(Nairobi) – Les États participant au sommet Afrique-CARICOM devraient œuvrer étroitement avec la société civile et les communautés affectées afin de mettre au point une approche des réparations fondée sur les droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Human Rights Watch a publié un document de questions et réponses résumant les principales normes internationales qui devraient guider les processus réparateurs des impacts durables de l’esclavage et des autres atrocités coloniales, ainsi que les raisons pour lesquelles les réparations de la part des anciennes puissances coloniales devraient être considérées comme une obligation internationale.
Le 7 septembre 2025, des États africains et caribéens se rencontreront dans la capitale de l’Éthiopie, Addis-Abeba, à l’occasion du deuxième sommet Afrique-CARICOM. En février, la Première ministre de la Barbade, Mia Amor Mottley, s’est exprimée devant des chefs d’État africains au sujet des liens historiques et culturels existant entre l’Afrique et les Caraïbes, lançant un appel à l’unité afin de faire progresser la justice réparatrice.
« Une approche unifiée des réparations pourrait bien changer la donne pour les communautés d’Afrique, des Caraïbes et de la diaspora qui se battent pour une justice réparatrice », a déclaré Almaz Teffera, chercheuse sur les questions de racisme en Europe à Human Rights Watch. « Les États du continent africain et de la CARICOM devraient travailler en étroite collaboration avec les communautés affectées et de la diaspora, ainsi qu’avec la société civile en Afrique, dans les Caraïbes, mais aussi en Europe, pour faire conjointement avancer le dossier des réparations, conformément aux textes et normes du droit international relatif aux droits humains. »
Le document « questions-réponses » de Human Rights Watch souligne que les normes internationales relatives aux droits humains, largement acceptées, traitant du droit de recours et du droit à réparation, s’appliquent bien aux impacts durables de l’esclavage et des autres crimes coloniaux. Les gouvernements européens ont réfuté que ces normes juridiques internationales soient applicables aux atrocités coloniales ou à leur rôle dans la traite des esclaves transatlantique, optant au mieux pour l’expression de « regrets » ou la présentation d’excuses formelles, sans endosser aucune responsabilité juridique qui donnerait droit à des réparations.
Le terme générique de « réparation », en droit relatif aux droits humains, englobe en fait de nombreuses formes de recours, notamment les excuses, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-répétition. Un terme plus vaste, « justice réparatrice », est également souvent employé par les mouvements mondiaux réclamant des réparations, qui demandent justice pour les causes premières des préjudices et des inégalités systémiques hérités de la colonisation, de l’asservissement et de la traite des esclaves.
En février 2025, l’UA a choisi de consacrer son thème phare de 2025 à « la Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine grâce aux réparations ». La société civile a été déterminante dans le choix de ce thème, appelant de ses vœux une position africaine commune sur les réparations et des cadres institutionnels renforcés permettant des avancées des réparations sur le continent.
En juillet, les dirigeants africains se sont engagés à consacrer la décennie à venir aux réparations. Cela fait suite au « Plan en dix points pour la justice réparatrice » élaboré en 2014 par la Communauté caribéenne – un cadre de réparations piloté par les États qui aspire à pallier les impacts durables de la colonisation et de l’esclavagisme dans les Caraïbes.
Cela fait des décennies, et même des siècles, que les communautés réclament des réparations. Human Rights Watch a mené des recherches pour soutenir les appels à réparation des communautés, notamment dans le cas des injustices coloniales persistantes à l’encontre du peuple chagossien, qui dans les années 1960 a été exilé de force de son archipel par le Royaume-Uni et les États-Unis afin de laisser place à une base militaire dans cette ultime colonie britannique d’Afrique. Un nouveau traité entre les gouvernements britannique et mauricien cherche à réglementer la souveraineté relative à l’archipel des Chagos, mais ne prévoit pas de véritables réparations pour les Chagossiens.
Cela fait longtemps que les États européens résistent aux appels réclamant des réparations. L’Allemagne, par exemple, a reconnu en 2021 que les crimes coloniaux allemands à l’encontre des peuples Ovaherero et Nama, dans ce qui est aujourd’hui la Namibie, constituaient un génocide, tout en soutenant que cela ne se traduisait pas par le devoir d’apporter des réparations, car le droit international qui s’appliquait à l’époque ne donnait pas droit à réparation. Le nouveau gouvernement allemand a récemment confirmé cette position en réponse à une question parlementaire.
Au cours de son mandat de Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, Pablo de Greiff a clairement déclaré que les processus réparateurs qui excluaient, intentionnellement ou non, les communautés affectées, violaient les textes et normes du droit international relatif aux droits humains. Ni le gouvernement britannique ni le gouvernement allemand n’ont véritablement consulté les communautés affectées à travers des processus cherchant à tenir compte de l’histoire coloniale dans les Chagos ou en Namibie.
L’UA a compilé des directives politiques sur la justice transitionnelle qui reconnaissent les réparations comme moyen de traiter les injustices historiques, conformément au droit international et régional contraignant relatif aux droits humains. Ces directives réaffirment par ailleurs que les États africains ont l’obligation de veiller à ce que les processus réparateurs soient inclusifs, consultatifs et centrés sur les victimes, afin de garantir que ce soient les communautés les plus affectées qui déterminent leur aboutissement.
Le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme et le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones ont tous insisté sur le fait que le droit à réparation s’appliquait aussi aux atrocités coloniales.
La plupart des États, y compris les gouvernements européens et les États-Unis, ont l’obligation, en tant qu’États parties, de respecter la Convention des Nations Unies sur l’élimination de la discrimination raciale ; cette Convention prévoit un droit à réparation pour les violations en lien avec le racisme systémique, notamment lorsque les abus sont ancrés dans la colonisation et l’esclavage.
« Les réparations sont cruciales pour guérir les traumatismes intergénérationnels et ouvrir la voie à un avenir équitable de dignité et de réhabilitation pour les sociétés européennes, africaines et caribéennes qui sont toujours affectées par l’héritage de l’esclavage et des autres atrocités coloniales », a conclu Almaz Teffera. « Les États africains et caribéens sont arrivés à un moment décisif pour envoyer un signal fort : la poursuite des réparations constitue une exigence mondiale ancrée dans le droit international, la mémoire collective et la responsabilité morale. »