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Égypte : Session de la CADHP dans un contexte de violations de droits humains

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples devrait tirer la sonnette d’alarme à ce sujet

Des drapeaux égyptiens flottent à Charm El Cheikh, site de la 64ème session ordinaire de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), tenue du 24 avril au 14 mai 2019. © 2019 Privé

(Beyrouth, le 24 avril 2019) – L’Égypte accueille une session d’une commission africaine portant sur les droits humains et débutant le 24 avril 2019, alors même que son gouvernement est responsable de la pire crise des droits humains qu’a récemment connue ce pays, ont déclaré aujourd’hui 15 organisations africaines, égyptiennes et internationales.

La 64e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) se déroulera du 24 avril au 14 mai à Charm el-Cheikh. Au-delà des violations flagrantes des droits humains sur son propre territoire, l’Égypte a aussi entrepris des actions visant à miner l’indépendance de cette commission. La CADHP devrait soulever avec insistance la question des violations des droits humains lors de la session.

« L’Égypte essaie de se donner l’apparence d’un pays ouvert aux activistes et aux sessions relatives aux droits humains, alors qu’au même moment, elle étouffe toute voix dissidente et écrase sa communauté autrefois dynamique de défense des droits humains », a affirmé Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Nous savons que de nombreuses organisations égyptiennes et internationales ne sont pas autorisées à œuvrer librement en Égypte et ne peuvent faire part de leur préoccupation sans s’exposer à de graves représailles de la part du gouvernement. »

La commission devrait faire en sorte que toutes les délégations gouvernementales et non gouvernementales puissent participer librement à la session. Elle devrait aussi indiquer clairement qu’elle répondra vigoureusement à toute mesure de représailles prise par les autorités égyptiennes à l’encontre des critiques de ses pratiques.

Un responsable d’une éminente organisations égyptienne de défense des droits humains a confié à Human Rights Watch que seules trois organisations égyptiennes envisageaient de participer à cette session, car la plupart d’entre elles craignaient des représailles de la part du gouvernement.

Au cours des dernières années, les autorités égyptiennes ont inlassablement sévi contre les organisations non gouvernementales, promulgué la loi draconienne de 2017 qui interdit tout travail indépendant par des organisations non gouvernementales,  et poursuivi en justice de nombreux employés d’organisations égyptiennes. Les autorités ont également gelé les avoirs des défenseurs et des organisations les plus influents du pays et émis à l’encontre d’un grand nombre d’entre eux, des interdictions de voyage. En avril 2018, le gouvernement qui avait annoncé son intention d’abroger la loi abusive de 2017 interdisant les ONG, mais n’a rendu public aucun nouveau projet de loi.

Les autorités égyptiennes ont également exercé des représailles contre les défenseurs et activistes des droits humains pour avoir coopéré avec des observateurs de la situation des droits humains régionaux et internationaux, notamment des agences et experts des Nations Unies. Fin 2018, les autorités égyptiennes ont détenu plusieurs citoyens qui s’étaient entretenus avec la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur le logement convenable pendant sa mission officielle en Égypte, ont en plus, démoli leur maison et leur ont interdit de voyager. Le gouvernement a nié tout agissement répréhensible et accusé le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et d’autres responsables des Nations Unies d’avoir violé les normes des Nations Unies et d’avoir opté pour « les mensonges » des organisations « terroristes ».

En septembre 2017, des agents de la sécurité ont empêché Ibrahim Metwally, juriste et co-fondateur de l’Association des familles des disparus, de se rendre à des réunions avec des fonctionnaires des Nations Unies à Genève. Les agences de sécurité l’ont arrêté à l’aéroport et l’ont tenu au secret pendant quelques jours. Il se trouve encore en « détention préalable au procès » pour des chefs d’accusation grotesques.

Le gouvernement égyptien a essayé de saper l’indépendance de la commission en étant à l’origine de l’adoption de la Décision 1015 du Conseil exécutif de l’Union africaine, paragraphe 5. La disposition qui a été adoptée en juin 2018, sape l’indépendance de la commission en soumettant son travail au contrôle des pays membres de l’Union africaine.

Le gouvernement égyptien n’a tenu aucun compte des décisions et résolutions prises par la commission et ses experts pour remédier à plusieurs violations et abus, notamment les mesures de répression contre la société civile, les restrictions concernant la liberté de religion, les procès inéquitables et les condamnations à mort de masse, les arrestations arbitraires, et la violence sexuelle.

La session de la CADHP se déroule à un moment où les autorités égyptiennes répriment sévèrement depuis un certain temps toute dissidence et réduisent à néant l’espace d’expression ou de rassemblement pacifiques avant le scrutin public tenu entre le 19 et le 22 avril sur les amendements constitutionnels draconiens qui renforceront le contrôle de l’armée sur la vie publique et politique, et saperont encore davantage l’indépendance judiciaire déjà bien réduite.

Les organisations égyptiennes de droits humains ont rassemblé des preuves concernant l’arrestation de plus de 160 personnes, souvent au cours d’arrestations en masse, depuis février en rapport avec les mesures de répression des dissidents et des personnes estimées perçues comme étant critiques à l’égard du gouvernement. Ces amendements et plusieurs autres lois approuvées au cours des quelques dernières années par le Président Abdel Fattah al-Sissi, comme de nouvelles lois sur les médias et des lois visant à étendre l’utilisation des tribunaux militaires pour juger les civils, violent les lois du droit international dont celles de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Depuis qu’al-Sissi s’est assuré un deuxième mandat par les élections de mars 2018 qui n’ont été dans l’ensemble ni libres, ni équitables, ses forces de sécurité ont intensifié une campagne d’intimidation, de violence et d’arrestations arbitraires contre ses opposants politiques, les activistes et d’autres qui ont exprimé des critiques, même très mesurées, du gouvernement. Le gouvernement et les médias d’état égyptiens ont font passer cette répression comme une lutte contre le terrorisme et al-Sissi a de plus en plus fréquemment invoqué le terrorisme et la loi sur l’état d’urgence du pays pour réduire au silence les activistes pacifiques.

En juillet 2013, le Conseil de paix et sécurité de l’Union africaine a suspendu la participation de l’Égypte à toutes les activités de l’Union africaine à la suite de la destitution forcée de l’ex-président Mohamed Morsi par l’armée conduite par al-Sissi, alors ministre de la défense. La suspension a pris fin après l’élection d’al-Sissi en juin 2014.

Mais l’Égypte n’a pas véritablement enquêté, ni demandé de comptes à aucun responsable ou membre des forces de sécurité concernant les massacres de manifestants pendant l’été 2013 en dépit des demandes nationales ou internationales, notamment de la CADHP, et malgré les preuves à charge. En août 2013, les forces de sécurité égyptiennes ont très vraisemblablement massacré au moins 817 personnes en quelques heures pendant la dispersion de la manifestation assise, essentiellement pacifique, de soutien à Morsi sur la place Raba du Caire. Ce massacre est susceptible d’avoir constitué un crime contre l’humanité.

« En accueillant de telles sessions, l’Égypte tente de blanchir son désastreux bilan d’abus », a déclaré George Kegoro, directeur exécutif de Kenya Human Rights Commission. « La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples devrait saisir l’occasion d’interpeller le gouvernement égyptien au sujet de ses propres actions qui menacent les droits et la vie même, de nombreux Égyptiens. »

Les organisations co-signataires sont les suivantes :

Andalus Institute for Tolerance and Anti-Violence Studies

Belady Center for Rights and Freedoms

Business and Human Rights Tanzania

Cairo Institute for Human Rights Studies

Commission internationale de juristes

Committee for Justice

Egyptian Commission for Rights and Freedoms (ECRF)

Egyptian Front for Human Rights

EuroMed Rights

Human Rights Watch

International Refugee Rights Initiative (IRRI)

Kenya Human Rights Commission (KHRC)

Ligue Sénégalaise des Droits Humains (LSDH)

Tanzania Human Rights Defenders Coalition (THRDC)

The Freedom Initiative

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