Mise à jour : Le 20 mars 2025, le Parlement indonésien a approuvé à l’unanimité les amendements proposés à la loi sur les forces armées. Le texte a été soumis au président Prabowo, en vue de sa signature.
(New York) – Le Parlement indonésien devrait rejeter les amendements proposés à la loi de 2004 sur les forces armées, qui élargiraient considérablement le rôle de l'armée dans la gouvernance civile et affaibliraient les restrictions légales imposées aux fonctionnaires responsables d'abus, ont déclaré aujourd'hui Human Rights Watch et six organisations indonésiennes de défense des droits humains. Le projet de modification de la loi n° 34/2004 sur l’Armée nationale indonésienne (« Tentara Nasional Indonesia, TNI), dite « loi TNI », sera soumis au Parlement le 20 mars et fera l’objet d’un vote au plus tard le 25 mars, dernier jour de cette session parlementaire.
Les amendements proposés, déjà approuvés par la Commission de défense et de sécurité de la Chambre des représentants indonésienne, permettraient au gouvernement de nommer davantage d’officiers militaires en service actif à des postes civils, notamment auprès d’institutions judiciaires et dans des entreprises publiques. Le président Prabowo Subianto devrait demander au Parlement de reporter le vote et de consulter les organisations de la société civile afin de répondre à leurs préoccupations, notamment concernant le risque du retour du système « dwifungsi » (« double fonction ») de l'armée, qui était au cœur du régime militaire autoritaire du président Suharto de 1965 à 1998, permettant à l’armée d’exercer une double fonction aux niveaux militaire et civil.
« Le président Prabowo semble déterminé à rétablir le rôle de l'armée indonésienne dans les affaires civiles, malgré les nombreuses violations et l'impunité liées à ce rôle dans le passé », a déclaré Andreas Harsono, chercheur senior sur l'Indonésie à Human Rights Watch. « L'empressement du gouvernement à adopter ces amendements contredit ses propres déclarations en faveur des droits humains et de l’obligation de rendre des comptes. »
Les six organisations indonésiennes qui ont soulevé ces préoccupations, avec Human Rights Watch, sont la Commission pour les personnes disparues et les victimes de violence (Komisi untuk Orang Hilang dan Korban Tindak Kekerasan, KontraS), Imparsial, l'Association indonésienne d'aide juridique et de défense des droits humains, l'Association indonésienne d'aide juridique pour les femmes, l'Institut d'aide juridique Kaki Abu, et Kapal Perempuan.
Actuellement, les officiers militaires sont censés prendre leur retraite ou démissionner avant d'occuper des postes civils, à l'exception des postes dans dix ministères et institutions étatiques dont le ministère de la Défense, l'Agence nationale de renseignement et l'Agence de recherche et de sauvetage, ainsi qu’à la Cour suprême, dans les cas de postes de juges militaires.
Les modifications proposées à la loi sur les forces armées donneraient au président le pouvoir de nommer des militaires à des postes dans de nombreuses autres institutions, dont le bureau du Procureur général, l'Agence nationale de prévention des catastrophes, l'Agence nationale de lutte contre le terrorisme, l'Agence indonésienne de sécurité maritime et l'Agence nationale de gestion des frontières.
« Ces amendements proposés, dans le cadre d’un processus de ratification rapide et imprudent, semblent destinés à rétablir la "double fonction" de l'armée indonésienne dans la gouvernance du pays », a déclaré Dimas Bagus Arya Saputra, coordinateur de KontraS. « L'extension de l'autorité des forces armées au domaine civil constituerait un revers pour la démocratie en Indonésie. »
Le commandant des forces armées indonésiennes, le général Agus Subiyanto, a déclaré que la loi TNI de 2004 était « obsolète » et « inefficace », et insuffisante pour mettre en œuvre les politiques fondamentales de l'État. Il a ajouté que les amendements élargiraient les fonctions non combattantes de l'armée indonésienne, permettant à ses membres de servir ainsi dans des institutions chargées de poursuites judiciaires, de la cybersécurité, de la lutte contre les stupéfiants et d'autres affaires intérieures.
Le ministre de la Défense, Sjafrie Sjamsoeddin, a déclaré que certains militaires en service actif prendraient une « retraite anticipée » et que leurs compétences seraient testées avant d'être sélectionnés pour des postes civils. Cependant, un rapport d'Imparsial, une organisation de défense de la sécurité et des droits humains basée à Jakarta, a révélé qu'avant même l'examen des amendements, au moins 2 569 officiers en service actif occupaient des fonctions civiles, certains en dehors du cadre légal.
Une coalition de 186 organisations de la société civile a lancé une pétition contre les amendements. KontraS a déclaré que certains de ses membres avaient reçu des menaces après avoir protesté contre le projet de loi début mars.
Le président Prabowo a déjà nommé au sein de son cabinet plusieurs personnes au bilan préoccupant en matière de droits humains, dont des officiers des forces spéciales impliqués dans l'enlèvement de militants étudiants en 1998. Le ministre de la Défense Sjafrie Sjamsoeddin a lui-même été impliqué dans la répression des manifestations étudiantes de Jakarta en mai 1998, et dans les graves violations des droits humains au Timor oriental en 1999. Il est donc à craindre que l'adoption de la loi révisée sur les forces armées permette à des officiers militaires actuellement suspectés d’abus de jouer un rôle élargi au sein du gouvernement.
« Les amendements à la loi sur les forces armées, notamment la possibilité de nommer des militaires en service actif à des postes civils, risquent de légitimer la nomination d’officiers auteurs d'abus au sein du gouvernement », a déclaré Ardi Manto Adiputra, directeur d'Imparsial. « Le Parlement devrait reporter l'examen de ces amendements, qui pourraient rétablir l'implication de l'armée dans la sphère sociopolitique de la société civile. »
En vertu de la loi indonésienne de 1997 sur les tribunaux militaires, tout membre de l’armée impliqué dans une activité criminelle, y compris une personne exerçant des fonctions civiles, doit faire l'objet d'une enquête par les autorités militaires ; cette personne doit être jugée, le cas échéant, devant un tribunal militaire plutôt que devant un tribunal de droit commun. Les procureurs et juges militaires rendent compte à leurs commandants respectifs. Le système de justice militaire indonésien a une longue histoire d'échec à enquêter et à poursuivre adéquatement le personnel militaire, en particulier les officiers supérieurs, pour des allégations de violations des droits humains.
Des organisations indonésiennes de défense des droits des femmes ont exprimé des inquiétudes particulières concernant les amendements proposés, qui prévoient que tout militaire suspecté de violences sexuelles ou d’autres abus lors de l’exercice de ses fonctions civiles fasse néanmoins l’objet d’une enquête dans le cadre du système judiciaire militaire, et non civil.
« L'impartialité judiciaire est un élément important de l'accès des femmes à la justice », a déclaré Uli Arta Pangaribuan, de l'Association indonésienne d'aide juridique pour les femmes. « Mais si les amendements à la loi sur les forces armées sont approuvés, cela signifierait que le système de justice militaire traitera les cas de violences contre les femmes, même dans la sphère civile. »
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