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UE : Ne pas renvoyer pas les réfugiés syriens vers la Turquie

L’accès insuffisant à l’emploi, à l’éducation et aux soins de santé alimente le cycle de la pauvreté et de l'exploitation

(Bruxelles) – Les retards pris dans l'enregistrement des réfugiés syriens et dans la mise en œuvre limitée de politiques de protection temporaire en Turquie privent nombre d’entre eux de protection efficace, d’accès à l’emploi et de services dont ils ont pourtant cruellement besoin, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.  Tant que la Turquie doit faire face à un très grand nombre de réfugiés sans pouvoir assurer de manière adéquate la protection et la sécurité de toutes ces personnes, l’Union européenne (UE) ne devrait pas renvoyer des réfugiés syriens vers la Turquie.

Une fillette photographiée dans un campement près d’Edirne, dans le nord-ouest de la Turquie, où résident de nombreux migrants en majorité syriens n’ayant pas reçu l’autorisation de franchir la frontière vers la Grèce. © 2015 Osman Orsal / Reuters

« La Turquie accueille déjà deux millions de réfugiés syriens, il est donc peu surprenant que beaucoup d’entre eux ne peuvent bas bénéficier du soutien dont ils ont désespérément besoin pour maintenir leur mode de subsistance », a déclaré Stephanie Gee, titulaire d’une bourse Robert L. Bernstein auprès du programme Droits des réfugiés de à Human Rights Watch. « L'UE a l’obligation morale et même légale d’assumer en partie le fardeau que constitue l’afflux de réfugiés, en s’abstenant de renvoyer des réfugiés syriens vers la Turquie sans évaluer au préalable leurs demandes d'asile. »

Entré en vigueur en mars 2016, un accord conclu entre l'UE et Ankara prévoit que de nombreux demandeurs d'asile syriens en Grèce pourraient être expulsés en Turquie sans examen préalable par l'UE de leurs demandes initiales de protection relatives à la situation dans leur pays d'origine, au prétexte que la Turquie serait pour eux un « pays tiers sûr » ou un « premier pays d'asile ». La notion de « sûreté », dans le cadre de cette analyse, ne couvre pas seulement la protection des guerres ou des persécutions : cela signifie aussi qu'un réfugié a des droits, consacrés par la Convention relative au statut des réfugiés, y compris les droits au travail décent, à des soins de santé et à une éducation.

Toutefois, les lois et politiques qui régissent la vie des réfugiés syriens en Turquie ne leur reconnaissent pas de droits complets, et les protections prévues par ces législations n’ont toujours pas été pleinement mises en œuvre. Par conséquent, de nombreux Syriens résidant en Turquie sont privés d’éducation, de soins de santé et d’accès à un emploi déclaré. En outre, des retards pouvant s’étaler jusqu'à six mois ont été constatés dans l'enregistrement qui permet l’octroi d’une protection temporaire, ce qui veut dire que certains réfugiés sont incapables d'obtenir des services de base et vivent dans la crainte d'être maintenus dans des camp ou expulsés.

Human Rights Watch a déjà documenté les expulsions pratiquées par les autorités turques à la frontière syrienne, qui relèvent de la notion de refoulement, à savoir le renvoi vers un pays où la vie ou la liberté des personnes reconduites sont menacées. L’ONG a appelé à plusieurs reprises l'UE à reconnaître que les politiques et les circonstances actuelles en Turquie ne permettent pas de considérer que ce pays est juridiquement « sûr » pour des retours. Une nouvelle analyse juridique et des recherches démontrent précisément en quoi la qualité de la protection offerte au Syriens en Turquie ne satisfait pas aux critères requis pour en faire un « pays tiers sûr » ou un « premier pays d'asile » pour des retours.

En mars et avril derniers, Human Rights Watch a interrogé 67 adultes et enfants réfugiés syriens vivant en Turquie. Ces entretiens, ainsi que des informations collectées par des organisations non gouvernementales et disponibles dans des rapports en accès libre, révèlent que de nombreux réfugiés sont confrontés à des retards de plusieurs mois dans l'enregistrement préalable à l’octroi d’une protection temporaire, laissant ces derniers dans l’incapacité de scolariser leurs enfants ou de recevoir des soins de santé.

Un Syrien de 21 ans a indiqué s’être rendu à cinq reprises dans deux postes de police différents avant de pouvoir seulement prendre un rendez-vous, trois mois plus tard, pour faire une demande d'enregistrement. D'autres affirment que les fonctionnaires imposent des conditions pour l’enregistrement qui ne sont pas spécifiées dans le règlement, comme par exemple de présenter un bail.

« En vérité, c’est dangereux pour nous ici : nous avons échappé à la mort pour échouer dans un lieu sans vie », a déclaré « Mahmoud » (son nom a été changé), âgé de 29 ans, un ancien journaliste de Hama qui survit grâce à des piges occasionnelles ou des petits boulots. S’il est reconnaissant à la Turquie de son hospitalité, il ne considère pas la protection temporaire dont il y bénéficie comme source de réelle stabilité. « Je veux juste vivre là où mes droits sont respectés, où je peux les revendiquer et être assuré de pouvoir les exercer, rien de plus », a-t-il confié. « Nous voulons juste vivre et être protégés par la loi ».

Le gouvernement turc affirme avoir dépensé 10 milliards de dollars pour l’accueil des réfugiés syriens depuis 2011, au rythme d’environ 500 millions de dollars par mois. Au cours des deux dernières années, la Turquie a également publié des règlementations pour permettre aux réfugiés syriens de résider légalement dans le pays, d’avoir accès au système éducatif et à des soins de santé publics, et de faire la demande d’un permis de travail. En vertu de l'accord avec la Turquie, l'UE s’est engagé à verser à Ankara au moins trois milliards d’euros pour faciliter l’accueil des réfugiés, 180 millions d'euros ayant été débloqués à ce jour. Toutefois, ces mesures tardent à avoir un impact significatif sur les conditions de vie de nombreux réfugiés syriens.

La Turquie a enregistré plus de 2,7 millions de réfugiés syriens depuis 2011, même si certains ont quitté le pays depuis. Selon les autorités turques, près de 300.000 vivent dans 26 camps frontaliers de la Syrie administrés par l'État ; 90% des autres réfugiés se trouvant dans les villes.

Pays signataire de la Convention sur les réfugiés de 1951 et de son Protocole de 1967, la Turquie a tout d’abord limité son application aux réfugiés européens, à l'exclusion de tous les autres. Une loi en date de 2013 a établi un système de « protection internationale » destiné aux demandeurs d'asile non-européens et qui rapproche le droit turc pertinent des dispositions de la Convention. La loi prévoit également un régime de protection temporaire, étoffé par une réglementation en date d’octobre 2014. Si celle-ci précise les droits et avantages de la plupart des réfugiés syriens en Turquie, elle peut être annulée à tout moment sur décision du Conseil des ministres. Dans un tel scénario, les bénéficiaires perdraient la garantie de pouvoir rester légalement dans le pays.

En janvier 2016, la Turquie a publié une nouvelle règlementation permettant aux bénéficiaires syriens de la protection temporaire de faire la demande d’un permis de travail, sous réserve de pouvoir satisfaire à un certain nombre de critères de résidence et du parrainage d’un employeur. En raison de ces restrictions, les réfugiés adultes que Human Rights Watch a interrogés étaient soit inéligibles, soit mal informés de cette réglementation, soit ne parvenaient pas à trouver de parrainage. Parmi les réfugiés syriens interrogés, 24 adultes étaient éligibles à un permis de travail, 24 autres ne l’étaient pas, et aucun n’avait soumis de demande ou entendu parler de quelqu'un qui l’aurait fait.

Human Rights Watch a documenté la manière dont ces difficultés exposent les familles de réfugiés syriens en Turquie à la pauvreté et au travail des enfants, et les travailleurs syriens à l’exploitation. Une femme a expliqué avoir été payée la moitié des émoluments perçus par ses collègues turcs, ses employeurs allant parfois jusqu’à diviser par deux ce salaire déjà très bas. Elle a également décrit des cas d'abus physiques perpétrés par des supérieurs contre des travailleurs syriens.

Selon une étude du Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) menée en avril auprès de 1.562 ménages syriens basés en Turquie du sud, 93% des personnes interrogées vivaient en dessous du seuil national de pauvreté. Le rapport constate que l'insécurité alimentaire est clairement liée à l'accès limité à un emploi stable.

La majorité des enfants syriens en Turquie ne sont pas scolarisés. En novembre 2015, Human Rights Watch a publié un rapport expliquant les raisons de cette situation. Le gouvernement a pris des mesures remarquables pour remédier à de telles lacunes, s’engageant à scolariser 450.000 enfants syriens d'ici à la fin de cette année. Cependant, le ministre de l'Éducation a récemment reconnu qu’« à peine 325.000 Syriens en Turquie sont scolarisés sur plus de 756.000 réfugiés en âge de recevoir une éducation » . Le nombre d'enfants scolarisables est peut-être encore plus élevé aujourd’hui, avec près de 940.000 syriens âgés de 5 à 17 ans enregistrés en Turquie, même si un certain nombre a pu en partir.

Les donateurs internationaux devraient soutenir le gouvernement turc dans ses efforts pour améliorer la réalisation des droits fondamentaux des réfugiés syriens ayant fui en Turquie. Parallèlement, le Bureau européen d'appui et la Grèce devraient examiner toutes les demandes d'asile faites par des Syriens en provenance de Turquie, demandes qui ne doivent pas être rejetées au motif que la Turquie serait un « pays tiers sûr » ou « premier pays d'asile » pour tous les Syriens.

« La Turquie accueille déjà plus de deux millions de réfugiés, dont beaucoup luttent pour survivre et ne voient pas leurs droits respectés », a déclaré Stephanie Gee. « Au lieu de se défausser et de violer leurs propres normes, les gouvernements de l'UE devraient assumer leur part de responsabilités internationales et offrir une chance aux demandeurs d'asile syriens. »

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Collectif VAN 20.06.16

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