L’Arabie saoudite devrait mettre fin à toutes les exécutions et respecter ses engagements envers les mineurs accusés de crimes et les délinquants toxicomanes
Les organisations soussignées sont profondément préoccupées par l'escalade alarmante des exécutions en Arabie saoudite, où les autorités ont procédé ces dernières semaines aux exécutions d'Abdullah al-Derazi, qui était mineur au moment des faits qui lui étaient reprochés, et de deux ressortissants égyptiens, Mohamed Saad et Omar Sherif, condamnés à mort pour des infractions non mortelles liées à la drogue. L'exécution d'Abdullah al-Derazi, le 20 octobre 2025, a été la 300ème exécution effectuée en Arabie saoudite cette année. Cette vague d'exécutions en cours place le royaume en passe de dépasser le record de l'année dernière, qui était de 345, ce qui ferait de 2025 l'année la plus meurtrière jamais enregistrée en matière d'exécutions dans le pays.[1] Le lendemain matin, le 21 octobre 2025, Mohamed Saad et Omar Sherif ont été exécutés à Tabouk.
Les exécutions d'Abdullah al-Derazi, Mohamed Saad et Omar Sherif mettent en évidence le caractère indiscriminé de la vague actuelle d'exécutions en Arabie saoudite, qui vise aussi des individus accusés d'infractions commises quand ils étaient mineurs, et des personnes condamnées pour des infractions non mortelles liées à la drogue. Selon Reprieve, aucune des familles des victimes n'a été informée à l'avance ni n'a eu la possibilité de leur dire adieu, ce qui bafoue les obligations de l'Arabie saoudite en vertu du droit international [2]. La plupart ont appris la nouvelle des exécutions par les réseaux sociaux.
Abdullah al-Derazi a été arrêté à l'âge de 18 ans pour avoir prétendument participé à des manifestations lorsqu'il était mineur. Il a été soumis à une détention prolongée au secret, à l'isolement cellulaire et à de graves tortures physiques et psychologiques qui l'ont conduit à l'hôpital et dans le coma.[3] Il a été contraint de signer de faux aveux et a finalement été condamné à mort, à l'issue d'un procès manifestement inéquitable. Abdullah al-Derazi a été pris pour cible en raison de sa participation présumée à des manifestations contre le traitement réservé par le gouvernement à la minorité chiite à laquelle il appartenait. Pour ces raisons, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a jugé sa détention arbitraire et en violation du droit international relatif aux droits humains, dans son avis n° 71/2024.[4]
Les experts des Nations Unies, notamment le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ont également soulevé à plusieurs reprises le cas d'Abdullah et celui d'autres individus accusés d'infractions commises quand ils étaient mineurs. En septembre 2025, ce Rapporteur et d'autres experts des Nations Unies ont publié une déclaration exhortant l'Arabie saoudite à mettre fin à ces exécutions,[5] réitérant leur appel urgent de 2024 selon lequel l’exécution de mineurs constitue une privation arbitraire de la vie.[6]
En 2020, les autorités saoudiennes ont annoncé un décret royal visant à abolir la peine de mort pour les mineurs accusés d'infractions.[7] Mustafa al-Darwish a été exécuté l'année suivante pour des infractions qu'il aurait commises à l'âge de 17 ans,[8] mais de juillet 2021 à juillet 2025, l'Arabie saoudite n'a exécuté personne pour des crimes commis en tant que mineur. L'exécution de Jalal al-Labbad en août 2025, pour des crimes présumés incluant la participation à des manifestations à l'âge de 15 ans, a constitué une escalade effrayante, montrant que les autorités saoudiennes reviennent sur leur promesse d'avoir cessé d'exécuter des individus accusés d'infractions commises quand ils étaient mineurs. L'exécution d'Abdullah al-Derazi confirme cette nouvelle tendance.
En 2024, lors de l’Examen périodique universel de ce pays par le Conseil des droits de l'homme de l’ONU, l'Arabie saoudite n'a soutenu qu'une seule recommandation sur la question de la peine de mort, à savoir « abolir la peine de mort ou, à tout le moins, la limiter aux crimes les plus graves tout en appliquant une définition restrictive du terrorisme et en l'abolissant pour tous les délinquants mineurs » (43.109).
Les exécutions de Mohamed Saad et Omar Sherif, tous deux ressortissants égyptiens, ont eu lieu malgré les appels urgents lancés par les experts de l'ONU en décembre 2024[9] et juin 2025[10] demandant un moratoire sur les exécutions de personnes accusées d'infractions liées à la drogue en Arabie saoudite, avertissant que ces exécutions violent le droit international des droits humains et n'atteignent pas le seuil des « crimes les plus graves », requis pour justifier la peine capitale. Selon Reprieve, les familles des deux hommes n'ont pas été informées à l'avance, et leurs corps ne leur ont pas été restitués. Ces exécutions remettent une fois de plus en cause les déclarations du prince héritier Mohammed ben Salmane, selon lesquelles la peine capitale ne serait appliquée qu'aux crimes caractérisés par un homicide volontaire.[11]
Ces exécutions marquent également un revirement complet par rapport au moratoire sur la peine capitale pour les infractions liées à la drogue, qui était en vigueur depuis 33 mois, entre février 2020 et novembre 2022. Cette année, la majorité des exécutions ont été menées pour des crimes liés à la drogue, touchant de manière disproportionnée les ressortissants étrangers originaires de pays tels que la Somalie, l'Éthiopie, le Pakistan et l'Égypte.
Les organisations soussignées sont gravement préoccupées par le risque imminent d'exécution qui pèse sur d'autres personnes, notamment Youssef al-Manasif, qui était mineur au moment des faits qui lui sont reprochés, et le ressortissant égyptien Issam al-Shazly, qui reste dans le couloir de la mort pour des infractions non mortelles liées à la drogue, ainsi que de nombreuses autres personnes.
Nous exhortons le gouvernement saoudien à :
- Suspendre immédiatement toutes les exécutions, et instaurer un moratoire sur la peine de mort, en vue de l'abolir pour tous les crimes.
- Respecter ses engagements à mettre fin à l'application de la peine de mort pour les enfants accusés et les personnes condamnées pour des infractions non mortelles, dans l'attente de l'abolition totale de la peine capitale.
- Restituer les corps des personnes exécutées à leurs familles, assurer une transparence totale dans la publication des données relatives aux exécutions, et autoriser un contrôle indépendant des conditions de détention dans les couloirs de la mort.
Nous appelons tous les gouvernements favorables à l’abolition de la peine de mort à :
- Condamner publiquement ces exécutions et exhorter l'Arabie saoudite à s’abstenir de procéder à toute nouvelle exécution.
- Faire pression sur les autorités saoudiennes pour qu'elles respectent leurs engagements déclarés concernant les affaires impliquant des mineurs et liées à la drogue, en attendant l'abolition totale de la peine de mort.
- Réexaminer toute coopération ou assistance judiciaire susceptible de permettre des exécutions.
Organisations signataires
- Abdorrahman Boroumand Center for Human Rights in Iran (ABC)
- ACAT Allemagne (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture)
- ACAT Belgique (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture)
- African Academy of Diplomacy AAD
- After Violence Project (USA)
- ALQST for Human Rights
- Americans for Democracy and Human Rights in Bahrain (ADHRB)
- Capital Punishment Justice Project (CPJP)
- Center for Legal Support and Inmates’ Rehabilitation (CELSIR)
- Child Rights International Network (CRIN)
- Coalition of Somali Human Rights Defenders (CSHRD)
- Coalition Tunisienne Contre la Peine de Mort
- Colegio de Abogados y Abogadas de Puerto Rico (Puerto Rico Bar)
- Collectif Français Libérons Mumia
- Cornell Center on the Death Penalty Worldwide (CCDPW)
- Death Penalty Focus
- DITSHWANELO - The Botswana Centre for Human Rights
- ECPM (Ensemble contre la peine de mort)
- Egyptian Front for Human Rights (EFHR)
- European Saudi Organisation for Human Rights (ESOHR)
- Federal Association of Vietnamese Refugees in the Federal Republic of Germany
- Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
- German Coalition to Abolish the Death Penalty (GCADP)
- Hands off Cain
- Harm Reduction International
- Horn Afrik News Agency for Human Rights (HANAHR)
- Human Rights Watch
- International Bar Association’s Human Rights Institute
- Iran Human Rights (IHRNGO)
- LDH (Ligue des droits de l’Homme) – communiqué
- Legal Defence & Assistance Project (LEDAP-Nigeria)
- Lembaga Bantuan Hukum Masyarakat (LBHM)
- Lifespark Movement against the death penalty
- Malaysians Against Death Penalty and Torture (MADPET)
- MENA Rights Group
- Organisation Contre la Torture en Tunisie
- Prisoners’ Future Foundation (PFF) Zambia
- Reprieve
- SOHRAM-CASRA (Centre Action Social Réhabilitation et Réadaptation)
- The Advocates for Human Rights
- The Inclusion Project Nigeria (TIP)
- Transitional Justice Working Group (TJWG)
- Witness to Innocent
- World Coalition Against the Death Penalty
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Notes
[1] Informations archivées par Reprieve et ESOHR.
[2] Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et al, « Urgent appeal to Saudi Arabia » (« Appel urgent à l'Arabie saoudite »), UA SAU 2/2024, pages 7 et 9 (13 juin 2024). https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=29155.
[3] ESOHR, MENA Rights Group : « Saudi Arabia continues to threaten the lives of minors, disregarding the UN Working Group on Arbitrary Detention’s recent Opinion » (« L'Arabie saoudite continue de menacer la vie de mineurs, au mépris de l'avis récent du Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire’), 4 février 2025. https://www.esohr.org/en/%d9%85%d9%8a%d9%86%d8%a7-%d9%88%d8%a7%d9%84%d8%a3%d9%88%d8%b1%d9%88%d8%a8%d9%8a%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d8%b3%d8%b9%d9%88%d8%af%d9%8a%d8%a9-%d8%a7%d8%b3%d8%aa%d9%85%d8%b1%d8%a7%d8%b1-%d8%aa%d9%87%d8%af
[4] HCDH, Communiqué de presse « Saudi Arabia must halt executions of persons convicted for offences committed as minors: UN experts » (« L'Arabie saoudite doit mettre fin aux exécutions de personnes condamnées pour des infractions commises alors qu'elles étaient mineures, selon des experts de l'ONU »), 5 septembre 2025. https://www.ohchr.org/en/press-releases/2025/09/saudi-arabia-must-halt-executions-personsconvicted-offences-committed
[5] Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et al., « Urgent appeal to Saudi Arabia » (« Appel urgent à l'Arabie saoudite »), UA SAU 2/2024,13 juin 2024 (p. 7 et 9). https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=29155
[6] Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, Avis A/HRC/WGAD/2024/71 concernant Abdullah al-Derazi, Jalal al-Labbad, Yusuf Muhammad Mahdi al-Manasif, Jawad Abdullah Qureiris et Hassan Zaki al-Faraj (18 décembre 2024, en anglais). https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/issues/detention-wg/opinions/session101/a-hrcwgad-2024-71-saudi-arabia-advance-edited.pdf
[7] Les autorités saoudiennes ont déclaré à plusieurs reprises, notamment en avril 2022 et en janvier 2024 lors de leur examen périodique universel, que le décret royal de 2020 protège les enfants de la peine de mort. Voir : Web TV des Nations Unies, Examen de l'Arabie saoudite - 45e session de l'Examen périodique universel (22 janvier 2024), en ligne ici : https://webtv.un.org/en/asset/k1q/k1q9kupguv
[8] BBC, « Mustafa al-Darwish: Saudi man executed for crimes committed as a minor » (« Mustafa al-Darwish : un Saoudien exécuté pour des crimes commis alors qu'il était mineur »), 15 juin 2021. https://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-57492219
[9] Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, UA SAU 5/2024, 3 décembre 2024. https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=29550
[10] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, « UN expert urges Saudi Arabia to halt imminent execution of 26 Egyptian nationals for drug-related offences » (« Un expert des Nations Unies exhorte l'Arabie saoudite à suspendre l'exécution imminente de 26 ressortissants égyptiens pour des infractions liées à la drogue »), 10 juin 2025. https://www.ohchr.org/en/press-releases/2025/06/un-expert-urges-saudi-arabia-halt-imminentexecution-26-egyptian-nationals
[11] Le prince héritier Mohammed ben Salmane a déclaré publiquement à plusieurs reprises que la peine de mort en Arabie saoudite était réservée aux crimes impliquant un homicide volontaire. Voir : Time Magazine, « Crown Prince Mohammed Bin Salman Talks to Time About Saudi Arabia, The Middle East and President Trump » (« Le prince héritier Mohammed ben Salmane s'entretient avec Time au sujet de l'Arabie saoudite, du Moyen-Orient et du président Trump »), 5 avril 2018, https://time.com/5228006/mohammed-bin-salman-interview-transcript-full. Saudi Gazette, Transcription intégrale de l'interview du prince héritier sur les réformes, la religion, l'avenir de l'Arabie saoudite et les relations avec les États-Unis (en anglais), 3 mars 2022, https://saudigazette.com.sa/article/617738. Cette affirmation a été réitérée en juillet 2024 lorsque l'Arabie saoudite a déclaré au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (CDH) que la peine de mort « ne peut être appliquée qu'aux crimes les plus graves » (« can only be applied to the most serious crimes »). Web TV des Nations Unies, 26ème réunion – 56ème session ordinaire du Conseil des droits de l'homme » (4 juillet 2024) : https://webtv.un.org/en/asset/k1t/k1tt6njldu (déclaration à 52:15).
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