Un adolescent de 16 ans lutte contre la mort dans un hôpital parisien. Le 13 juin dernier, Darius a été découvert par un voisin, inconscient dans un chariot de supermarché sur le bord d'une route.
Quels que soient les motifs de ses agresseurs, et rien ne saurait justifier l'attaque violente contre le jeune garçon, ce crime effroyable ne vient pas de nulle part.
Darius est rom, une communauté régulièrement fustigée en France par des certains responsables politiques et dans les médias.
La procureure en charge de l'affaire, qualifiant cet acte de " barbare ", a déclaré qu'un groupe de personnes dont le nombre exact n'est pas connu a agressé Darius, le laissant avec de nombreuses blessures, en particulier à la tête. Elle a également suggéré que ces actes pourraient avoir été commis en représailles à un cambriolage dans le quartier.
Ni la discrimination que les Roms subissent, ni les discours négatifs les visant prononcés par des responsables politiques de tous les bords, n'ont été officiellement reconnus
Le président François Hollande, le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve ont fermement condamné cette attaque. À ce jour cependant, ni la pauvreté ni la discrimination que les Roms subissent au quotidien dans leur pays d'origine comme en France, ni les discours négatifs les visant prononcés par des responsables politiques de tous les bords, n'ont été officiellement reconnus. La question du lien possible entre cette stigmatisation et le fait que Darius se trouve aujourd'hui dans le coma n'a pas été publiquement soulevée par les autorités françaises.
Les familles roms, dont bon nombre ont fui la discrimination et la persécution dont elles étaient victimes dans leur pays, vivent dans des campements et des squats qui évoquent d'autres lieux et d'autres temps, mais pas la France de 2014. Comme si les conditions de vie dans les camps n'étaient pas assez déplorables - bien souvent, les Roms ne bénéficient ni de l'eau courante, ni du ramassage des ordures - les familles sont régulièrement expulsées, malgré les difficultés que cela pose pour les soins de santé et pour l'éducation des enfants.
Pendant sa campagne présidentielle, François Hollande avait promis que son gouvernement révoquerait les mesures prises par Nicolas Sarkozy à l'égard des Roms. Or dans les faits, la politique du gouvernement Hollande a consisté à expulser, éloigner et parfois stigmatiser les Roms, comme l'a fait son prédécesseur.
Des organisations non gouvernementales ont rapporté que les expulsions de Roms ont doublé entre 2012 et 2013, dans la plupart des cas sans qu'aucune solution adéquate de relogement ne soit proposée. Alors qu'il était encore ministre de l'Intérieur, le Premier ministre Manuel Valls a déclaré publiquement que la majorité des Roms ne souhaitent pas s'intégrer en France et devraient être renvoyés en Roumanie ou en Bulgarie.
Le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) fait état de préjugés largement répandus et de plus en plus marqués à l'égard des Roms en France. Il relève que " même les personnes qui se considèrent comme non racistes sont porteuses de stéréotypes négatifs envers les Roms ".
Il semble que de nombreuses personnes associent les Roms à la criminalité, aux bidonvilles et à la mendicité, mais pas à la discrimination qu'ils subissent, aux expulsions forcées dont ils sont victimes de façon répétée ni au désespoir de pas avoir de travail et d'avoir nulle part où aller.
En avril, une note interne qui donnait pour consigne aux policiers du sixième arrondissement de Paris d'évincer systématiquement les Roms vivant dans les rues de ce quartier cossu avait fait l'objet de fuites dans la presse. Cette note rappelait une circulaire d'août 2010 ordonnant aux préfets de France de démanteler en priorité les campements illicites de Roms. Le tollé déclenché à l'époque par cette circulaire avait conduit le gouvernement à la retirer. Mais la réalité n'a pas changé.
Une autre circulaire, de 2012, donne pour instruction aux préfets d'essayer de trouver des solutions d'hébergement alternatives pour les familles expulsées, et de veiller à ce qu'elles continuent à avoir accès aux soins de santé et à l'éducation. Mais cette circulaire est non contraignante, rarement appliquée, et les expulsions se poursuivent comme par le passé. En fait, des associations de défense des droits humains qui travaillent avec les Roms signalent que leurs conditions de vie se sont dégradées du fait de ces expulsions répétées.
Il est du devoir du gouvernement français de protéger toutes les personnes sur son territoire, y compris les Roms, contre les actes criminels et discriminatoires, et de sa responsabilité de ne pas prononcer de discours stigmatisants.
Le président François Hollande, le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve devraient déclarer haut et fort qu'aucune exaction contre les Roms ne sera tolérée, et changer leur politique d'expulsion, qui ne fait que plonger les ces personnes dans plus de misère. Il ne suffit pas de s'indigner lorsqu'un enfant est brutalement attaqué, mais de réitérer ce message jusqu'à ce que les attitudes envers les Roms commencent à changer.
L'été est là et, si le gouvernement n'agit pas maintenant, nous assisterons à davantage d'expulsions à grande échelle, à des familles forcées de vivre dans des conditions indignes et, selon toute probabilité, à plus de violence. Cela n'est pas digne de la France d'aujourd'hui.
Izza Leghtas est chercheuse sur l'Europe de l'Ouest au sein de Human Rights Watch.