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Tchad : Un an après, les victimes toujours en attente de justice

L’impunité pour le « jeudi noir » demeure alors que l’espace politique se ferme

Une barricade est incendiée lors de manifestations anti-gouvernementales à N'Djamena (Tchad), le 20 octobre 2022. © 2022 AP Photo

(Nairobi) – Les autorités tchadiennes n’ont pas mené d’enquêtes criminelles rapides, efficaces et indépendantes sur les graves violations des droits humains liées aux manifestations de masse qui ont eu lieu dans tout le pays le 20 octobre 2022, ni demandé à ceux jugés responsables de rendre des comptes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur les manifestants, ont tué et blessé des dizaines de personnes et ont passé à tabac et poursuivi des personnes jusque dans leurs maisons. Des centaines d’hommes et de garçons ont été arrêtés et nombre d’entre eux ont été emmenés à Koro Toro, une prison de haute sécurité située à 600 kilomètres de N’Djamena, la capitale du pays. Plusieurs de ces détenus sont morts en cours de route, certains à cause du manque d’eau. À Koro Toro, les manifestants ont subi d’autres abus, notamment des actes de torture et des mauvais traitements infligés par d’autres détenus. Les détenus ont été incarcérés pendant des mois avant d’être finalement relâchés ou graciés.

« La violence exercée contre les manifestants il y a un an était disproportionnée et injustifiée, avec pour conséquence des dizaines de morts et de blessés, et des centaines de personnes placées en détention dans des conditions inhumaines à Koro Toro, sans accès à des avocats ou à leur famille », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, Directrice adjointe au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le fait que les autorités n’ont pas mené d’enquêtes indépendantes amène beaucoup de personnes à se demander si quelqu’un sera un jour tenu responsable des vies perdues ainsi que des abus et préjudices subis par les manifestants. »

Après la mort du président Idriss Déby Itno le 20 avril 2021, un Conseil militaire de transition (CMT) dirigé par son fils, Mahamat Idriss Déby, a pris le pouvoir au Tchad. Après des mois de manifestations, le Conseil avait finalement promis de rétablir un régime civil à la date du 20 octobre 2022.

Dans un rapport publié en février 2023, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a déclaré que 128 personnes avaient été tuées et 518 blessées le 20 octobre 2022, une date que beaucoup nomment désormais le « jeudi noir ». La Commission a constaté que les forces de sécurité « ont systématiquement violé plusieurs droits fondamentaux de l’Homme... en utilisant des moyens disproportionnés » pour réprimer les manifestations. La Commission a posé plusieurs questions au gouvernement, y compris sur les raisons pour lesquelles aucune enquête judiciaire n’avait été ouverte sur les violations des droits humains, et a formulé des recommandations à l’intention des autorités militaires de transition, notamment celle d’engager des poursuites à l’encontre des personnes responsables de graves abus.

Dans les jours qui ont suivi les violences, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), l’une des huit communautés économiques régionales de l’Union africaine, a annoncé l’ouverture d’une enquête. Les membres de la commission d’enquête se sont entretenus avec des membres des familles des victimes et quelques détenus de Koro Toro. Cependant, la commission n’a pas rendu ses conclusions publiques et il n’est pas certain que son rapport mette en évidence l’usage disproportionné de la force, la nécessité d’une enquête ainsi que l’obligation pour le gouvernement de garantir que justice soit rendue. 

Avant la mobilisation de masse de 2022, le gouvernement de transition avait à plusieurs reprises violemment réprimé des manifestations en faveur de l’instauration d’un régime démocratique civil. Les forces de sécurité ont fait un usage disproportionné de la force contre les opposants, tuant de ce fait certains manifestants et en blessant des dizaines d’autres. Elles ont arrêté plus de 700 personnes, dont la plupart ont finalement été relâchées.

Fin 2022, le gouvernement de transition a annoncé un projet de nouvelle constitution. Suite à un vote en juin 2023, le projet de constitution a été adopté par 96 pourcent des membres du Conseil national de transition (CNT), l’organe qui a remplacé l’Assemblée nationale dissoute après la mort d’Idriss Déby Itno. Un référendum sur la constitution est prévu pour le mois de décembre 2023 et une élection présidentielle a été annoncée pour 2024.

Dans le même temps, les autorités militaires continuent de resserrer l’espace politique tchadien. Au moins 72 membres et sympathisants des Transformateurs, le principal parti d’opposition, sont en détention depuis le 8 octobre, 2023. Ces arrestations semblent constituer une tentative de limiter la dissidence politique en amont du référendum constitutionnel de décembre, a déclaré Human Rights Watch.

Après les manifestations d’octobre 2022, les autorités militaires tchadiennes ont suspendu Les Transformateurs, d’autres partis politiques ainsi que des organisations de la société civile réunis au sein d’une coalition connue sous le nom de Wakit Tama, ce qui signifie « Le moment est venu » en arabe tchadien. Ces suspensions ont été levées au bout de trois mois.

Succès Masra, le président des Transformateurs, a quitté le Tchad à la suite des manifestations et prévoyait de rentrer au pays le 18 octobre. Il a retardé son arrivée après qu’un mandat d’arrêt l’inculpant de divers crimes, notamment de « tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel, incitation à la haine et à un soulèvement insurrectionnel », a été rendu public.

« À l’approche du référendum, le Tchad devrait opter pour la voie du respect des droits fondamentaux, veiller à ce que les membres des partis d’opposition et les manifestants puissent s’exprimer et à ce que les Tchadiens puissent les entendre », a déclaré Carine Kaneza Nantulya. « Les autorités tchadiennes devraient également veiller à ce que les individus jugés les plus responsables de l’usage disproportionné de la force et d’autres graves abus commis lors du "jeudi noir", rendent des comptes pour leurs actes dans le cadre de procès équitables et efficaces. »

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