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Des centaines de personnes d'origine africaine participaient à Londres à une marche en faveur de réparations, lors de la Journée de l'émancipation africaine, le 1er août 2017. © 2017 Wiktor Szymanowicz/Shutterstock

Sous forme de questions et réponses, Human Rights Watch examine ici la mise en œuvre du droit à réparation, à même de compenser les préjudices passés et présents qui découlent des atrocités coloniales, y compris l’asservissement[1] , les inégalités raciales systémiques et les autres violations des droits humains qui y sont liées. Ce document examine ce droit globalement, et non pas de façon spécifique à un contexte géographique ou historique.

Le terme « réparations » se réfère au droit de recours, défini par le droit international relatif aux droits humains, des personnes ayant subi des préjudices. Le terme « justice réparatrice » est intrinsèquement lié au droit à réparation et désigne une approche plus large et intégrale qui s’attaque aux causes premières des préjudices et des inégalités systémiques, afin de générer des changements sociaux et politiques plus vastes.

Il n’existe pas de modèle unique pour les processus de réparation ou de justice réparatrice, mais ces derniers doivent à tout le moins répondre aux critères suivants pour répondre aux normes internationales relatives aux droits humains :

  • ils doivent être centrés sur les survivant·e·s et les victimes, ainsi qu’impulsés par les communautés ;
  • ils doivent avoir pour but de reconnaître les préjudices passés qui ont conduit à des injustices et à des atteintes aux droits persistantes ; et
  • ils doivent chercher à établir les responsabilités de ces préjudices et à les compenser.

Cette série de questions et réponses abordera les normes internationales existantes qui s’appliquent à tous les processus réparateurs et sont censées les guider. Même si nous nous concentrons ici sur la responsabilité des États, les acteurs non étatiques qui ont contribué au colonialisme, en ont bénéficié, voire continuent à en bénéficier, font aussi l’objet d’appels à fournir des réparations. Il peut s’agir par exemple d’universités, d’institutions religieuses, de musées, d’entreprises ou de particuliers.

  1. Que sont les réparations ?

Les réparations sont des mesures qui reconnaissent et compensent les pertes et les dommages causés par des violations des droits humains ayant impacté des individus, des groupes et des peuples. Les réparations sont ancrées dans un principe de la justice, établi de longue date, qui exige que les responsables de dommages et de pertes réparent ces préjudices. Ces réparations, selon le droit relatif aux droits humains, peuvent consister en une compensation des dommages et pertes causées par une violation des droits humains relativement mineure et récente affectant un ou plusieurs individus, ou en une compensation des dommages et pertes causées par des atrocités violant les droits humains qui ont été commises il y a de nombreuses années à l’encontre d’un peuple – sans que ces dommages soient obligatoirement toujours en cours. Les réparations s’appliquent donc également à des injustices historiques, y compris les atrocités commises dans le cadre des régimes coloniaux, européens ou autres.

  1. Pourquoi doit-il y avoir réparation des atrocités coloniales historiques et actuelles ?

Il existe de nombreux éléments probants qui font le lien entre l’héritage du colonialisme, de l’asservissement et de la traite des esclaves, et les formes contemporaines de racisme systémique, notamment à l’encontre des Africains, des personnes d’ascendance africaine, des personnes d’ascendance asiatique et des peuples autochtones.

La Haute-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, Nada Al-Nashif, a déclaré en 2022 que « [s]i un grand nombre d’anciennes colonies ont accédé à l’indépendance depuis la création de l’ONU, le processus de décolonisation reste inachevé ». Elle a également fait remarquer qu’« aucun État n’a rendu de comptes systématiques pour son passé ou pour les conséquences actuelles du racisme systémique, y compris pour la marginalisation socioéconomique et politique qui conditionne la vie des personnes d’ascendance africaine dans certains pays ».

L’exploitation qui a eu lieu lors de la colonisation a débouché sur le déplacement forcé de personnes arrachées à leur patrie, sur la destruction d’écosystèmes et de structures culturelles, ainsi que sur l’extraction des matières premières et des ressources naturelles des colonies, tout en enrichissant les États, institutions et entreprises colonisateurs. Les impacts négatifs de ces pratiques continuent à affecter aujourd’hui les personnes et les États concernés.

Ces injustices historiques ont abouti à des séquelles psychologiques et des traumatismes profondément ancrés et persistants chez les communautés affectées.

Tendayi Achiume a décrit les réparations comme « un aspect capital d’un ordre mondial véritablement attaché à la dignité humaine de chacun, sans distinction de race, d’appartenance ethnique ou d’origine nationale ».

  1. Quels textes et normes du droit international régissent l’obligation des États d’apporter des réparations ?

En 2001, les projets d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite[2] de la Commission du droit international, qui codifiaient le droit international coutumier, ont consacré une vision contemporaine de l'obligation des États de « réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite », sachant que « le préjudice comprend tout dommage, tant matériel que moral, résultant du fait internationalement illicite de l’État ».

En 2005, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme (« Directives des Nations Unies[3] »), qui ont établi des normes internationales applicables aux réparations et ciblant spécifiquement les violations graves des droits humains. Ces Directives des Nations Unies précisent qu’un État doit « assure[r] aux victimes la réparation des actes ou omissions qui peuvent lui être imputés et qui constituent des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire ». Elles précisent aussi que les réparations devraient être proportionnelles à la gravité des violations et des préjudices subis.

Les Directives des Nations Unies représentent un large consensus international sur l’importance des réparations comme droit fondamental, certains de ces principes correspondant au droit international coutumier, entre autres l’obligation d’apporter une réparation des violations, ainsi que le consensus existant dans les institutions des droits humains, régionales notamment, telles que la Commission interaméricaine et la Cour des droits de l’homme.

L’article 6 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ICERD) prévoit un droit de réparation spécifique aux violations constituant une discrimination raciale et aux atteintes aux droits humains qui en découlent, entre autres celles ancrées dans l’héritage de l’asservissement et du colonialisme. Le préambule de l’ICERD énonce que la Convention aspire à « mettre rapidement et inconditionnellement fin » à cet héritage.

La Déclaration et le Programme d’action de Durban (DPAD) de 2001, soutenus par l’Assemblée générale des Nations Unies, ont établi que ces héritages historiques étaient la cause première du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance associée ciblant les Africains et les personnes d’ascendance africaine, les personnes d’ascendance asiatique et les peuples autochtones[4]. La Déclaration de Durban établit que « l’esclavage et la traite des esclaves constituent un crime contre l’humanité » et reconnaît que « le colonialisme a conduit au racisme, à la discrimination raciale, à la xénophobie et à l’intolérance qui y est associée ». Elle appelle les anciens États colonisateurs et esclavagistes à accorder « réparation et satisfaction suffisantes et équitables » et à « prendre des dispositions efficaces pour empêcher que de tels actes ne se reproduisent ».

Lorsqu’elle occupait la fonction de Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Tendayi Achiume a souligné que l’approche à adopter en matière de réparation de la discrimination raciale ne devrait pas se contenter d’aspirer à la justice, à la responsabilisation et au recours pour des préjudices particuliers, mais aussi s’attaquer aux structures plus globales, systémiques et contemporaines, ainsi qu’aux systèmes d’injustice raciale, de subordination, de discrimination et d’inégalité – dont la plupart trouvent leur origine dans l’asservissement, la traite des esclaves et le colonialisme.

Depuis des décennies, divers mandats des Nations Unies ont attiré l’attention sur l’importance de réparer les préjudices et injustices historiques, notamment le secrétaire général de l’ONU, le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, le Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine et l’Instance permanente des personnes d’ascendance africaine de l’ONU.

  1. Quelles formes de réparation existe-t-il ?

Le terme générique « réparation » englobe en fait de nombreuses formes de recours, notamment les excuses, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-répétition.

Les Directives des Nations Unies mettent en évidence cinq formes de réparation :

  • La restitution implique de rétablir les victimes dans la situation qui existait avant que les préjudices ne surviennent. Elle comprend le rétablissement des droits légaux dont elles ont été arbitrairement privées : restauration de la liberté, retour sur le lieu de résidence, restitution des terres et des biens accaparés, y compris l’héritage culturel et les vestiges ancestraux des peuples autochtones.
  • L’indemnisation désigne un règlement financier ou une autre forme d’aide matérielle, en plus de tout préjudice évaluable économiquement – en particulier lorsqu’une pleine restitution n’est pas possible matériellement ou n’est pas proportionnée au préjudice subi. Le préjudice peut être immatériel, par exemple en raison de souffrances physiques ou mentales, d’atteintes à la réputation ou à la dignité.
  • La réadaptation comprend des mesures cherchant à restaurer le bien-être des victimes, comme le soutien psychologique, à favoriser l’intégration sociale des victimes et à apporter une aide juridique aux personnes ou aux communautés afin qu’elles se remettent des préjudices qu’elles ont subis.
  • La satisfaction est une forme non financière de réparation pour les préjudices moraux ou les atteintes à la dignité ou à la réputation. Elle consiste surtout en des mesures permettant de reconnaître le préjudice subi, comme des décisions judiciaires, des excuses officielles, la reconnaissance et l’acceptation de responsabilité publiques, les processus de vérité et réconciliation, ainsi que sur des commémorations et la mémorialisation des injustices. Une autre forme de satisfaction peut consister à mettre en place des commissions de vérité qui peuvent créer des archives accessibles établissant des registres historiques afin de contribuer à la mémorialisation des injustices et de sensibiliser aux injustices passées à travers une commémoration publique.
  • Les garanties de non-répétition sont des mesures qui visent à prévenir de futures violations, comme des réformes institutionnelles, des modifications des lois ou des politiques et la lutte contre l’impunité, afin de veiller à ce que les préjudices ne se produisent pas de nouveau.

Tout processus réparateur devrait aspirer à la pleine reconnaissance des préjudices passés et présents d’origine historique. Les responsables devraient par ailleurs rendre des comptes devant la justice pour garantir un réel établissement des responsabilités. Selon les attentes des communautés affectées et des survivant·e·s, l’aboutissement d’un processus réparateur peut passer par une combinaison de différentes formes de réparation. La compensation financière n’est qu’un des éléments des réparations.

Les réparations peuvent être financières afin de pallier les disparités économiques actuelles causées par les atrocités coloniales, mais les demandes peuvent aussi aller bien au-delà de versements monétaires. Certaines exigences de réparation peuvent être très simples. Les communautés peuvent demander à retourner sur leurs terres d’origine après que les politiques coloniales les ont forcées à s’installer ailleurs. Les communautés peuvent aspirer à la reconnaissance des préjudices passés et présents. Même si la reconnaissance peut sembler une demande mineure, l’histoire coloniale est communément marquée par ce que certains experts appellent « l’amnésie coloniale » parce que beaucoup de gens aujourd’hui n'ont pas connaissance de ces chapitres de l’histoire, qu’il y a peu ou pas de reconnaissance de leurs impacts actuels et que les programmes scolaires de nombreux pays ayant un passé de colonisateurs, dont les pays européens, ne les enseignent pas comme il se doit. Les communautés affectées espèrent souvent qu’il se produira des transformations qui s’attaqueront aux causes premières du racisme systémique et des inégalités de l’époque contemporaine.

Les gouvernements à qui des réparations sont réclamées traitent souvent ces appels comme des demandes impossibles ou irréalistes. Il est intéressant de remarquer que de tels jugements ne s’étaient pas appliqués aux décisions de compenser les anciens propriétaires de personnes asservies – et non pas les personnes asservies elles-mêmes – suivant les allégations selon lesquelles elles avaient « perdu » des biens lorsque la possession d’esclaves avait été abolie.

  1. Le devoir de réparation n’émerge-t-il que lorsqu’un crime international est constaté ?

Non, un devoir de réparation émerge indépendamment de l’existence d’un jugement concluant qu’un fait illicite constitue un crime international. Les Directives des Nations Unies s’appliquent dès lors que des violations flagrantes des droits humains ou de graves violations du droit international humanitaire sont commises. Parmi ces violations peuvent figurer, entre autres, des crimes internationaux tels que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

  1. Des excuses officielles sont-elles suffisantes pour compenser les préjudices historiques passés et présents ?

Les excuses officielles peuvent être un vecteur de reconnaissance des préjudices passés et actuels. Mais, en elles-mêmes, des excuses officielles ne répareront presque jamais ces préjudices. Quelques exemples peuvent illustrer ce point :

En réponse aux excuses formelles du gouvernement néerlandais en 2022, qui reconnaissaient l’implication historique du pays dans la traite des esclaves et ses répercussions durables, les groupes communautaires surinamais et caribéens ont critiqué ce gouvernement car il ne les avait pas consultés au préalable et n’apportait pas de réparations intégrales.

Le Secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, David Lammy, a réitéré en 2024 l’affirmation précédente du gouvernement qui « regrettait » les préjudices de la colonisation, notamment le retrait forcé des Chagossiens de leur archipel dans les années 1960. Pourtant, au cours du processus récent d’accord en vue d’un traité entre le Royaume-Uni et Maurice sur la souveraineté de l’archipel des Chagos, le gouvernement britannique n’a pas réellement consulté les Chagossiens et n’a ni reconnu ni respecté leur droit d’obtenir pleinement réparation.

En 2021, le gouvernement allemand a présenté des excuses formelles pour ce qu’il a reconnu comme le génocide de l’ère coloniale en Namibie. Cependant, ces excuses étaient présentées dans le cadre d’une « responsabilité historique et morale » – et non pas d’une responsabilité juridique. L’Allemagne soutient que les peuples affectés, les Nama et les Ovaherero, ou toute autre communauté affectée par les atrocités coloniales, n’ont pas droit à des réparations.

Ces exemples montrent que les gouvernements peuvent choisir de présenter des excuses pour éviter leur responsabilité judiciaire, même lorsqu’il existe des preuves évidentes de culpabilité et que des atrocités ont été commises. Par ailleurs, des excuses ont été émises pour mettre fin à la pression publique plutôt que par désir de prendre ses responsabilités.

  1. Qui décide du cadre et de l’aboutissement des processus réparateurs ?

Les réparations et les processus réparateurs devraient être centrés sur les besoins des communautés affectées par le préjudice, tout en reconnaissant leur droit individuel et collectif à réparation, en vertu du droit international relatif aux droits humains. La forme des réparations, guidée par les appels des communautés affectées, variera en fonction de différents facteurs, notamment des violations subies, de leur gravité, des préjudices causés et des personnes affectées.

Les communautés devraient être impliquées dans la conception et la mise en œuvre des réparations, y compris les décisions sur la forme des réparations, leur pertinence et leur caractère suffisant. Le processus ne devrait pas être déterminé par ceux qui doivent réparation, ni par les gouvernements des pays autrefois colonisés.

Lorsqu’il occupait la fonction de Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, Pablo de Greiff a déclaré que les processus réparateurs qui excluaient, intentionnellement ou non, les communautés affectées, n’étaient pas conformes aux textes et aux normes du droit international relatif aux droits humains. D’après lui, la participation des victimes renforce les processus réparateurs.

D’autres mandats des Nations Unies ont également attiré l’attention sur l’importance des processus centrés sur les survivant·e·s et les victimes, en particulier le Mécanisme d'experts de l’ONU sur les droits des peuples autochtones à la reconnaissance, la réparation et la réconciliation, qui a mis l’accent sur le droit spécifique des peuples autochtones, enraciné dans leur droit à l’autodétermination, à participer significativement à la prise de décisions qui impactent leur vie et leur avenir.

  1. Quelles initiatives ont prises les pays anciennement colonisés, ou leurs organisations intergouvernementales régionales, pour faire avancer les réparations et la justice réparatrice ?

Lors de la rencontre des chefs de gouvernement du Commonwealth à Samoa en 2024, 55 nations du Commonwealth ont émis un communiqué affirmant la nécessité de débattre de « la justice réparatrice concernant la traite transatlantique d’Africains asservis et la possession d’esclaves ». Le communiqué poursuivait en déclarant : « Il est temps d’avoir une conversation significative, véridique et respectueuse en vue de forger un avenir commun fondé sur l’équité. »

Deux exemples régionaux d’initiatives intergouvernementales et institutionnelles en matière de réparations méritent d’être mis en avant :

  • Cela fait des dizaines d’années que l’Union africaine – et avant elle l’Organisation de l’unité africaine – discute de la nécessité de réparations, tout particulièrement lors de la Conférence panafricaine de 1993 sur les réparations pour l’asservissement, la colonisation et le néocolonialisme subis par l’Afrique, qui a abouti à la Proclamation d’Abuja soulignant le caractère actuel des injustices « historiques ». La Proclamation d’Accra sur les réparations, adoptée en 2023, constitue une reprise de ces discussions. Le thème 2025 auquel l’UA a choisi de se consacrer est « la Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine grâce aux réparations ». Dans le cadre de ce thème, des organisations de la société civile espèrent voir se développer une « Position africaine commune » sur les réparations ainsi que des cadres institutionnels renforcés afin de faire progresser les réparations.
  • En 2014, la Commission des réparations de la CARICOM a rédigé le « Plan en dix points de la CARICOM pour la justice réparatrice ». La Commission a constaté que « le régime colonial européen composait une part persistante de la vie dans les Caraïbes » aujourd’hui, établissant ainsi le lien entre les injustices historiques et les violations des droits humains ou inégalités socio-économiques actuelles. Le Plan en dix points de la CARICOM intègre des demandes qui vont des excuses officielles à l’annulation de la dette coloniale – Haïti subissant toujours ce qui est souvent qualifié de « dette-rançon », qui l’a obligée à payer la France en échange de son indépendance en 1825.

Alors que les regroupements d’États cités ci-dessus ont permis de sensibiliser à l’importance des réparations, des organisations de la société civile ont réclamé de pouvoir participer, ainsi que leurs communautés, à la détermination des programmes régionaux en matière de réparations, afin de placer les personnes au cœur des processus réparateurs. Il est important de préciser que le droit à réparation des peuples qui ont connu des atrocités coloniales, comme les Chagossiens, les Ovaherero et les Nama, est distinct des prétentions réparatrices d’État à État dont peuvent aussi se prévaloir les anciens États colonisés comme Maurice ou encore la Namibie.

  1. Quels sont les principaux obstacles aux progrès des réparations des atrocités coloniales ?

Les gouvernements recevant des appels à réparation traitant des atrocités coloniales continuent à les rejeter.

Parmi les arguments politiques et publics qui sont avancés contre les réparations au Royaume-Uni, on peut citer le fait que les réparations ne devraient pas être effectuées aux dépens des contribuables actuels, faisant ainsi fi des bénéfices actuels dérivés de l’asservissement et de la colonisation. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a affirmé que son gouvernement « ne pouvait pas changer l’histoire », reprenant l’argument du gouvernement selon lequel il n’est pas responsable des crimes passés ou de leurs impacts actuels.

Certains gouvernements ont également écarté les demandes de réparation en se fondant sur une interprétation de la doctrine du droit intertemporel. Ils arguent que la légalité d’un acte devrait être évaluée à la lumière des lois en vigueur au moment où l’acte a été commis, pas de celles qui se sont appliquées ultérieurement. En se fondant sur ce principe juridique, les gouvernements actuels ont écarté toute responsabilité légale des atrocités coloniales, avançant que ces dernières n’étaient pas reconnues comme des crimes internationaux à l’époque où elles ont été commises, ou que le droit national ou international regardait ces atrocités comme légales à l’époque. Cet argument a été remis en question par nombre d’experts des droits humains, car les textes de loi historiques sur lesquels les gouvernements s’appuient pour nier leur responsabilité dans les crimes passés étaient souvent racistes et discriminatoires.

En 2023, sept Rapporteurs spéciaux de l’ONU ont rappelé aux gouvernements allemand et namibien leurs obligations au regard du droit international relatif aux droits humains, qui, à l’encontre des arguments de ces gouvernements, invoque un droit à réparation des peuples Nama et Ovaherero pour les impacts actuels du génocide colonial commis par l’Allemagne.

Le 14 août 2025, en réponse à une question au Parlement, le gouvernement allemand a déclaré que, puisque les atrocités coloniales allemandes ne violaient pas le droit international à l’époque, le concept de réparation n’était « pas applicable au contexte du passé colonial de l’Allemagne ». Or ceci contredit nettement sa position qui a ouvert la voie aux réparations des atrocités de l’époque nazie.

Ainsi l’Allemagne semble appliquer deux poids et deux mesures en invoquant ce principe de façon sélective, ce qui risque d’établir un dangereux précédent que d’autres gouvernements pourraient imiter.

De plus, la référence au principe intertemporel afin de nier le droit à réparation ne tient pas compte du fait que certaines des lois historiques nationales et internationales évoquées par les gouvernements pour rejeter les réparations autorisaient et justifiaient par ailleurs la domination coloniale. Tendayi Achiume soulignait ce point dans son rapport de 2019, écrivant que « la recherche et l’obtention de réparations pour l’esclavage et le colonialisme requièrent une véritable ‘décolonisation’ des doctrines du droit international qui restent des barrières opposées aux réparations ».

Par ailleurs, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU a fait remarquer qu’en vertu de l’ICERD, les obligations des États visant à éliminer la discrimination raciale contemporaine prévoyaient l’apport de réparations des atrocités coloniales.

En vertu des Directives des Nations Unies, le droit au recours s’applique également lorsqu'un acte est en cours et se poursuit jusqu’à une période où le droit international le considérait comme une infraction, ou que les conséquences directes de l’acte illicite s’étendent jusqu’à une période où l’acte et ses conséquences sont considérés comme un fait internationalement illicite. Selon cette logique, le droit à réparation devrait également s’appliquer aux atrocités coloniales.

Même si le droit international de l’époque ne classait pas les graves atteintes aux droits comme des violations sérieuses du droit international ou des crimes internationaux au moment où elles ont été commises, cela ne signifie pas que ces actes étaient considérés comme « acceptables ».

Un exemple positif de reconnaissance d’un droit à réparation concernant les préjudices infligés par les atrocités coloniales est une décision de justice de 2024 de la Cour d’appel belge, qui a conclu que les impacts actuels sur les victimes des crimes contre l’humanité dus aux politiques coloniales racistes de la Belgique donnaient lieu à des demandes de compensation des victimes de la part du gouvernement belge actuel.

  1. Quel lien peut-on établir entre réparations et guérison ?

Les réparations sont profondément ancrées dans les processus communautaires de guérison intergénérationnelle des traumatismes durables, de restauration de la dignité, et sont inspirés par la quête d’une justice attendue depuis longtemps. Les gouvernements des pays européens, entre autres, ne devraient pas traiter le droit à réparation comme distinct du droit au recours, qui constitue un principe clé de leurs juridictions, pour veiller à ce que les victimes des violations des droits obtiennent justice. Le fait de priver de leur droit au recours les victimes et les survivant·e·s d’abus liés à l’héritage colonial et esclavagiste constituerait un traitement à deux niveaux et un déni des obligations de ces pays en vertu du droit international relatif aux droits humains.

Human Rights Watch se tient aux côtés des mouvements sociaux réclamant des réparations dans le monde entier, et continuera à appuyer leurs efforts cherchant à faire respecter les droits de toutes les personnes impactées par le colonialisme et l’asservissement.

 

[1] Dans ce document « questions-réponses », nous employons le terme général d’« asservissement » pour englober non seulement l’institution de l’esclavage et son impact, mais aussi les expériences vécues par les personnes asservies et l’impact intergénérationnel de leur servitude. Ce terme englobe tous les effets de l’asservissement, qu’ils soient culturels, sociaux ou psychologiques. Cela dit, les deux termes « esclavage » et « asservissement » sont employés de façon interchangeable dans de nombreuses discussions relatives aux réparations. L’usage de l’un ou l’autre terme dans un contexte particulier devra, en fin de compte, être déterminé par les communautés affectées.

[2] Ces projets d’articles ont depuis été largement acceptés et désignés par « Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite ». Nations Unies, Commission du droit international, Rapport sur les travaux de sa cinquante-troisième session, du 23 avril au 1er juin et du 2 juillet au 10 août 2001, Assemblée générale des Nations Unies, documents officiels, cinquante-cinquième session, supplément n°10, A/56/10.

[3] Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, adoptés par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution A/RES/60/147.

[4] Déclaration et Programme d’action de Durban, adoptés lors de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, A/CONF.189/12, 8 septembre 2001 ; approuvés par la résolution 56/266 de l’Assemblée générale de l’ONU, le 15 mai 2002.

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