(Kinshasa, le 7 mars 2005) - Au cours du conflit dans l’Est du Congo, les soldats gouvernementaux et les combattants rebelles ont violé des dizaines de milliers de femmes et de filles et pourtant, moins d’une douzaine d’agresseurs ont été poursuivis par un système judiciaire qui a cruellement besoin de réformes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié la veille de la Journée Internationale de la Femme.
Le rapport de 59 pages, intitulé “En quête de justice : poursuivre les auteurs de violences sexuelles commises pendant la guerre au Congo,” explique en détail pourquoi les mesures prises par le gouvernement de la République Démocratique du Congo sont insuffisantes pour poursuivre ceux qui se sont rendus coupables de viol pendant la guerre. Human Rights Watch a appelé le gouvernement congolais et les bailleurs de fonds internationaux, notamment l’Union européenne, à adopter des mesures urgentes pour réformer le système judiciaire du Congo.
En dépit de l’accord de paix et du processus de transition aux larges assises mis en place en RDC depuis 2003, les soldats de l’armée nationale et les groupes armés continuent à perpétrer des actes de violence sexuelle dans les provinces de l’Est du pays, soit le Nord Kivu, le Sud Kivu et la Province Orientale. En 1998, un conflit armé a éclaté entre le gouvernement congolais, plusieurs pays voisins et diverses factions rebelles. Depuis lors, des combattants de tous les camps ont perpétré des dizaines de milliers d’actes de violence sexuelle sur des femmes et des filles, ainsi que sur un beaucoup plus petit nombre d’hommes et de garçons.
“La violence sexuelle a brisé la vie de dizaines de milliers de personnes au Congo mais moins d’une douzaine de victimes ont vu leurs agresseurs traduits en justice,” a déclaré Alison Des Forges, conseillère principale à la Division Afrique de Human Rights Watch. “Le gouvernement congolais doit réformer son système judiciaire afin de poursuivre de manière effective ceux qui ont commis des viols en temps de guerre.”
Un nombre croissant de victimes de violences sexuelles réclament justice. “Mon mari ne veut plus qu’on vive ensemble parce que j’ai eu des relations sexuelles avec les Maï Maï,” a expliqué une femme qui, en compagnie de onze autres femmes de Shabunda, au Sud Kivu, a été violée par des combattants appartenant aux Maï Maï, un groupe congolais local armé et opposé à l’occupation étrangère. “Les coupables doivent être punis,” a-t-elle déclaré.
Il est possible que la Cour Pénale Internationale poursuivra un petit nombre d’auteurs de violences sexuelles mais la grande majorité des responsables de ces crimes devront être jugés devant des tribunaux congolais. Pourtant, le système judiciaire congolais est en débâcle. Les juges et les procureurs ne considèrent généralement pas la violence sexuelle comme un délit grave. Les officiers supérieurs de l’armée ne doivent pas répondre pour les crimes perpétrés par les combattants qui se trouvaient sous leur commandement.
Les quelques procès pour viol qui ont eu lieu ont fréquemment abouti à des violations des droits des accusés et des victimes. Dans l’un des procès réalisés à Bukavu, l’accusé n’a pas eu l’occasion de choisir ses représentants en justice. Il a rencontré l’un de ses deux avocats la veille du procès et le second le jour-même.
Le soutien aux victimes est pratiquement inexistant. En témoignant publiquement contre un soldat qui l’avait violée, une fillette de huit ans a subi un second traumatisme lors du procès. Elle avait eu peu de temps de préparation, peu de guidance ou de prise en charge psychologique pour faire face aux fortes pressions. Par ailleurs, les victimes qui portent des accusations ne bénéficient d’aucune protection policière ou judiciaire spéciale.
“Le gouvernement congolais doit considérer la réforme de la justice comme une priorité,” a déclaré Des Forges. “Le soutien de bailleurs de fonds internationaux tels que l’Union européenne est essentiel pour mener à bien cet effort.”
Les lois nationales actuelles relatives au viol et aux crimes de guerre sont inadéquates et incompatibles avec les exigences du droit international humanitaire et des droits humains. Une nouvelle loi sur les crimes de violence sexuelle est à l’examen au Parlement de transition. Une commission ministérielle envisage également l’adoption d’une loi sur la coopération du Congo avec la Cour Pénale Internationale.
Human Rights Watch a appelé à prendre des mesures qui aideraient les victimes de violences sexuelles au Congo. Les besoins médicaux et psychologiques des femmes et des filles qui ont subi des crimes de violence sexuelle doivent être rencontrés. Le rapport analyse l’urgence médicale mise en place pour ces viols généralisés et il prône une amélioration des services de santé destinés aux victimes, notamment celles affectées par le VIH/SIDA.
Une femme a confié à une chercheuse de Human Rights Watch qu’en mai 2004, elle avait été témoin du viol de sa nièce de 13 ans par des combattants dissidents du RCD-Goma (Rassemblement Congolais pour la Démocratie - Goma) dirigés par Laurent Nkunda.