Skip to main content

Burundi : Le président Nkurunziza décède quelques jours après l’élection

Les responsabilités pour les abus passés doivent être clairement établies

L’ancien président du Burundi, Pierre Nkurunziza, décédé le 8 juin 2020, participe à un rassemblement pour lancer la campagne du parti au pouvoir appelant à voter « oui » lors du référendum constitutionnel, à Bugendana, province de Gitega, au Burundi, le 2 mai 2018. © 2018 AP Photo

(Nairobi) – Le président autoritaire du Burundi, Pierre Nkurunziza, dont la mort a été confirmée par une déclaration du gouvernement le 9 juin 2020, laisse derrière lui un héritage de répression politique et de violations généralisées des droits humains. Quelques jours après que la Cour constitutionnelle a déclaré la victoire du candidat de son parti, Évariste Ndayishimiye, à l’élection présidentielle de mai 2020, la mort de Nkurunziza donne la possibilité aux dirigeants burundais d’assurer des garanties concrètes en matière de droits humains et de réformes démocratiques, et d’établir les responsabilités pour les violations commises par le passé.

Pendant les 15 ans du règne de Nkurunziza au Burundi, les services de sécurité, d’autres agents du gouvernement et les Imbonerakure, les membres de la ligue des jeunes son parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), se sont rendus responsables d’exécutions, de tortures, de disparitions forcées, de viols, d’extorsions d’argent, de violences et d’intimidation vis-à-vis de la population, visant souvent ceux qui étaient perçus comme des opposants au gouvernement. Les élections présidentielles, législatives et communales du 20 mai dernier se sont déroulées dans un contexte très répressif. Elles ont été entachées d’allégations d’irrégularités et d’abus, en l’absence d’observateurs internationaux indépendants.

« L’héritage de Pierre Nkurunziza sera celui d’une répression impitoyable », a déclaré Lewis Mudge, Directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Son gouvernement a décimé les médias indépendants et les organisations de défense des droits humains, a tout fait pour se soustraire à la vigilance de la communauté internationale et a essentiellement fermé le Burundi au monde extérieur. Les dirigeants du Burundi devraient s’engager à lancer des réformes en matière de droits humains en prenant des mesures urgentes pour mettre fin aux abus généralisés, et indiquer clairement que la transition résultera en une véritable ouverture de l’espace politique ».

Ancien chef rebelle pendant une guerre civile brutale qui a tué environ 300 000 Burundais, Nkurunziza a prêté serment en tant que président en 2005. Pendant son règne, les fragiles progrès du Burundi vers la démocratie et la stabilité ont subi de graves revers, alors que des troubles politiques et de nombreux meurtres commis par les forces de sécurité et les groupes armés d’opposition ont secoué le pays.

En avril 2015, des manifestations ont éclaté en réponse à l’annonce faite par Nkurunziza qu’il serait candidat à un troisième mandat. La police a alors fait un usage excessif de la force et tiré sans discernement sur les manifestants, tuant et blessant des dizaines de personnes. Suite à un coup d’État manqué mené par un groupe d’officiers de l’armée en mai, le gouvernement a intensifié sa répression contre les opposants présumés et suspendu les activités de la plupart des stations de radio indépendantes. Si les manifestations anti-Nkurunziza étaient au départ pacifiques, certains manifestants ont eu recours à la violence. Les violences des opposants au gouvernement se sont également intensifiées à la suite des élections de juillet 2015.

Depuis sa réélection cette année-là, les forces de sécurité de l’État burundais, les services de renseignement et les membres des Imbonerakure ont mené des attaques brutales et ciblées contre des opposants connus ou présumés. Des défenseurs des droits humains ont été attaqués, arrêtés et poursuivis en justice. Le gouvernement a imposé de sévères restrictions aux organisations non gouvernementales ou les a obligé à fermer, et la plupart des principaux activistes et journalistes indépendants ont fui le pays pour des raisons de sécurité.

Alors que le gouvernement tolérait jadis les critiques, même si ce n’était pas de gaieté de cœur, l’espace de liberté pour les organisations de défense des droits humains et les journalistes indépendants au cours du dernier mandat de Nkurunziza a disparu, a déclaré Human Rights Watch.

Si le troisième mandat de Nkurunziza était contesté, la constitution ne lui permettait clairement pas de se représenter en 2020. Un référendum était prévu pour modifier la constitution et porter les mandats présidentiels à sept ans, renouvelables une fois, en prévoyant une « remise à zéro » sur les mandats déjà effectués. Ce référendum s’est tenu en mai 2018 et a donné lieu à des abus généralisés de la part des autorités locales, de la police et des membres des Imbonerakure, sans conséquence notable. Les membres des Imbonerakure et les autorités locales ont continué de faire pression sur la population pour qu’elle adhère au parti et de cibler les membres de l’opposition avant les élections de 2020, notamment dans les zones rurales.

Nkurunziza a finalement annoncé qu’il ne se présenterait pas pour un nouveau mandat. Quelques jours avant la nomination par le CNDD-FDD d’Évariste Ndayishimiye, alors Secrétaire général du parti, comme candidat à la présidentielle de 2020, le Parlement a adopté une loi accordant d’importants privilèges financiers à Nkurunziza, notamment un versement de 500 000 USD, une villa de luxe, six voitures et une allocation à vie au terme de son mandat. Nkurunziza devait également devenir « Guide suprême du patriotisme » au Burundi.

Selon le communiqué du gouvernement, Nkurunziza est mort d’un arrêt cardiaque le 8 juin dans un hôpital de Karuzi, dans l’est du Burundi. Fin mai, l’épouse de Nkurunziza et le ministre de la Santé du Burundi ont selon les médias été évacués pour soins médicaux vers Nairobi. Aucune raison officielle n’a été invoquée pour justifier cette évacuation, alimentant les spéculations sur la propagation du Covid-19 parmi les responsables du gouvernement.

Le gouvernement de Nkurunziza a refusé de suivre les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour empêcher la propagation du virus en affirmant que le Burundi était protégé par Dieu et, le 12 mai, a déclaré le directeur du bureau de pays de l’OMS et trois de ses experts persona non grata. Même si le pays ne compte que 83 cas confirmés, plusieurs professionnels et experts de santé ont récemment indiqué à Human Rights Watch qu’ils étaient préoccupés par l’augmentation des cas présumés de Covid-19 et par le fait que les autorités de santé publique n’avaient pas testé les personnes présentant des symptômes. Ils affirment que certains de leurs patients ont assisté aux grandes réunions et aux rassemblements organisés pendant la campagne avant les élections de mai.

Cinq ans après le début de la crise, la situation humanitaire et économique au Burundi est désastreuse. Selon les Nations Unies, 330 000 réfugiés burundais vivent à l’extérieur du pays et environ 1,77 million de Burundais avaient besoin d’aide humanitaire en 2019. La plupart des principaux bailleurs ont suspendu leur soutien budgétaire direct au gouvernement en raison de leurs préoccupations en matière de droits humains, et ces dernières années, le gouvernement a augmenté la pression sur les organisations internationales.

Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a créé une commission d’enquête en septembre 2016 pour documenter les crimes graves commis au Burundi depuis avril 2015, enquête à laquelle le gouvernement a refusé de coopérer. En septembre 2017, cette commission a conclu qu’elle avait des « motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis, depuis avril 2015, et continuent à être commis au Burundi ».

Le 25 octobre 2017, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont autorisé une enquête sur les crimes commis au Burundi depuis avril 2015. Deux jours plus tard, le Burundi est devenu le premier pays à se retirer de la CPI. Mais les juges de la CPI ont estimé que le retrait du Burundi n’affectait pas la compétence de la cour pour les crimes commis pendant que le pays était membre. L’enquête en cours laisse espérer que les responsables de certains des pires crimes commis au Burundi ces dernières années pourront être traduits en justice.

« La mort de Pierre Nkurunziza met en évidence combien il est urgent pour les nombreuses victimes de connaître la vérité sur les crimes commis pendant sa présidence et sur qui était responsable de ces crimes », a déclaré Lewis Mudge. « Tant que ces abus resteront impunis, cet héritage douloureux continuera de peser sur le Burundi pour de longues années à venir ».

--------------------

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays