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Tchad : De nombreux manifestants tués et blessés

Il faut ouvrir sans tarder des enquêtes impartiales sur le comportement des forces de sécurité

Une barricade est incendiée lors de manifestations anti-gouvernementales à N'Djamena (Tchad), le 20 octobre 2022. © 2022 AP Photo

(Nairobi) – Les forces de sécurité ont tiré sur des manifestants dans plusieurs villes du Tchad, y compris à N’Djamena, la capitale, le 20 octobre 2022, tuant au moins 50 personnes et en blessant des dizaines d’autres, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les forces de sécurité – des membres de l’armée, de la gendarmerie et de la police – ont également passé à tabac des manifestants et arrêté des centaines de personnes, apparemment de manière arbitraire dans de nombreux cas, pendant et après les manifestations. Le porte-parole du gouvernement a affirmé à des médias internationaux qu’au moins 15 membres des services de sécurité avaient été tués. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer ces chiffres de source indépendante.

« Les autorités tchadiennes devraient immédiatement faire en sorte qu’une enquête indépendante et effective détermine si le recours à la force létale par les services de sécurité était une réponse justifiée et proportionnelle à toute prétendue violence », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les gens devraient pouvoir manifester pacifiquement contre la politique du gouvernement sans se faire tirer dessus ou se faire tuer. »

Ces manifestations, qui se sont déroulées dans tout le pays et ont mobilisé des milliers de participants, marquaient la date à laquelle l’administration militaire, au pouvoir depuis la mort du président Idriss Déby le 20 avril 2021, avait promis de restituer le pouvoir à un gouvernement civil. Le Conseil militaire de transition – présidé par le fils de Déby, Mahamat Idriss Déby – a pris le pouvoir après qu’Idriss Déby a été tué. Ce conseil a récemment repoussé la date des prochaines élections à octobre 2024. Les manifestations ont eu lieu en dépit d’une interdiction du gouvernement, décrétée le 19 octobre.                                                                                                          

Human Rights Watch a reçu des témoignages de manifestants et de témoins selon lesquels certains manifestants ont lancé des pierres, et a vu des photos non authentifiées qui montrent une poignée de manifestants armés de couteaux, mais n’a pas trouvé de preuves que des manifestants avaient des armes à feu. Les médias ont signalé des cas de pillage dans certaines villes lors de périodes de désordre ayant suivi l’intervention des forces de sécurité, y compris à N’Djamena, où le bureau du Premier ministre a été saccagé.

Des membres de la société civile, des opposants politiques et des témoins ont affirmé que les forces de sécurité avaient tiré sur la foule sans discernement. Un membre des Transformateurs, le principal parti d’opposition, a affirmé à Human Rights Watch : « nous n’étions pas armés. Nous avons lancé des pierres, oui, mais même avant que des pierres ne soient lancées, on [les forces de sécurité] nous avait tiré dessus. »

Une des victimes, Orédjé Narcisse, un journaliste, aurait été tué par balles devant son domicile par des hommes en uniforme militaire.

Des activistes, des manifestants et des médias ont affirmé que des hommes non identifiés circulant dans des véhicules civils avaient tiré sur les manifestants. Un témoin a déclaré que des personnes en civil, à bord d’une voiture sans plaque d’immatriculation, avaient tiré sur la foule, précisant qu’il avait failli être atteint. Le 20 octobre, le département d’État américain a émis un communiqué dans lequel il condamne « l’attaque qui s’est produite devant le portail principal de l’ambassade des États-Unis, dans laquelle des assaillants en civil à bord de véhicules privés ont franchi les postes de contrôle policiers et ont tué quatre personnes. » En 2021, Human Rights Watch a documenté que des hommes non identifiés, à bord de véhicules civils, avaient tiré sur des manifestants en avril et en mai cette année-là.

Des activistes, des avocats et des membres de l’opposition ont fait état d’arrestations massives pendant et après les manifestations. « Ils repèrent les gens et ils vont les arrêter la nuit, quand les rues sont vides à cause du couvre-feu », a déclaré un avocat.

Un dirigeant des Transformateurs, actuellement en fuite dans un autre pays, a affirmé : « au moins 500 membres de notre parti ont été arrêtés. Je parle juste de notre parti, pas des membres de la société civile ou des activistes des droits humains, donc beaucoup d’autres personnes ont été aussi arrêtées. Ils vont au domicile des gens et ils les emmènent. Nous avons entendu dire qu’on les emmène à Koro Toro [une prison de haute sécurité dans le nord du pays]. »

Le porte-parole du gouvernement a démenti devant les médias internationaux que les personnes arrêtées étaient emmenées à Koro Toro. Le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a déclaré avoir reçu des informations selon lesquelles plus de 500 personnes avaient été arrêtées.

L’effusion de sang du 20 octobre s’est produite dans un contexte d’escalade des violences à l’encontre des manifestations depuis 18 mois. Les forces de sécurité du Tchad ont accru la répression contre les manifestants et les opposants politiques à l’approche de l’élection présidentielle du 11 avril 2021, utilisant des gaz lacrymogènes pour disperser et blesser des manifestants et des activistes des droits humains, et arrêtant arbitrairement des centaines de membres et de partisans des partis d’opposition et d’activistes de la société civile, les soumettant parfois à de sévères passages à tabac et à d’autres mauvais traitements.

Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive, y compris à des tirs à balles réelles effectués sans discernement, pour disperser des manifestations organisées par l’opposition dans tout le pays à la suite de cette élection et de la mort d’Idriss Déby. Plusieurs manifestants ont été tués. En septembre 2022, plus de 140 membres des Transformateurs ont été arrêtés et détenus arbitrairement, certains pendant plusieurs jours, puis remis en liberté sans inculpation. Les forces de sécurité ont passé à tabac quatre journalistes tchadiens qui couvraient la répression.

Les Directives sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples stipulent qu’il incombe à l’État d’assurer la sécurité lors de manifestations et que les organisateurs d’une manifestation pacifique ne peuvent être tenus responsables d’actes commis par des parties tierces lors de la manifestation.

Les responsables de haut rang du gouvernement et des forces de sécurité devraient s’assurer que l’armée, la gendarmerie et la police tchadiennes reçoivent une formation et respectent le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois, ainsi que les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, a déclaré Human Rights Watch.

Le Code de conduite de l’ONU précise que « les responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force seulement lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions », que le recours à la force doit être exceptionnel, et que « l’emploi d’armes à feu est considéré comme un moyen extrême. » Il stipule également que « aucun responsable de l’application des lois ne peut infliger, susciter ou tolérer un acte de torture ou quelqu’autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. »

Le 20 octobre, le Premier ministre, Saleh Kebzabo, a annoncé que le gouvernement créerait une « commission judiciaire » pour établir les responsabilités pour ces abus. Le 21 octobre, les médias tchadiens ont annoncé que le ministre de la Justice, Mahamat Ahmad Alhabo, avait ordonné à plusieurs tribunaux du pays d’ouvrir « des enquêtes et d’engager des procédures à l’encontre de toutes les personnes, civiles et militaires,… lors des événements du 20 octobre. »

« Les autorités tchadiennes devraient faire en sorte que tous les responsables du recours illégal à la force, en particulier les membres des forces de sécurité impliqués dans des violations du droit à la vie, soient poursuivis en justice et punis de manière appropriée », a affirmé Lewis Mudge. « Le gouvernement de transition devrait s’assurer que ses forces de sécurité s’abstiennent de recourir à une force injustifiée et disproportionnée lors de manifestations et respectent les droits fondamentaux à la vie, à l’intégrité physique et à la liberté, ainsi que les droits de réunion et de manifester pacifiquement. »

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