Human Rights Watch se réjouit de l’opportunité qui lui est donnée de contribuer à l’examen de pré-session du Burundi par le Comité des Nations Unies contre la torture (ci-après « le Comité »).
Ce mémorandum expose les préoccupations de Human Rights Watch dans le but d’informer l’examen mené par le Comité quant à la conformité du gouvernement burundais avec la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[1] (ci-après « la Convention »). Il propose des mesures spécifiques qui, nous l’espérons, s’avéreront utiles au moment où le Comité établira la « liste des points à traiter » afin de demander au gouvernement des réponses sur les questions en suspens concernant son adhésion à la Convention.
Cette soumission porte sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les actes de torture et les mauvais traitements, ainsi que sur les arrestations et détentions arbitraires perpétrés par les forces de sécurité étatiques burundaises et des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, entre 2016 et 2022 (articles 2, 4, 12, 13 et 16 de la Convention).
Contexte
Dans ses observations finales d’août 2016 sur le rapport spécial du Burundi demandé en vertu de l’article 19 (1)[2], le Comité s’est dit préoccupé par des informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires, d’existence de fosses communes et de meurtres basés sur des motifs politiques ; de disparitions forcées d’opposants politiques ; d’actes de torture et de mauvais traitements ; d’actes de violence fondés sur des motifs politiques et perpétrés par des membres des Imbonerakure ; d’actes de violence et d’incitation à la haine fondés sur des critères ethniques ; d’un usage excessif de la force à l’encontre de manifestants ; et de détentions et d’arrestations arbitraires. Le Service national de renseignement (SNR) burundais a une longue histoire de torture, d’exécutions extrajudiciaires, de détention arbitraire et d’autres violations des droits humains à l’encontre de personnes soupçonnées d’être des opposants au gouvernement. Cependant, depuis la tentative manquée de coup d’État de mai 2015, les actes de torture et les mauvais traitements semblent s’être généralisés et multipliés, tandis que les techniques de torture sont devenues plus brutales. Au cours de la période examinée, de nombreuses tendances documentées depuis le début de la crise des droits humains au Burundi en avril 2015 ont persisté.
Fin avril 2015, des manifestations ont éclaté en réaction à la décision du président Pierre Nkurunziza, aujourd’hui défunt, de briguer un troisième mandat électoral controversé. La police burundaise a fait un usage excessif de la force et a tiré sur les manifestants sans distinction. Après la tentative manquée de coup d’État menée par un groupe d’officiers de l’armée en mai 2015, le gouvernement burundais a intensifié sa répression contre les opposants présumés et a suspendu la plupart des stations de radio indépendantes du pays. Vers mi-2015, presque tous les dirigeants des partis d’opposition, les journalistes indépendants et les activistes de la société civile du Burundi avaient fui le pays après avoir reçu des menaces répétées. Ceux qui sont restés l’ont fait au prix d’importants risques.
Depuis 2016, et pendant le troisième et dernier mandat de Pierre Nkurunziza, la société civile et les médias indépendants ont continué à être attaqués sans relâche. Ces crimes ont été commis dans un climat d’impunité quasi-totale. À l’issue d’un processus électoral entaché d’irrégularités, et après la mort soudaine de Pierre Nkurunziza, le président Évariste Ndayishimiye a pris ses fonctions en juin 2020 et s’est engagé à mettre en œuvre des réformes et à mettre fin à l’impunité. Cependant, depuis son élection, tous les problèmes structurels en matière de droits humains documentés sous son prédécesseur demeurent. Les organisations nationales et internationales indépendantes de défense des droits humains ne peuvent toujours pas travailler au Burundi. Plusieurs groupes de défense des droits humains parmi les plus éminents du pays sont soit suspendus, soit hors la loi depuis 2015.
Meurtres, torture et autres abus commis par les forces de sécurité et des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir
Tout au long de la période examinée, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les arrestations arbitraires et les actes de torture commis par les forces de sécurité et des membres des Imbonerakure se sont poursuivis sans relâche. Des cadavres de personnes tuées dans des circonstances inconnues ont été régulièrement découverts dans tout le pays, et ont souvent été enterrés à la hâte par les autorités sans qu’aucune enquête ne soit ouverte. Bien que les Imbonerakure ne soient pas des acteurs étatiques, il s’est avéré qu’en tant que membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, ils ont souvent collaboré avec les forces de sécurité ou suivi leurs ordres, et se sont régulièrement acquittés de missions de maintien de l’ordre, alors qu’ils n’étaient pas légalement habilités à le faire.
Depuis le dernier examen de la situation du Burundi par le Comité, les recherches de Human Rights Watch ont révélé que le SNR burundais a continué à utiliser la torture pour forcer les détenus à avouer des crimes présumés, à incriminer ou dénoncer d’autres personnes, et pour les intimider. La majorité des victimes étaient des opposants présumés au gouvernement. Ces pratiques sont en contradiction directe avec l’article 1 de la Convention[3] et le Code de procédure pénale burundais. Des membres de la police burundaise et des Imbonerakure ont également commis de graves abus, souvent en collaboration avec les services de renseignement.
Abus commis pendant le mandat du feu président, Pierre Nkurunziza (2017-2020)
Le 12 décembre 2017, Pierre Nkurunziza a annoncé qu’un référendum aurait lieu pour réviser la constitution. Pierre Nkurunziza a alors prévenu que ceux qui oseraient « saboter » le projet de révision de la constitution « par la parole ou l’action » franchiraient une « ligne rouge ». Dans les mois qui ont précédé le référendum, la police, le SNR et des membres des Imbonerakure ont tué, violé, enlevé, battu et intimidé des opposants présumés au Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir.[4]
Les violences politiques liées au référendum de mai 2018 ont coûté la vie à au moins 15 personnes, bien que le nombre réel de morts soit probablement bien plus élevé.[5] De nombreux opposants politiques ont été arrêtés, intimidés ou détenus au secret dans des lieux inconnus, y compris des membres des ex-Forces nationales de libération (FNL), du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD) et d’autres partis d’opposition. Certains ont été accusés d’avoir demandé à leurs membres de voter contre le référendum.
Alors que les élections de 2020 approchaient, les autorités burundaises et des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir ont procédé à des dizaines de passages à tabac, d’arrestations arbitraires, de disparitions forcées et de meurtres à l’encontre de membres réels ou présumés de l’opposition politique.[6] Une augmentation des abus, qui s’inscrit dans une campagne menée contre les personnes perçues comme étant opposées au parti au pouvoir, semble avoir eu lieu après l’enregistrement d’un nouveau parti d’opposition en février 2019, le Congrès national pour la liberté (CNL). Le CNL était auparavant connu sous la dénomination de « FNL ».
La Commission d’enquête sur le Burundi (ci-après « la Commission d’enquête ») mandatée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (ci-après « le CDH » ou « le Conseil ») a confirmé, en 2018, de nouveaux cas d’exécutions sommaires, de disparitions forcées, d’arrestations et de détentions arbitraires, de violence sexuelle, de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Commission d’enquête a conclu que les auteurs de ces crimes – le SNR, la police et des membres des Imbonerakure – opéraient dans « un climat général d’impunité favorisé par l’absence d’indépendance de la justice ». Pour la première fois, la Commission d’enquête a directement impliqué Pierre Nkurunziza, faisant état d’appels récurrents à la haine et à la violence.[7]
Les élections de mai 2020 se sont déroulées en l’absence de toute mission d’observation internationale[8] et, le jour du vote, les autorités ont bloqué l’accès aux réseaux sociaux[9] et aux applications de messagerie dans tout le pays, ce qui a limité la collecte indépendante d’informations ainsi que leur partage. Le CNL a déclaré aux médias locaux que plus de 600 de ses membres avaient été arrêtés pendant les campagnes électorales et le jour des élections. Les organisations burundaises de défense des droits ont signalé de multiples abus, dont des arrestations arbitraires et des passages à tabac de membres du CNL et d’autres partis d’opposition.[10]
Présidence d’Évariste Ndayishimiye (2020-2022)
Après le mois d’août 2020, la situation sécuritaire s’est détériorée et plusieurs rapports ont fait état d’affrontements entre les forces de sécurité et des groupes armés, ainsi que d’attaques par des assaillants non identifiés, notamment dans les provinces frontalières de la République démocratique du Congo. Lors de certaines de ces attaques, des membres des Imbonerakure ont soutenu l’armée nationale. Des groupes d’hommes armés non identifiés se seraient également rendus responsables d’attaques aléatoires ayant fait des victimes civiles. Les autorités burundaises ont qualifié ces attaques d’actes « terroristes » ou « criminels » et ont commis des abus contre les auteurs présumés et les civils.
Selon le rapport de la Commission d’enquête, des hommes soupçonnés d’appartenir à ou d’aider des groupes armés ont été exécutés par la police ou des agents du SNR tout au long de l’année 2021.[11] Des dizaines de membres réels ou présumés de groupes d’opposition ont été victimes de disparitions forcées. De nombreuses personnes ont également été détenues par le SNR et auraient été soumises à de sévères tortures, des viols et des mauvais traitements. Des groupes locaux et internationaux de défense des droits, dont Human Rights Watch, ont documenté des cas de torture de personnes soupçonnées de collaborer avec des groupes armés. La Commission d’enquête a documenté des cas où les victimes sont mortes en détention.
Human Rights Watch a constaté que le 16 novembre 2021, des membres des Imbonerakure et de l’administration locale ont placé Innocent Barutwanayo, un membre du CNL, en détention dans la commune de Matongo. Barutwanayo a d’abord été emmené au bureau de la commune de Matongo, puis transféré dans une cellule de détention du SNR, et enfin dans un commissariat de police local, selon des proches et d’autres sources d’information.[12] Il a été torturé et transféré dans un hôpital, apparemment en raison des graves blessures qu’il a subies en détention.
Autour du 25 novembre, plusieurs agents du SNR et de la police l’ont transféré de l’hôpital au siège du SNR à Bujumbura. Le 3 décembre, un responsable de l’administration locale a informé les membres de sa famille qu’ils devaient venir récupérer son corps à la morgue de la Clinique Prince Louis Rwagasore à Bujumbura. Ils ne disposaient toutefois pas des fonds nécessaires pour le faire.
La Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) du Burundi a déclaré dans son Rapport annuel 2021 qu’elle avait enregistré le cas de « I.B. », placé en garde à vue le 16 novembre à Kayanza et décédé plus tard de blessures causées par des « coups et blessures graves ».[13] Selon la CNIDH, l’administrateur de la commune de Matongo a déclaré que la victime avait été passée à tabac par la population. Toutefois, cette affirmation contredit les informations recueillies par Human Rights Watch auprès de témoins présents au moment de l’arrestation de Barutwanayo.
De plus, une source qui a vu Barutwanayo alors qu’il était hospitalisé à l’hôpital de Kayanza, sous la garde d’agents du SNR et de la police, a déclaré qu’il avait été sévèrement battu au niveau des fesses, des côtes et de la poitrine, et qu’il pouvait à peine s’asseoir en raison de la gravité de ses blessures. La CNIDH a également déclaré que des enquêtes étaient en cours et, en décembre 2021, a annoncé qu’elle avait enquêté sur deux cas de torture et que les responsables étaient appelés à rendre des comptes, sans identifier les victimes ni les auteurs.[14] Human Rights Watch a soulevé le cas de Barutwanayo dans des courriers adressés aux autorités et à la CNIDH, et a demandé des informations quant aux mesures prises afin de s’assurer que les responsables rendent des comptes. Ces lettres sont restées sans réponse.
Le SNR gère un centre de détention connu à Cibitoke, où sont détenues des personnes soupçonnées de travailler avec des groupes armés.[15] Human Rights Watch a interrogé cinq anciens détenus de ce centre, qui ont déclaré y avoir été témoins d’abus et torturés entre septembre 2020 et février 2022.
Trois de ces détenus étaient des agriculteurs, dont deux qui se rendaient souvent en RD Congo pour chercher du travail. Ils ont tous déclaré n’avoir aucune affiliation politique et n’avoir aucun contact avec les groupes rebelles en RD Congo, pays voisin. Le quatrième a déclaré avoir été pris pour cible en raison de ses activités politiques. Tous ont dit avoir entendu des détenus être emmenés dans un véhicule au milieu de la nuit. Un homme qui a été détenu en décembre 2020 au centre du SNR a déclaré que des policiers, ivres, se réjouissaient de tuer des détenus et de jeter leurs corps dans la rivière Rusizi.
Un cinquième agriculteur et membre d’un parti d’opposition à Cibitoke a déclaré avoir été détenu à son domicile le 12 février 2022 vers 21 heures par des hommes portant des t-shirts du parti au pouvoir. Ce cas pourrait s’apparenter à une disparition forcée.[16] Il a déclaré qu’à la vue des t-shirts, « c’est là que j’ai compris que c’étaient des membres des Imbonerakure. Des agents du SNR étaient aussi présents. Lorsque je suis monté dans la voiture, ils m’ont bandé les yeux et j’ai su que ma vie était en danger. » Il a été emmené dans un centre qu’il pense être une cellule de détention du SNR à Cibitoke. Il a déclaré :
J’ai été enfermé seul dans une petite pièce. Pendant ces deux semaines, je n’ai été en contact avec personne d’autre… Ils m’ont accusé de travailler avec [le groupe d’opposition armé] RED-Tabara contre le gouvernement. À vrai dire, je ne connais personne dans ce mouvement. Je pense qu’ils m’ont arrêté parce que je ne suis pas membre du parti [au pouvoir]. Je suis au CNL et ils le savent. Ils m’ont battu avec des bâtons, des câbles électriques et à coups de pied pour me faire avouer que je travaillais avec RED-Tabara. Ils l’ont fait tous les matins et tous les soirs, le plus dur était quand ils étaient ivres. Ils vous frappent sans s’inquiéter du fait qu’ils peuvent vous tuer…
Au bout de deux semaines, il a été transféré dans un autre lieu, non identifié, depuis lequel il entendait des gens crier la nuit, a-t-il déclaré. Après sa libération, aucune enquête n’a été ouverte et la victime vit aujourd’hui dans la clandestinité, bien que son cas ait été signalé aux autorités locales.
Des organisations burundaises et internationales ont continué à documenter des cas de torture, ainsi que le manque de volonté des autorités à demander des comptes aux responsables. À titre d’exemple, en mars 2021, l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB) a documenté plusieurs cas de torture ainsi que les explications contradictoires du gouvernement sur ce qui s’est passé.[17]
L’article 34 du Code de procédure pénale burundais stipule que les détenus peuvent être maintenus en détention pour une durée maximale de sept jours, renouvelable une seule fois, avant que les juges ne décident s’ils doivent être remis en liberté provisoire, ou maintenus en détention.[18] Un délai de sept jours après la détention semble constituer une violation de l’article 9 (3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)[19] qui stipule que tous les détenus doivent être traduits devant un juge ou une instance équivalente « dans le plus court délai ». Quoi qu’il en soit, ce délai est régulièrement ignoré, de nombreux détenus étant maintenus en garde à vue par la police ou le SNR pendant une durée supérieure à la période maximale prévue par la loi, et ce sans procédure régulière.
Impunité pour le SNR, la police et des membres des Imbonerakure
En 2016, le Comité s’est dit préoccupé par « l’impunité dont semblent bénéficier les auteurs des violations depuis le début de la crise politique en avril 2015 » et a jugé regrettable que « l’État partie n’ait fourni presqu’aucune donnée officielle pour permettre au Comité de déterminer s’il s’acquitte des obligations qui sont les siennes en vertu de la Convention en matière d’enquêtes ». Depuis le début de la crise en 2015, plusieurs responsables des services de sécurité ont été identifiés par des organisations burundaises et internationales de défense des droits humains comme étant responsables de la supervision ou de la participation à des actes de torture.[20] Malgré cela, Human Rights Watch n’a connaissance d’aucun cas de poursuite ni de condamnations transparentes pour actes de torture qui auraient conduit à des sanctions punitives contre les personnes jugées responsables et à des réparations pour les victimes.
Les affaires impliquant des membres de partis d’opposition ont souvent été confiées à des responsables au sein du système judiciaire connus pour leur sympathie à l’égard du parti au pouvoir. Dans certains cas, les juges ont ouvertement déclaré que les affaires étaient « politiques ».[21] Ce manque d’indépendance du système judiciaire et du parquet du Burundi est contraire à l’article 12 de la Convention. À la connaissance de Human Rights Watch, aucune victime de torture n’a été indemnisée ou n’a reçu de réparation pour les traitements infligés, ce qui constitue une violation de l’article 14 de la Convention.[22]
Après sa prise de pouvoir, Évariste Ndayishimiye a fait quelques efforts pour contrôler les membres des Imbonerakure et leur implication dans des violations des droits humains est devenue moins manifeste. Cependant, les membres des Imbonerakure ont continué à arrêter, passer à tabac et tuer des opposants présumés, parfois en collaboration ou avec le soutien d’agents de l’administration locale, de la police ou du SNR. Révérien Ndikuriyo, Secrétaire général du CNDD-FDD et partisan de la ligne dure au sein du parti, a prononcé plusieurs discours incendiaires lors de rassemblements de membres du CNDD-FDD et des Imbonerakure. En août 2022, il a appelé les Imbonerakure à poursuivre les patrouilles de nuit et à tuer tout « fauteur de troubles »[23] et s’en est pris aux organisations internationales de défense des droits humains. Tout au long de 2022, les membres des Imbonerakure ont suivi des programmes de formation sur le « patriotisme » dans tout le pays.[24]
Non-coopération avec les mécanismes des droits humains des Nations Unies
Dans ses observations finales, le Comité s’est dit préoccupé par le manque de coopération du gouvernement du Burundi avec ses travaux et par les tentatives d’empêcher la participation de la société civile burundaise.[25] Le 29 juillet 2016, le Procureur général près la Cour d’appel de Bujumbura a écrit une lettre demandant au président de l’ordre des avocats de radier les avocats Armel Niyongere, Lambert Nigarura, Dieudonné Bashirahishize et Vital Nshimirimana.[26] Ces avocats avaient contribué à la rédaction d’un rapport alternatif conjoint soumis au Comité pour l’examen du rapport spécial du Burundi, et trois d’entre eux avaient assisté au dialogue interactif entre le Burundi et le Comité au nom des organisations de la société civile burundaise qu’ils représentaient. Le 21 décembre 2016, le Comité a déploré le manque de coopération du Burundi dans le cadre des procédures de plaintes individuelles ainsi que son incapacité à appliquer les décisions du Comité dans tous les cas où des violations des droits humains ont été constatées.[27]
En septembre 2016, le CDH a adopté une résolution visant à établir la Commission d’enquête, mandatée pour enquêter sur les violations des droits humains perpétrées au Burundi depuis avril 2015, et pour déterminer si elles sont susceptibles de constituer des crimes internationaux. Les responsables burundais ont refusé de collaborer avec la Commission d’enquête. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a fermé son bureau au Burundi en février 2019 à la demande du gouvernement. Dans son dernier rapport, la Commission d’enquête a conclu le 16 septembre 2021 que de graves violations des droits humains continuaient d’être commises au Burundi et qu’« aucune réforme structurelle n’a été engagée pour améliorer durablement la situation ».[28]
Malgré ces conclusions, la délégation de l’Union européenne à Genève a proposé une résolution lors de la session de septembre 2021 du CDH, adoptée par vote, qui a mis fin au mandat de la Commission d’enquête et a créé un mandat de rapporteur spécial pour la remplacer. Le gouvernement burundais a rejeté ce mandat à plusieurs reprises et a annoncé qu’il ne donnerait jamais accès au pays au titulaire du mandat.
Questions et recommandations :
- Quelles mesures les autorités burundaises ont-elles prises pour mettre en place un Mécanisme national de prévention (MNP) solide et indépendant, comme le prévoit le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ?[29] Le MNP devrait inclure des membres de la société civile et des responsables du gouvernement qui visiteraient régulièrement les lieux de détention et feraient des recommandations aux autorités burundaises.
- Quelles mesures les autorités burundaises ont-elles prises pour enquêter de toute urgence sur les actes de torture et sur les mauvais traitements commis dans les centres de détention du SNR, ainsi qu’en garde à vue policière ? Quelles enquêtes et poursuites ont été engagées à l’encontre des agents du SNR et des responsables de la police impliqués dans la commande, la supervision ou l’exécution d’actes de torture et de mauvais traitements ? Le Comité devrait demander aux autorités burundaises des informations précises sur l’avancement de ces enquêtes. Les enquêtes et les poursuites devraient être totalement indépendantes des personnes faisant l’objet de l’enquête et de leur chaîne de commandement.
- Les autorités burundaises devraient coopérer avec les enquêtes internationales sur les graves violations des droits humains au Burundi, y compris celles menées dans le cadre de procédures spéciales.
- Quelles mesures les autorités burundaises ont-elles prises pour permettre aux détenus d’avoir un accès régulier à des avocats dans tous les centres de détention du SNR, de la police ou autre dans tout le pays ?
- Quelles démarches les autorités burundaises ont-elles engagées pour indiquer aux forces de sécurité et au SNR que les exécutions extrajudiciaires ne seront pas tolérées et que tout individu soupçonné de commettre, ordonner ou participer de quelque manière que ce soit à des exécutions illégales sera traduit en justice ?
- Les autorités burundaises devraient enquêter sur le rôle des individus au sein des forces de sécurité et du SNR soupçonnés d’avoir participé à des exécutions illégales ou de les avoir ordonnées, et les suspendre de leur fonction jusqu’à la fin de l’enquête. Elles devraient également enquêter sur les membres des Imbonerakure soupçonnés de crimes et les poursuivre en justice. S’il existe des preuves suffisantes et crédibles, elles devraient veiller à ce que ces personnes, ainsi que les autres personnes impliquées dans ces exécutions, soient inculpées et jugées dans le cadre d’une procédure régulière et conformément au droit burundais et aux normes internationales.
- Quelles mesures les autorités burundaises ont-elles prises pour renforcer l’indépendance du système judiciaire, consolider la protection des témoins et se prémunir contre les interférences politiques ?
[1] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), adoptée le 10 décembre 1984, G.A. res. 39/46, annexe, 39 U.N. GAOR Supp. (No. 51) à 197, U.N. Doc. A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987.
[2] Comité des Nations Unies contre la torture, « Observations finales du Comité sur le rapport spécial du Burundi demandé conformément au paragraphe 1, in fine, de l’article 19 de la Convention ». CAT/C/BDI/CO/2/Add.1, 9 septembre 2016, https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CAT%2FC%2FBDI%2FCO%2F2%2FAdd.1&Lang=en.
[3] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), adoptée le 10 décembre 1984, G.A. res. 39/46, annexe, 39 U.N. GAOR Supp. (No. 51) à 197, U.N. Doc. A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987, article 1.
[4] « Burundi : Meurtres et abus à l’approche du référendum », Communiqué de presse de Human Rights Watch, 18 mai 2018, https://www.hrw.org/fr/news/2018/05/18/burundi-meurtres-et-abus-lapproche-du-referendum.
[5] Ibid.
[6] « Burundi : Abus généralisés visant l’opposition », Presser plus de Human Rights Watch, 12 juin 2019, https://www.hrw.org/fr/news/2019/06/12/burundi-abus-generalises-visant-lopposition.
[7] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme au Burundi, A/HRC/39/63, septembre 2018, https://www.ohchr.org/fr/hr-bodies/hrc/co-i-burundi/co-i-burundi-report-hrc39.
[8] Lewis Mudge, « Un orage se prépare au Burundi », Tribune de Human Rights Watch, 14 mai 2020, https://www.hrw.org/fr/news/2020/05/14/un-orage-se-prepare-au-burundi.
[9] Open Observatory of Network Interference, Burundi blocks social media amid 2020 general election, (Open Observatory of Network Interference, 2020), https://ooni.org/post/2020-burundi-blocks-social-media-amid-election/.
[10] « Bulletin bimensuel sur le processus électoral de 2020 au Burundi », Bulletin bimensuel de la ligue Iteka, numéro 003, 18 mai 2020, https://www.ligue-iteka.bi/wp-content/uploads/2020/05/Bulletin-processus-electoral-2020-003.pdf.
[11] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme au Burundi,
A/HRC/48/68, septembre 2021, https://www.ohchr.org/fr/hr-bodies/hrc/co-i-burundi/co-i-burundi-report-hrc48.
[12] Initiative pour les droits humains au Burundi, Le chemin qui reste à parcourir. Le Burundi traduira-t-il ses tortionnaires en justice ? (2022), https://burundihri.org/french/march_2022.php.
[13] Commission nationale indépendante des droits de l’homme du Burundi, Rapport annuel édition 2021 (Bujumbura : CNIDH, 2021) https://www.cnidh.bi/publicationsview.php?article=912.
[14] « Communiqué relatif à 2 cas de torture signalés au SNR », Commission nationale indépendante des droits de l’homme du Burundi, Communiqué de la CNIDH, 10 décembre 2021, https://www.cnidh.bi/publicationsview.php?article=892.
[15] « Burundi : Allégation de meurtres, de disparitions et de torture », Presser plus de Human Rights Watch, 17 septembre 2021, https://www.hrw.org/fr/news/2021/09/17/burundi-allegations-de-meurtres-de-disparitions-et-de-torture.
[16] « Burundi : des opposants présumés ont été tués, détenus et torturés », Presser plus de Human Rights Watch, 18 mai 2022, https://www.hrw.org/fr/news/2022/05/18/burundi-des-opposants-presumes-ont-ete-tues-detenus-et-tortures.
[17] Initiative pour les droits humains au Burundi, Rumonge : actes de torture et meurtres au nom de la sécurité (2021), https://burundihri.org/french/march_2021.php.
[18] Code de procédure pénale burundais, 11 mai 2018, https://www.droit-afrique.com/uploads/Burundi-Code-2018-procedure-penale.pdf, article 34.
[19] Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté le 16 décembre 1966, G.A. Res. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (No. 16) à 52, U.N. Doc. A/6316 (1966), 999 U.N.T.S. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976, article 9 (3).
[20] Initiative pour les droits humains au Burundi, Derrière les grilles : Recrudescence des cas de torture et de disparitions (2021), https://burundihri.org/french/november_2021.php
[21] « Burundi : Il faut libérer les réfugiés rapatriés de force », Communiqué de presse de Human Rights Watch, 8 mars 2021, https://www.hrw.org/fr/news/2021/03/08/burundi-il-faut-liberer-les-refugies-rapatries-de-force.
[22] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), adoptée le 10 décembre 1984, G.A. res. 39/46, annexe, 39 U.N. GAOR Supp. (No. 51) à 197, U.N. Doc. A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987, article 12, article 14.
[23] « Situation mondiale – Déclaration de Nada Al-Nashif, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme par intérim, déclaration du HCDH », 12 septembre 2022, https://www.ohchr.org/fr/statements/2022/09/global-update-statement-nada-al-nashif-un-acting-high-commissioner-human-rights.
[24] Clémentine de Montjoye, « Un haut responsable du Burundi s’en prend aux organisations de défense des droits humains », Tribune de Human Rights Watch, 5 août 2022. https://www.hrw.org/fr/news/2022/08/05/un-haut-responsable-du-burundi-sen-prend-aux-organisations-de-defense-des-droits.
[25] Comité des Nations Unies contre la torture, « Observations finales du Comité concernant le rapport spécial du Burundi, demandé conformément au paragraphe 1, in fine, de l’article 19 de la Convention », CAT/C/BDI/CO/2/Add.1, 9 septembre 2016, https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CAT%2FC%2FBDI%2FCO%2F2%2FAdd.1&Lang=en.
[26] Ibid.
[27] « Burundi : Le Comité contre la torture déplore le manque de coopération du Burundi concernant les plaintes individuelles », Communiqué de presse des Nations Unies, 21 décembre 2021, https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/12/burundi-un-torture-committee-deplores-lack-cooperation-torture-complaints.
[28] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme au Burundi,
A/HRC/48/68, septembre 2021, https://www.ohchr.org/fr/hr-bodies/hrc/co-i-burundi/co-i-burundi-report-hrc48.
[29] Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adopté le 18 décembre 2022, G. A. res A/RES/57/199, entré en vigueur le 22 juin 2006.