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Le président Faustin Archange Touadera de la République centrafricaine s'adresse à la 71ème Assemblée générale des Nations Unies à New York, États-Unis, le 23 septembre 2016. © 2016 Reuters

Il y a un an, un trop rare sentiment d’espoir a pris forme en République centrafricaine, lorsque le nouveau président du pays, Faustin-Archange Touadéra, a prêté serment. Son équipe a succédé à un gouvernement de transition qui avait peiné à rétablir la sécurité et à mettre fin à la violence au cours des deux années précédentes, et son élection constituait un transfert pacifique et légitime du pouvoir, chose rare dans la région.

Mais un an après, le chef de l’État tente à son tour d’apaiser des combats qui font rage dans la province orientale de Ouaka et, à certains égards, la situation est pire qu’en mars 2016. La violence s’est propagée vers le nord-ouest du pays, où un groupe armé récemment formé appelé « Retour, Réclamation et Réhabilitation » ou 3R, a tué et violé des civils, et provoqué des déplacements de population à grande échelle. Dans les régions du centre et de l’est du pays, les violations des droits humains à l’encontre des civils sont de plus en plus nombreuses à mesure que les combats entre des factions Séléka rivales se multiplient. En octobre, les combattants Séléka ont tué au moins 37 civils, blessé 57 autres et forcé des milliers de gens à prendre la fuite après avoir rasé un camp de déplacés à Kaga-Bandoro. Dans les régions sous contrôle de la Séléka, des milliers d’élèves ne peuvent plus se rendre à l’école en raison de la présence de groupes armés à proximité.

Touadéra a répété à plusieurs reprises l’an passé que la sécurité et la justice pour les violations graves des droits humains sont des priorités pour son gouvernement. Mais sur les deux tableaux, les progrès sont trop lents.

Le président assume l’une des fonctions les plus difficiles au monde. La République centrafricaine est en crise depuis fin 2012, depuis que les rebelles Séléka, majoritairement musulmans, ont renversé le gouvernement de François Bozizé, et commis des abus généralisés. Mi-2013, des milices anti-balaka formées pour s’opposer à la Séléka ont lancé des représailles à grande échelle contre des civils musulmans à Bangui et dans l’ouest du pays. La violence a fait des milliers de morts et provoqué le déplacement de près d’un million de personnes, et les factions Séléka contrôlent encore la moitié du territoire.

Alors que les combats se propagent, en particulier dans la province de Ouaka, le lien entre violence et justice est primordial. Pratiquement aucun des responsables de violations généralisées n’a été tenu pour responsable de ses actes. Les cycles d’impunité alimentent des abus incessants, encourageant ceux qui cherchent à s’emparer du pouvoir par la force.

Le nouveau gouvernement a hérité d’un appareil judiciaire débordé et à peine fonctionnel, déjà très faible avant l’explosion des violences en 2013. Sa réforme exige des investissements massifs et durables. Des procès pour des crimes récents ont été ouverts sous la présidence Touadéra, ainsi qu’en 2015, mais leur déroulement a mis en évidence les graves lacunes du système judiciaire, notamment s’agissant de la protection des victimes et des témoins.

Depuis septembre 2014, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) enquête sur la situation en République centrafricaine, faisant porter son action sur les allégations de crimes perpétrés dans le pays depuis août 2012. Il s’agit de la deuxième enquête ouverte par la CPI sur des crimes graves commis dans ce pays. La coopération du gouvernement centrafricain avec la CPI est primordiale, mais l’enquête en cours du bureau du procureur ne visera vraisemblablement qu’une poignée de suspects.

Un autre système était donc nécessaire pour juger les crimes graves et, en juin 2015, le président de transition de la République centrafricaine a promulgué une loi portant création d’une Cour pénale spéciale - une nouvelle instance judiciaire constituée de juges et de procureurs nationaux et internationaux ayant pour mandat d’instruire et de poursuivre les violations graves des droits humains commises dans le pays depuis 2003. Cette juridiction devrait aider à répondre à plus d’une décennie de crimes graves et à renforcer le système judiciaire dans son ensemble. Plus important encore, après des années d’impunité, la Cour offre une réelle chance de contraindre les commandants de groupes armés à rendre des comptes au niveau national et d’adresser une mise en garde à ceux qui envisageraient de commettre des violations.

« La réconciliation ne peut s’accomplir au prix de l’impunité », a déclaré le président Touadéra en novembre dernier, lors d’une conférence de bailleurs de fonds pour la République centrafricaine, à laquelle j’ai pris part. S’il a assuré la Cour de son soutien, le gouvernement devra en faire davantage pour faire de cette idée une réalité. En effet, plus de 18 mois après l’adoption de la loi portant création de la Cour, aucune enquête n’a encore commencé, sans même parler de procès.

Le 15 février, le président a nommé Toussaint Muntazini Mukimapa, de la République démocratique du Congo, procureur spécial de la nouvelle Cour, une étape importante. Des questions continuent de se poser cependant quant à l’appropriation nationale de la Cour et au caractère prioritaire de cette juridiction.

A l’heure du bilan de sa première année de présidence, Touadéra sera sans aucun doute préoccupé du sort des civils dans le centre et l’est de la République centrafricaine, eux qui sont les premières victimes de la poursuite de ces combats. Mais rendre la Cour pénale spéciale opérationnelle est le meilleur moyen pour le pays de briser l’impunité qui perpétue une telle violence. Le président devrait montrer clairement à ses soutiens internationaux, notamment les Nations Unies, que traduire les responsables en justice est une priorité de la deuxième année de son mandat. Avec une Cour pleinement opérationnelle d’ici à l’an prochain, les leaders de groupes armés coupables de violations devraient réfléchir à deux fois avant de prendre des civils pour cible.

Lewis Mudge est chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch.

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