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Il faut placer les droits humains au cœur du partenariat entre les États-Unis et l'Afrique

Dans une allocution devant le parlement ghanéen en 2009, le président américain Barack Obama avait présenté un certain nombre de principes directeurs pour définir comment son administration concevait ses intérêts en Afrique. « Les gouvernements », avait-il dit, « qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par consensus et non par la contrainte, sont plus prospères, plus stables et ont de meilleurs résultats que les gouvernements qui ne le font pas. » De même, un élément central de la Stratégie des États-Unis vis-à-vis de l'Afrique subsaharienne de 2012 stipulait que les États-Unis avaient l’intention de «soutenir les personnes – en amplifiant leurs voix - qui appellent au respect des droits humains, de l'État de droit, de la responsabilité et des mécanismes de justice transitionnelle, ainsi que les médias indépendants ». Il s'agissait là de paroles importantes; elles ont eu un vaste écho auprès des populations africaines et auprès de sociétés civiles de plus en plus actives. Elles ont suscité de grands espoirs.

Toutefois, lorsque l'on examine de plus près la politique de l'administration américaine à l'égard de l'Afrique, on est déçu de constater une réticence manifeste à intégrer les droits humains dans le cadre général de la politique étrangère. En particulier, alors que le président Obama a présenté un certain nombre d'initiatives spécifiques visant à renforcer l'action américaine en faveur du développement sur le continent tout en la faisant coïncider avec des objectifs cruciaux de sécurité nationale, il n'a pas fait de même pour les droits humains et l'État de droit.

Sans une vision globale qui fasse du respect des droits humains un pilier central de la politique étrangère américaine, aux côtés d'objectifs plus traditionnels de sécurité nationale, les condamnations publiques par l'administration des violations de ces droits et ses appels à ce que les auteurs des violations soient amenés à en répondre devant la justice, n'ont qu'un impact limité. Les États-Unis émettent également des signaux ambigus quand l'allocation de leur aide semble ne tenir aucun compte de préoccupations concernant les droits humains, comme ce fut le cas pour leurs programmes d'assistance dans le secteur de la sécurité au Tchad, au Kenya et au Soudan du Sud et pour leur aide au développement au Rwanda et à l'Éthiopie.

Quand les États-Unis ont fait du respect des droits humains une priorité de leur diplomatie en Afrique, cela a eu un impact positif sur leur capacité à atteindre d'autres objectifs de politique extérieure sur le continent et cela a été bien perçu par de nombreux Africains. Ce fut le cas par exemple lorsque l'administration américaine a appelé la République démocratique du Congo à exécuter le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) à l'encontre de Bosco Ntaganda et a ensuite joué un rôle clé dans son transfert à La Haye après qu'il se soit rendu à l'ambassade des États-Unis au Rwanda voisin, ou lorsque le Département d'État a décidé d'accorder un soutien financier au tribunal sénégalais qui doit juger l'ancien dictateur du  Tchad, Hissène Habré. Ces actes spécifiques démontrent que quand les États-Unis exercent leur influence dans le bon sens, ils sont en mesure à la fois de promouvoir la justice et de renforcer l'État de droit.

Il existe d'autres cas importants dans lesquels les États-Unis ont intégré les droits humains dans leur politique à l’égard de pays africains, notamment dans leurs efforts pour limiter les menaces posées aux populations civiles par l'Armée de résistance du seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), leur appui au déploiement d'une mission de maintien de la paix de l'ONU en République centrafricaine et leur détermination à maintenir en place des sanctions ciblées et fermes à l'encontre d'influents responsables du Zimbabwe où la répression des activistes handicape le travail des acteurs indépendants et affaiblit l'efficacité du gouvernement.

Dans d'autres cas, cependant, l'engagement des États-Unis en faveur des droits humains et de l'État de droit demeure discret, donnant l'impression que certains gouvernements ont carte blanche pour continuer à se comporter « comme si de rien n'était » sans conséquences pour eux. Au moins une douzaine de gouvernements autoritaires à travers le continent menacent les médias indépendants et les organisations non gouvernementales, y compris les communautés LGBT, à la fois par des attaques individuelles et par le biais de législations qui limitent leur capacité de fonctionner. Cette tendance semble s'aggraver et les États-Unis n'y ont pas apporté de réponse coordonnée et claire – condamnant certains de ces gouvernements publiquement, en condamnant d'autres seulement en privé et semblant ignorer les autres purement et simplement. Souvent, la réponse se fait attendre et ne présente pas clairement les conséquences auxquelles pourraient s'exposer les dirigeants africains en poursuivant dans cette voie.

Le cas de l'Éthiopie illustre bien cette tendance. Au cours de la dernière décennie, son gouvernement a systématiquement fermé la voie aux manifestations pacifiques, emprisonnant les dirigeants d'opposition, les activistes et les journalistes indépendants ou les forçant à fuir le pays pour le simple fait d'avoir exercé leur droit de s'exprimer librement et de critiquer leur gouvernement. L'adoption de la Proclamation sur les organisations caritatives et les sociétés (Charities and Societies Proclamation) en 2009, ainsi que d'autres lois répressives, a contraint les organisations de défense des droits humains les plus efficaces du pays soit à cesser leurs activités, soit à les réduire de manière substantielle, soit à supprimer la promotion des droits humains de leurs mandats.

L'administration américaine a parfois fait des déclarations publiques dans lesquelles elle critiquait la répression exercée par le gouvernement éthiopien, notamment en juillet lorsque 10 blogueurs et journalistes ont été accusés de crimes en vertu de la loi antiterroriste du pays, mais ces déclarations n'étaient pas le reflet d'une politique plus générale qui puisse permettre de déboucher sur l'abrogation de la loi ou sur son amendement. Pendant ce temps, les États-Unis ont développé avec l'Éthiopie un vigoureux partenariat dans le domaine de la sécurité, dans lequel les préoccupations concernant les droits humains ne semblent pas figurer. Ces signaux divergents semblent signifier que les États-Unis ne se soucient des droits humains que de manière superficielle.

Au Rwanda, il ne reste presque plus de voix indépendantes. Des journalistes détracteurs du gouvernement ont été tués, menacés, poursuivis en justice, emprisonnés ou contraints à l'exil. L'hostilité du gouvernement rwandais à l'égard des organisations de défense des droits humains, ainsi que l'intimidation des activistes des droits humains, a sérieusement affaibli la société civile indépendante. Quand l'activiste anti-corruption Gustave Makonene a été tué en juillet 2013, ce crime a été suivi d’un silence presque complet, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Rwanda. Des diplomates ont évoqué cette affaire en privé avec des responsables gouvernementaux rwandais, mais il n'y a eu aucun appel public vigoureux en faveur de la justice sur le plan international.

En Ouganda, les débats au sujet de la succession présidentielle, de la transparence concernant l'utilisation des ressources publiques, de la gouvernance et d'autres sujets politiquement sensibles sont de plus en plus restreints. L'adoption d'une loi anti-homosexualité en février 2014 criminalise la promotion de l'homosexualité et a des implications qui vont bien au-delà de l'alourdissement des punitions encourues pour activités homosexuelles. Une personne peut théoriquement être emprisonnée pour le simple fait d'avoir exprimé pacifiquement une opinion, tandis qu'une organisation de défense des droits humains peut être poursuivie en justice sous l'accusation d'avoir plaidé pour la non-discrimination. La réponse américaine après que le président ougandais Yoweri Museveni a promulgué cette loi draconienne traduit une volonté nouvelle et qui a longtemps manqué de réagir à la détérioration de la situation des droits humains en Ouganda – mais beaucoup reste encore à faire.

Outre les sévères restrictions imposées dans la sphère d'activité civile et politique en Afrique, de nombreux cas d'exactions systématiques commises par les forces de sécurité ne suscitent que très peu, voire pas du tout, de réaction de la part des États-Unis. Le Soudan du Sud, le Kenya et le Nigéria – trois pays qui bénéficient de solides partenariats bilatéraux avec les États-Unis – en sont de bons exemples, même s'ils ne sont pas les seuls.

Dans les villes de Malakal et Bentiu, au Soudan du Sud, les forces gouvernementales et les rebelles ont commis des violations des droits humains lors des combats qui ont éclaté en décembre dernier. Ils ont directement ciblé des civils, commis des exécutions extrajudiciaires, souvent sur la base de l'appartenance ethnique, et pillé et détruit des biens civils à grande échelle, y compris des infrastructures destinées à l'aide internationale dont les populations locales ont désespérément besoin. Lors des premiers jours du conflit, des membres des forces de sécurité du Soudan du Sud – que les États-Unis ont soutenues pendant de nombreuses années, jusqu'à une date récente – se sont livrées à des meurtres à grande échelle et à des arrestations massives.

Au Kenya, l'un des principaux destinataires en Afrique d’assistance américaine en matière de sécurité, de nombreuses opérations antiterroristes contre des Somaliens et des Kenyans d'origine somalienne ont été marquées par le recours à une force excessive, par des perquisitions surprises, des extorsions de fonds et des violences sexuelles. L'Unité de police antiterroriste, une unité soutenue par les États-Unis, a été impliquée dans des disparitions forcées, des meurtres et d'autres exactions. Et au Nigéria, où le groupe islamiste armé Boko Haram a tué plus de 2 000 personnes au cours des six derniers mois, les tactiques brutales des forces de sécurité nigérianes ont contribué aux abus car elles ont pris pour cible des personnes soupçonnées d'être des partisans de Boko Haram en incendiant leurs maisons, en maltraitant des personnes en garde à vue et en les détenant dans des conditions inhumaines.

Dans aucun de ces pays, les forces gouvernementales n'ont été amenées à répondre de leurs actes devant la justice, ce qui signifie que les préoccupations sous-jacentes ayant conduit à l'explosion de violence n'ont pas été réglées. Beaucoup trop souvent, les responsables américains se sont abstenus de condamner publiquement ces graves allégations d'abus ou d'insister pour que les autorités nationales ouvrent des enquêtes à leur sujet. Dans les rares cas où l'assistance en matière de sécurité est soumise à certaines conditions, c'est généralement parce que le Congrès l'a exigé.

Compte tenu de l'accroissement des allocations financières américaines destinées à l'assistance à la sécurité en Afrique – que ce soit par le biais du Fonds pour le partenariat en matière de lutte antiterroriste (Counter-Terrorism Partnership Fund) créé par Barack Obama ou par d'autres canaux – un engagement de la part de l'administration américaine à défendre énergiquement ces principes fondamentaux démontrerait la détermination des États-Unis à promouvoir le respect des droits de tous les Africains. Cela contribuerait également à atteindre l'objectif plus général de sécurité nationale de Washington consistant à établir des partenariats militaires avec des forces armées professionnelles, responsables et efficaces à travers le continent.

Il est certain que l'un des plus importants enseignements tirés des récents soulèvements populaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord est que les compromis effectués au détriment des droits humains et de l'État de droit ne sont pas tenables et qu'ils ne garantissent pas nécessairement une plus grande sécurité et stabilité. Un soutien durable à l'Afrique – et aux peuples africains – exige que l'administration soit sans équivoque dans son message et dans la manière dont elle met en œuvre sa politique, s'agissant de la promotion et de la protection des droits humains. Ces principes ne devraient pas être relégués au second plan derrière les échanges commerciaux, les investissements et les préoccupations de sécurité. Au contraire, le respect des droits humains devrait être pleinement intégré en tant qu'élément essentiel de la politique étrangère américaine. Une telle intégration aurait pour effet non seulement d'encourager les gouvernements africains à adhérer à des principes de gouvernance responsable et transparente – mais aussi dans certains cas de les y contraindre. Au bout du compte, cela aiderait également les États-Unis à faire des pays africains des partenaires meilleurs, plus forts et plus efficaces.

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Sarah Margon est directrice du bureau de Washington de Human Rights Watch.

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