Tchad: Les victimes de Hissène Habré toujours en attente de justice

Résumé

Le régime de l'ancien Président Hissène Habré au Tchad a été responsable, en huit ans de répression (1982-1990), de milliers de cas d'assassinats politiques, de «disparitions», de tortures et de détentions arbitraires. Habré, qui vit aujourd'hui en exil au Sénégal, a été inculpé en 2000 par un tribunal sénégalais de complicité de crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie avant que la Cour de Cassation du Sénégal ne déclare qu'il ne pouvait être jugé au Sénégal. Habré fait aujourd'hui l'objet d'une procédure d'instruction devant les tribunaux belges pour des accusations similaires. Au Tchad toutefois, 15 ans après qu' Habré n'ait été évincé du pouvoir, ses victimes attendent toujours que le gouvernement tchadien et la société tchadienne reconnaissent leur souffrance et les épreuves qu'elles ou leurs familles ont endurées.

Une Commission d'Enquête nationale établie par l'actuel président Idriss Déby a recommandé, dès 1992, que des poursuites soient engagées contre ceux qui ont participé aux crimes du régime. La Commission a aussi demandé que les anciens responsables des organes répressifs, notamment de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), soient écartés de leur fonction dans l'appareil sécuritaire de l'Etat et que des mesures soient prises à la mémoire des victimes. Ces recommandations de la Commission d'Enquête sont toutefois restées lettres mortes. En effet:

  • Certains dirigeants qui opéraient déjà dans la structure de répression du régime Habré sont encore à des postes clefs de l'administration ou de l'appareil sécuritaire de l'Etat. Leur présence est à l'origine de pressions, d'intimidations et dans certains cas d'attaques envers d'anciennes victimes et des défenseurs des droits humains, rendant ainsi difficile la pleine restauration de l'état de droit au Tchad.
  • Les plaintes que des victimes du régime  Habré ont déposées en octobre 2000 devant les tribunaux tchadiens contre les anciens directeurs, chefs de service et agents de l'ex-DDS piétinent parce que le juge d'instruction tchadien ne dispose pas des moyens financiers, humains et sécuritaires nécessaires pour effectuer pleinement son enquête.
  • Les recommandations de la Commission d'Enquête « d'édifier un monument à la mémoire des victimes de la répression Habré », de « décréter un jour de prière et de recueillement pour lesdites victimes » et de transformer l'ancien siège de la DDS et la prison souterraine de la « Piscine » en un musée n'ont jamais été mises en oeuvre.

De plus, aucune réparation matérielle n'a été accordée aux victimes alors que la Commission d'Enquête a estimé le sombre bilan des années Habré à «plus de 40 000 victimes, plus de 80 000 orphelins, plus de 30 000 veuves et plus de 200 000 personnes se trouvant, du fait de cette répression, sans soutien moral et matériel»[1].

Depuis plusieurs années, le gouvernement tchadien a apporté son soutien aux procédures légales engagées contre Hissène Habré à l'étranger, en coopérant avec la visite du juge belge à N'Djaména dans le cadre de la commission rogatoire internationale, en donnant aux victimes un accès aux archives de la DDS et en levant l'immunité de juridiction de Hissène Habré.

Aussi important et essentiel qu'il soit, le jugement de Hissène Habré par un tribunal étranger ne garantira qu'une justice partielle aux victimes de son régime. Un tel jugement ne permettra pas à la société tchadienne d'affronter complètement son passé afin d'en finir définitivement avec celui-ci. Les mesures nécessaires et complémentaires de la part du gouvernement tchadien n'ont, cependant, toujours pas été prises.

Recommandations principales au gouvernement tchadien

·Écarter de leurs fonctions tous les anciens agents de la DDS réhabilités et engagés dans l'appareil de sécurité de l'État.

·Déclarer publiquement qu'il ne tolérera pas la moindre intimidation envers tous ceux cherchant réparation et justice par les voies légales.

·Soutenir fermement l'action de la justice tchadienne relative aux plaintes déposées au Tchad par les victimes contre les anciens agents de l'ex-DDS et accorder des moyens supplémentaires au juge d'instruction chargé de ces dossiers.

·Offrir une indemnisation financière à chaque victime ou famille, régulièrement recensée. Un fonds d'aide aux victimes et aux familles des victimes du régime Habré devrait être créé afin de porter assistance aux plus démunies d'entre elles et de réparer les dommages causés par les agents de l'Etat tchadien.

·Afin d'honorer la mémoire de celles et ceux qui ont péri pendant le régime de Habré et pour faire connaître à la société tchadienne les horreurs de ce régime, mettre en œuvre le volet des recommandations de la Commission d'Enquête préconisant « d'édifier un monument à la mémoire des victimes de la répression Habré », de « décréter un jour de prière et de recueillement pour lesdites victimes » et de transformer l'ancien siège de la DDS et la prison souterraine de la « Piscine » en un musée.

Rappel historique

La guerre contre la Libye et les conflits internes au Tchad

Le Tchad a obtenu son indépendance de la France le 11 août 1960 et a connu peu de périodes de paix réelle depuis. Une longue guerre civile, plusieurs invasions par la Libye et l'émergence de mouvements rebelles dans différentes régions ont déchiré le pays durant plusieurs décennies. La division entre le Nord du Tchad, désertique et peuplé de Musulmans, et le Sud fertile et habité par des animistes devenus Chrétiens, a été renforcée par le colonisateur français qui a favorisé le Sud et renversé la domination «historique» du nord.

Pendant près de vingt ans, la Libye a eu un poids direct sur les affaires politiques tchadiennes. Elle a occupé en 1973, puis annexé en 1975, la bande d'Aozou, un territoire au Nord revendiqué par les deux pays[2]. Le gouvernement libyen a aussi soutenu plusieurs groupes rebelles du Nord du Tchad, notamment le Front de Libération Nationale du Tchad, FROLINAT, fondé en 1966 qui voulaient combattre le monopole de pouvoir exercé par le sud.

Au moment où Ronald Reagan arrive à la présidence américaine en 1981, le Tchad est dirigé par le Président Goukouni Oueddei qui tente difficilement alors de se maintenir au pouvoir à la tête du Gouvernement d'Union Nationale de Transition (GUNT). Le GUNT a pris le pouvoir au Tchad en 1979 à la suite des accords de Lagos qui, sous l'égide de l'Organisation de l'Unité Africaine, a réuni les principales factions de la guerre civile qui s'étaient battues au Tchad pendant quatre ans. En mars 1980, cette coalition s'effondre lorsque le ministre de la défense de l'époque, Hissène Habré, ancien membre du FROLINAT de Goukouni Oueddei, fait sécession avec un mouvement dissident du GUNT, les Forces Armées du Nord (FAN) qu'il a fondé trois ans plus tôt. Cette défection entraîne neuf mois de combats acharnés qui dévasteront  la capitale N'Djaména. Les combats ne cesseront qu'avec l'intervention massive (7,000 hommes) et directe des troupes libyennes de Kadhafi lourdement armées au côté de Goukouni Oueddei. Habré est battu et s'enfuit en décembre 1980. Les troupes libyennes restent au Tchad afin, non seulement, de garantir la stabilité du régime de Goukouni mais encore de maintenir l'influence de Tripoli à N'Djaména.

Hissène Habré se distinguait de Goukouni et de ses autres adversaires par le rejet absolu des prétentions libyennes sur la bande d'Aouzou et du rôle que la Libye entendait jouer dans les affaires tchadiennes. Lorsque Kadhafi et Goukouni ont déclaré publiquement en janvier 1981 leur intention de fusionner la Libye et le Tchad en une seule et même nation, Ronald Reagan fait alors de l'arrêt de l'hégémonie libyenne une priorité. Reagan rompt les relations diplomatiques de Washington avec Tripoli et décide d'apporter une aide massive et secrète aux FAN d'Habré qui prennent finalement  N'Djaména le 7 juin 1982.

Dès son arrivée au pouvoir, Hissène Habré est décidé à en finir avec la dissidence du Sud. En 1982, les FAN d'Habré, désormais armée régulière et qui prendront plus tard le nom de Forces Armées Nationales Tchadiennes (FANT), reprennent les principales villes du sud du Tchad. Loin de se pacifier, le Sud voit l'émergence d'une opposition armée très hétérogène farouchement anti-Habré, les CODOS (abréviation de «Commandos»), qui incitera davantage Habré à vouloir «nettoyer» le Sud. Ce climat de résistance et d'opposition à Habré entraînera le «Septembre Noir» de 1984 (voir infra) au cours duquel la répression de l'opposition au Sud sera particulièrement violente et visera non seulement les rebelles CODOS, mais aussi la population civile et surtout les responsables, fonctionnaires et cadres administratifs locaux, tous soupçonnés de complicité.

Après la prise de pouvoir par Hissène Habré, le GUNT continuera sa lutte, mais en exil, avec l'appui de la Libye. En juin 1983, les forces du GUNT prennent Faya-Largeau dans l'extrême Nord du Tchad avec l'aide des troupes libyennes. Les forces libyennes occuperont le Nord du Tchad jusqu'à la contre-offensive des forces de Habré commencée en 1986 et qui se poursuivra jusqu'en mars 1987, date du début de la reconquête du Nord avec le soutien de l'armée française. Habré et Kadhafi concluront un cessez-le-feu en septembre 1987. Les relations diplomatiques entre le Tchad et la Libye seront rétablies en octobre 1988. Les Accords de Bagdad seront signés le mois suivant et scelleront la réconciliation, sous les auspices de l'Irak, entre Habré et Acheikh Ibn Oumar, ancien chef du GUNT.

Le régime de Hissène Habré 

Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990 jusqu'à son renversement par l'actuel Président Idriss Déby et sa fuite vers le Sénégal. À son arrivée au pouvoir, Hissène Habré a instauré une dictature. Son régime de parti unique fut marqué par de graves et constantes violations des droits humains et des libertés individuelles et de vastes campagnes de violence à l'encontre de son propre peuple.

Pendant ses huit années à la tête de l'Etat, Hissène Habré a progressivement détruit toute forme d'opposition à son régime. Par périodes et en procédant à des arrestations collectives et à des meurtres en masse, Hissène Habré a persécuté différents groupes ethniques dont il percevait les leaders comme des menaces à son régime, notamment les Sara et d'autres groupes sudistes en 1984, les Arabes, les Hadjaraï en 1987 et les Zaghawa en 1989.

Le nombre exact des victimes de Habré reste à ce jour inconnu. Une Commission d'Enquête du Ministère tchadien de la Justice, établie par le Président Déby, a accusé, en 1992, le gouvernement Habré de 40 000 assassinats politiques et de torture systématique[3]. La plupart des exactions furent perpétrées par la terrifiante police politique de Habré, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), dont les directeurs ne rendaient des comptes qu'à Hissène Habré et appartenaient tous à sa propre ethnie, les Goranes.

Les Tchadiens et Tchadiennes témoignent encore aujourd'hui qu'un état de méfiance généralisée s'était installé dans tout le pays durant le régime Habré. Le citoyen moyen explique qu'il n'osait même pas parler à son époux ou épouse, enfants ou amis sans craindre qu'eux aussi puissent un jour rapporter ses paroles. Dans certains cas, les agents cherchaient des informations auprès des jeunes, qui n'avaient pas du tout conscience de l'impact de leurs paroles. Une fiche d'information de la DDS d'avril 1988 découverte par Human Rights Watch (voir infra) rapporte, par exemple, comment un enfant de douze ans a donné des informations à la DDS sur les propos à teneur politique de ses parents au cours d'un repas du soir.

La Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS)

L'appareil sécuritaire que Hissène Habré avait créé et qu'il contrôlait totalement était composé d'un certain nombre d'organes de répression. Néanmoins, la DDS s'est distinguée, selon la Commission d'Enquête, «par sa cruauté et son mépris de la vie humaine». La DDS était solidement contrôlée par des agents qui relevaient directement de la présidence et qui quadrillaient le territoire national et même international pour éliminer ou emprisonner les «ennemis de l'Etat».

C'est par un décret en date du 26 janvier 1983 que Habré a créé la DDS, une force «directement subordonné[e] à la présidence de la République en raison du caractère confidentiel de ses activités ». Lesdites activités couvraient notamment « la collecte et la centralisation de tous les renseignements [...] susceptibles de compromettre l'intérêt national », ainsi que « la collaboration à la répression par l'établissement de dossiers concernant des individus, groupements et collectivités suspectés d'activités contraires ou seulement nuisibles à l'intérêt national ». Très vite, la DDS s'est transformée en une impitoyable machine de répression.

En mai 2001, Human Rights Watch a découvert dans les locaux de l'ancienne DDS à N'Djaména des milliers de documents constituant les archives de la sinistre police politique de Hissène Habré. Suite à cette découverte, le gouvernement tchadien a permis à l'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP), assistée de Human Rights Watch et de La Fédération Internationale des ligues des Droits de l'Homme (FIDH), de consulter ces documents et de les exploiter librement. Il s'agit entre autres de certificats de décès, de listes quotidiennes de prisonniers, de rapports des services secrets, de listes des agents de la DDS et de notes adressées à Hissène Habré. Les documents retracent en détail les campagnes contre les groupes ethniques perçus par Hissène Habré comme des menaces à son régime[4].

Des copies de centaines de ces documents de la DDS ont été, dans un premier temps, classées puis transportées dans les locaux de Human Rights Watch à New York. Dans un deuxième temps, les informations contenues dans ces documents ont été entrées dans une base de données créée par Patrick Ball, du Human Rights Data Analysis Group de l'organisation Benetech.

L'équipe de Benetech a maintenant commencé l'analyse des documents en se concentrant surtout sur l'année 1986. Benetech a entre autres analysé trois facteurs: le nombre de prisonniers dans les sept centres de détention de la DDS à N'Djaména, le taux de mortalité des détenus dans ces centres et le nombre de documents envoyés par la DDS à Habré.

Cette analyse[5] préliminaire montre notamment que:

  • Le nombre de détenus entre janvier 1985 et janvier 1986 est relativement stable, soit entre 200 et 250 personnes, avant de monter à 571 détenus en mars 1986.
  • Le taux de mortalité en détention était de 3,69% en 1986. Pour cette même année, les détenus politiques étaient donc 16 fois plus susceptibles de mourir que la population du Tchad en général, laquelle inclue la mortalité infantile.
  • Parmi les 2488 documents clés trouvés dans les archives de la DDS, plus de 15% étaient directement adressés à Hissène Habré, qui semblait informé de presque tout[6].

La structure et le personnel de la DDS

Dans une « note d'instruction » datée du 26 août 1987, le Directeur de la DDS déclarait que, « grâce à la toile d'araignée tissée sur toute l'étendue du territoire national, [son service veillait] particulièrement à la sécurité de l'Etat », qu'il constituait « l'œil et l'oreille du président, [de qui] il [dépendait] et à qui il [rendait] compte de ses activités».

Parmi les différents services de la DDS, la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR) en était le véritable «bras armé». Elle était composée de militaires chargés d'effectuer les arrestations et les assassinats politiques. D'autres services de la DDS ont aussi collaboré étroitement à l'arrestation des supposés opposants au régime. Ce fut le cas du Service de Recherche chargé de la collecte d'informations dans N'Djaména, du Service de Contre-Espionnage, chargé de surveiller toutes les ambassades à N'Djaména, et du Service de Mission Terroriste, chargé de persécuter et liquider les opposants politiques se trouvant à l'étranger.

Pendant leur détention, les victimes du régime étaient souvent torturées par les agents de la DDS, qui utilisaient un large éventail de moyens de torture (voir infra).

Le soutien de la DDS par les Etats-Unis

Hissène Habré a pu compter sur un solide soutien des Etats-Unis. Convaincu de son utilité en sa qualité d'allié dans la lutte contre Kadhafi, les leaders de la politique américaine appelait Hissène Habré leur «ami» et l'ont aidé à se maintenir au pouvoir en lui fournissant d'importantes d'aides sous la forme d'équipements militaires, d'entraînements, de connaissances et de soutien politique. Selon un responsable américain, les aides versées par les Etats-Unis au Tchad «pourraient totaliser des centaines de millions de dollars»[7]. Hissène Habré lui-même a été reçu à la Maison Blanche. Les Etats-Unis ont également formé une petite armée d'opposants libyens «Contras» issue des rangs de prisonniers de guerre libyens détenus par Habré.

Les documents retrouvés par Human Rights Watch ont également révélé de nouvelles informations sur le soutien de la DDS par les Etats-Unis. Ainsi, un document de la DDS décrit un entraînement «très spécial» pour les agents de la sécurité tchadiens dans la banlieue de Washington en 1985. Les agents ont rapportés que «nos amis américains accordent une importance capitale à cette formation. Ils nous ont promis des matériels […]. Ils nous ont déclaré en outre que nous ne devons pas seulement assurer la sécurité de notre pays, mais également celle de leurs représentants résidant chez nous, ainsi que de leurs sociétés»[8]. Trois des agents ont reçu une promotion à l'échelon supérieur au sein de la DDS dès leur retour de Washington. Deux agents seront identifiés plus tard par la commission nationale d'enquête comme certains des «tortionnaires les plus redoutés» du régime d'Hissène Habré.

Bien que la nature exacte de l'équipement fourni par les Etats-Unis ne soit pas claire, un document évoque la demande tchadienne de sérum de vérité et d'un générateur destiné aux interrogatoires. Un autre document fait référence à un certain «Maurice» qui était le «Conseiller américain de la DDS»[9]  tandis que d'autres rapports détaillent les entraînements des agents tchadiens au Tchad par les Etats-Unis.

Les crimes du régime de Hissène Habré 

La torture

La torture était une pratique généralisée dans les centres de la DDS. Elle était utilisée par les agents de la DDS lors des interrogatoires et servait à faire avouer la victime ou à lui soutirer des informations. Parmi les formes de tortures les plus communes:

  •  Le ligotage « Arbatachar »: Une forme de torture qui consiste à attacher les deux bras aux  chevilles derrière le dos de manière à faire bomber la poitrine. Ce ligotage provoque rapidement l'arrêt de la circulation sanguine, entraînant ainsi la paralysie des membres.
  • L'ingurgitation forcée d'eau: La victime est forcée d'avaler une grande quantité d'eau souvent jusqu'à l'évanouissement. Parfois, un agent montait également sur le ventre de la victime ou y plaçait un pneu.
  • Le pot d'échappement: Cette torture consiste à introduire dans la bouche du détenu le pot d'échappement d'une voiture dont le moteur est en marche. Une simple accélération du moteur provoque d'atroces brûlures.
  • Les brûlures au moyen de corps incandescents: Des bûchettes d'allumettes enflammées ou les bouts incandescents de cigarettes sont utilisés pour brûler les parties sensibles du corps.
  • Le supplice des baguettes: Au niveau des tempes, deux baguettes de bois sont attachés solidement aux deux extrémités par des cordes. Plus les cordes sont serrées, plus la pression est forte et la victime a l'impression que sa tête va éclater. Il arrivait que l'on tape sur les baguettes également, ce qui provoquait une résonance insupportable dans la tête.
  • L'utilisation de piment: Il s'agit de placer la tête de la victime dans un trou à même le sol et de souffler de l'air dans du feu auquel on a ajouté des piments qui se trouve dans un autre trou communiquant avec le premier.
  • La décharge d'électricité, le tabassage, la flagellation, l'extraction d'ongles, etc.

Si les documents exhumés des archives ne mentionnent évidemment jamais directement les actes de torture, ces derniers sont fréquemment évoqués. Une lettre adressée au directeur de la DDS concernant un supposé opposant, s'y réfère à demi-mot: « C'est en le contraignant à révéler certaines vérités qu'il a trouvé la mort le 14 octobre à 8 heures».

De la même façon, le procès-verbal d'un détenu interrogé révèle que le prévenu « n'a reconnu certains faits qui lui sont reprochés en dernière position [qu'] après lui avoir infligé une correction physique ». Plusieurs autres documents parlent d'interrogatoires «serrés » ou « musclés ».

Les morts en détention

Des centaines de certificats de décès de détenus ont été retrouvés dans les archives de la DDS. Sous le régime Habré, sept centres de détention ont été utilisés à N'Djaména pour les prisonniers politiques ou les prisonniers de guerre, dont un sur le terrain de la Présidence, pour les détenus «très spéciaux» que Habré voulait avoir sous la main. La prison la plus sinistre fut sans aucun doute la redoutable «Piscine», une prison souterraine. Ce qui était anciennement la piscine Leclerc réservée aux loisirs des familles des militaires français pendant la colonisation a été, sur ordre de Habré, recouverte d'une chape de béton, divisée en dix cellules et flanquée d'un escalier qui plongeait dans un sous-sol lugubre.

Parmi les causes de décès énumérées, les documents retrouvés parlent notamment de dysenterie amibienne sévère, de déshydratation sévère, d'hypertension artérielle, d'œdèmes des membres inférieurs et supérieurs, d'impotence fonctionnelle des membres inférieurs contractés depuis plusieurs jours, d'altération de l'état général, etc. Dans un «Rapport mensuel» pour le mois de juin 1987, le Chef du service pénitencier de la DDS expose la raison principale de l'affaiblissement des prisonniers, c'est-à-dire les repas qu'ils recevaient: «Toutes ces maladies énumérées ci-dessus proviennent par manque d'équilibration de régime alimentaire des détenus»[10].

La torture et les conditions atroces aidant, la mort pouvait survenir rapidement en prison. Un document de 1989 énumère les noms de 14 détenus arrêtés entre le 2 et le 5avril 1989. Tous sont «décédés par suite de maladie» entre le 16 et le 26 du même mois[11].

Dans un rapport intitulé « Sur les circonstances des décès successifs des détenus dans les locaux de détention de la DDS », le Contrôleur de la DDS établit un lien direct entre le nombre important de morts et les conditions en prison:

«Du 01 mai au 16 juin 1985 dix-neuf (19) détenus sont morts dans «Les Locaux» [l'une des prisons de N'Djaména] de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide. De l'enquête effectuée aux locaux et auprès de l'infirmier Major, il s'avère que ces décès successifs sont dus aux différentes maladies contactées (sic) au sein des locaux à savoir:

·dysenterie hématophage

·paralysie des membres

·cas de furonculoses provoquées par la chaleur

·insuffisance de nourriture.

Aussi, aucun traitement n'a été donné aux détenus car il y a de cela trois (3) mois, le poste de soins de la BSIR est dépourvu de médicaments»[12].

Le traitement des prisonniers de guerre

Le régime Habré aété marqué par plusieurs années de guerre où ses forces gouvernementales se sont opposées au Gouvernement d'Union Nationale de Transition (GUNT) de Goukouni Oueddeï soutenu par la Libye (voir supra). Plusieurs combats ont fait des centaines de prisonniers, notamment à Faya-Largeau en 1983 et, par la suite, en 1986 et 1987. Ceux qui n'ont pas été exécutés sur place ont été transférés sur ordre de Habré et emprisonnés, pour certains, à la Maison d'arrêt de N'Djaména dans des conditions de détention atroces. 

Un effrayant rapport du Comité International de la Croix-Rouge retrouvé dans les archives de la DDS fait état d'une rare visite autorisée au mois de mars 1984 à la Maison d'Arrêt de N'Djaména (la seule prison visitée par le CICR au Tchad). Le rapport expose le traitement inhumain subi par les prisonniers de guerre en décrivant la surpopulation chronique des cellules, construites pour accueillir 180 personnes, mais qui abritent en moyenne plus de 600 prisonniers, ces derniers ne disposant que d'un demi-mètre carré par individu. Le rapport mentionne aussi l' «hygiène inexistante », la «sous-alimentation généralisée», et la «carence des soins médicaux».

En conclusion, le rapport explique que:

«La combinaison de ces facteurs a causé une situation critique pour ce qui concerne la santé des prisonniers. Plus de la moitié d'entre eux doivent être qualifiés de gravement malades; 160 prisonniers se trouvent dans un état gravissime, 22 ont été mis à l'écart car considérés comme perdus, 28 cas de décès ont été rapportés pour les deux mois précédents.»[13]

De nombreux certificats de décès de prisonniers de guerre ont été retrouvés. L'un de ces certificats contient les noms de 32 détenus décédés le même jour, le 21 mars 1986, «suite à leurs blessures de guerre».

«Septembre noir»

Après sa prise de pouvoir à N'Djaména en 1982, Hissène Habré a commencé la «pacification» du Sud du Tchad qu'il considérait peuplé de traîtres entraînés par différents groupes armés et en voie de sécession. La très violente répression exercée alors par Habré et ses troupes a non seulement visé les CODOS (voir supra), mais aussi les populations civiles. Dans certaines préfectures, les arrestations et les exécutions massives de civils ont été perpétrées sciemment dans le but de semer la terreur; des villages ont été pillés et incendiés, forçant les villageois qui avaient réussi à s'échapper à chercher refuge dans la brousse pendant des mois.

A partir de septembre 1984, une répression particulièrement féroce et meurtrière a eu comme objectif apparent d'éliminer les élites du Sud et de les remplacer par des cadres fidèles à Hissène Habré. Cette période est communément connue de tous les Tchadiens comme celle de «Septembre noir». Un rapport interne à la DDS classé «très confidentiel» décrit l'esprit troublé des populations civiles à l'époque,suite aux exactions dans la région par les troupes militaires de Habré, les Forces Armées Nationales Tchadiennes (FANT):

«La sécurité des populations est perturbée puisque certains éléments FANT se lancent [dans] des actions vandaliques semant la terreur parmi la population paysanne tant que fonctionnaire (sic). La population vit dans la haine depuis les évènements du 15.09.84, les jeunes garçons et filles fuient cette zone en direction de Bongor pour chercher refuge puisque leur sécurité n'est pas garantie. La masse paysanne est vraiment terrorisée, elle voit [ses] biens tomber aux mains des éléments FANT comme un fruit mûr, et elle n'ose pas dire un mot en présence des militaires du fait qu'elle est recroquevillée par la peur»[14].

Toutefois, la terreur dans le Sud a persisté bien après «Septembre noir». D'autres documents retrouvés rapportent des informations obtenues quotidiennement et  décrivent cette violence massive en province. De la même façon, une correspondance du 4 août 1985 révèle les noms de 68 personnes parmi la «population des villages Djola II et III» qui ont été «massacrées dans la journée du 28 juillet 1985, par les Forces Gouvernementales ».

La «responsabilité collective » des Hadjaraï et Zaghawa

Hissène Habré n'a jamais hésité à se retourner, si nécessaire, contre ses anciens compagnons d'armes ni à se venger sur la famille ou sur toute l'ethnie d'une personne ou d'un groupe de personnes qui lui aurait fait du tort. Les Hadjaraï et les Zaghawa, par exemple, qui avaient pris le pouvoir avec Habré ont été sauvagement persécutés pour les punir du fait que certains de leurs chefs avaient osé s'opposer à lui.

Les chefs Hadjaraï avaient pendant longtemps été les compagnons de Hissène Habré et avaient même constitué la principale force de frappe qui l'avait porté au pouvoir en juin 1982. Mais Hissène Habré a commencé à se méfier des Hadjaraï dès 1984 au moment où son Ministre des affaires étrangères de l'époque, Idriss Miskine, un leader Hadjaraï, devenait une figure de plus en plus populaire et commençait à lui faire de l'ombre. Idriss Miskine est mort en 1984 dans des circonstances mystérieuses, créant un climat de méfiance entre les Goranes d'Hissène Habré et les Hadjaraï. A partir de 1987, Hissène Habré, après avoir appris que le Général Malloum, un Hadjaraï, avait crée un mouvement d'opposition armée, le MOSANAT, s'en est pris aux dignitaires Hadjaraï, à leurs familles et à l'ethnie en général.

En 1989, Hissène Habré soupçonne Idriss Déby, son conseiller chargé de la défense et de la sécurité, de préparer un coup d'État contre lui, avec Mahamat Itno, alors Ministre de l'Intérieur, et Hassan Djamous, Commandant en Chef de l'Armée tchadienne, le vainqueur des Libyens. Tous les trois sont d'ethnie Zaghawa. Habré a ainsi non seulement fait arrêter, torturer et exécuter Itno et Djamous (seul Déby parviendra à s'échapper) mais il s'en est encore pris à l'ethnie Zaghawa dans son ensemble, dont des centaines de membres, liés ou non à la tentative de rébellion, ont été pris dans des rafles, torturés et internés. Des dizaines sont morts en détention ou ont été sommairement exécutés.

D'après des ex-agents de la DDS, Hissène Habré a même créé en 1987 au sein de la DDS des commissions spécifiques pour arrêter et interroger les Hadjaraï et en 1989 pour arrêter et interroger les Zaghawa.

Des documents retrouvés par Human Rights Watch dans les archives de la DDS révèlent qu'il suffisait seulement que quelqu'un soit Hadjaraï ou Zaghawa pour être arrêté. À titre d'exemple, un document concernant le transfert de détenus est classé sous la rubrique «affaire Hadjaraï». Un autre document manuscrit fait état des personnes arrêtées ou tuées et des villages détruits ou abandonnés. Le nombre total provisoire de personnes tuées est de 286. Toutes les personnes dont les noms se trouvent sur ce document sont des Hadjaraï.

Une liste datée du 26 mai 1989 intitulée «Objet: Situation des agents traîtres Zakawa arrêtés pour complicité gardés dans nos locaux à la suite du complot ourdi par Hassane Djamous» contient les noms de 98 personnes, dont plusieurs sont des bergers, des chauffeurs, des élèves, des commerçants, des militaires, etc. Sous les motifs d'arrestation, il est indifféremment indiqué: «soupçonné complice des traîtres», à l'exception de quelques personnes qui avaient des liens de parenté avec les rebelles[15].

Le professeur d'université et écrivain Zakaria Fadoul Khidir, de l'ethnie Zaghawa, a été arrêté uniquement parce qu'il était le parent d'un supposé putschiste et qu'il appartenait à la même ethnie. Quand il fut arrêté et interrogé, Zakaria Fadoul Khidir (ZFK) a eu cet échange avec son tortionnaire, le commissaire Mahamat Djibrine (Dj), échange qu'il rapportera dans un livre qu'il publiera après sa libération:

            «Dj: Monsieur le professeur, pourquoi vous a-t-on arrêté?

            ZFK: Je n'en sais rien.

            Dj: Comment ça! Vous n'en savez rien? Mais vous ne savez rien de ce qui se passe en ville ou au pays?

            ZFK: Si. Je sais que des gens ont rejoint l'opposition, d'autres sont arrêtés. Mais pour ce qui me concerne, on est allé me chercher dans mon bureau en plein jour alors que j'étais en train de corriger les copies de mes étudiants.

            Dj: Mais tu n'es pas né seul, tu as aussi des frères!

            ZFK: Je ne suis pas responsable de ce que font mes frères.

Dj: Monsieur le professeur, la responsabilité est collective»[16].

Tout était résumé en une seule réplique. D'après des recherches personnelles effectuées par le professeur Zakaria Fadoul Khidir, environ 270 membres de sa famille proche et éloignée auraient été arrêtées et toutes à l'exception de 28 d'entre-elles auraient été exécutées ou seraient mortes en détention.

La répression contre les Arabes

Hissène Habré considérait les Arabes du Tchad comme «les parents» de ses ennemis libyens. C'est ainsi que des arrestations et des exécutions d'Arabes ont eu lieu tout au long du régime de Hissène Habré, avec cependant une vague d'arrestations plus importante au cours des années 1982 à 1984 pendant les conflits armés au Nord du Tchad.

La chute du régime de Hissène Habré et le Rapport de la Commission d'Enquête

Le 1er décembre 1990, après une année de rébellion, le Front Patriotique du Salut, force rebelle menée par l'actuel Président Idriss Déby, chasse Hissène Habré du pouvoir. Les portes des prisons de sont alors ouvertes et des centaines de prisonniers politiques qui étaient détenus dans différents centres de détention secrets de la capitale du Tchad ont été libérés.

Le nouveau gouvernement dirigé par le Président Idriss Déby a institué par décret la «Commission d'enquête sur les crimes et détournements commis par l'ex-Président, ses co-auteurs et/ou complices». La Commission, dirigée par le juriste distinguéMohamat Hassan Abakar, a commencé ses travaux le 1er mars 1991.

La Commission d'Enquête a dû travailler dans des conditions sécuritaires et financières très difficiles. Elle était, initialement, composée de douze membres: deux juges, quatre officiers de police, deux administrateurs, deux archivistes ainsi que deux secrétaires[17].

La Commission d'Enquête a dû se battre dès ses débuts pour obtenir un budget minimum et ne disposant pas de locaux, a dû tenir ses entretiens dans les bureaux même de la DDS, ce qui n'encourageait pas réellement les victimes à venir témoigner et à apporter les preuves dont la commission avait besoin. De plus, d'anciens membres de la DDS, réhabilités au sein de la nouvelle police politique, et le Centre de Recherches et de Coordination de Renseignements(CRCR) ont été accusés d'avoir intimidé les témoins et de menacer de représailles les personnes qui avaient témoigné devant la Commission. Au bout de six mois, le Président de la Commission a demandé à ce que certains de ses membres, qui avaient peur de trop s'impliquer dans l'affaire soient remplacés. La Commission n'a pu réellement commencer son travail qu'après le remplacement de ces membres. Enfin, peu de véhicules ont été mis à la disposition de la Commission, limitant ainsi ses déplacements dans les zones rurales où les massacres avaient eu lieu.

En dehors de conseils prodigués par Amnesty International qui avait rendu public les crimes du régime d'Hissène Habré et qui avait mené des campagnes pour la libération de prisonniers politiques[18], aucune participation, ni aucune aide technique ou financière internationale n'a été apportée à la Commission d'Enquête. La Commission a néanmoins pu auditionner 1726 témoins[19] et procéder à trois exhumations.

Après 17 mois de travail, la Commission a rendu public son rapport qui détaille les méthodes répressives du gouvernement Habré, accusé de dizaines de milliers d'assassinats politiques et d'actes de tortures systématiques[20].

La Commission a également réalisé un documentaire montrant les fosses communes exhumées pendant son enquête, certaines des prisons de Habré ainsi que des entretiens avec des victimes du régime.

Ce rapport dénonce la réhabilitation de nombreux membres de la DDS à des postes clefs de l'administration ainsi qu'au sein de l'appareil sécuritaire de l'Etat tchadien[21].

Lorsque que le rapport fut publié, certains des agents qui y étaient mentionnés ont fui le pays vers le Cameroun dans la crainte, pourtant non fondée, de voir leur responsabilité engagée[22].

Cette Commission d'Enquête a été l'une des seules commissions de ce type à s'être intéressée au soutien d'une ou de plusieurs puissances étrangères apporté aux abus commis par un régime national. Le rapport a révélé que les Etats-Unis avaient été le principal soutien financier, militaire, matériel et technique de la DDS. Ce même rapport a également établi  que certains conseillers américains étaient reçus régulièrement par le directeur de la DDS afin de le conseiller ou d'échanger des informations.

Le rapport accusait également la France, l'Egypte, l'Irak et le Zaïre d'avoir aidé à financer, former et équiper la DDS. La Commission d'Enquête a non seulement inclus dans son rapport les noms des principaux agents de la DDS mais a inséré également leurs photographies. Ses recommandations insistent sur la nécessité d'exclure les agents de la DDS qui ont été réhabilités et réintégrés au sein de l'armée, des forces de police et de  la nouvelle police politique, le Centre de Recherche et de Coordination des Renseignements (CRCR)[23].

La Commission a demandé au gouvernement «d'écarter de leurs fonctions, dès la publication de ce rapport, tous les anciens agents de la DDS réhabilités et engagés dans la DGCRCR» mais aussi d' «engager sans délai des poursuites judiciaires contre les auteurs de cet horrible génocide, coupables de crimes contre l'humanité»[24].

La Commission d'Enquête a également recommandé qu'«un monument en mémoire des victimes de la répression de Habré soit construit» et de «décréter un jour de prière et de recueillement  pour lesdites victimes». Elle a de plus demandé à ce que les anciens locaux de la DDS ainsi que la prison souterraine, la «Piscine», soient réhabilités en musée. Enfin, la Commission a appelé à la création d'une Commission Nationale pour les Droits de l'Homme.

Le rapport a été présenté au Président Idriss Déby et au gouvernement tchadien qui ont regardé le documentaire sur un projecteur d'emprunt.

Les locaux de la Commission d'Enquête furent alors ouverts au public pour quelques jours où chacun pouvait voir le film et des photographies préparées  par la Commission. Selon Maître Abakar, «le public a dû se battre pour rentrer» [25]. Le rapport a reçu une large couverture médiatique au niveau national.

En 1993, la Conférence Nationale Souveraine, où tous les secteurs de la société tchadienne étaient représentée, a, elle aussi, appelé à l'«expulsion des membres de la DDS responsables de détournements, d'actes de tortures et de crimes politiques qui continuent à ne pas être inquiétés de leurs actes ou continuent à travailler au sein même du CRCR», mais également à la création d'une cour pénale indépendante chargée de juger les crimes violents, les expropriations ainsi que les détournements.

L'Association des Victimes de Crimes et Répressions Politiques (AVCRP)

Dès la chute de l'ex-Président Habré, des victimes de son régime, issues de différents groupes ethniques, ont créé l'Association des Victimes de Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP).

Les objectifs principaux de l'AVCRP sont les suivants:

  • identifier et localiser les victimes des crimes et de la répression politiques  de la dictature Habré;
  •  inventorier les biens spoliés ou confisqués injustement;
  • engager des procédures judiciaires nationales et/ou internationales contre les auteurs des crimes de la dictature Habré;
  •  exiger l'indemnisation des victimes atteintes tant physiquement que moralement et des victimes expropriées injustement de leurs biens;
  • informer l'opinion nationale et internationale sur les méthodes et moyens utilisés pour commettre des crimes et organiser la répression politique;
  • prévenir, dénoncer et combattre par tous les moyens, toute forme de crime et de répression politique.

L'AVCRP a regroupé des informations sur 792 victimes des exactions de Habré, prévoyant d'utiliser ces dossiers lors d'éventuelles poursuites judiciaires contre l'ancien dictateur. Toutefois, dépourvue de ressources financières et du soutien du gouvernement, l'AVCRP a dû, dès 1992, renoncer temporairement à son projet.

La réadaptation des victimes

L'Association pour les Victimes de la Répression en Exil (AVRE), située à Paris, a été mandatée par le gouvernement tchadien pour effectuer plusieurs missions d'évaluation et d'assistance au Tchad entre 1991 et 1996[26].

Le Dr Hélène Jaffe, présidente fondatrice de l'Association, et son équipe ont ainsi examiné 581 victimes de torture pendant le régime Habré, dont 119 enfants au cours de 1778 consultations.

Lors de leur première mission en 1991, les patients examinés se sont plaints de maux rhumatologiques (346 plaintes), de pathologies périodiques/parasitologies (240), de problèmes psychologiques (216), de maux de tête (213) et de problèmes ophtalmologiques (178), urologiques/sexologiques (160), digestifs (137), cardiologiques (45), O.R.L. (31) et autres (240)[27].

 

Dans un rapport de l'AVRE sur la santé des enfants de victimes de torture, le pédopsychiatre a établi que ««le rôle pathogène du secret»dans ces situations de deuil nous est apparu de première importance: mort cachée, mort non dite, absence de corps à honorer, absence de cérémonie funéraire, puis de deuil, enfin absence de sépulture; tout pèse du côté de la dépression. Le travail psychothérapeutique avec les familles nous est apparu en mesure d'amorcer un changement en leur sein»[28].

Durant leur dernière mission au Tchad en septembre 1996, les médecins de l'AVRE ont constaté que plusieurs victimes souffraient toujours des séquelles physiques des tortures subies, auxquelles s'ajoutaient les souffrances psychologiques plus difficilement exprimées.

Parmi les 44 patients examinés:

·25 patients présentaient des séquelles rhumatologiques souvent invalidantes: rachialgies, douleurs articulaires, contractures musculaires

·22 patients se plaignaient de troubles psychologiques allant de l'anxiété, à la tristesse, voire même à de réels syndromes dépressifs

·15 patients souffraient encore de troubles digestifs

·15 patients souffraient de troubles du sommeil, surtout de cauchemars et de difficultés d'endormissement

·14 patients se plaignaient de problèmes de vision[29].

Parmi les recommandations faites par l'AVRE, l'importance accordée à la reconnaissance «officielle» de l'histoire tragique des familles des victimes est essentielle. Selon l'AVRE, il faut « en finir avec le silence et le non-dit» sur les tortures et les disparitions, sur la souffrance et ses conséquences sur la famille de la victime et sur les façons de faire le deuil. L'AVRE a aussi insisté sur le rôle de la «reconnaissance collective »et a suggéré la pose de stèles sur les charniers qui ont été localisés ainsi que la construction d'un mémorial aux victimes qui servirait lors des cérémonies de deuil et du souvenir. L'association AVRE a aussi estimé qu'une Journée nationale des victimes des crimes et de la répression politique devrait être instaurée. Enfin, le rapport de l'AVRE explique que la mise en œuvre de ces propositions, « adaptée aux réalités locales, est essentielle pour que les parents puissent retrouver un équilibre de vie et leurs enfants, victimes de victimes, un développement harmonieux»[30].

Les poursuites pénales contre Hissène Habré

En janvier 2000, inspirée par l'arrestation du Général Augusto Pinochet[31] à Londres, l'Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l'homme (ATPDH) a demandé à Human Rights Watch d'aider les victimes tchadiennes à poursuivre Habré devant la justice sénégalaise.

A deux reprises, des enquêteurs se sont secrètement rendus au Tchad, où ils ont rencontré des victimes et des témoins, et ont étudié les nombreux documents rassemblés, dès 1991, par l'AVCRP. Parallèlement, une coalition d'organisations de défense des droits de l'homme tchadiennes, sénégalaises et internationales a été discrètement mise en place pour soutenir les victimes dans leur quête de justice[32].

Sept Tchadiens et l'AVCRP se sont constitués parties civiles et ont porté plainte le 26janvier 2000. Dans la plainte déposée devant le tribunal régional hors-classe de Dakar, les demandeurs, dont plusieurs s'étaient rendus au Sénégal pour l'occasion, ont accusé Habré de torture et de crimes contre l'humanité. Le chef d'accusation de torture était fondé sur la législation sénégalaise contre la torture ainsi que sur la Convention de 1984 des Nations Unies contre la Torture, ratifiée par le Sénégal en 1986. La plainte citait également les obligations du Sénégal en droit international coutumier de poursuivre les auteurs de crimes contre l'humanité[33]. Les preuves et documents soumis au juge d'instruction Demba Kandji contenaient des informations détaillées sur 97 assassinats politiques, 142 cas de torture, 100 «disparitions» et 736 arrestations arbitraires, la plupart de ces crimes ayant été perpétrés par la DDS. Un rapport sur la pratique de la torture du temps de Habré, écrit en 1992 par une équipe médicale de l'AVRE, et celui de la Commission d'Enquête tchadienne ont également été versés au dossier. En quelques jours, les victimes venues du Tchad témoignaient à huis clos devant le juge - moment qu'elles avaient attendu pendant neuf ans!

Le 3 février 2000, le juge Kandji cita Hissène Habré à comparaître, l'inculpa pour complicité de crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie et le plaça en résidence surveillée. Pour la première fois, un ancien chef d'Etat était poursuivi par la justice du pays où il avait trouvé refuge.

Quelques semaines plus tard, de fortes pressions politiques apparurent. Les avocats de Habré introduisirent une requête en annulation des poursuites devant la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar. Le parquet de la République soutint la requête de Habré, renversant sa position antérieure favorable aux poursuites.

Peu après, une réunion du Conseil supérieur de la Magistrature déboucha sur la mutation du juge Kandji et donc son dessaisissement du dossier Habré. A plusieurs reprises, le nouveau président élu de la République du Sénégal, Abdoulaye Wade, déclarait publiquement que Habré ne serait jamais jugé au Sénégal.

La  Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants oblige le  Sénégal qui l'a ratifiée, soit à poursuivre, soit à extrader l'auteur présumé d'actes de torture qui se trouve sur son territoire.[34] D'après la Constitution sénégalaise, ce genre de traité international est d'application immédiate[35]. La Chambre d'accusation a néanmoins décidé, le 4 juillet 2000, que les tribunaux sénégalais n'étaient pas compétents pour juger au Sénégal des crimes commis à l'étranger par un étranger et a, en conséquence, annulé la procédure contre Hissène Habré[36]. Les victimes se sont alors immédiatement pourvues en cassation. Le 20 mars 2001, la Cour de Cassation du Sénégal confirmait l'arrêt de la Chambre d'accusation et mettait un terme aux poursuites contre Habré au Sénégal[37].

Les victimes de l'ancien dictateur ont immédiatement annoncé qu'elles chercheraient à faire extrader Habré vers la Belgique, où des plaintes avaient déjà été déposées contre lui. Ces plaintes émanent de plus de 21 victimes, dont trois sont de nationalité belge. Elles sont instruites par Monsieur Daniel Fransen, juge d'instruction près le tribunal de première instance de Bruxelles. Les plaintes ont été déposées en Belgique en application de la loi dite de compétence universelle qui, dans sa version initiale, permettait l'ouverture de poursuites pénales contre les responsables des pires violations des droits humains, quel que soit le lieu où ces violations avaient été commises et quelle que soit la nationalité des responsables ou des victimes.

En avril 2001, peu après la décision de la Cour de Cassation, le Président sénégalais Abdoulaye Wade déclarait publiquement qu'il avait donné un mois à Habré pour quitter le Sénégal. Cette surprenante décision sonnait comme un hommage rendu à la lutte des victimes, mais représentait un risque sérieux de voir Habré se réfugier sur le territoire d'un Etat peu soucieux du respect du droit international et qu'il devienne inaccessible à la justice. Les victimes ont alors déposé un recours devant le Comité des Nations Unies contre la Torture, et le Comité a prié le Sénégal de «ne pas expulser Hissène Habré et de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que Hissène Habré ne quitte le territoire du Sénégal autrement qu'en vertu d'une procédure d'extradition»[38].

A la suite de demandes expresses formulées par le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, Mary Robinson, et le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, le président Wade déclarait, le 27 septembre 2001, qu'il avait accepté de garder Hissène Habré sur le sol sénégalais le temps qu'un pays comme la Belgique, capable d'organiser un procès équitable, le réclame:

«J'étais prêt a envoyer Hissene Habré n'importe ou, y compris dans son propre pays, le Tchad, mais Kofi Annan est intervenu pour que je garde Hissene Habré sur mon sol, le temps qu'une justice le réclame. Je l'ai fait, mais je ne souhaite pas que cette situation perdure. Le Sénégal n'a ni la compétence ni les moyens de le juger. Le Tchad ne veut pas le juger. Si un pays, capable, d'organiser un procès équitable - on parle de la Belgique - le veut, je n'y verrai aucun obstacle. Mais qu'il fasse vite. Je ne tiens pas à garder Hissène Habré au Sénégal» [39].

Puis le 23 février 2003, le président sénégalais a confirmé que:

«Tout Etat qui le souhaite peut introduire auprès de la justice sénégalaise une demande d'extradition qui recevra, si cela ne tient qu'à moi, une suite favorable. Je note simplement que pour l'instant aucun pays, même pas le Tchad, ne m'a demande cette extradition» [40].

Du 26 février au 7 mars 2002, le juge Fransen et le procureur fédéral belge Philippe Meire se sont  rendus au Tchad dans le cadre d'une Commission rogatoire internationale, accompagnés du substitut du procureur du roi au Parquet de Bruxelles, de quatre officiers de police judiciaire spécialistes des enquêtes sur les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et de torture et d'une greffière. Avec la coopération totale du gouvernement tchadien, le juge et son équipe ont interrogé plaignants, victimes de Hissène Habré, témoins des atrocités et plusieurs agents de la DDS. Le juge a pu également visiter les anciens lieux des massacres près de N'Djaména et tous les centres de détention du régime Habré dans la capitale tchadienne, dont la sinistre «Piscine», la prison souterraine de la DDS. Il était accompagné à chaque fois d'anciens détenus qui décrivaient les traitements qu'ils avaient subis et indiquaient l'emplacement des charniers. Le juge a enfin eu accès aux archives de la DDS découvertes par Human Rights Watch et a consulté et saisi des milliers de documents.

En octobre 2002, en réaction aux inquiétudes exprimées suite à la décision de la Cour internationale de Justice de février 2002 ayant trait a la question de l'immunité d'un ancien chef d'Etat devant les juridictions étrangères[41], le Ministre de la Justice du Tchad déclarait par écrit au juge Fransen que «Monsieur Hissène Habré ne peut prétendre à une quelconque immunité de la part des Autorités tchadiennes»[42].

Aumois d'août 2003, et après de fortes pressions du gouvernement américain, le parlement belge a abrogé la loi de compétence universelle et l'a remplacé par une loi au champs d'application beaucoup plus limitée. Un grand nombre de poursuites engagées en application de cette loi ont été  abandonnées.

L'affaire Habré n'avait, néanmoins, pas été affectée et avait pu se poursuivre dans le cadre de dispositions transitoires autorisant les affaires pendantes à être poursuivies lorsque: (1) un des plaignants était un citoyen belge ou un résident au moment ou la plainte avait été déposée et (2) des actes d'instruction avait déjà été accomplies.

Le juge d'instruction Daniel Fransen poursuit son investigation et il est fermement attendu qu'il inculpe Hissène Habré et qu'il délivre un mandat d'arrêt international à son encontre. Le gouvernement belge demandera alors au Sénégal d'extrader Hissene Habré, ce que le président Wade a déclaré être prêt a le faire.

Les victimes de Hissène Habré toujours en attente de justice au Tchad

De même que l'arrestation du Général Augusto Pinochet en Grande-Bretagne brisa le mythe de l'impunité de Pinochet au Chili, l'inculpation de Habré au Sénégal eut un impact immédiat au Tchad, ouvrant de nouvelles voies à la justice. Les victimes et les organisations de défense des droits humains, qui avaient déclenché les poursuites au Sénégal, gagnèrent une autorité nouvelle dans la société tchadienne, ayant accompli un exploit que personne n'aurait cru possible.

Le 27 septembre 2000, le Président Idriss Déby a accordé une audience aux dirigeants de l'Association des Victimes et a affirmé que «l'heure de la justice avait sonné» et qu'il retirerait «tous les obstacles, venant du Tchad ou de l'étranger», à leur quête de justice. Depuis plusieurs années, le gouvernement tchadien a apporté son soutien aux procédures légales engagées contre Hissène Habré à l'étranger. Ce soutien s'est manifesté notamment lors de la visite du juge belge à N'Djaména aux mois de février et mars 2002 dans le cadre de la commission rogatoire internationale. Le gouvernement tchadien a également donné aux victimes et aux groupes les appuyant un accès illimité aux archives de la DDS et alevé l'immunité internationale de Hissène Habré en octobre 2002.

Aussi important et essentiel qu'il soit, le jugement de Hissène Habré par un tribunal étranger ne garantira pourtant qu'une justice partielle aux victimes de son régime. Un tel jugement ne permettra pas à la société tchadienne d'affronter complètement son passé afin d'en finir définitivement avec celui-ci. Le gouvernement tchadien n'a malheureusement toujours pas pris, au Tchad, les mesures nécessaires et complémentaires qui s'imposent et qui permettraient que justice soit enfin rendue. Le gouvernement tchadien n'a, en particulier,  toujours pas accordé la moindre réparation aux victimes du régime de Hissène Habré.

La Réparation en Droit International

Selon les principes internationaux relatifs aux droits de l'homme, le soutien et la réadaptation sociale, l'indemnisation et la satisfaction font partie des obligations que les Etats sont tenus de respecter en vertu du droit à réparation des victimes[43].

Le Tchad est obligé par un certain nombre d'instruments internationaux d'accorder réparation aux victimes de violations massives des droits de l'Homme. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 2(3)), que le Tchad a ratifié en 1995, oblige les parties à « garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles » et à fournir réparation à tout individu victime d'arrestation ou de détention illégale (art. 9(5)).

La Convention contre la Torture et autres peines ou traitementscruels, inhumains ou dégradants (art. 14), que le Tchad a ratifiée en 1995, établit que:

«Tout Etat partie garantit, dans son système juridique, à la victime d'un acte de torture, le droit d'obtenir réparation et d'être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. En cas de mort de la victime résultant d'un acte de torture, les ayants cause de celle-ci ont doit à indemnisation.»

Ces mesures se fondent sur le principe tiré de l'article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui énonce que «Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi».

En 2000, le projet de Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations du droit international relatif aux droits de l'homme et du droit international humanitaire, conclu que:

«L'obligation de respecter, de faire respecter et d'appliquer le droit international humanitaire et les droits de l'homme comprend, en particulier, l'obligation de l'État:
·de prendre les mesures législatives et administratives appropriées pour prévenir les violations;
·d'enquêter sur les violations et, le cas échéant, de prendre des mesures contre l'auteur des violations, conformément au droit national et international;
·d'assurer l'accès effectif des victimes à la justice, dans des conditions d'égalité, quelle que soit la personne responsable en dernière analyse de la violation;
·d'offrir aux victimes des voies de recours appropriées; et
·d'assurer réparation aux victimes ou de leur permettre d'obtenir plus facilement réparation»[44].

«Les réparations incarnent la reconnaissance et les remords d'une société pour corriger les maux infligés »[45]. Les réparations peuvent être d'ordre matériel (restitution, traitement médical) ou d'ordre moral (reconnaissance officielle, amener les responsables des crimes devant la justice et/ou les démettre de postes de pouvoir).

Un auteur souligne que:

«… les réparations ont une double fonction. Elles visent à compenser pour les pertes subies et à rétablir le nom de ceux qui ont été diffamés, mais aussi à réintégrer les marginaux et les personnes isolées dans la société en vue de leur permettre de faire partie de la reconstruction du pays… Les réparations morales, également, servent cette double fonction: elles visent à exposer et à punir les responsables, mais aussi à minimiser leur pouvoir et leur rôle au sein de la société d'après conflit. Après tout, si les bandits locaux demeurent en charge, peu de choses vont changer» [46].

L'idée du droit à réparation doit ainsi être considérée au sens large du terme, selon le droit international, incluant la restitution, l'indemnisation, la satisfaction et les garanties de non-renouvellement ainsi que la réadaptation et la réhabilitation des victimes[47].

Les complices de Hissène Habré ont gardé leurs responsabilités au sein du pouvoir tchadien

Malgré les recommandations de la Commission d'Enquête publiées dès 1992, l'impunité dont jouissent les complices de Hissène Habré demeure une réalité. En effet, plus d'une quarantaine d'anciens responsables de la DDS restent à ce jour à des postes clefs de l'administration ou de l'appareil sécuritaire de l'Etat, retardant ainsi la possibilité de voir un jour une paix réelle et définitive s'instaurer au Tchad.

Une liste détaillée de 41  personnes qui occupaient des postes de responsabilité au sein de la DDS sous la présidence de Hissène Habré et qui sont toujours en poste aujourd'hui au Tchad est publiée en annexe du présent rapport. Un ancien Chef de Service de la DDS, par exemple, accusé de tortures directes par plusieurs de ses victimes est aujourd'hui Chef de Cabinet du Directeur général de la Police Nationale. Des trois ex-Directeurs de la DDS toujours au Tchad, l'un est actuellement Délégué régional de la Police Nationale, le second est Préfet et le troisième travaille au Ministère de la Communication du Tchad. L'ancien Directeur de la Police Judiciaire pendant le régime de Hissène Habré est aujourd'hui le Directeur des Services de Police. L'un des «tortionnaires les plus redoutés» de la DDS, pour reprendre les termes de la Commission d'Enquête, est maintenant Commandant de Police.

Un ancien Chef de Service de la DDS contre qui plusieurs plaintes ont été déposées pour torture est l'actuel Chef de Sécurité à l'aéroport international de N'Djaména. Enfin, un Directeur de la Sûreté Nationale pendant le régime de Hissène Habré occupe le poste de Coordinateur National adjoint de la Zone pétrolière et un Directeur adjoint de l'ancienne Sûreté Nationale est l'actuel Directeur de la Police Judiciaire.

Lors d'un discours à N'Djaména en juin 2003, le Président de l'AVCRP Ismael Hachim Abdallah a déclaré: « nos tortionnaires et nos tueurs nous côtoient chaque jour sans être inquiétés par la justice de notre pays auprès de laquelle nous avons déposé depuis longtemps nos plaintes. (…) Nos bourreaux continuent à nous narguer et défient la justice qui reste empêtrée dans les problèmes de tous ordres qui l'empêchent de dire le droit et de sanctionner les coupables et leurs complices»[48].

Tel qu'expliqué par M. Hachim, la présence de ces anciens dirigeants de la DDS dans l'administration et aux postes de pouvoirs entretient un climat d'impunité au sein de la société tchadienne et est peu respectueuse de l'état de droit. Cette situation encourage ainsi les nombreuses intimidations et même les agressions dont sont victimes les défenseurs des droits humains au Tchad.

La réhabilitation d'anciens responsables accusés de torture ne s'arrête cependant pas aux frontières tchadiennes. En novembre 2004 l'AVCRP a informé Human Rights Watch de la présence d'un autre des «tortionnaires les plus redoutés» du Tchad au sein de la police civile de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), où il enquêtait sur des plaintes de violations des droits de l'homme. D'après la Commission d'Enquête, Mahamat Djibrine, aussi appelé «El Djonto», faisait partie des cinq membres de la Commission chargée d'interroger les détenus et qui « utilisaient systématiquement la torture durant ces interrogatoires». La Commission d'Enquête ajoute que Mahamat Djibrine fut également membre des deux commissions chargées de l'arrestation des membres des ethnies Hadjaraï en 1987 et Zaghawa en 1989 lorsque le régime Habré organisa des campagnes de nettoyage ethnique dans tout le Tchad. Avant de partir pour la Côte d'Ivoire, Mahamat Djibrine était toujours Chef de cabinet du Directeur Général de la Police Nationale au Tchad. En janvier 2005, à la suite d'une plainte de Human Rights Watch auprès des Nations Unies, le Tchad a rappelé Mahamat Djibrine.

 Les victimes et ceux qui les soutiennent sont menacés

Le cas de l'agression contre Jacqueline Moudeïna, l'avocate tchadienne des victimes de Habré dans la procédure tchadienne contre les ex-agents de la DDS (voir infra), et les répercussions de cette agression, démontrent que le pouvoir de ces anciens agents est un obstacle à ce que justice soit rendue aux victimes de Habré.

Maître Moudeïna a été victime d'une agression à la grenade le 11 juin 2001, alors qu'elle participait à une manifestation pacifique de femmes devant l'ambassade de France protestant contre le déroulement des élections présidentielles tchadiennes. Plusieurs éléments font penser qu'elle a été visée en tant qu'avocate des victimes des complices de Hissène Habré. L'escadron de police responsable de l'attaque était commandé par Mahamat Wakaye, le Directeur adjoint de la Sécurité Nationale sous le régime Habré et visé dans une des plaintes déposées par Maître Moudeïna. Wakaye est l'actuel Directeur de la Police judiciaire au Tchad.

Le gouvernement tchadien n'a pas mené d'enquête concernant cette attaque, qui a également fait d'autres blessés. Lorsque Maître Moudeïna est rentrée au Tchad après plus d'un an en France où elle était hospitalisée pour ses blessures, elle a déposé une plainte contre Wakaye. C'est seulement en raison des pressions de la part de groupes de défense des droits humains tchadiens et internationaux que le cas a finalement donné lieu à un procès devant la justice tchadienne.

Les preuves présentées durant le procès, auquel a assisté Human Rights Watch, suggéraient que Maître Moudeïna avait été identifiée par des policiers placés sous les ordres de Mahamat Wakaye avant que la grenade ne soit lancée. Après que Maître Moudeïna ait été blessée, la voiture la transportant à l'hôpital a été la cible de coups de feu. Malgré ces preuves, Mahamat Wakaye a été relaxé le 11 novembre 2003 par le tribunal de N'Djaména de toutes les accusations portées contre lui.

Lors du procès, Maître Moudeïna a fait l'objet d'intimidation. Une nuit, son domicile a été encerclé par 3 véhicules militaires qui n'ont quittés les lieux que très tôt le lendemain matin.

Selon des sources anonymes non confirmées par Human Rights Watch, Maître Moudeïna ferait depuis l'objet d'une filature par un agent de l'Agence nationale pour la sécurité (ANS).

La simple présence d'un ex-complice de Hissène Habré à un poste aussi important que celui de Directeur de la Police judiciaire ne peut que remettre en cause les attentes de justice et retarder la fin des intimidations dont sont victimes les défenseurs des droits humains au Tchad.

Les harcèlements contre les victimes de Hissène Habré et ceux qui les soutiennent sont devenus plus intenses avec la visite du juge belge au Tchad en février et mars 2002:

 

  • En effet, dans la nuit du vendredi 22 au samedi 23 février 2002, le Cabinet du bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Tchad, Maître Ribard Kladoum, associé de Maître Jacqueline Moudeïna, a reçu la visite d'inconnus: tous les dossiers ont été retrouvés par terre, l'ordinateur du cabinet a été fouillé et le fax a disparu.
  • Le 18 mars, Souleymane Guengueng, Vice-Président de l'AVCRP et l'un des principaux animateurs des plaintes déposées contre Habré, a été mis à pied pour un mois sans salaire par son employeur la Commission intergouvernementale du Bassin du Lac Tchad (CBLT). La CBLT lui reprochait d'avoir un comportement incompatible avec le statut de la Commission en raison de ses activités dans l'affaire Habré. La CBLT l'a également sommé de lui adresser une déclaration d'honneur comme quoi il s'engageait à renoncer définitivement à toute activité au sein de l'AVCRP, s'exposant sinon à de plus graves sanctions. En novembre 2002, après avoir refusé de mettre fin à ses activités avec l'AVCRP, Souleymane Guengueng s'est fait licencier de son poste.

En Mars 2005, le ministère tchadien des affaires étrangères et de l'intégration africaine a conditionné le paiement des indemnisations de licenciement de Souleymane Guengueng (par ailleurs calculées par la CBLT sans consultation préalable de son ancien employé) à l'engagement exprès de l'abandon de toutes poursuites judiciaires à l'encontre de la CBLT.

  • Le Samedi 23 mars, le chauffeur de Souleymane Guengueng, au volant du véhicule de Monsieur Guengueng, a été poursuivi par une voiture immatriculée au Cameroun et dans laquelle se trouvaient plusieurs soldats en uniforme. Une course-poursuite d'une rare agressivité s'en est suivi.
  • Deux victimes qui s'étaient rendues en Belgique au mois de décembre pour porter plainte et être entendues par la Police judiciaire belge ont été menacées à plusieurs reprises après leur retour au Tchad. L'une d'elles a reçu, à quatre reprises, la nuit et à son domicile, la visite de personnes venues s'enquérir de l'endroit où cette victime se trouvait et des raisons de son voyage en Belgique. A chaque fois, sa famille l'a protégée en la cachant. Un autre ancien détenu a été victime d'une tentative d'enlèvement par des personnes au visage masqué. Ils ont voulu l'emmener pour lui poser des questions sur son voyage en Belgique.
  • Dans la nuit du samedi 30 au dimanche 31 mars 2002, les locaux de l'AVCRP ont été visités. Les portes extérieures et celles des placards intérieurs ont alors été cassées.

Les plaintes contre les complices de Hissène Habré piétinent

Malgré les recommandations de la Commission d'Enquête, le gouvernement du Tchad n'a pas cherché l'extradition de Habré du Sénégal, ni engagé de poursuites contre les complices de Habré restés au Tchad.

De retour de Dakar, les victimes de Habré ont annoncé leur intention de porter plainte devant les tribunaux tchadiens contre leurs tortionnaires directs et contre les chefs de l'ex-DDS toujours au Tchad. Comme l'explique Ismael Hachim Abdallah, Président de l'AVCRP, « Nous n'avons jamais accepté - et ne pourrons jamais accepter - l'idée que nos tortionnaires échappent à la justice. Après l'arrestation d'Hissène Habré au Sénégal, nous nous sommes rendus compte que nous pouvions également exiger que justice soit faite, ici, dans notre propre pays. C'est maintenant à la justice tchadienne de faire son devoir».

Quelques semaines plus tard, le 26 octobre 2000, dix-sept victimes, ont porté plainte au Tchad pour torture, meurtres et «disparitions» contre d'anciens membres de la DDS. Le juge d'instruction en charge du dossier s'est toutefois déclaré incompétent en raison d'une loi de 1993 prévoyant la création d'un tribunal spécial pour juger Hissène Habré et ses complices, tribunal qui n'a jamais été établi[49]. Les victimes ont fait appel de cette décision d'incompétence et la Cour d'appel de N'Djaména a saisi le Conseil Constitutionnel du Tchad qui a décidé que les tribunaux de droit commun étaient bien compétents pour entendre ces plaintes[50]. L'instruction a finalement commencé devant un autre juge d'instruction, au mois de mai 2001. Des dizaines d'autres victimes ont par la suite porté plainte contre leurs tortionnaires directs. Le juge d'instruction a entendu des dizaines de victimes et a commencé à recueillir le témoignage des accusés.

Certains accusés ont comparu devant le tribunal alors que d'autres ont refusé. L'accusé Mahamat Wakaye (voir plus haut) aurait déchiré sa convocation devant le juge mais se serait ensuite vu ordonner par le Ministère de la Justice de se présenter et de témoigner.

Depuis, toutefois, l'instruction piétine. Le juge d'instruction tchadien a manifesté à répétition son besoin de moyens financiers supplémentaires, et surtout d'une protection adéquate afin de poursuivre son enquête concernant des figures politiques toujours puissantes.

Lors d'une réunion du Conseil extraordinaire des Ministres le 14 mai 2003, le Ministre de la Justice avait informé le Conseil des démarches entreprises par le juge d'instruction en vue de solliciter le soutien du Gouvernement tchadien. Le Ministre avait soutenu que la procédure concernant l'affaire Hissène Habré rencontrait des difficultés de tous ordres: financiers, humains et sécuritaires. Le Conseil des Ministres s'était alors «engagé à tout mettre en œuvre pour ne pas entraver le cours de la justice, afin que la vérité sorte au grand jour et que le procès aboutisse».

Malgré cet engagement du gouvernement tchadien, aucune aide financière ni protection n'ont encore été apportées afin que le juge d'instruction puisse mener son enquête dans de bonnes conditions.

Les victimes n'ont toujours pas reçu de réparation matérielle de la part du gouvernement tchadien

La Commission d'Enquête a chiffré le sombre bilan des années Habré à «plus de 40 000 victimes, plus de 80 000 orphelins, plus de 30 000 veuves et plus de 200 000 personnes se trouvant, du fait de cette répression, sans soutien moral et matériel». Malgré ce terrible constat, aucune réparation matérielle n'a été accordée aux victimes[51].

Comme il a été démontré précédemment, le Tchad a une obligation à la fois juridique et morale de réparer les dommages causés par ses agents.

Les expériences tenues dans d'autres pays ont montré qu'il pouvait exister différentes possibilités de réparation matérielle adéquates. A travers le monde, les processus de transition démocratique ont été accompagnés par des mesures de réparation pour les victimes des pires atrocités. A titre d'exemple, au Chili, après la dictature militaire d'Augusto Pinochet (1973-1990), le rapport de la Commission réparation et réconciliation, entraîna, en décembre 1996, l'indemnisation de 4630 proches de 2730 personnes disparues considérées décédées. Ainsi, en septembre 1997, le gouvernement versa aux proches des disparus environ 85 millions de dollars US en guise d'indemnisation, conformément au plan de pension mis en place. Ce plan de pension prévoyait le versement à environ 5000 Chiliens de bourses scolaires, de pensions de santé et autres rentes mensuelles (pour certaines à vie), et aussi une possibilité de dérogation au service militaire obligatoire.

En décembre 2004, après la publication du premier rapport officiel sur les actes de tortures commis sous les autorités militaires, le congrès chilien a voté une loi prévoyant l'indemnisation de plus de 28 000 victimes de torture à hauteur d'environ 2 500$ par an.

Un processus de réparation a été également engagé suite à la dictature militaire qu'a connue l'Argentine entre 1976 à 1983 et les nombreux crimes de sa «sale guerre» commis contre les opposants. Les familles des victimes, les survivants, les anciens prisonniers politiques et les exilés ont reçu l'équivalent de 220 000 à 3 millions de dollars US.

La Commission vérité et réconciliation, établie après l'élection du premier gouvernement démocratique en Afrique du Sud en 1994, a eu pour objectif d'aider les citoyens à surmonter les traumatismes du passé en constituant des archives des pires violations des droits humains commises durant le régime d'Apartheid des années soixante-dix ainsi qu'en prévoyant  d'accorder des réparations à plus de 20 000 victimes identifiées. La Commission avait notamment recommandé d'accorder aux victimes et aux familles de victimes environ 3 500 dollars US chaque année durant au moins six années, et, plus symboliquement, d'édifier des pierres tombales ou de réécrire certains dossiers pénaux.

En 1996, àla suite d'une mission au Tchad et considérant la situation difficile des victimes et de leur famille et la pauvreté du pays, le Dr Hélène Jaffe a souligné l'importance d'adopter « Des solutions pratiques, réalisables à peu de frais, mais qui auraient l'énorme avantage de faire en sorte que ces personnes soient reconnues en tant que victimes et que les morts eux aussi soient reconnus en tant que martyrs»

Le Docteur Jaffe a alors proposé

«par exemple la prise en compte des années passées en prison dans le calcul des années de retraite, l'exonération partielle ou totale pour les enfants de victimes des frais d'inscription à l'école ou à l'université. Sur un plan symbolique, il semblerait que l'érection d'un monument à la mémoire des victimes de la violence d'Etat ait beaucoup intéressé nos patients, tout comme l'idée qu'une des avenues de N'Djaména qui porte le nom d'un dictateur puisse être débaptisée et porter un nom rappelant leur combat»[52].

Jusqu'à ce jour, les victimes tchadiennes de la dictature Habré n'ont toujours pas reçu une quelconque réparation matérielle de la part du gouvernement tchadien.

Lors d'une rencontre entre l'AVCRP et le chef de l'Etat le 26 Septembre 2000, ce dernier  s'était montré favorable à ce qu'une partie des revenus pétroliers soit reversée à l'indemnisation des victimes.

En janvier 2004, faisant suite à cette rencontre, l'AVCRP a présenté officiellement au gouvernement un projet de mémorandum prévoyant l'affectation d'une partie des ressources publiques à l'indemnisation des victimes. Ce projet chiffre notamment le montant des réparations à 40 millions de Francs CFA par victime pendant 10 ans (soit environ 74 000$). Il y est fait, en outre, référence à d'autres mécanismes nationaux d'indemnisation existant. A titre d'exemple l'Afrique du Sud, l'Allemagne, le Chili et l'Egypte ont indemnisé chaque victime de crimes et répression politiques à hauteur respectivement de 2 100 000 Francs CFA (environ 4 160$) pendant 6 ans, 5 millions de Francs CFA (environ 9909$) pendant 4 ans, 20 millions de Francs CFA (environ 39600$) pendant un an et 90 millions de Francs CFA (environ 178 300$) pendant 5 ans.

Lors de ce meeting en janvier 2004, la représentante du ministre de la Justice a assuré que le gouvernement s'efforcerait de tout mettre en œuvre pour indemniser les victimes. Pourtant, cette promesse n'a pas encore été honorée[53].

En Mars 2005, l'AVCRP a remis à l'Assemblée Nationale un projet de proposition de loi, réaffirmation de ses précédentes requêtes au gouvernement et fruit de l'ensemble de ses travaux de recherches, portant sur l'indemnisation des victimes. Ainsi, l'AVCRP a recommandé la mise en place d'un Fonds d'indemnisation pour les victimes des exactions du régime Habré, financé notamment par des mesures de confiscation des biens du régime de Hissène Habré. L'AVCRP a estimé que les victimes directes et indirectes (veuves et veufs, orphelins, ascendants, frères et sœurs) soient indemnisées à hauteur de 40 millions de Francs CFA (soit environ 74,000 $) pendant 10 ans. Il est, en outre,  précisé que cette indemnisation englobe non seulement les préjudices d'ordre moral liés aux souffrances occasionnées par les exactions subies mais également les préjudices d'ordre économique nés notamment de la perte de revenus, de la perte d'emploi ou de la rétrogradation professionnelle.

L'Assemblée Nationale n'a cependant pas encore donné suite à cette proposition de loi.

L'AVCRP a cherché, avec un succès limité, à aider les victimes à trouver d'autres sources de financement. En 2003, elle a obtenu une première aide financière provenant du fond des Nations Unies pour les victimes d'actes de torture afin d'assurer une assistance directe aux victimes de Hissène Habré. En décembre 2003, l'association a été alors capable de distribuer 100 premiers sacs de mais.

 

Les recommandations de la Commission d'Enquête concernant les réparations morales sont restées lettres mortes

La Commission d'Enquête recommandait, dès 1992, « d'édifier un monument à la mémoire des victimes de la répression Habré », de « décréter un jour de prière et de recueillement pour lesdites victimes » et de «transformer l'ancien siège de la DDS et la prison souterraine de la «Piscine» en un musée pour rappeler ledit sombre règne». Toutefois, aucune de ces recommandations n'a encore été mise en œuvre  par le gouvernement tchadien.

Les victimes attendent toujours que leur souffrance et les épreuves qu'elles ou leurs familles ont endurées soient reconnues officiellement par la société tchadienne. En complément des poursuites pénales engagées contre l'ex-dictateur et ses complices, de tels actes auraient des effets très bénéfiques sur le processus de justice et de réconciliation nationale.

Il est aujourd'hui largement reconnu, comme le suggérait la Commission d'Enquête, que les mesures de portée symbolique peuvent honorer et apporter une certaine réparation aux victimes. Ainsi, l'ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur l'impunité, Louis Joinet, a souligné à cet égard que:

 

«Sur un plan collectif, les mesures de portée symbolique sont de nature à apporter une réparation morale et peuvent prendre la forme par exemple d'une reconnaissance formelle et publique de la responsabilité de l'Etat, de déclarations émanant de représentants du gouvernement dans le but de restaurer la dignité des victimes, de dresser des cérémonies commémoratives, des endroits publics ou d'ériger des monuments en l'honneur des victimes afin de soulager le poids du souvenir»[54].

Au Tchad malheureusement, aucune de ces mesures symboliques n'a été prise. Il n'y a ni cérémonies, ni monuments et ni manuels scolaires à la mémoire des victimes.

Même si les Tchadiens connaissent les horreurs du régime Habré, le gouvernement actuel a pris peu de mesures pour éduquer les Tchadiens ou leur rappeler cette période. Les quelques copies du Rapport de la Commission d'Enquête disponibles au Tchad sont exagérément chères et presque aucun Tchadien consulté par Human Rights Watch n'a lu le rapport.

Selon Louis Bickford du Centre international pour la Justice transitionnelle

«Qu'il soit question de se souvenir de l'Holocauste en Allemagne, des abus des droits humains pendant  la dictature dans des sociétés en voie de démocratisation comme l'Argentine, de commémorer les souffrances des victimes de l'Apartheid en Afrique du Sud ou de se battre contre le souvenir des torts commis par les Etats-Unis, confronter le passé à travers la création de monuments commémoratifs est de plus en plus perçu comme un élément essentiel pour la démocratisation présente et future.»

L'île Sud-africaine de Robben, utilisée pendant l'Apartheid pour isoler les leaders démocratiques tels que Nelson Mandela, est aujourd'hui un musée offrant des visites guidées pour renforcer sa devise « jamais, plus jamais». Au Chili, des activistes des droits humains, des membres d'organisations sociales et de syndicats, des leaders étudiants, d'anciens prisonniers et d'autres ont participé à la construction du Parc des Arts, un mémorial construit autour de l'abominable centre de torture du Général Pinochet, la Villa Grimaldi. Tuol Sleng, le sinistre centre de détention du Cambodge dans lequel plus de 20,000 personnes ont été assassinées brutalement, est aujourd'hui un Musée des Crimes de Génocide qui présente des expositions et des peintures représentant les événements s'étant déroulés dans le centre.

Au Tchad, cependant, l'accès à la «Piscine» reste encore interdit. Il n'existe pas d'endroit où le peuple tchadien puisse venir apprendre ou se souvenir des années Habré, ni même honorer la mémoire de ses victimes.

Remerciements

Ce rapport est le fruit de six ans de travail de Human Rights Watch aux côtés des victimes et des ONG tchadiennes. Ce travail a été mené par Olivier Bercault, conseiller juridique, sous la supervision de Reed Brody. Maria Koulouris, Pascal Kambale, Camille Bonnant, Philip Grant, Christopher Albin-Lackey, Celine Furi, Sabrina Goldman, Alpha Fall, David Hans, Lila Azam Zanganeh, Camille Park, Pauline Busson, Léa Bernard, Genoveva Hernandez, Nicolas Seutin, Natalie Horowitz, Elizabeth Kissam, Axel Acakpo-Satchivi et Dustin Sharp et les personnes sous-mentionnées ont aussi travaillé sur le cas Habré pour Human Rights Watch.

Ce rapport a été écrit par Reed Brody avec l'assistance d'Anabelle Vanier-Clément et de Marion Lignac, stagiaires, et révisé par Olivier Bercault avec l'assistance d'Emilie Bono, stagiaire. Fanny Moinel et Diane Davidovici-Chouchane, stagiaires, ont effectué, sous la direction de Reed Brody, les dernières mises à jour.

Les fiches individuelles detaillees situées en annexe sur le passé des anciens agents de la police politique de Habré qui occupent, encore aujourd'hui, des postes de pouvoir proviennent de quatre sources différentes:

·les dossiers laissés à l'abandon de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) et découverts par HRW en mai 2001;

·les dossiers de 792 victimes préparés en 1990-1992 par l'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP);

·le Rapport de la Commission d'Enquête Nationale menée par le Ministère Tchadien de la Justice ainsi que les Procès Verbaux des victimes et des anciens agents de la DDS devant la Commission;

·250 entretiens de Human Rights Watch et de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme avec les victimes et autres témoins en 2001 et 2002.

Les documents trouvés par Reed Brody et Olivier Bercault dans les archives de la DDS ont été triés, photocopiés et rassemblés par une équipe de l'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques (AVCRP) dirigée par Sabadet Totodet. La base de données a été créée par Reed Brody, Olivier Bercault, Camille Bonnant, Maria Koulouris, Carrie Allen, Mary Kinney, Tara Plochocki, Iram Chaudhary, Joel Dossa, Tamita Ngarbaroum, Camille Park, Elizabeth Roesch et Vivianna Beltrametti Walker de Human Rights Watch, qui ont rassemblé et codé des photocopies des documents originaux selon un programme conçu par Patrick Ball, Directeur des programmes des droits humains au Benetech Initiative, aidé de Miguel Cruz, Kristen Cibelli et Jana Dubukovic de Human Rights Data Analysis Group (HRDAG) du Benetech Initiative. Le passé des anciens responsables et agents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) sous la dictature Habré a été établi par Anabelle Vanier-Clément, Marion Lignac et Tara Plochocki, stagiaires. La liste des postes actuels des anciens agents de la DDS a été préparée initialement par Reed Brody, Olivier Bercault et Maria Koulouris de Human Rights Watch et Martine Schotsmans de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme, avec l'aide précieuse de l'AVCRP, et mise à jour par l'AVCRP.

William Bourdon, avocat au barreau de Paris, a fait une expertise juridique de ce rapport. Nos remerciements à Jacqueline Moudeïna, Présidente de l'Association tchadienne pour la Promotion des Droits de l'Homme, et Souleymane Guengueng de l'AVCRP qui ont lu et commenté la version préliminaire de ce rapport. Wilder Tayler, Directeur des questions légales et politiques de Human Rights Watch a revu le document en y apportant une analyse juridique et Widney Brown, directrice adjointe des programmes a dirigé la publication du rapport.

Annexe1: Liste des anciens responsables et agents de la DDS occupant des postes de responsabilité

Février 2005

Anciens Directeurs de la DDS sous Hissène Habré

Saleh Younouss

Sous Habré:Directeur de la DDS

Actuellement: Directeur-Général adjoint de Poste et Télécommunication, Ministère des Postes et Télécommunications

M'Baikoubou Nestor

Sous Habré: Directeur intérim de la DDS

Actuellement: Préfet Monts de Lam; ex-Directeur adjoint de la Garde Nomade Nationale du Tchad

Ahmat Allatchi

Sous Habré:Directeur de la DDS

Actuellement: Commissaire Divisionnaire de Police, Chef de Surveillance du Territoire du Chari/Baguirmi, Délégué Régional de la Police Nationale à Batha

Anciens Commandants de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR)  sous Hissène Habré

Chah Allanga

Sous Habré: Commandant de la BSIR

Actuellement: Commandant d'un groupement de Gendarmerie

Oumar Souny

Sous Habré: Commandant de la BSIR

Actuellement: Officier Assimilé dans l'Armée Nationale du Tchad, en mission à l'est du pays

Abderamane Yomdi Djarsia

Sous Habré: Chef du Service Fichier et Chef du service Effectifs à la BSIR.

Actuellement: Direction du Génie Militaire et de l'Incendie, Armée Nationale Tchadienne

Anciens chefs de Service de la DDS sous Hissène Habré

M'Bang Elinan Jeremie

Sous Habré: Chef du service Formation et Recrutement de la DDS

Actuellement: Coordinateur de l'ANS à N'Djaména

Yaldé Samuel

Sous Habré: Chef du service Formation et Recrutement puis Chef du service Exploitation de la DDS

Actuellement: Chef de Sécurité de l'Agence de Sécurité pour la Navigation Aérienne (ASECNA) de  l'aéroport international de N'Djaména; ex-Agent de la Gendarmerie Nationale affecté à l'Agence Nationale de Sécurité

Mahamat Djibrine, dit «El-Djonto»

Sous Habré: Chef du service Contre-Espionnage, et Coordonnateur de la Documentation de la DDS

Actuellement: Chef de Cabinet du Directeur Général de la Police Nationale  (renvoyé en janvier 2005 de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI))

Djadda El-Hadj Mallah

Sous Habré: Responsable du service de Recherche et Chef du service Mission Terroriste de la DDS

Actuellement: Direction Protocole du Ministère des Affaires Étrangères et de l'Intégration Africaine; ex-Chef de service au salon d'honneur de l'Aéroport international de N'Djaména;ex-Sous-Directeur de la Zone Asie-Océanie au Ministère des Affaires Étrangères

Abbas Abougrene

Sous Habré: Chef de service de la Sécurité fluviale de la DDS

Actuellement: Chef de service de Contre-Espionnage de l'ANS

Adoum Mahamat Moussa

Sous Habré: Chef du service Contre Espionnage de la DDS

Actuellement: Chef de service adjoint de l'ANS pour la ville de N'Djaména

Hissènee Chahadé

Sous Habré: Chef du Service Exploitation de la DDS

Actuellement: Commandant, en service à la Direction du Personnel de la Direction Générale de la Garde Nationale; ex-Commandant adjoint de la Gendarmerie du Chari-Baguirmi

Abdelkader Hassan, dit «Rangers»

Sous Habré: Chef du Service Exploitation étrangers de la DDS

Actuellement: Officier de liaison, au Ministère de la Sécurité Publique et Immigration; ex-Service de Législation, Ministère de la Sécurité publique et immigration; ex-Chef de Sécurité du Premier Ministre; ex-Attaché de Sécurité du Ministre de la Sécurité Publique

Khalil Djibrine

Sous Habré: Chef du Service Liaison Militaire et Extérieur de la DDS

Actuellement: Préfet du Lac; ex Sous-Directeur des Finances à la  Manufacture d'Équipements Militaires (MANEM)

Moussa Outman

Sous Habré: Chef du service Secrétariat de la DDS et Chef du service de la Sécurité intérieure de la DDS

Actuellement: Chef de Personnel à la Direction de Renseignements Généraux; ex-Préfet de Tandjile Ouest

Warou Ali Fodou

Sous Habré: Chef de la Sécurité Fluviale de la DDS

Actuellement: Direction de la Sécurité Publique

Ali Noukouri

Sous Habré: Chef de service de la Sécurité Intérieure de la DDS,

Actuellement: Commandant Principale de Police (sans poste); ex-Commissaire Central pour la ville de Bongor

Chérif Haliki Haggar

Sous Habré: Chef du service de Sécurité de l'aéroport de N'Djaména

Actuellement: Commandant Principal de Police (sans poste); ex-Sous-Préfet de Nokou

Darkou Ahmat Kalbassou

Sous Habré: Chef Adjoint du service de la Sécurité Intérieure de la DDS

Actuellement: Au service de l'ANS

Gamar Daouro

Sous Habré: Chef Adjoint du service de Contre-Espionnage de la DDS

Actuellement: Chef de service d'Exploitation des étrangers de la Police Nationale

Zakaria Monone

Sous Habré: Chef du Service «Sources ouvertes» de la DDS

Actuellement: Chef d'une antenne de l'ANS àMani

Mahamat Djoung Djoung

Sous Habré: Chef de la DDS à Mongo

Actuellement: Chef antenne et Coordinateur de l'Agence Nationale de Sécurité à Moundou et à Doba

Abdallah Wagadé

Sous Habré: Chef adjoint du Service d'Exploitationde la DDS;

Actuellement: Directeur de Contrôle de l'Armée; ex-Etat Major de l'Armée Nationale Tchadienne; ex-Chef de division au Contrôle Général des Armées

Nodjinan Jérôme

Sous Habré: Chef adjoint du service «Recherches» et Officier de Sécurité de la DDS.

Actuellement: Commandant Adjoint Corps Urbain à Moundou; ex-Adjoint Délégué Régional de la Police à Bol

Ahmat Dari

Sous Habré: Commissaire responsable de la DDS dans la région de Moundou.

Actuellement: Directeur adjoint à la Direction de Protection de la Sécurité et de Défense au Ministère de la Défense

Mahamat Seid (Ali Yeg)

Sous Habré: Chef du service Liaison et Surveillancede la DDS pour le secteur autonome couvrant Walia,  N'Gueli, et N'Goumna

Actuellement: Police Nationale, Service des Renseignement Généraux

Agents de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR) de la DDS sous Hissène Habré

Mahamat M'Bodou

Sous Habré: Chef du Bureau de Renseignements de la BSIR,

Actuellement: En service au Contrôle Général des Armes

Sabre Ribe

Sous Habré: Chef du Secrétariat de la BSIR;

Actuellement: Directeur adjoint du Bureau de l'emploi de la Gendarmerie Nationale

Issa Idriss

Sous Habré: Agent de la BSIR

Actuellement: Commissaire Divisionnaire, Délégué Régional de la Police du Lac à Bol

Tolba

Sous Habré: Chef de poste aux  «Locaux», un des centres de détention de la BSIR.

Actuellement: Régisseur de la Maison d'Arrêt à N'Djaména; ex-Chef de Sécurité du Palais de Justice

Abdelaziz Philippe

Sous Habré: Sous officier assimilé de la BSIR

Actuellement: Régisseur de la Maison d'Arrêt de Moundou

Anciens Responsables de la Sûreté Nationale Sous Hissène Habré

Nodjigoto Haunan

Sous Habré: Directeur de la Sûreté Nationale

Actuellement: Colonel et Coordinateur National adjoint de la Zone Pétrolière; ex-Conseiller à la Sécurité du Premier Ministre

Brahim Djidda

Sous Habré: Directeur de la Sûreté Nationale;

Actuellement: Contrôleur Général de Police; ex-Secrétaire Général adjoint du Ministère de la Sécurité Publique et de l'Immigration

Mahamat Wakaye

Sous Habré: Directeur adjoint de la Sûreté Nationale

Actuellement: Directeur de la Police Judiciaire; ex-Contrôleur Général de Police; ex- Commissaire Central pour la ville de N'Djaména

Touka Haliki

Sous Habré: Directeur de la Police judiciaire et Responsable du service des Renseignements généraux

Actuellement: Inspecteur Général de la Police Nationale; ex-Commissaire Central pour la ville de Moundou

Autres

Mahdjoub Djouma

Sous Habré: Agent du service de la Sécurité fluviale de la DDS,

Actuellement: Chef de service à l'ANS chargé de la ville de N'Djamena

Ngartorangal Ngaïdet

Sous Habré: Directeur adjoint du Service des Renseignements Généraux de la Police Nationale

Actuellement: Conseiller du Ministre de la Sécurité Publique; ex-Directeur Général de la Sûreté Nationale

Ahmat Abakar Chemi

Sous Habré: Chef Adjoint du service Sécurité à Moundou

Actuellement: Ministère de l'Administration du Territoire; ex-Chef de service chargé de la Sécurité Intérieure à la Présidence de la République.

Djaffi Assali

Sous Habré: Chef Adjoint des services Liaison et Surveillance de la ville de N'Djaména

Actuellement: Directeur du Service Spécialisé de la Gendarmerie Nationale

Fatimé Suzanne

Sous Habré: directrice adjointe de l'animation «groupe choc» de l'Unir

Actuellement: Sous-Préfet de Koundoul; ex-Chef du 5ème arrondissement de N'Djaména

Annexe2: Fiches individuelles detaillees des anciens responsables et agents de la DDS occupant des postes de responsabilité

Saleh Younouss, Directeur-général adjoint des Postes et Télécommunications, Ministre de la Communication

Pendant le régime de Hissène Habré, Saleh Younouss a été le premier Directeur de la DDS, d'avril 1983 au 30 mai 1987, lorsqu'il a été remplacé par Ghihini Koreï. Il avait auparavant été actif au sein des CCFAN[55] et Délégué de la Préfecture du Batha. Après son poste de Directeur de la DDS, il a été nommé Consul général du Tchad en Arabie Saoudite.

Dans le Rapport de la Commission d'Enquête, un ex-agent affirme que Saleh Younouss venait vers minuit et faisait l'appel des détenus (en général six à huit détenus par nuit) qui étaient ensuite emmenés en voiture et exécutés. De plus, selon la Commission d'Enquête, Saleh Younouss aurait ordonné l'arrestation d' Aboïna Nguelsou et Djilimou Amelle le 10 octobre 1985 ainsi que de douze autres personnes originaires du Sud du Tchad. Ils auraient tous été frappés et torturés.

La Commission montre également que Younouss a reçu une copie d'une lettre envoyée à Habré par le médecin du Comité International de la Croix Rouge (CICR) demandant le transfert de 21 prisonniers à l'hôpital. Ce transfert ayant été refusé, cinq des détenus sont décédés. Saleh Younouss a aussi reçu des lettres du CICR lui étant adressées et demandant des informations concernant des personnes capturées que le CICR ne pouvait retrouver dans les prisons auxquelles il avait accès.

Dans son procès-verbal devant la Commission d'Enquête, Saleh Younouss a déclaré qu'au départ, la mission de la DDS était de s'occuper de la sécurité intérieure et extérieure du Tchad et de contrecarrer les actions des Libyens contre le Tchad. Il a expliqué que son rôle  était d'abord de coordonner les activités de la Direction et notamment d'ordonner les arrestations, de centraliser les renseignements recueillis et de les transmettre à Hissène Habré. Younouss a ajouté que «petit à petit, le Président [Hissène Habré] a donné une nouvelle orientation à la Direction et en a fait un instrument de terreur».

En ce qui concerne les exécutions des détenus dans les prisons, Saleh Younouss a reconnu devant la Commission d'Enquête que beaucoup de prisonniers étaient morts «d'épuisement ou de maladie» et que d'autres avaient été «enlevés la nuit des geôles ou même de chez eux directement et [disparaissaient]».

Une ancienne victime a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH qu'un an après son arrestation, à l'âge de treize ans, elle a été emprisonnée dans les locaux de la DDS. Elle y aurait été interrogée par Saleh Younouss en la présence de Abdelkader Hassan dit «Rangers». Saleh Younouss aurait ensuite donné l'ordre de la torturer. Elle aurait  été torturéeà l'électricité attachée sur une chaise, complètement nue, un sac en fibres sur la tête.

Un ancien gardien de prison à la BSIR a, quant à lui, déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été arrêté pour avoir donné du pain à deux détenus, dont l'un serait décédé à la suite des tortures et l'autre juste après sa remise en liberté. Saleh Younouss aurait surpris ces deux prisonniers avec le pain et ces derniers auraient indiqué le nom de l'ancien gardien. Saleh Younouss aurait alors dit à l'ancien gardien: «Nous on emmène les gens ici pour mourir et toi, tu les nourris. Pourquoi ?»

M'Baikoubou Laoutaye Nestor, ex-Directeur adjoint de la Garde Nationale du Tchad (GNNT), actuel Préfet de Monts de Lam

Sous Hissène Habré, M'Baikoubou Laoutaye a été Chef du Service de Contrôle de la Direction de la DDS (nommé par Habré le 27 juin 1987), puis Directeur par intérim de la DDS, et Directeur adjoint de la DDS jusqu'au 30 août 1990 lorsqu'il a été remplacé par Toké Dady.

Yaldé Samuel, un ancien chef de service eu sein de la DDS, a déclaré devant la Commission d'Enquête que M'Baikoubou était l'informateur privilégié à la DDS des attachés militaires américains.

Ahmat Allatchi, Commissaire Divisionnaire de Police, Chef de Surveillance du Territoire du Chari/Baguirmi 

Sous Hissène Habré, Ahmat Allatchi a été Directeur de la DDS de juillet 1990 au 29 août 1990, lorsque Adoum Galmaye l'a remplacé. Auparavant, Allatchi, qui a été formé à l'École des commissaires de Lyon en France, avait été Commissaire de police stagiaire dans le cadre de la Sûreté Nationale (nommé par Hissène Habré le 25 octobre 1983). Il a ensuite occupé les postes d'Adjoint àla DDS et de Directeur adjoint de la DDS.

Une ancienne victime a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH qu'en 1987 elle a été arrêtée et interrogée par entre autres Ahmat Allatchi. Elle a ensuite été «gravement torturée: électrochocs, torturée à l'eau, matraquée, attachée à l'«Arbatachar» à plusieurs reprises.

Une autre victime arrêtée en 1989 en République Centrafricaine  a confié à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été interrogée à la DDS devant Mahamat Bidon et Ahmat Allatchi. Ces derniers l'auraient menacée de tortures.

Un ancien agent de la BSIR a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH que Ahmat Allatchi, lorsqu'il était Chef de service de la DDS, a fait «disparaître» un commerçant dont il avait volé le véhicule. L'agent a ajouté que dans ce genre de règlement de compte, les fiches n'étaient pas toutes transmises à Hissène Habré.

Une personne interrogée par Human Rights Watch et la FIDH explique qu'elle et sa famille ont été forcées d'être présentes lors de l'exécution de son père, un ancien partisan du GUNT. Pour cette opération,  Ahmat Allatchi serait venu accompagné de 8 ou 9 personnes.

Abdoulaye Hassan a déclaré à la Commission d'Enquête qu'Allatchi était présent lors du transfert de Hassane Djamous, alors blessé et sans soins, à la prison de la présidence, où il sera plus tard exécuté. Al Hadj Tobou Djimé a quant à lui déclaré à la Commission d'Enquête que Ahmat Allatchi était présent lorsque Hissène Habré a donné l'ordre d'arrêter la sœur de Djimé, Chedeï.

Rohoua Bourdje Bekonyo, un détenu victime de torture sous Habré, a confié à la Commission d'Enquête avoir été interrogé le lendemain de son arrestation le 8 août 1990 par Allatchi. Allatchi voulait lui faire avouer le nom de l'auteur d'un tract qui critiquait les pratiques du gouvernement de Hissène Habré.

Selon la Commission d'Enquête, alors qu'il était Directeur adjoint de la DDS, Ahmat Allatchi faisait prêter serment à des agents de la DDS de grader le secret sur leurs agissements afin qu'aucune fuite d'information sur les activités de la DDS ne puisse avoir lieu.

Chah Allanga, Commandant d'un groupement de gendarmerie

Sous Hissène Habré, Chah Allanga a été Commandant de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR) (nommé par Hissène Habré le 27 juin 1987 et renommé le 20 septembre 1989), poste qu'il quitte le 11 septembre 1990 pour être remplacé par Oumar Souni.

Oumar Souny, Officier Assimilé dans l'Armée Nationale du Tchad, en mission á l'est du pays

Sous Hissène Habré, Oumar Souny a été Commandant adjoint de la BSIR (nommé par Habré le 20 septembre 1989), puis Commandant titulaire de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR) (nommé par Habré le 9 novembre 1990). Auparavant, il avait été Commandant de la Sécurité rapprochée. Il a aussi été arrêté puis détenu en 1986 pendant six mois pour avoir, selon lui, oublié d'exécuter les instructions de Hissène Habré.

Un ancien agent de la BSIR a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH que Oumar Souny était la personne responsable des arrestations à la BSIR.

Abderamane Yomdi Djarsia, Direction du Génie Militaire et de l'Incendie, Armée Nationale Tchadienne

Sous Hissène Habré, Abderamane Yomdi Djarsia a eu les grades de Sous-Officier assimilé puis d'Officier assimilé à la BSIR, ainsi que de Chef du Service Fichier et Chef du service Effectifs à la BSIR.

M'bang Elinan Jérémie, Coordinateur de l'ANS à N'Djaména.

Sous Hissène Habré, Mbang Elinan Jérémie a été Chef du service Formation et Recrutement de la DDS, Secrétaire de permanence de la DDS (nommé le 26 juillet 1985), et Agent au service de Recherches.

Abbas Abougrene, un ancien chef de service au sein de la DDS, a déclaré devant la Commission d'Enquête que Mbang Elinan Jérémie faisait partie de la Commission chargée de l'arrestation et de l'exécution des Zaghawa en 1989 et l'a accusé d'avoir participé aux tortures pendant les interrogatoires de la DDS. Abougrene a précisé que c'était le service d'Exploitation, dirigé par Mahamat Djibrine et Mahamat Bidon, qui s'occupait des interrogatoires à la DDS et qu'une commission au sein de ce service était chargée des tortures. Mbang Elinan Jérémie aurait fait partie de cette commission.

Selon la Commission d'Enquête, Mbang Elinan Jérémie, lorsqu'il était Chef du service Formation et Recrutement, était membre d'une commission devant laquelle les agents de la DDS devaient prêter serment de ne rien révéler sur leurs agissements afin qu'aucune fuite d'information sur les activités de la DDS ne puisse avoir lieu.

Un document retrouvé dans les archives de la DDS montre que Mbang Elinan Jérémie a suivi avec succès une formation en photographie et en explosifs dispensée par deux fonctionnaires français, du 12 juin au 22 juillet 1988 à N'Djaména.

Yalde Samuel, Chef de Sécurité de l'Agence de Sécurité pour la Navigation Aérienne (ASECNA) de  l'aéroport international de N'Djaména, ex-Agent de la Gendarmerie Nationale affecté à l'Agence Nationale de Sécurité (ANS).

Sous Hissène Habré, Yalde Samuel a été Chef du service Formation et Recrutement (nommé par Habré le 15 décembre 1988 puis à nouveau le 20 septembre 1989), puis Chef du service Exploitation (nommé le 4 novembre 1989) chargé de transmettre à Habré les informations en provenance de l'intérieur et de l'extérieur sous forme de fiches. Auparavant, il avait été détaché au HCFANT, le service de Renseignements militaires pour les deux Logones et la Tandjilé dont la mission était de renseigner les chefs militaires sur les activités des rebelles CODOS, puis Adjoint au Chef du service de Recherches de la DDS (nommé le 27 juin 1987) chargé de collecter les informations à N'Djaména par le biais de ses antennes auprès des arrondissements municipaux.

D'après la Commission d'Enquête, Yaldé Samuel aurait aussi été, avec Mahamat Djibrine, Mahamat Saker, Warou Ali Fodou et le lieutenant Bandjim, le Directeur de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR) chargée des arrestations.

Dans sa plainte déposée à N'Djaména contre Yalde Samuel, Aldoumngar Mbaidje Bouka a déclaré avoir été arrêté le 8 août 1989 pour avoir distribué des tracts dénonçant le régime de Habré. Ses deux enfants, âgés de trois et treize ans, auraient été tués lors de son arrestation. Aldoumngar a déclaré avoir été torturé pendant trois jours sous la direction notamment de Yalde Samuel. Les méthodes de torture utilisées ont été: le supplice de la baguette qui consiste à serrer fortement la tête entre deux baguettes entraînant des douleurs insupportables et des hémorragies nasales, le supplice de «l'Arbatachar», la bastonnade, l'ingurgitation forcée d'eau jusqu'à suffocation et la torture à l'électricité sur les parties génitales. Aldoumngar a déclaré avoir ensuite été enfermé à la «Piscine» de la DDS pendant six mois, sous-alimenté et sans soins pour ses blessures.

Dans sa plainte déposée à N'Djaména contre Yalde Samuel, Souleymane Guengueng a déclaré avoir été interrogé le 3 août 1988 par Yalde Samuel et Doudet Yalade. Selon Souleymane Guengueng, «ils s'attendaient à ma mort». Souleymane Guengueng a aussi déclaré avoir été placé en détention à la DDS par Yalde Samuel et Moussa Adoum Seid.

Kenoue Tchoungre a, quant à, lui déclaré à la Commission d'Enquête avoir été dépourvu de son argent et de ses biens, puis attaché et battu au camp des Martyrs sur les ordres de Yalde Samuel, après son arrestation par Yalde le 26 novembre 1987.

Une personne a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été déshabillée, placée dans un bain d'eau puis électrocutée et frappée à la tête par des agents de la DDS, le jour de son arrestation en 1986 à N'Djaména, en présence notamment de Yalde Samuel. Une autre personne, arrêtée en novembre 1987, a dit à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été torturée avec des électrochocs au sexe dans un local de la Présidence en présence d'agents de la DDS, dont Yalde Samuel.

Un ancien agent de la DDS a confié à Human Rights Watch et à la FIDH que le recours à la torture était courant à la DDS et que Yaldé Samuel était l'un des agents qui torturaient.

Mahamat Djibrine, dit «El-Djonto», Chef de Cabinet du Directeur général de la Sûreté Nationale (renvoyé en janvier 2005 de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI)).

Sous Hissène Habré, Mahamat Djibrine a été Agent de la DDS, Chef du service Contre-Espionnage, et Coordonnateur de la Documentation de la DDS chargé entre autres de centraliser toutes les fiches et rapports avant de les transmettre au Directeur et à Hissène Habré. Mahamat Djibrine a aussi été Commissaire à la Commission d'Investigation de la DDS, Chef du service Mission Terroriste chargé de persécuter et de liquider physiquement les opposants tchadiens se trouvant à l'étranger et, auparavant, Détaché de la BSIR à Mani et Sentinelle à la prison des «Locaux» à N'Djaména.

Selon le Rapport de la Commission d'Enquête et selon la déclaration d'Abbas Abougrene, un ancien chef de service au sein de la DDS, devant cette Commission d'Enquête, Mahamat Djibrine a également fait partie de la commission chargée de l'arrestation  des membres de l'ethnie Hadjaraï en 1987 et de celle chargée des membres de l'ethnie Zaghawa en 1989.

Mahamat Djibrine a d'ailleurs déclaré devant la Commission d'Enquête que Hissène Habré n'aimait pas les Arabes et les Zaghawa et que « chaque fois qu'il y a des problèmes les concernant, [il] ordonne leur arrestation » souvent au Directeur de la DDS et parfois aux autres agents directement. Djibrine a ajouté que « c'est le Chef de l'Etat en personne qui donne l'ordre des liquidations » et que « quand le Président ordonne d'arrêter quelqu'un il nous dit de ramasser tout chez lui. Je fais l'inventaire et je lui transmets. (…) C'est le Président qui ordonne l'occupation des maisons. Pour les voitures pillées la répartition se fait au niveau de la Présidence».

Selon le Rapport de la Commission d'Enquête, Mahamat Djibrine faisait partie de la commission à la DDS chargée de l'interrogatoire des détenus et recourrant à la torture pour faire avouer. Yalde Samuel a confirmé devant la Commission d'Enquête l'existence de cette commissionqui était « dans la routine » composée entre autres de Djibrine. D'ailleurs, dans la plainte qu'il a déposée, Ismael Hachim, arrêté en mai 1989, a déclaré avoir été interrogé et menacé au moyen d'un revolver par Djibrine qui voulait lui faire avouer son implication dans la tentative de coup d'Etat du 1er avril.

Mahamat Djibrine a confirmé devant la Commission d'Enquête l'utilisation de la torture durant les interrogatoires: «Je sais qu'il a des attachés et qu'on chicotte. J'ai vu Mahamat Bidon utiliser le fil de rallonge branché au bout nu avec lequel il touchait les prisonniers. (...) Pour les tortures tout dépend des agents. C'est souvent une commission qui est chargée des interrogatoires».

Plusieurs personnes ont mis en cause Mahamat Djibrine devant la Commission d'Enquête. Abdallah Hassaballah, arrêté en avril 1989 parce que suspecté d'être en contact avec les Zaghawa, a déclaré que, lors de son interrogatoire par Mahamat Djibrine, ce dernier aurait ordonné «à ce [qu'il fut] retiré quelque part parles agents pour que la vérité se manifestât». Trois agents l'auraient alors ligoté et fouetté à l'aide d'un fil de fer puis lui auraient infligé une décharge électrique sur presque toutes les parties du corps.

Abdelramane Nahadjé Yacoub, arrêté en avril 1989 et d'ethnie Zaghawa, a quant à lui déclaré devant la Commission d'Enquête qu'après avoir été interrogé une première fois par Mahamat Djibrine, ce dernier aurait fait comprendre à ses agents de le ligoter et de le battre pour le faire parler. Il aurait ainsi été ligoté à «l'Arbatachar » et soumis à des décharges électriques sur les côtes et la poitrine. Au cours d'un troisième interrogatoire, Djibrine l'aurait fait ligoter et fouetter.

Brahim Kosse Abakar a mis en cause Djibrine devant la Commission d'Enquête concernant le pillage de ses biens - argent, pistolet, carabine et deux voitures - lors de son arrestation en mai 1988.

Plusieurs témoignages ont été réunis par Human Rights Watch et la FIDH sur la responsabilité de Mahamat Djibrine dans les tortures sous le régime Habré. Une ancienne victime a ainsi déclaré avoir été interrogée par Djibrine et torturée au fouet et à l'électricité sous ses ordres. Djibrine aurait sorti son arme, l'aurait chargée et placée dans la bouche de la victime en la menaçant de la tuer. La victime aurait été déshabillée, attachée à « l'Arbatachar », torturée à l'électricité par Abakar Torbo sur les ordres de Djibrine, et forcée d'avaler des quantités énormes d'eau jusqu'au gonflement de son ventre.

Une personne a témoigné à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été enfermée à la « Piscine » après son arrestation en 1989, puis interrogée entre autres par Mahamat Djibrine. Elle aurait «été chicotée pendant longtemps, jusqu'à ce que sa robe [colle] dans le sang».

Un autre ancien détenu a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été interrogé et fortement giflé par Djibrine, au point d'en perdre connaissance pendant plus de dix minutes. Sur l'ordre de Djibrine, le détenu aurait été torturé à l'éléctricité et à la technique du piment, laquelle consiste à mettre la tête du supplicié dans un trou à même le sol et de souffler de l'air dans du feu qui se trouve dans un autre trou communiquant avec le premier.

Un individu arrêté en 1989 a dit à Human Rights Watch et à la FIDH que lors de son interrogatoire notamment par Mahamat Djibrine à la BSIR, il a été torturé à «l'Arbatachar » et à l'électricité.

Une autre personne arrêtée en 1989 a témoigné à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été interrogée à trois reprises par Mahamat Djibrine et torturée à «l'Arbatachar » et à l'eau. Après trois mois de détention au Camps desMartyrs, elle a demandé un entretien avec Mahamat Djibrine pour lui demander de remettre à ses collègues les bons de caisse qu'on lui avait saisi lors de son arrestation. A cette occasion Mahamat Djibrine lui aurait demandé « Comment est-ce que vous arrivez à tenir comme ça?»

Un ancien prisonnier a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été déshabillé, placé dans un bain d'eau puis électrocuté et frappé à la tête par des agents de la DDS, le jour de son arrestation en 1986 à N'Djaména, en présence notamment de Mahamat Djibrine.

Un ex-détenu a dit à Human Rights Watch et à la FIDH qu'après son arrestation par Mahamat Djibrine en 1990, il aurait été torturé à «l'Arbatachar», à l'eau, puis pendu et ligoté avec une corde au plafond.

 

Une ex-victime a confié à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été arrêtée chez elle en 1983 notamment par Mahamat Djibrine puis frappée à la jambe avec des crosses notamment par Mahamat Djibrine devant Habré lors d'un interrogatoire.

Une autre personne a confié à Human Rights Watch et à la FIDH qu'après avoir été interrogée par Mahamat Djibrine à la DDS, ce dernier aurait fait comprendre à ses agents qu'il était souhaitable de l'emmener dans la «salle des tortures» où elle aurait alors reçu des décharges électriques sur le cou, sur le dos et sur les parties intimes, puis aurait subi juste après un second interrogatoire mené par Mahamat Djibrine.

La femme d'un ex-détenu a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH que quelques jours après l'arrestation de son mari en 1986, des agents, dont Mahamat Djibrine, sont venus perquisitionner leur maison et ont pris armes et argent. L'ex-détenu aurait subi des tortures durant son emprisonnement.

Un témoin a confié à Human Rights Watch et à la FIDH que Mahamat Djibrine aurait pillé sa maison avec un autre agent de la DDS après l'arrestation de ce témoin.

Djadda El Hadj Mallah, Direction Protocole du Ministère des Affaires Étrangères et de l'Integration Africaine;  ex-Chef de service du Salon d'honneur de l'Aéroport international de N'Djaména, ex-Sous-Directeur de la zone Asie-Océanie au Ministère des Affaires Étrangères.

           

Sous Hissène Habré, Djadda El Hadj Mallah a été Officier de Sécurité de la DDS, Secrétaire de permanence de la DDS, puis Responsable du service de Recherche de la DDS (nommé par Habré le 12 octobre 1985) et Chef du service Mission Terroriste de la DDS (nommé le 15 décembre 1988). Djadda El Hadj Mallah a ensuite été le Chef Adjoint du Service Administratif et Financier de la DDS (nommé le 20 septembre 1989) et le Chef du service de Surveillance de la ville (nommé par Habré le 5 mai 1990).

D'après la Commission d'Enquête, El Hadj Djadda a été Président de la commission chargée par Hissène Habré de l'arrestation  des Hadjaraï en 1987.

Le service Mission Terroriste, dont il fut le chef, a été chargé de persécuter et d'exécuter  physiquement les opposants tchadiens se trouvant à l'étranger. Ce service, selon la Commission d'Enquête, compte à son actif des dizaines d'assassinats et d'enlèvements, surtout dans les pays limitrophes au Tchad.

Abbas Abougrene a mis en cause Djadda El Hadj Mallah devant la Commission d'Enquête pour sa participation aux tortures pendant les interrogatoires à la DDS. Abougrene a indiqué que le service d'Exploitation, dirigé par Mahamat Djibrine et Mahamat Bidon, s'occupait des interrogatoires à la DDS et qu'une commission du service, dont Al Hadj Djada faisait partie, était chargée des tortures.

Brahim Kosse Abakar a déclaré devant la Commission d'Enquête avoir été interrogé par Djadda El Hadj Mallah à la DDS. Durant ses interrogatoires, il aurait été torturé à l'électricité dans la position de «l'Arbatachar» et à l'eau. Mahamat Moussa Djame a quant à lui déclaré devant la Commission d'Enquête avoir subi «un interrogatoire musclé» par Al Hadj Djaddaaprès son arrestation.

Une personne a indiqué à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été interrogée et torturée à «l'Arbatachar», par ingurgitation d'eau et par électrocution pendant six heures par Issa Arawai assisté entre autres de Djadda El Hadj Mallah.

Un autre individu a confié à Human Rights Watch et à la FIDH que Djadda El Hadj Mallah a ordonné à un subalterne de lui asséner cent coups de fouet avec un fil électrique. Djadda El Hadj Mallah l'aurait lui-même torturé à l'électricité sur la main en lui demandant«Est-ce que ça fait mal?», puis sur la poitrine jusqu'à ce qu'il perde connaissance.

Abbas Abougrene, Chef de service de Contre Espionnage de l'Agence Nationale de Sécurité (ANS).

Sous Hissène Habré, Abbas Abougrene a été Chef de service de la Sécurité fluviale (nommé le 15 décembre 1988 puis renommé le 20 octobre 1989). Il avait auparavant été Agent du Service de Recherche de la DDS et Chef de service adjoint de la Sécurité fluviale de la DDS (nommé le 12 octobre 1985). Il a aussi travaillé à la Commission de la Sécurité Intérieure et Extérieure.

Abbas Abougrene a déclaré devant la Commission d'Enquête que le 1er avril 1989, lui et les autres chefs de service ont reçu l'ordre de l'ex-Directeur de la DDS Guihini Koreï de procéder à l'arrestation des ressortissants Zaghawa sans distinction. Selon Abbass Abougrene, Guihini Koreï aurait précisé que ces instructions étaient celles du Président Hissène Habré.

Dans un entretien accordé à Human Rights Watch et à la FIDH, un ancien détenu explique qu'Abbas Abougrene l'a arrêté et ensuite interrogé avec un autre agent de la DDS sur ses liens avec la rébellion. Il aurait été torturé en étant attaché à «l'Arbatachar» et aurait reçu des coups de bâtons dont il porte encore les cicatrices.

Adoum Mahamat Moussa, Chef de service adjoint de l'Agence Nationale de Sécurité (ANS) pour la ville de N'Djaména, ex-employé du Centre de Recherches et de Coordination des Renseignements (CRCR).

Sous Hissène Habré, Adoum Mahamat Moussa a été Chef du service Contre Espionnage (nommé le 20 septembre 1989). Il a aussi occupé le poste de Chef du service de Sécurité de la DDS à Moundou (nommé le 21 novembre 1985), puis de Chef du service de Sécurité de la DDS du Guerra (nommé le 23 août 1986). Auparavant, il avait été détaché à la DDS en tant que Chef du service Sécurité de Mao.

Selon le Rapport de la Commission d'Enquête, Adoum Mahamat Moussa faisait partie du groupe ayant arrêté Garsouk Gody le 11 juin 1987 à cause de son appartenance à l'ethnie Hadjaraï. Adoum Mahamat Moussa aurait volé pour son usage personnel la mobylette de Garsouk Gody, lequel serait mort peu après son arrestation.

Un ex-Sergent Chef de l'armée du GUNT a confié à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été interrogé à deux reprises sur les raisons pour lesquelles il était en rébellion, une fois à la DDS par Mahamat Bidon et une fois par les agents du deuxième bureau de l'État Major, dont Mahamat Moussa. L'ex-Sergent aurait reçu des coups de matraque durant ses interrogatoires.

Un ancien détenu a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été arrêté et interrogé en 1990 par entre autres Mahamat Moussa. Il a dit avoir subi de nombreuses séances de tortures au cours desquelles il a, entre autres, été attaché à «l'Arbatachar» et brûlé aux organes génitaux avec des cigarettes. Il aurait aussi subi des décharges électriques sur la cuisse et des bastonnades, et aurait été torturé à l'eau.

Hissène Chahadé, Commandant, en service à la Direction du Personnel de la Direction Générale de la Garde Nationale; ex-Commandant adjoint de la gendarmerie du Chari-Bagiurmi.

Sous Hissène Habré, après avoir été «chargé des auditions» (nommé le 9 mai 1983) au Service Exploitation des Renseignements et Interrogatoires de la DDS sous la responsabilité de Mahamat Saker dit «Bidon», Hissènee Chahadé a été Chef du Service Exploitation de la DDS (nommé le 29 mars 1985). Hissènee Chahadé a ensuite été Chef du Service Administratif et Financier de la DDS chargé de gérer le personnel et le matériel de la Direction.

Lorsqu'il était Chef de Service Exploitation de la DDS, Hissènee Chahadé était chargé d'exploiter toutes les informations en provenance de l'intérieur comme de l'extérieur, lesquelles étaient ensuite transmises sous forme de fiches à Hissène Habré.

Aboulaye Djadar, ancien Chef de la Brigade Territoriale d'Ati, a déclaré à la Commission d'Enquête avoir été arrêté le 1er janvier 1984 parce qu'il avait refusé d'établir un procès verbal de condamnation à mort de deux combattants. Djadar a dit avoir été torturé par Hissènee Chahadé dans les locaux de la DDS. Parmi les tortures qu'il a subies, Djadar a mentionné avoir reçu de multiples coups sur la tête et s'être fait pulvériser du gaz dans les yeux. Il aurait aussi été ligoté et suspendu la tête vers le bas à l'aide d'une poulie puis battu jusqu'à perdre connaissance. Ses tortionnaires lui auraient mis des électrodes aux parties les plus sensibles du corps, notamment sur les organes sexuels.

Une ancienne victime arrêtée en 1984 a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH qu'elle avait été emprisonnée et frappée pendant sa détention par plusieurs agents de la DDS dont Hissène Chahadé.

Un ancien agent de la DDS a soutenu lors d'un entretien avec Human Rights Watch et la FIDH que le recours à la torture était courant à la DDS. Cet agent a affirmé que Hissène Chahadé était l'un de ceux qui torturaient.

Une troisième victime a confié à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été arrêtée en 1987 par Hissène Chahadé qui l'a emmenée à la DDS devant Guihini Korei. Elle aurait été torturée à «l'Arbatachar» et à l'eau.

Abdelkader Hassan dit «Rangers», Officier de liaison, au Ministère de la Sécurité Publique et Immigration; ex-Service de Législation au Ministère de la Sécurité publique, ex-Chef de Sécurité du Premier Ministre, ex-Attaché de Sécurité du Ministre de la Sécurité publique.

Sous Hissène Habré, Abdelkader Hassan a été Chef du Service Exploitation étrangers (nommé par Habré le 20 septembre 1989). Il avait auparavant été Adjoint du Chef de Service Formation/Recrutement sous la direction de Yaldé Samuel (nommé le 15 décembre 1988).

Selon un document de la DDS, Abdelkader Hassan a suivi un stage de formation du personnel de la DDS en photographie et en explosifs, dispensé par deux fonctionnaires français de la DGSE, du 12 juin au 22 juillet 1988 à N'Djaména.

Une ancienne victime a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH qu'après avoir été arrêtée à l'âge de 14 ans, elle a été interrogée puis torturée dans les locaux de la BSIR. Lors d'une séance durant laquelle elle a subi la «torture au piment», qui consiste à mettre la tête du supplicié dans un trou à même le sol et de souffler de l'air dans du feu qui se trouve dans un autre trou communiquant avec le premier, Abdelkader Hassan aurait insisté pour que «cela soit bien fait».

Une autre victime a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH qu'un an après son arrestation à l'âge de treize ans, elle a été emprisonnée ans dans les locaux de la DDS. Elle y aurait été interrogée par Saleh Younouss en la présence d'Abdelkader Hassan. Elle aurait été torturée à l'électricité sur une chaise en fer.

Selon un témoignage fait à Human Rights Watch et à la FIDH, Abdelkader Hassan aurait lui-même été emprisonné dans les locaux de la DDS en 1990.

Khalil Djibrine, ex-Sous-Directeur des Finances à la Manufacture d'Équipements Militaires (MANEM), actuel Préfet du Lac.

Sous Hissène Habré, Khalil Djibrine a été Chef du Service Liaison Militaire et Extérieur (nommé le 29 mars 1985) qui était en étroite collaboration avec les Renseignements militaires, puis Chef du service Sécurité à Abeche (nommé le 21 novembre 1985). Khalil Djibrine a ensuite occupé le poste de Chef adjoint du Service Exploitation de la DDS (nommé le 27 juin 1987 et renommé le 20 septembre 1989), devant informer Habré sous forme de fiches, mais il a été suspendu de ce poste pour «comportement irresponsable et manque de collaboration dans l'exercice de ses fonctions» le 6 novembre 1989. Enfin, il a été Officier de sécurité de la DDS et il apparaît sur des listes comme Secrétaire à la Sécurité Présidentielle.

D'après la déclaration de Mahamat Djibrine à la Commission d'Enquête, Khalil Djibrine était le contact du groupe Mosaïque en République Centre Africaine sous la couverture de «conseiller culturel à l'ambassade tchadienne ». Le groupe mosaïque regroupait les services de renseignement et de sécurité de sept pays - Côte d'Ivoire, Tchad, Togo, RCA, Zaïre, Cameroun et Israël - et visait « l'échange de renseignements et l'organisation des actions combinées pour lutter contre le terrorisme international en Afrique et au Moyen-Orient». Selon la Commission d'Enquête, ce groupe a détenu et extradé illégalement vers le Tchad de nombreux opposants tchadiens qui ont ensuite été exécutés par le régime Habré.

Un ex-agent de Liaison de l'armée a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH que Khalil Djibrine faisait partie du groupe chargé par Habré d'éliminer les cadres du Sud durant «Septembre Noir», en 1984. Il ajoute que Khalil Djibrine était le Responsable de la DDS à Sahr dans le Moyen-Chari où plusieurs cadres Sudistes ont été exécutés. Cet ex-agent soutient qu'en une semaine, plus de 35 cadres ont été arrêtés et exécutés sur place ou à la «villa chinoise».

Un autre témoin a confirmé à Human Rights Watch et à la FIDH que Khalil Djibrine gérait la DDS à Sahr pendant «Septembre Noir» et a expliqué qu'il «avait une mauvaise réputation, était connu comme très méchant, arrêtait les genspour un rien et avait le surnom de «l'exécuteur noir»».

Moussa Outman, Chef de Personnel à la Direction de Renseignements Généraux;ex-Préfet de Tandjile Ouest.

Sous Hissène Habré, Moussa Outman a été Chef du service Secrétariat de la DDS (nommé par Habré le 9 mai 1983, renommé le 29 mars 1985 et le 27 juin 1987), Chef du service de la Sécurité intérieure de la DDS (nommé le 15 décembre 1988), puis à nouveau Chef du service Secrétariat de la DDS (nommé par Habré le 20 septembre 1989).

Un ex-agent de Liaison de l'armée a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH que Moussa Outman faisait partie du groupe composé de militaires des FAN envoyé à Sahr par Habré durant «Septembre Noir» et dont la mission était d'éliminer les cadres du Sud. Selon cet ex-agent, en une semaine, plus de 35 cadres ont été arrêtés et exécutés sur place ou à «la villa chinoise» pendant la nuit.

Warou Ali Fodou, Direction de la Sécurité Publique;Commandant du Corps urbain du 6ème arrondissement.

Sous Hissène Habré, Warou Ali Fodou a d'abord été Chef adjoint de la Sécurité Fluviale (nommé le 19 mars 1985), puis Chef de ce service (nommé le 12 octobre 1985) chargé de surveiller les entrées et les sorties le long du fleuve jusqu'au Lac Tchad. Warou Ali Fodou a aussi fait partie du corps de la Sécurité Nationale (intégré le 16 avril 1988) et a été Chef du service de Recherches de la DDS (nommé le 15 décembre 1988 et renommé le 20 septembre 1989) chargé de collecter des informations à N'Djaména par le biais de ses antennes auprès des arrondissements municipaux.

D'après la Commission d'Enquête, lorsqu'il occupait le poste de Chef du service de Recherches, Warou Ali Fodou faisait partie de la Commission devant laquelle les agents de la DDS devaient prêter serment afin d'éviter toute fuite d'information au sujet des activités de la DDS.

La Commission d'Enquête explique également que Fodou a été le Directeur de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR) avec Mahamat Djibrine, Mahamat Saker, Yaldé Samuel et le Lieutenant Bandjim, et aurait fait partie de la commission chargée de l'arrestation des membres de l'ethnie Zaghawa en 1989. La Commission d'Enquête décrit Warou Ali Fodou comme l'un des tortionnaires les plus redoutés et «dirigeant personnellement les opérations de massacres».

L'ex-détenu Gang Tchomba a déclaré devant la Commission d'Enquête que Fodou l'a arrêté en 1985 et s'est emparé de ses 30.000 Frs CFA (≈ US$ 50), de livres et de meubles.

Une ancienne victime arrêtée en 1987 a expliqué à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été torturée directement par Warou Ali Fodou durant son interrogatoire aux «Locaux»: Warou Ali Fodou l'aurait attachée à «l'Arbatachar», lui aurait porté des coups aux côtes, l'aurait «chicoté» avec du fil de fer électrique sur le dos, l'aurait soumis au supplice de la baguetteet lui aurait déchiré le muscle de la jambe avec une baïonnette.

Une autre victime a confié à Human Rights Watch et à la FIDH avoir subi des décharges électriques directement de Warou Ali Fodou sous les ordres de Mahamat Djibrine, et à une autre reprise avoir été torturée au piment par Fodou.

Une personne a décrit à Human Rights Watch et à la FIDH les mauvais traitements subis par les prisonniers.. Warou Ali Fodou ordonnait «Il faut bien taper, attacher». Elle-même a été tapée par deux personnes en même temps tandis qu'elle était attachée à l'«arbatachar».

Une personne arrêtée avec son bébé a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été interrogée et matraquée avec un fil métallique à la DDS à N'Djaména entre autres par Warou Ali Fodou.

Ali Noukouri, ex-Commissaire central pour la ville de Bongor; Commandant de Police Principale (sans poste).

Sous Hissène Habré, Ali Noukouri a été Chef de service de la Sécurité Intérieure (nommé le 5 novembre 1987) chargé de surveiller et contrôler les agents de la DDS, leurs relations, leurs visites privées et de veiller à ce qu'ils ne soient pas à la solde d'une puissance étrangère. Noukouri a aussi été Chef du serviceLiaison et Surveillance de la ville(nommé le 20 septembre 1989) et Chef du service de Sécurité de l'aéroport (nommé le 7 mars 1990) chargé de surveiller les entrées et les sorties à l'aéroport de même que la piste et les installations aéroportuaires.

Auparavant, il avait été Chef de la coordination de la DDS et Coordinateur Recherches (nommé le 10 octobre 1987) d'une équipe spéciale chargée de la sécurité des conférences à N'Djaména. Il devait aussi parfois accueillir à l'aéroport de N'Djaména des étrangers d'origine libyenne, irakienne et soudanaise ayant «une mission officielle à la présidence de la République».

Chérif Haliki Haggar, Commandant principal de Police (sans poste); ex-Sous-Préfet de Nokou.

Sous Hissène Habré, Chérif Haliki Haggar a été Chef du service de Sécurité de l'aéroport pour la DDS (nommé le 27 juin 1987 puis renommé le 20 septembre 1989) jusqu'à ce qu'il soit remplacé par Ali Noukouri le 7 mars 1990.

D'après la plainte qu'il a déposée à N'Djaména notamment contre Haliki Haggar, Abakar Bourdjo, soldat dans les rangs du Conseil Démocratique Révolutionnaire (CDR), groupe armé membre du GUNT et opposé à Habré, a été capturé le 30 juillet 1983 avec des centaines d'autres combattants du CDR lors de la bataille de Faya Largeau. Durant son transfert vers la DDS de N'Djaména, des dizaines de prisonniers auraient été exécutés sommairement par les FAN de Hissène Habré. À la DDS, Abakar Bourdjo dit avoir été soumis à des interrogatoires et des tortures dans le but de lui faire avouer les plans du CDR. Chérif Haliki Haggar aurait été présent à plusieurs de ces séances de torture - qui consistaient entres autres en l'extraction des ongles et la torture à l'électricité - au cours desquelles il «brandissait son revolver» devant Abakar Bourdjo en le menaçant de le tuer «sur le champs».

AbderahmaneNigue Yacoub a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été arrêté par Chérif Haliki Haggar à l'aéroport de N'Djaména en mai 1989 et emmenée à la BSIR, où Chérif Haliki et Mahamat Djibrine l'auraient interrogé. Il a été torturé à « l'Arbatachar» puis à l'électricité. Chérif Haliki lui aurait volé les 120 millions de Frs CFA (182,939 Euro) qu'il avait sur lui. Dans le cadre d'une procédure civile contre Haliki pour récupérer son argent, Haliki a déclaré avoir arrêté Abderahmane sur ordre de la DDS et a argumenté que ce dernier devrait réclamer des dommages et intérêts auprès de l'État.

Darkou Ahmat Kalbassou, Ministère de la Défense (toujours au service de l'Agence Nationale de Sécurité).

Sous Hissène Habré, Darkou Ahmat Kalbassou a été Chef Adjoint du service de la Sécurité Intérieure (nommé le 5 novembre 1987).

Gamar Daouro, Chef de service d'Exploitation Étrangère de la Police Nationale.

Sous Hissène Habré, Gamar Daouro a été Chef Adjoint du service de Contre-Espionnage (nommé par Habré le 20 septembre 1989) jusqu'en novembre 1990. Auparavant, il avait été au service de la Brigade d'Intervention Polyvalente (BIP) et son nom figure sur une liste d'une équipe d'interrogation de la DDS.

Mahamat Djibrine a déclaré devant la Commission d'Enquête que Gamar Daouro était l'un de ses collaborateurs au service de Contre-Espionnage, service «chargé de surveiller les personnes des ambassades et de surveiller toutes les personnes qui y entraient surtout les ambassades de Libye, du Soudan (….) on y faisait la filature».

Zakaria Monone, Chef d'une antenne de l'Agence Nationale de Sécurité (ANS) à Mani.

Sous Hissène Habré, Zakaria Monone a été Chef du Service «Sources ouvertes» de la DDS ayant pour mission de capter les stations de radios internationales, d'analyser les journaux et d'en dresser la synthèse. Il a été de nouveau nommé à ce poste par Habré le 20 septembre 1989.

Mahamat Djoung Djoung, Chef antenne et Coordinateur de l'Agence Nationale de Sécurité à Moundou et à Doba.

Sous Hissène Habré, Mahamat Djoung Djoung a été Chef du service Sécurité de la DDS à Mongo (nommé le 21 novembre 1985) et du Guerra jusqu'au 23 août 1986. Il a ensuite été Chef du service Sécurité à Léré (nommé le 25 février 1987), Chef Adjoint du service Recherche de la DDS (nommé par Habré le 20 septembre 1989) chargé de collecter les informations à N'Djaména par le biais de ses antennes dans les arrondissements municipaux, puis Chef adjoint du service Liaison et Surveillance de la ville, une branche du service de Recherche.

Selon le témoignage à Human Rights Watch et à la FIDH d'un ancien conseiller de l'armée, Mahamat Djoung-Djoung était le Chef de la DDS à Mongo. Il a ajouté que Djoung-Djoung « faisait tuer beaucoup de gens (…) et [qu'] il est très dangereux».

Mahamat Djoung-Djoung a été arrêté et détenu pour mesure disciplinaire dans le camp des Martyrs avant d'être libéré pour reprendre son travail à la DDS.

Commandant Abdallah Wagadé, Directeur de Contrôle de l'Armée; ex-Chef de division au Contrôle général des armées, ex-Etat Major de l'Armée Nationale Tchadienne.

Sous Hissène Habré, Abdallah Wagadé a été Officier de Sécurité de la DDS, Chef adjoint du Service d'Exploitation (nommé le 12 octobre 1985), Chef du service Sécurité à Moundou dans le Logone Occidental (nommé le 25 février 1987), et enfin Responsable de la Sécurité de Mongo dans la province du Guerra (nommé le 11 octobre 1989).

Nodjinan Jérôme, Commandant Adjoint Corps Urbain à Moundou; ex-Délégué régional de la Police à Bol.

Sous Hissène Habré, Nodjinan Jérôme a été Officier assimilé à la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR), puis Chef adjoint du service «Recherches» (nommé le 15 décembre 1988), et Officier de Sécurité de la DDS.

Selon la Commission d'Enquête, Nodjinan Jérôme faisait partie de la commission chargée de l'arrestation des membres de l'ethnie Zaghawa en 1989.

Ahmat Dari, Directeur adjoint de la Direction de Protection, Sécurité et Défense (DPSD) au Ministère de la Défense.

Sous Hissène Habré, Ahmat Dari, de l'ethnie gorane tout comme Hissène Habré, a eu le grade de Commissaire responsable de la DDS dans la région de Moundou.

Une victime a confié à Human Rights Watch et à la FIDH que durant la période de «Septembre noir» en 1984, quand Ahmed Dari, était Responsable dela DDS à Moundou, elle a vu plusieurs fois des corps être jetés dans le fleuve et des fonctionnaires disparaître durant la nuit. Cette même personne a aussi déclaré qu'après avoir été arrêtée en 1985 pour possession d'armes, le Commissaire Ahmed Dari l'a questionnée. Elle aurait alors été «chicotée» avec des fils électriques parce qu'elle refusait de parler.

Mahamat Seid (Ali Yeg), Police Nationale, Service des Renseignements Généraux.

Sous Hissène Habré, Mahamat Seid (Ali Yeg) a été Chef du service Liaison et Surveillance pour le secteur autonome couvrant Walia, Agueli et Ngoumb. Il a également été Officier à la Sécurité fluviale, Délégué à la Documentation et à la Sécurité du Sous-Comité de Kélo, et Commissaire de police de Kélo.

Il fut aussi agent de la BSIR chargé de recueillir des renseignements dans la zone de N'Djaména rurale.

Mahamat M'Bodou, en service au Contrôle général des armes.

Sous Hissène Habré, Mahamat M'Bodou a été Chef du Bureau de Renseignements de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR), collaborateur au sein du service Contre-Espionnage avec Mahamat Djibrine, Détaché à la DDS, puis Chef adjoint du service Liaison militaire et extérieur (nommé par Habré le 20 septembre 1989). Auparavant, il avait été sentinelle aux locaux PMNT, Chef de Poste adjoint aux locaux de la maison d'arrêt, Agent de la Sécurité fluviale, et Détaché à la BSIR de juillet 1987 à septembre 1989.

L'ancien détenu Mahamat Oumar Mahamat a déclaré devant la Commission d'Enquête avoir été extrait de sa cellule par M'Bodou et conduit jusqu'à la DDS où il a été torturé en présence et sous les ordres de M'Bodou. Il a ajouté que M'Bodou était membre d'une commission d'interrogatoire et de torture ayant accès au service pénitencier, fait que M'Bodou a nié devant la Commission d'Enquête en précisant qu'il ne savait rien sur la situation des prisonniers ni des tortures perpétrées dans les locaux de détention.

Mahamat M'Bodou a confirmé à la Commission d'Enquête l'existence des commissions chargées des interrogatoires et l'utilisation de la torture, et a déclaré avoir vécu lui-même les événements du 1er avril 1989 concernant les Zaghawa puisqu'il se trouvait à la BSIR.

Sabre Ribe, Directeur adjoint du Bureau de l'emploi de la Gendarmerie Nationale.

Sous Hissène Habré, Sabre Ribe a occupé les fonctions de Chef du Secrétariat de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR), et de Chef du service Exploitation à N'Djaména. Il a ensuite été Adjudant de la BSIR en mission à Koumra, puis Officier de sécurité, entre autres comme Chef de la Sécurité fluviale de la DDS pour Farcha Nguéli. Sabre Ribe a aussi été désigné Responsable adjoint à la commission de Sécurité intérieure et extérieure d'un congrès et Agent de la DDS chargé de la sécurité à Sarh.

Abbas Abougrène, ex-agent de la DDS et Chef de Service de la Sécurité fluviale, a déclaré à la Commission d'Enquête que l'Adjudant Sabré a participé à la commission chargée de l'arrestation des Hadjaraï en 1987. Les autres membres de cette commission étaient Al Hadj Djada, Mahamat Djibrine, Absakine Abdoulaye (Gade), Mahamat Wakaye et Ketté Maïse.

Abbas Abougrène a également déclaré devant la Commission d'Enquête que l'Adjudant Sabré a été envoyé à l'étranger en tant qu'élément de la DDS afin de procéder à la liquidation physique de certains tchadiens. 

Issa Idriss, Commissaire Divisionnaire, Délégué Régional de Police du Lac à Bol.

Sous Hissène Habré, Idriss Issa a été Agent de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR), laquelle était, selon la Commission d'Enquête, le «bras armé de la DDS, chargé d'exécuter toutes les besognes telles qu'arrestations, tortures, assassinats et massacres à grande échelle».

Tolba, Régisseur de la Maison d'Arrêt à N'Djaména; ex-Chef de Sécurité du Palais de la Justice.

Sous Hissène Habré, Tolba a été désigné Agent au service de Renseignements de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR) à N'Djaména, puis Chef de poste aux «Locaux», un des centres de détention de la BSIR. Il a aussi été Agent à la section de Protection au sein de la DDS, section qui a été créée le 5 septembre 1987. Toloba a également occupé des positions de gardes de prisonniers dans les prisons de la BSIR. Il aurait aussi fait parti d'un groupe d'agents chargés d'exécuter régulièrement des prisonniers, notamment Hadjaraï la nuit.

Selon un témoignage recueilli par Human Rights Watch et la FIDH, Tolba aurait été chargé d'aller chercher le témoin pour l'emmener à ses interrogatoires et aurait été présent lorsque le témoin a été torturé au «piment» sous la direction de El Djonto et de Warou. Cette torture consiste à mettre la tête du supplicié dans un trou à même le sol et de souffler de l'air dans du feu qui se trouve dans un autre trou communiquant avec le premier.

Abdelaziz Philippe, Régisseur de la Maison d'arrêt de Moundou.

Sous Hissène Habré, Abdelaziz Philippe a été Sous officier assimilé de la Brigade Spéciale d'Intervention Rapide (BSIR) et a fait partie du personnel du service Contre-espionnage qui surveillait les ambassades accréditées à N'Djaména, en particulier celle de Libye.

Selon la Commission d'Enquête, Abdelaziz Philippe faisait partie de la commission chargée de l'arrestation des membres de l'ethnie Zaghawa en 1989.

Nodjigoto Haunan, Colonel, ex-Conseiller à la Sécurité du Premier Ministre, actuel Coordinateur national adjoint de la zone pétrolière.

Sous Hissène Habré, Nodjigoto Hauman était Directeur de la Sûreté Nationale. Il avait été auparavant Coordinateur au Service du Secrétariat de la DDS (nommé le 27 juin 1987), puis Lieutenant à la Commission d'Investigation de la DDS chargé de superviser toutes les investigations dans le milieu des opposants ralliés et le personnel du Bureau populaire libyen.

Le rapport de la Commission d'Enquête cite Nodjigoto Hauman comme l'un des «tortionnaires les plus redoutés» et comme faisant partie, en 1989, de la Commission chargée de l'arrestation des membres de l'ethnie Zaghawa.

Le Lieutenant Djember Lamandjou a déclaré devant la Commission d'Enquête qu'après avoir été arrêté en octobre 1987, il a été transféré à la DDS où il a été interrogé et torturé par Nodjigoto Hauman. Hauman lui aurait dit: «Monsieur, vous souffrez moralement mais pas physiquement. (…) Monsieur, dites la vérité car au Commissariat c'est de la blague, mais ici les choses vont commencer et si vous vous entêtez c'est fini pour vous». Haunan aurait ensuite donné l'ordre à quatre officiers de ligoter le Lieutenant Lamandjou et de lui passer «du courant électrique à la bouche, aux oreilles, dans les narines et même sur les parties intimes».

Brahim Djidda, Contrôleur Général de Police ex-Inspecteur Général de la Police, Secrétaire Général adjoint du Ministère de la Sécurité publique et de l'Immigration.

Sous Hissène Habré, Brahim Djidda a été Directeur de la Sûreté Nationale. Djidda avait auparavant été Commissaire Central à la Sûreté Nationale (nommé le 17 juillet 1983) et Responsable de la Sécurité du Ouaddaï au Délégué du Gouvernement auprès du Ouaddaï géographique.

Dans une lettre de 1983 retrouvée à la DDS, Brahim Djidda explique qu'il avait été délégué par Hissène Habré «avec les pleins pouvoirs dans le domaine de la sécurité à Abéché» et que ses rapports et comptes-rendus étaient directement adressés à la DDS qui les transmettait à Habré. Dans une autre lettre retrouvée à la DDS, Brahim Djidda explique que la mission du Service de Sécurité était notamment préventive, soit «d'interpeller tout suspect dont les propos ou les actes porteront atteinte à la sécurité de l'Etat, de mener une enquête minutieuse qui déterminera son innocence ou sa culpabilité».

Une ancienne victime a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été interrogée le lendemain de son  arrestation par Brahim Djidda alors Directeur de la Sureté Nationale. Une autre  victime a confié avoir été arrêtée et interrogée par entre autres Brahim Djidda accompagné de plusieurs militaires. Elle a été «gravement torturée » par électrochocs, à l'eau, à la matraque et à «l'Arbatachar» à plusieurs reprises.

Mahamat Wakaye, Directeur de la Police Judiciaire; ex-Contrôleur Général de Police; ex-Commissaire Central pour la ville de N'Djaména.

Sous Hissène Habré, Mahamat Wakaye a été Directeur adjoint de la Sûreté Nationale (nommé en juillet 1989). Auparavant, il avait été Commissaire adjoint à l'aéroport, Commissaire de police stagiaire (nommé le 25 octobre 1983), Commissaire au Commissariat du deuxième arrondissement, puis Commissaire central adjoint pour la ville de N'Djaména.

Abbas Abougrene, ex-agent de la DDS, a déclaré devant la Commission d'Enquête que Mahamat Wakaye faisait partie de la Commission chargée de l'arrestation des membres de l'ethnie Hadjaraï en 1987. Les autres membres de cette Commission étaient Al Hadj Djada, Mahamat Djibrine, Absakine Abdoulaye (Gade), Sabre Ribe et Ketté Maïse.

Mohamat Wakaye a déclaré devant la Commission d'Enquête que durant les années Habré, les éléments de la Sûreté Nationale ont prêté main forte à la DDS pour des arrestations, des tortures et des exécutions. Les personnes arrêtées par la Sûreté Nationale étaient transférées aux bureaux de la DDS souvent après interrogatoires et tortures. Mahamat Wakaye a aussi déclaré qu'il savait «comme tout autre citoyen que toute personne arrêtée à la DDS [avait] très peu de chance de sortir…» Il a ajouté qu'il recevait des ordres d'arrestations directement de Hissène Habré.

Touka Haliki, Inspecteur Général de la Police Nationale; ex-Commissaire Central pour la ville deMoundou.

Sous Hissène Habré, Touka Haliki était Directeur de la Police judiciaire, puis Responsable du service des Renseignements généraux qui dépendait de la direction de la Sûreté nationale, poste qu'il a occupé notamment pendant l'arrestation massive des Hadjaraï en 1987. Il a quitté ce poste en 1990. Avant d'être Directeur de la Police judiciaire, Haliki avait été Commissaire de Police stagiaire (nommé le 25 octobre 1983).

Touka Haliki a déclaré devant la Commission d'Enquête que son service devait aider la DDS en ce qui concernait les arrestations des Hadjaraï et se faisait un devoir d'informer le Président en lui adressant des fiches sur les exactions que les agents de la DDS commettaient et dont le service était au courant. Au sujet des Hadjaraï en province, Touka Haliki a dit devant la Commission d'Enquête que son service avait reçu des fiches des brigades de Surveillance du territoire mentionnant une cinquantaine d'arrestations dans le Guerra et plus d'une centaine à N'Djaména.

D'après la plainte déposée contre Haliki à N'Djaména par Mahamat Abakar Bourdjo, ex-soldat du Conseil Démocratique Révolutionnaire (CDR) (groupe armé opposé à Habré), arrêté le 30 juillet 1983, Touka Halikil'aurait torturé à l'électricité pendant son interrogatoire en lui portant des décharges électriques sur les parties génitales et en le faisant asseoir sur une chaise électrifiée.

Un document, issu de la direction de la Sûreté Nationale et daté de la période durant laquelle Touka Haliki était Chef du service central des Renseignements Généraux, donne une liste des personnes proches de Hassan Djamouss et d'Idriss Déby ayant été arrêtées. Le nom de Ismael Hachim, ex-Directeur du Cabinet de l'Intérieur et de l'Administration du Territoire et aujourd'hui Président de l'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques (AVCRP), figure sur cette liste. Selon la plainte déposée par Monsieur Hachim, ce serait sur ordre de Touka Haliki que le 2 avril 1989, il a été arrêté et embarqué, sans chaussures ni vêtements, pour le Commissariat central. Ismael Hachim aurait ensuite été torturé et détenu dans différentes prisons, dont la «Piscine».

Une ancienne victime a dit à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été interrogée par Touka Haliki lors de son transfert à N'Djamena en provenance d'une autre prison. Lors de chaque interrogatoire, soit chacun des 27 jours de détention à N'Djamena, elle a été torturée.

Une autre victime arrêtée en 1983 a confié à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été frappée à la jambe avec des crosses par Touka Haliki et Mahamat Djibrine durant un interrogatoire, après qu'elle ait démenti des accusations portées contre elle.

Un ancien préfet a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH que les exécutions qui avaient lieu dans les prisons étaient le fait de Touka Haliki.

Un ex-détenu a déclaré à Human Rights Watch et à la FIDH avoir été arrêté sur ordre de Touka Haliki et pillé de ses biens, dont une voiture neuve d'une valeur de 3.800.000 Frs CFA (5,793.06 Euro), par Haliki, Mahamat Djibrine et Absakine.

Mahadjoub Djouma, Chef de Service pour la ville de N'Djaména à l'Agence Nationale de Sécurité (ANS).

Sous Hissène Habré, Mahdjoub a été Agent du service de la Sécurité fluviale de la DDS, membre de la Commission de la Sécurité intérieure et extérieure, et a fait partie du service Espionnage et Contre-Espionnage qui avait pour mission de surveiller les ambassades accréditées à N'Djaména, surtout celle de Libye.

Ngarto Rangan Ngaïdet, ex-Directeur Général de la Sûreté Nationale, actuel Conseiller du Ministre de la Sécurité Publique.

Sous Hissène Habré, Ngarto Rangan Ngaïdet a été Directeur adjoint du Service des Renseignements Généraux de la Police Nationale où il avait pour mission d'arrêter les auteurs de détournements des coupons des pensions des retraites de la fonction publique.

Ahmat Abakar Chemi, Ministère de l'Administration du Territoire; ex-Chef de service au Service de la Sécurité Intérieure à la Présidence de la République.

Sous Hissène Habré, Ahmat Abakar Chemi a été Chef Adjoint du service Sécurité à Moundou dans le Logone Occidental du 25 février 1987 au 25 février 1989. Il a ensuite été muté au poste de Responsable de la Sécurité de Sahr dans le Moyen Chari (nommé le 11 octobre 1989).

Djaffi Assali, Directeur du service spécialisé de la Gendarmerie Nationale.

Sous Hissène Habré, Djaffi Assali a été Chef Adjoint du service Liaison et Surveillance de la ville (nommé le 15 décembre 1988 et renommé par Habré le 20 septembre 1989). Selon la Commission d'Enquête, ce service est une branche du service de Recherche de la DDS, lequel est chargé de collecter des informations à N'Djaména par le biais de ses antennes auprès des arrondissements municipaux.

Fatimé Suzanne, Sous-Préfet de Koundoul; ex-Chef du 5ème arrondissement de N'Djaména.

Elle était directrice adjointe de l'animation groupe choc de l'Unir, le parti unique de Hissène Habré. Elle était chargée de recruter les filles pour le groupe choc de l'Unir qui célébrait des cultes en l'honneur de Habré. Ce groupe louait Habré comme un dieu lors de tous ses déplacements: lorsqu'il partait en voyage ou rentrait d'un voyage et pendant toutes les cérémonies. Plusieurs familles ont perdu leur père de famille lorsque ceux-ci s'opposaient au recrutement de leurs filles. Ils s'exposaient directement aux représailles.

[1] Les crimes et détournements de l'ex-Président Habré et de ses complices, Rapport de la Commission d'Enquête Nationale du Ministère tchadien de la Justice, Éditions L'Harmattan (1993), p.97.

[2] En 1994, la Cour Internationale de Justice réglera définitivement ce différent en accordant la bande d'Aozou au Tchad.

[3]Les crimes et détournements de l'ex-Président Habré et de ses complices, Commission d'Enquête Nationale du Ministère tchadien de la Justice, pp.69 et 97. La Commission d'Enquête avance de façon non-scientifique le chiffre de 40 000 victimes, en estimant que les 3 780 victimes qu'elle parvint à identifier de façon certaine ne représentaient que 10% seulement du total des personnes tués. Voir aussi Amnesty International, Tchad - L'héritage Habré (2001).

[4] Voir «Tchad: Les archives de l'horreur», par Tidiane Dioh, Jeune Afrique l'Intelligent, 9 mars 2003.

[5]Preliminary Statistical Analysis of AVCRP & DDS Documents. A report to Human Rights Watch about Chad under the government of Hissène Habré, The Benetech Initiative, 4 novembre 2003. http://www.hrw.org/justice/pdfs/benetechreport.pdf.

[6] Maintenant qu'une base de données qui permet de faire des recherches de statistiques et des recherches par nom a été créée, Human Rights Watch espère transformer ces dossiers - qui ont été copiés sur CD Rom - en archives publiques que les victimes tchadiennes et leurs familles pourraient consulter en vue de retrouver la trace de ceux qui ont disparu. Cette base de données pourrait faire partie d'un mémorial aux victimes du régime de Hissène Habré.

[7] Douglas Farah, «Chad's Torture Victims Pursue Habré in Court », The Washington Post, 27 novembre, 2000.

[8] Ce document peut être consulté à l'adresse suivante http://www.hrw.org/justice/pdfs/usatraining-p1-3.pdf.

[9] Ce document peut être consulté à l'adresse suivante http://www.hrw.org/justice/pdfs/13intletter.pdf.

[10] Ce document peut être consulté à l'adresse suivante: http://www.hrw.org/justice/pdfs/junereport-p1-4.pdf.

[11] Ce document peut être consulté à l'adresse suivante: http://www.hrw.org/justice/pdfs/prisonerlist-p1-2.pdf.

[12] Le document peut être consulté à l'adresse  http://www.hrw.org/justice/pdfs/prisonerreport-p1-2.pdf.

[13] Le document peut être consulté à l'adresse  http://www.hrw.org/justice/pdfs/redcross-p1-4.pdf.

[14] Rapport non daté de la DDS (bureau de Tangilé) «Compte-rendu de la situation après événements de la Tandjilé du 15/09/84». Ce document peut être consulté à l'adresse suivante http://www.hrw.org/justice/pdfs/fantreport-p1-2.pdf.

[15] La première page du document peut être consulté à l'adresse suivante: http://www.hrw.org/justice/pdfs/12traitorlist.pdf.

[16]  «Les moments difficiles, dans les prisons d'Hissène Habré en 1989», Editions Sépia, France, 1998, pp. 114-115, emphase ajoutée.

[17] Voir Amnesty International, «Tchad – L'héritage Habré»  (2001) pour une analyse de la Commission d'Enquête.

[18] La Commission d'Enquête a découvert plus de 50 000 cartes et lettres écrites par les membres d'Amnesty International à Hissène Habré et aux autorités tchadiennes.

[19] La Commission a auditionné 662 ex-prisonniers politiques, 786 familles de victimes d'exécutions extrajudiciaires, 236 ex-prisonniers de guerre et 30  ex-membres de la DDS.

[20] «Les Crimes et Détournements de l'ex- Président Habré et de ses Complices», pp.69 et 97.

[21] Ibid, p.29

[22] Entretien avec Mahamat Abakar le 1er septembre 2004

[23] Le CRCR a remplacé la DDS lorsque cette dernière  a été dissoute par Idriss Déby en 1990. Elle a pris par la suite le nom  d'Agence Nationale de Sécurité (ANS) et fut placée sous le contrôle direct d'Idriss Déby.

[24] Ibid, pp.97-99

[25] Entretien avec Mahamat Hassan Abakar, le 1er septembre 2004

[26]Mission AVRE au Tchad 1991 / 1996, Association pour les Victimes de la Répression en Exil (AVRE).

[27]Mission AVRE au Tchad 1991 / 1996, Association pour les Victimes de la Répression en Exil (AVRE).

[28] Il est à noter que les plaintes, éléments subjectifs, ne représentent pas nécessairement une réalité clinique.

[29]Mission AVRE.

[30]Mission AVRE.

[31] Voir par ex.,Human Rights Watch, Le Précédent Pinochet: comment les victimes peuvent poursuivre les criminels des droits de l'homme à l'étranger, (modifié enjuin 2001).

[32] Au sein de cette coalition, outre l'AVCRP et Human Rights Watch, collaborent également la Fédération Internationale des Ligues de Droits de l'Homme (FIDH), la Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH), l'Association tchadienne pour la Promotion des Droits de l'Homme (ATPDH), l'Association pour la Promotion des Libertés Fondamentales au Tchad (APLFT), l'Organisation Nationale Sénégalaise des Droits de l'Homme (ONDH), la Rencontre Africaine pour les Droits de l'Homme au Sénégal (RADDHO), et les organisations françaises AVRE, Association pour les Victimes de la Répression en Exil, et Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme.

[33] La plainte, ainsi que tous les documents juridiques sur l'affaire Habré peuvent être consultés sur le site suivant: http://www.hrw.org/french/themes/habre.htm.

[34] Article 5 section 2 de la Convention contre la torture, qui impose une obligation légale, dispose: «Tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l'extrade pas…»  Article 7 section 1, qui établit l'obligation d'extrader ou de poursuivre, dispose: «L'Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présumé [d'actes de torture] …  est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire … à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale».

[35] Article 79 de la Constitution sénégalaise dispose: «Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou  approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie».

[36] République du Sénégal, Cour d'Appel de Dakar, Chambre d'accusation, Arrêt no 135 du 4 juillet 2000. Voir http://www.hrw.org/french/themes/habre-decision.html.

[37] Cour de Cassation, Crim, Arrêt nº 14 du 20 mars 2001, Souleymane Guengueng et autres Contre Hissène Habré, http://www.hrw.org/french/themes/habre-cour_de_cass.html.

[38] Lettre du Chef de la branche des Services de soutien de l'Office du Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme des Nations Unies, adressée à Reed Brody. Cette lettre peut être consultée à l'adresse suivante:http://www.hrw.org/french/themes/images/guengueng_small.jpg.

[39]Dans  Le Temps (Genève) du 27 septembre 2001.

[40]Dans Walf Djiri (Sénégal) du  24 février 2003.

[41]Cour Internationale de Justice (CIJ) Affaire sur le mandat d'arrêt du 11 avril 2000  (République Démocratique du Congo c. Belgique), 14 Février 2002.

[42] Voir lettre: http://www.hrw.org/french/press/2002/tchad1205a.htm.

[43] Voir Naomi Roht-Arriaza, Reparations Decisions and Dilemmas, 27 Hastings International and Comparative Law Review. 157 (2004)

[44] E.CN.4/2000/62. Voir le projet de Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations du droit international relatif aux droits de l'homme et du droit international humanitaire, Nations Unies ESCOR, 56e session, Annexe 6-7, Doc. des Nations Unies E/CN.4/2000/62 (2000) [Principes ci-après]. 

[45] Roht-Arriaza, op cit, p. 159.

[46] Roht-Arriaza, op cit.

[47] Voir les Principes fondamentaux et directives  du droit à réparation des victimes de graves violations des droits de l'Homme et du droit humanitaire (principes Van Boven)  E/CN.4/Sub.2/1996/17 (La «Restitution exige, entre autres, la restauration de la liberté, du droit à la vie de famille, à la citoyenneté, au retour dans son lieu de résidence, à l'emploi ou à la propriété.…. L'indemnisation  doit être prévue pour tout dommage résultant de violations des droits de l'homme et du droit humanitaire qui se prête à une estimation financière… La réadaptation doit être prévue qui englobe une prise en charge médicale et psychologique ainsi que l'accès à des services juridiques et sociaux.… La satisfaction et garanties d'un non renouvellement [comprennent]: a) la cessation des violations en cours; b) la vérification des faits et divulgation publique et complète de la vérité….. d) les excuses, notamment reconnaissance publique des faits et acceptation des responsabilités; e) les sanctions judiciaires ou administratives à l'encontre des personnes responsables des violations; f) les commémorations et hommages aux victimes; g) l'inclusion dans la formation aux droits de l'homme et dans les manuels d'histoire d'un compte rendu fidèle des violations commises dans le domaine des droits de l'homme et du droit humanitaire»). L'Article 75.1 du Statut de Rome établissant la Cour Pénale Internationale prévoit que «La Cour établit des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, l'indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit».

[48] Discours du Président de l'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad à l'occasion de la tenue des états généraux de la justice à N'Djaména, le 19 juin 2003. Ce discours peut être consulté à l'adresse suivante: http://hrw.org/french/press/2003/tchad0619.htm.

[49] L'ordonnance du juge peut être consultée à l'adresse suivante: http://www.hrw.org/french/themes/habre-ordonnance.html.

[50] La décision de la cour peut être consultée à l'adresse suivante: http://www.hrw.org/french/themes/habre-decisionduconseil.html.

[51] Les crimes et détournements de l'ex-Président Habré et de ses complices, Rapport de la Commission d'Enquête Nationale du Ministère tchadien de la Justice, Éditions L'Harmattan (1993), p.97.

[52]Mission AVRE au Tchad 1991 / 1996, Association pour les Victimes de la Répression en Exil (AVRE).

[53] Les revenus tirés de la vente du pétrole ont atteint 143 millions de dollars en 2004 sachant que le gouvernement tchadien  est actuellement en pourparlers avec les compagnies pétrolières étrangères afin de renégocier sa part perçue sur la vente totale du pétrole (soit 18.5% depuis 1998).

[54] Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. L'Administration de la Justice et les droits de l'Homme des détenus, UN. Doc E/CN.4/Sub 2/1996/18, juin 1996 Principe 45. Parmi les mesures de portée symbolique suggérées par le Rapporteur se trouvent: (a) la reconnaissance publique, par l'Etat, de la responsabilité,  (b) des déclarations officielles réhabilitant  les victimes dans leur dignité, (c) la mise en place de cérémonies commémoratives, dénomination de voies publiques, monuments, etc… (d) les hommages périodiques aux victimes, (e) la prise en compte dans les manuels d'histoire et de formation aux droits de l'homme de la narration fidèle des violations d'une exceptionnelle gravité qui ont été commises».

[55] Conseil  de commandement des forces armées du Nord, faction du FROLINAT dirigée par Hissène Habré alors qu'il était encore dans l'opposition.

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