- Des personnes qui ont fui la Corée du Nord après le début de la pandémie de Covid-19 ont décrit une répression sévère et des restrictions sur l’activité économique.
- Leurs récits illustrent l’impact dévastateur des mesures répressives du gouvernement contre le Covid-19, qui ont encore réduit les libertés déjà limitées de la population.
- Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU devrait renouveler le mandat de la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la Corée du Nord, et actualiser le mandat du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à l’égard de son enquête sur la Corée du Nord.
(Séoul) – Des personnes ayant fui la Corée du Nord (République populaire démocratique de Corée) après le début de la pandémie de Covid-19 ont décrit la répression sévère et les restrictions imposées par le gouvernement sur les activités économiques depuis lors, ont déclaré aujourd’hui le Transitional Justice Working Group (Groupe de travail sur la justice transitionnelle, TJWG) et Human Rights Watch. Les gouvernements préoccupés devraient accroître leur soutien aux mesures visant la reddition de comptes, ainsi qu’aux organisations de la société civile qui défendent les droits des Nord-Coréens.
Huit Nord-Coréens vivant actuellement à l’étranger ont décrit à TJWG et à Human Rights Watch la grave situation humanitaire et des droits humains dans le pays. Tous ont évoqué le manque d’informations sur le Covid-19, les restrictions de mouvement, ainsi que l’accès limité à la nourriture, aux médicaments et à des produits comme les engrais, le savon ou les piles électriques après que le bouclage renforcé des frontières en 2020. Ces personnes ont indiqué que le gouvernement avait intensifié son contrôle et sa surveillance idéologiques, ciblant en particulier les personnes qui étaient en contact avec des médias étrangers, et n’avait pas adopté de mesures pour atténuer l’impact économique des restrictions imposées.
« Les récits des Nord-Coréens ayant fui ce pays illustrent l’impact dévastateur des mesures répressives prises par le gouvernement face au Covid-19, qui ont réduit davantage encore les libertés déjà limitées des citoyens ordinaires », a déclaré Seungju Lee, experte auprès de TJWG. « Les gouvernements préoccupés devraient porter leur attention sur la crise humanitaire en Corée du Nord, et agir en faveur de l’obligation de rendre des comptes pour les abus. »
Entre mars 2024 et février 2025, TJWG et Human Rights Watch ont mené des entretiens avec trois hommes et cinq femmes originaires de diverses régions de Corée du Nord, qui ont fui ce pays entre 2020 et 2023. Ces huit personnes y avaient travaillé en tant que commerçant-e-s (cinq cas), pêcheurs (deux cas) et dans une usine (un cas). Parmi elles, sept personnes ont accepté de livrer leurs témoignages à condition que leur vrai nom ne soit pas utilisé, afin de protéger les membres de leurs familles vivant encore en Corée du Nord.
Cette analyse s’appuie aussi sur de précédentes recherches plus vastes menées entre 2014 et 2023 et sur des entretiens avec 147 Nord-Coréens à l’extérieur du pays, dont 32 avaient une connaissance pertinente des conditions récentes. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un échantillon exhaustif, la diversité des âges, des sexes, des régions, des classes sociales et des origines des personnes interrogées reflète les opinions générales des personnes qui ont fui le pays à cette époque.
Les récits concordent avec les conclusions du rapport publié en mars 2024 par Human Rights Watch, intitulé « “A Sense of Terror Stronger than a Bullet”: The Closing of North Korea 2018-2023 » (« “Un sentiment de terreur plus fort qu'une balle” : La fermeture de la Corée du Nord en 2018-2023 »). Human Rights Watch a constaté que pendant la pandémie de Covid-19, la Corée du Nord a mis en place des mesures excessives et inutiles qui ont accru l’isolement du pays, ainsi que la répression à l’encontre des citoyens. Les restrictions imposées aux personnes qui souhaitaient quitter la Corée du Nord lors de la pandémie de Covid-19, y compris l’ordre donné aux gardes-frontières de « tirer à vue » sur toute personne tentant de quitter le pays par sa frontière nord sans autorisation, ont rendu toute tentative de fuite presque impossible. Ces mesures ont également porté préjudice à l’économie, et érodé les droits sociaux et économiques.
Même avant la pandémie, la Corée du Nord était l’un des pays les plus répressifs et les plus isolés au monde, le gouvernement y contrôlant sévèrement l’information, les déplacements et la vie quotidienne. Des décennies de politiques gouvernementales privilégiant la militarisation et les programmes d’armement au détriment de la protection sociale ont laissé la population de la Corée du Nord, l’un des pays les plus pauvres du monde, en proie à une insécurité alimentaire chronique et à une malnutrition généralisée.
Un ex-pêcheur originaire d’une région reculée de la Corée du Nord a fourni ce témoignage : « Les mesures gouvernementales contre le Covid-19 m’ont bloqué l’accès à la mer, alors j’ai décidé de m’échapper… [Fin 2020,] quelques personnes sont allées [pêcher]… mais l’une d’elles s’est fait prendre ». Il a ajouté que les autorités locales avaient cloué une feuille sur la porte de la maison de ce pécheur, avec l’inscription : « Traitre - N’approchez pas ». Il a ajouté que les autorités avaient envoyé le pêcheur capturé dans un camp de travaux forcés de longue durée (« kyohwaso », ou « centre de rééducation par le travail »).
Les personnes interrogées ont évoqué la répression accrue, le climat de peur et le contrôle idéologique subi en Corée du Nord. Plusieurs d’entre elles ont aussi indiqué que le nombre d’exécutions publiques a augmenté depuis 2020. Kim Il Hyuk, un négociant en riz de la province du Hwanghae du Sud qui a quitté la Corée du Nord en mai 2023, a déclaré n’avoir vu aucune exécution entre 2012 et 2019, mais que cela avait changé en 2020. « J’ai vu des gens se faire tirer dessus tous les deux mois en 2020 », a-t-il déclaré. « En 2022 et 2023, il y a eu trois exécutions par peloton d’exécution tous les deux mois. »
Les restrictions renforcées imposées par le gouvernement nord-coréen après 2020, s’ajoutant au strict contrôle de la population dans un climat de peur, ont aggravé la situation déjà abjecte des droits humains, ont observé Human Rights Watch et TJWG. Les nombreuses mesures gouvernementales ont inversé la tendance des années précédentes, lors desquelles un léger relâchement du contrôle gouvernemental avait conduit à des commerces transfrontaliers informels, certaines activités de marché privé non réglementées, des déplacements à l’intérieur du pays sans obtention préalable d’un permis, ainsi que l’accès dans certains cas à des médias étrangers non autorisés.
La Corée du Nord continue de rejeter les preuves accablantes de ses violations systématiques des droits humains. En novembre 2024, au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, un représentant de ce pays a dénoncé une résolution concernant les droits humains en Corée du Nord, en tant que « provocation politique ». Dans sa réponse officielle à l’Examen périodique universel de l’ONU au sujet de la Corée du Nord, son gouvernement a revendiqué des « résultats remarquables » quant au respect des droits humains, tout en mettant l’accent sur ses mesures contre le Covid-19. Cependant, sous le règne de Kim Jong-un, le gouvernement nord-coréen est devenu de plus en plus sensible aux critiques sur son bilan en matière de droits humains.
Dans le même temps, des organisations nord-coréennes de défense des droits humains travaillant à l’extérieur du pays sont confrontées à de graves réductions de financement. Les gouvernements préoccupés devraient soutenir ces organisations qui visent à élargir l’accès à des informations indépendantes, soutenir les Nord-Coréens ayant fui le pays, documenter les abus et plaider en faveur de la justice.
Lors de sa 58ème session qui en cours, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU devrait renouveler le mandat de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits de l’homme en Corée du Nord, et actualiser le mandat du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à l’égard de l’obligation de rendre des comptes pour les graves abus en Corée du Nord. Le Conseil devrait adopter une résolution exigeant une enquête plus approfondie sur les liens entre la militarisation en Corée du Nord, dont le secteur de l’armement est en croissance, et les violations des droits humains dans ce pays.
« Le gouvernement nord-coréen a exploité la pandémie de Covid-19 pour durcir son contrôle sur la population et ses mesures répressives, laissant des gens mourir de faim tout en renforçant son emprise sur le pouvoir », a déclaré Lina Yoon, chercheuse senior sur la péninsule coréenne à Human Rights Watch. « La communauté internationale devrait faire pression pour que les responsables rendent des comptes, et soutenir résolument les organisations qui œuvrent à la protection des droits des Nord-Coréens. »
Suite détaillée, comprenant des témoignages : en ligne en anglais.
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