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Frontex devrait agir pour sauver des vies en mer

Une campagne appelle l’agence de garde-frontières et de garde-côtes de l’UE à agir #AvecHumanité

Des secouristes de Médecins Sans Frontières aidaient un homme à monter à bord du navire de MSF, lors d’une opération de sauvetage menée en Méditerranée centrale le 20 septembre 2024.  © 2024 Mohamad Cheblak/MSF
  • Frontex, l’agence des frontières de l’UE, n’informe pas, en règle générale, les navires de secours non gouvernementaux en Méditerranée lorsqu’elle repère des embarcations en détresse, et n’émet pas régulièrement de signaux d’urgence.
  • Ceci a contribué à causer des retards d’intervention qui auraient pu être évités et des naufrages tragiques, ainsi qu’au renvoi de force de personnes dans des pays où elles risquent de subir des abus.
  • Une nouvelle campagne exhorte Frontex à respecter ses obligations au regard du droit européen et du droit international, ainsi qu’au nom de notre humanité commune, en se donnant pour priorité de sauver des vies en mer, et appelle à faire pression sur les dirigeants pour améliorer les politiques.

(Bruxelles, le 24 octobre 2024) – Frontex, l’agence de garde-frontières et de garde-côtes de l’Union européenne (UE), devrait utiliser ses moyens de surveillance aérienne pour permettre de sauver les embarcations en détresse à temps, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, en lançant une nouvelle campagne, #AvecHumanité.

« Les avions et les drones de Frontex devraient se servir de leurs capacités de détection en mer Méditerranée pour sauver des vies », a déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Alors que des milliers de personnes meurent chaque année en Méditerranée, il est vital que Frontex prenne toutes les mesures possibles pour aider à secourir les personnes se trouvant à bord d’embarcations impropres à la navigation et les transporter vers un lieu sûr. » 

Graphic in French

L’Agence de garde-frontières et de garde-côtes de l’Union européenne devrait sauver des vies. Demandez au Directeur exécutif de Frontex, Hans Leijtens, de procéder à des changements dès aujourd'hui.

Agissez

Alors que les dirigeants européens intensifient les mesures visant à empêcher les migrants d’arriver sur le territoire de l’UE et à accélérer les refoulements, il est encore plus important de ne pas perdre de vue notre humanité commune, a affirmé Human Rights Watch. Des personnes fuyant des abus et des épreuves continueront d’entreprendre des voyages de plus en plus périlleux, et elles ne devraient pas être abandonnées et condamnées à la noyade. 

Actuellement, quand les avions et les drones de Frontex repèrent des embarcations transportant des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants en Méditerranée, l’agence alerte des centres de coordination des secours dans les États membres de l’UE ainsi qu’en Libye et en Tunisie. Toutefois, elle n’informe pas systématiquement les navires de sauvetage non gouvernementaux présents dans la zone en question, et n’émet pas non plus régulièrement de signaux d’urgence pour mobiliser tous les navires situés à proximité. Ceci a conduit à ce que des personnes soient interceptées par les forces libyennes ou tunisiennes et renvoyées de force dans ces pays, où elles risquent de subir de graves violations de leurs droits humains. Le fait de ne pas transmettre de signaux d’urgence systématiques peut aussi contribuer à des retards d’intervention qui auraient été évitables et à de tragiques naufrages. 

Au cours de la dernière décennie, plus de 30 500 personnes sont mortes ou ont été portées disparues en Méditerranée, selon l’Organisation internationale pour les migrations, dont au moins 1 600 (mortes ou disparues) depuis janvier 2024. 

En 2022, une analyse des opérations de surveillance aérienne de Frontex réalisée par Human Rights Watch et Border Forensics a permis de conclure que les pratiques de l’agence la rendaient complice de cas bien documentés d’arrestation abusive et de détention arbitraire à durée indéterminée, et d’autres graves violations des droits humains, en Libye. En septembre 2024 sur le navire de sauvetage Geo Barents de Médecins Sans Frontières (MSF), Human Rights Watch a mené des entretiens approfondis avec 11 personnes qui venaient d’être secourues. 

Toutes ont affirmé avoir subi des abus, notamment des violences sexuelles, du travail forcé et des passages à tabac, dans des centres de détention officiels libyens ou lors de leur captivité aux mains de trafiquants. La sage-femme du navire a déclaré que deux des femmes qui avaient été secourues avaient découvert qu’elles étaient enceintes après avoir été violées. Plusieurs des personnes interrogées avaient été détenues plusieurs fois après avoir été interceptées en mer.

Un jeune homme éthiopien âgé de 20 ans qui fuyait le conflit dans la région Amhara en Éthiopie avait été intercepté plus tôt cette année par les garde-côtes libyens et détenu pendant quatre mois au centre de détention al-Nasr à Zawiya (connu également sous le nom de prison d’Osama). Il a affirmé que le directeur du centre de détention avait exigé 3 000 dollars pour le remettre en liberté. Incapable de payer, il a affirmé qu’il avait travaillé, faisant du nettoyage et agissant comme interprète, jusqu’à ce que le directeur le laisse partir au bout de près de quatre mois. Décrivant la prison, il a dit : « Ils ont capturé de nombreuses personnes en mer, elles doivent payer pour pouvoir partir. »

La coordination de Frontex avec les forces tunisiennes dans le but de permettre des interceptions est également alarmante en raison de la détérioration de la situation dans le pays en matière de droits humains en général, et du risque de graves préjudices pour les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés, a déclaré Human Rights Watch. 

Les migrants originaires d’Afrique noire subissent tout particulièrement des mesures de discrimination et des abus de la part des autorités tunisiennes, notamment des expulsions collectives mais, un Syrien âgé de 24 ans a indiqué à Human Rights Watch que lui aussi avait été affecté. 

Il a affirmé que les forces tunisiennes s’étaient livrées à des manœuvres dangereuses en mer quand elles ont intercepté son embarcation, en février 2024, avant de l’expulser par la suite, en même temps qu’une centaine d’autres personnes, vers la Libye, où il a été détenu au centre de détention d’al-Assa. Il a dû payer 1 500 dollars pour être libéré. Dans une déclaration conjointe signée le 10 octobre, 64 organisations, dont Human Rights Watch, ont exhorté l’UE à cesser de considérer la Tunisie comme un lieu sûr pour débarquer des personnes secourues en mer. 

Le naufrage survenu au large de Pylos en 2023 a démontré comment une définition étroite de la notion de détresse pouvait avoir des conséquences mortelles. Après avoir repéré un chalutier lourdement surchargé dans la zone de recherche et de sauvetage grecque, Frontex a informé les autorités côtières compétentes mais n’a pas émis de signal d’urgence à tous les navires présents dans la zone, car l’agence n’a pas jugé qu’il existait un « risque imminent pour la vie humaine ». Quelques heures plus tard, le chalutier a chaviré et plus de 600 personnes ont péri noyées. 

Bien qu’il existe des éléments de preuve indiquant que les garde-côtes grecs ont joué un rôle direct dans ce naufrage, une réaction rapide de la part de Frontex aurait pu permettre d’éviter cette tragédie. Une enquête menée par le Médiateur (Ombudsman) européen a permis de conclure en février 2024 que Frontex avait « des [directives] inadéquates » sur la manière de répondre à des urgences maritimes, « y compris en ce qui concerne l’émission de signaux d’urgence. » 

Utilisé de manière appropriée, le soutien des avions et des drones de Frontex pourrait aider à sauver des vies. Par exemple, le 14 octobre 2023, un avion de Frontex a diffusé les coordonnées d’un canot pneumatique surchargé sur les ondes d’une station de radio ouverte, puis est retourné plus tard sur les lieux et a mis à jour ces coordonnées. Le navire de sauvetage de MSF Geo Barents a pu ensuite effectuer un sauvetage de nuit et secourir 64 personnes, dont des femmes et des enfants. Comme l’a souligné Fulvia Conte, qui dirigeait l’équipe de recherche et de sauvetage de MSF, « lorsqu’on a des coordonnées précises, prises du ciel avec une caméra thermique, bien sûr que cela facilite la recherche d’une embarcation ».

Frontex devrait prendre des mesures concrètes pour utiliser ses technologies et son savoir-faire pour sauver des vies, a déclaré Human Rights Watch. L’agence devrait s’assurer que l’emplacement exact des embarcations en détresse repérées par les moyens aériens de Frontex soit transmis systématiquement aux navires de sauvetage présents dans la zone et gérés par des organisations non gouvernementales et émettre plus fréquemment des signaux d’urgence sur la base d’une définition large de la notion de détresse. Les appareils aériens de Frontex devraient également surveiller les cas de détresse et porter assistance si nécessaire. 

Par le biais de sa campagne #AvecHumanité, Human Rights Watch demande au public de regarder de plus près les vies et les droits qui sont menacés en mer Méditerranée, ainsi que l’humanité partagée avec les personnes qui entreprennent ces traversées, et exiger que les autorités responsables agissent de manière appropriée. Il s’agit-là de la première partie d’une campagne plus vaste visant à appeler l’UE à abandonner le transfert des responsabilités de ses États membres à des pays tiers comme la Libye, la Tunisie, le Liban, la Turquie et l’Égypte, où les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés risquent de subir des violations de leurs droits humains. Au contraire, l’UE devrait défendre les droits humains et agir plus efficacement pour assurer des voies d’accès sûres et légales vers l’Europe.

« En mettant en avant les aspirations des personnes qui entreprennent ces dangereux exodes, nous espérons que les Européen·ne·s se joindront à nous pour appeler Frontex à donner la priorité au sauvetage de vies en mer », a conclu Judith Sunderland. « Les garde-côtes européens devraient respecter le droit de l’UE et le droit international, ainsi que notre engagement commun envers l’humanité et la protection de vies humaines. »

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