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Tchad : Les forces de sécurité se livrent à des abus en plein dialogue national

Les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association devraient être respectés et des enquêtes ouvertes sur l’usage excessif de la force

Les forces de sécurité devant le siège du parti d'opposition Les Transformateurs à N’Djamena, la capitale du Tchad, le 2 septembre 2022. © 2022 Privé

(Nairobi) – Les forces de sécurité du Tchad ont fait un usage excessif de la force ces derniers jours contre des membres et des partisans de l’opposition qui protestaient contre le « dialogue national » lancé par le gouvernement pour organiser de nouvelles élections nationales, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. La réponse des forces de sécurité dissipe tout espoir de voir ce dialogue mener à des élections.

Le dialogue national, qui a débuté le 20 août 2022 à N’Djamena, la capitale, devait être ouvert à toutes les composantes de la société. L’objectif est d’établir un calendrier et des règles pour les élections présidentielles, promises pour octobre par Mahamat Idriss Deby, qui a pris le pouvoir en avril 2021 après la mort de son père, Idriss Déby Itno. Le principal parti d’opposition, Les Transformateurs, s’est opposé à ce dialogue qu’il juge « non inclusif », mobilisant par conséquent ses membres et ses partisans contre sa tenue. 

« Le gouvernement de transition tchadien refuse une fois de plus d’assumer la responsabilité des actions abusives de ses forces de sécurité contre des manifestants pacifiques et des opposants politiques, faisant preuve d’un mépris total pour les libertés et les droits fondamentaux », déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement mettre fin à l’assaut contre l’opposition, restreindre les forces de sécurité et veiller à ce que les individus impliqués dans des violations des droits humains soient tenus responsables. »

Les forces gouvernementales ont blessé des dizaines de manifestants à N’Djamena au cours des dix premiers jours de septembre, notamment en faisant un usage excessif de gaz lacrymogènes. Elles ont également arrêté plus de 220 personnes – selon les dirigeants des Transformateurs qui se sont entretenus avec Human Rights Watch –, dont plusieurs ont par la suite fait état de conditions de détention inhumaines.

Human Rights Watch s’est entretenu avec 20 personnes entre le 1er et le 16 septembre, dont 12 manifestants et membres des Transformateurs, trois militants des droits humains, deux avocats et trois journalistes. Human Rights Watch a également analysé deux vidéos et 45 photographies de manifestations partagées avec ses chercheurs et examiné les informations de médias et d’organisations de défense des droits humains nationales et internationales. Human Rights Watch a partagé ses conclusions avec Abderaman Koulamallah, le ministre tchadien de la Communication, lors d’un appel téléphonique le 22 septembre.

Des centaines de membres et de partisans du parti d'opposition tchadien Les Transformateurs accompagnent le chef du parti, Succès Masra, au tribunal de N'Djamena, la capitale du Tchad, le 9 septembre 2022. © Privé

Le 1er septembre, les forces de sécurité ont arrêté plus de 80 membres et sympathisants des Transformateurs, dont sept femmes, alors que les membres cherchaient à informer le public d’une réunion du parti le 3 septembre. « Ils m’ont appelé ‘‘esclave’’ et poussé dans une minuscule cellule de moins de six mètres carrés avec au moins 60 autres militants », a relaté un membre du parti. « La cellule était sombre et étouffante, la ventilation mauvaise, on nous refusait tout contact avec le monde extérieur. »

Le 2 septembre, les forces de sécurité ont bouclé le siège des Transformateurs dans le quartier d’Abena à N’Djamena, empêchant quiconque d’entrer ou de sortir, et recouru à des gaz lacrymogènes pour disperser les membres et sympathisants du parti qui s’y étaient rassemblés pour protester contre les arrestations de la veille. « Nous étions piégés à l’intérieur [du siège du parti] et avons regardé la police brutaliser nos membres et les disperser avec violence », a déclaré un dirigeant du parti. « Ils ont tiré des grenades lacrymogènes contre nos fenêtres, en brisant certaines. Le siège n’a été levé que trois jours plus tard. »

Selon des membres du parti qui ont parlé à Human Rights Watch et aux médias, les forces de sécurité ont également arrêté au moins 140 personnes.

Le ministre de la Communication Koulamallah a affirmé que les manifestants violents étaient plus nombreux que les forces de sécurité et les ont attaqués en leur jetant des pierres. « Les forces de sécurité ont d’abord demandé aux manifestants d’évacuer ; les manifestants ont refusé ; et certains membres des forces de sécurité ont failli être lynchés », a assuré le ministre. « La police a lancé un ultimatum aux manifestants, sans succès. Les Transformateurs ont attisé leur colère et continué à lancer d’énormes projectiles sur la police, qui a finalement décidé de les disperser avec des gaz lacrymogènes. »

Toutes les personnes arrêtées les 1er et 2 septembre ont été remises en liberté sans chef d’inculpation le 5 septembre, comme l’a confirmé aux médias Idriss Dokony Adiker, le ministre de la Sécurité publique.

Le 3 septembre, les forces de sécurité ont poursuivi leur répression dans le quartier d’Abena et ses environs, utilisant des gaz lacrymogènes contre les personnes qui s’étaient réunies au siège du parti pour écouter le discours de leur leader. Les forces de sécurité ont également fait irruption dans plusieurs maisons de membres et de partisans des Transformateurs.

 Les forces de sécurité ont également passé à tabac quatre journalistes tchadiens, dont Aristide Djimalde, un reporter âgé de 25 ans travaillant pour Alwihda Info, et arrêté trois d’entre eux pour avoir couvert la répression. « La police a tiré des gaz lacrymogènes et je me suis réfugiée dans une maison avec une dizaine de manifestants », ail indiqué Djimalde. « La police y a fait irruption, a confisqué mon badge et mon téléphone, effacé toutes les vidéos et photographies des manifestations que j’avais prises et m’a sauvagement frappée dans le dos et aux bras, avant de rouer de coups de pied et de gifles les autres manifestants. »

Le 9 septembre, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser des centaines de personnes qui escortaient le chef du parti, Succès Masra, au palais de justice pour y répondre à une convocation du procureur du tribunal de première instance de N’Djamena.

« C’était comme une guerre », a déclaré un manifestant de 33 ans. « La police a abusé des gaz lacrymogènes, et nous avons eu beaucoup de mal à respirer et à garder les yeux ouverts. Ils ont tiré à moins de 100 mètres de nous, et j’ai été touché par une grenade lacrymogène à la poitrine. C’était douloureux, ça m’a brûlé. »

Koulamallah a déclaré que le procureur avait convoqué de son propre chef Masra, mais que celui-ci « avait décidé de se rendre au tribunal accompagné de centaines de ses partisans, ce qui est une action inadmissible dans une démocratie [...] la justice est comme un espace neutre [...] On ne peut pas faire pression sur la justice, on ne peut pas faire la loi par soi-même ». Le droit international relatif aux droits à la liberté d’association et de réunion protège les rassemblements pacifiques, y compris toute marche pacifique vers un palais de justice ou tout rassemblement à proximité de celui-ci.

Le 11 septembre, les représentants au Tchad de l’Union africaine, de l’Union européenne, de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne, de la Suisse, des Pays-Bas, des États-Unis et du Royaume-Uni ont publié une déclaration exprimant leur préoccupation quant à la répression des Transformateurs et appelant au respect de l’État de droit. La Commission tchadienne des droits de l’homme et des organisations locales et internationales de défense des droits de la personne ont également condamné l’usage excessif de la force par les forces de sécurité.

Le droit international, le corpus africain des droits humains, notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et la charte de transition du Tchad consacrent les droits à la liberté d’expression et de réunion, et interdisent l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre. Selon les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, les forces de sécurité ne peuvent recourir à la force que proportionnellement à la gravité de la menace, et l’utilisation intentionnelle de la force létale n’est autorisée que lorsqu’elle est strictement inévitable pour protéger des vies humaines.

« À l’heure où le pays tente de panser ses plaies, les abus perpétrés par les forces de sécurité ne peuvent que faire reculer la réconciliation tchadienne, là où les autorités de transition devraient plutôt veiller au respect des droits à la liberté de réunion et d’expression », a conclu Lewis Mudge. « À cette fin, elles devraient également veiller à ce que les forces de sécurité fassent preuve de retenue lors de toutes les manifestations et de tous les rassemblements, enquêter de toute urgence sur les attaques visant l’opposition et permettre à tous les Tchadiens de participer pleinement à la vie politique sans entrave. »

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