rassembler des preuves. La CPI, dépourvue d’une force de police, doit s’en remettre aux pays membres, notamment l’Afghanistan dans ce cas, pour coopérer avec la Cour dans ses enquêtes, arrestations et poursuites.
« L’Afghanistan et d’autres pays membres de la CPI devraient faire savoir clairement qu’ils vont coopérer avec l’enquête de la Procureure », a conclu Param-Preet Singh. « Un vaste soutien en faveur de l’indépendance de la Cour sera essentiel au succès de l’enquête et aidera à garantir aux victimes une voie vers la justice dont ils ont désespérément besoin. »
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— HRW en français (@hrw_fr) March 5, 2020
#CPI #Afghanistan - La Chambre d’appel de la #CPI a autorisé l’ouverture d’une enquête sur les #crimesdeguerre commis en #Afghanistan. Cette décision offre enfin un espoir de #justice aux victimes et à leurs proches, selon HRW. https://t.co/KcobgNvtV8 @singhp_p
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