Skip to main content
Faire un don

Burundi : Enquêter sur les décès dans l’incendie de la prison de Gitega

Une enquête transparente est nécessaire pour établir la vérité et garantir la justice

Les murs calcinés de la prison centrale de Gitega, la capitale politique du Burundi, suite à l’incendie qui s'est déclaré dans cette structure fortement surpeuplée, tôt dans la matinée du 7 décembre 2021. © 2021 Privé

(Nairobi) – Les autorités burundaises devraient mener une enquête crédible et fournir un compte-rendu transparent et fiable sur l’incendie qui a ravagé la prison centrale de Gitega le 7 décembre 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Plusieurs centaines de prisonniers auraient trouvé la mort ou été blessés.

Les autorités n’ont pas mené d’enquête transparente, crédible et impartiale sur l’incendie afin de connaître les circonstances dans lesquelles il s’est déclenché et s’est propagé, la réaction du personnel pénitentiaire et l’absence d’évacuation des prisonniers. Une telle enquête permettrait aussi de recenser et d’identifier avec précision les morts et les blessés. Les autorités devraient rendre les conclusions publiques – y compris les noms des victimes et des blessés – et poursuivre en justice toute personne qui pourrait être tenue pour responsable, le cas échéant. Elles devraient également fournir aux survivants et aux membres des familles des victimes une indemnisation, des soins médicaux et un soutien en matière de santé mentale.

« Plus d’un mois après la tragédie à la prison de Gitega, le gouvernement n’a toujours pas présenté de rapport exhaustif et exact sur ce qu’il s’est passé et n’a pas traité dignement les familles des personnes décédées », a indiqué Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « L’absence d’information sur le nombre réel et l’identité des victimes ne fait qu’aggraver la souffrance et la détresse à la suite de pertes inimaginables. »

Certains blocs de la prison ont été détruits par le feu ; de nombreux prisonniers n'ont pu s'échapper en raison de la surpopulation, de l'inhalation de fumée ou des flammes qui leur barraient le passage. © 2021 Privé

L’incendie s’est déclaré vers 4 heures du matin le 7 décembre, dans la prison de la capitale politique du Burundi, et s’est propagé dans plusieurs blocs – de grandes pièces pouvant regrouper jusqu’à plusieurs centaines de prisonniers. D’après trois prisonniers interrogés et deux autres sources qui sont entrées dans la prison après l’incendie, le bloc 4, qui aurait abrité plus de 250 prisonniers, a été le plus touché. Des prisonniers tentant d’échapper aux flammes ont percé une ouverture dans un mur. Des prisonniers ont aussi affirmé qu’aucune évacuation n’a eu lieu avant l’arrivée des services d’urgence entre 5 h 30 et 6 h.

« Dans notre bloc, beaucoup ont survécu », a raconté un prisonnier interrogé par téléphone. « Mais dans d’autres blocs, ils ne se sont pas réveillés à temps et beaucoup sont morts. Les gardiens sont arrivés à 6 heures, mais à ce moment-là, c’était trop tard. Entre 4 heures et 6 heures du matin, il n’y avait que les prisonniers et l’incendie. » Deux autres prisonniers et un avocat qui s’est entretenu avec deux de ses clients détenus à la prison de Gitega ont confirmé ce récit. Un prisonnier a indiqué que dans le bloc 2, de nombreux prisonniers ont été asphyxiés par l’inhalation de fumées.

Après l’arrivée des services d’urgence, le vice-président Prosper Bazombanza a déclaré aux journalistes sur place que l’incendie avait tué 38 personnes mais sans donner leur identité. Le ministère de l’Intérieur a annoncé sur Twitter qu’un court-circuit électrique était à l’origine de l’incendie. Quelques semaines plus tard, le 29 décembre, le président Évariste Ndayishimiye a déclaré que 46 personnes avaient péri, dont certaines étaient décédées à l’hôpital. Cependant, des prisonniers et d’autres sources ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils estiment que le nombre de morts est plus élevé. Ils ont expliqué qu’aucune enquête ni aucun appel nominatif n’avaient été menés au moment de l’annonce de Prosper Bazombanza.

« Les chiffres du gouvernement sont des mensonges », a affirmé un prisonnier à Human Rights Watch le 11 décembre. « Le nombre réel de morts se situe entre 200 et 400... Depuis hier, les prisonniers sont ramenés [à l’intérieur], donc nous pouvons voir ceux qui manquent. »

Des prisonniers et deux autres sources présentes lorsque les cadavres ont été enlevés ont décrit que ceux-ci ont été transportés dans de grandes bâches en plastique, certaines contenant les restes de plusieurs corps. Des sources présentes à ce moment-là ont précisé que les restes ont été enterrés dans des sacs dans des fosses communes le soir du 7 décembre sans qu’aucune tentative n’ait été faite pour les identifier.

Le 7 janvier 2022, Human Rights Watch s’est entretenu avec des membres des familles de trois prisonniers, dont deux seraient morts dans l’incendie. La femme d’un prisonnier disparu, mère de trois enfants, a expliqué qu’elle s’était rendue à Gitega le matin suivant l’incendie, rencontrant des difficultés pour payer son transport : « Lorsque je suis arrivée, j’ai trouvé d’autres personnes qui cherchaient leurs proches. Les autorités nous ont dit qu’elles prendraient contact avec nous plus tard... Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai eu aucune nouvelle de leur part. Je n’ai pas les moyens d’y retourner. »

Elle a raconté qu’un prisonnier qui a survécu à l’incendie l’a informée que le bloc où se trouvait son mari avait été détruit dans l’incendie, et qu’il était mort : « Mes enfants sont traumatisés... J’ai essayé de leur expliquer que leur père est mort, mais ils ne comprennent pas pourquoi nous ne l’avons pas enterré. Si [les autorités] pouvaient au moins nous dire officiellement qui est mort, ça les aiderait peut-être. »

Un homme de 47 ans, oncle d’un prisonnier disparu, a indiqué qu’il s’est rendu à la prison de Gitega à deux reprises après l’incendie mais que les autorités ne lui ont donné aucune information. « Les autorités mentent lorsqu’elles disent qu’elles ont enterré les morts avec dignité », a-t-il raconté. « Nous avons appris qu’elles les avaient enterrés dans des fosses communes. Mon neveu était détenu dans le bloc 4... et un ami de la prison m’a dit qu’il avait été totalement détruit par l’incendie. Nous communiquions régulièrement avec mon neveu, mais depuis le jour de l’incendie, nous n’avons plus reçu aucun message de lui. Nous pensons qu’il est mort, même si nous n’avons pas reçu d’information officielle. »

Une enquête indépendante devrait clarifier les faits entourant l’incendie, y compris tous les facteurs ou les pratiques qui ont pu causer les décès, a déclaré Human Rights Watch. Les proches parents des victimes devraient être impliqués dans le processus. Ils devraient bénéficier d’une assistance juridique, avoir accès au dossier et, si la responsabilité de l’État est établie, être indemnisés. Le fait d’avoir un compte rendu fiable et une meilleure compréhension des circonstances entourant la mort de leurs proches pourrait aider les familles à faire face à leur souffrance, a indiqué Human Rights Watch.

L’absence d’enquête crédible et transparente sur l’incendie de Gitega souligne la nécessité urgente d’une surveillance continue du bilan du gouvernement burundais en matière de droits humains, a expliqué Human Rights Watch.

Cet incident tragique met également en lumière les problèmes systémiques persistants du système pénitentiaire au Burundi. Gitega a connu un autre incendie le 21 août, apparemment dû à un court-circuit électrique, mais il a été éteint avant qu’il ne fasse de victime. Au moment des deux incendies, la prison abritait plus de trois fois sa capacité d’accueil maximale.

Selon l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), organisation de défense des droits humains en exil qui surveille les atteintes aux droits humains et les droits des prisonniers, environ 40 pour cent des personnes détenues à la prison de Gitega en octobre étaient en détention préventive. Certains détenus au Burundi ont purgé leur peine ou ont été acquittés, mais n’ont pas encore été libérés en raison d’un système judiciaire inefficace, corrompu et politisé.

De nombreux détenus de Gitega et d’autres prisons dans le pays ont été condamnés sur la base de leurs activités politiques pacifiques. Un décret présidentiel de mars 2021 a annoncé la grâce ou la libération anticipée de plus de 5 000 prisonniers. Mais il a exclu de nombreuses personnes accusées de délits liés à la sécurité, dont bon nombre ont été arrêtées au lendemain des manifestations de 2015 contre le troisième mandat brigué par l’ancien président et sont détenues pour des raisons politiques. Environ 3 000 prisonniers ont été relâchés depuis l’annonce, selon une source fiable.

Le 29 décembre, le président Évariste Ndayishimiye a déclaré qu’un rapport sur l’incendie était en cours de préparation et que les autorités judiciaires devraient rendre des jugements et accélérer les procédures judiciaires. Il a aussi annoncé que les suspects accusés d’infractions pénales non graves placés en détention préventive devraient être libérés. Depuis lors, Human Rights Watch a reçu des informations crédibles indiquant que certaines personnes en détention préventive accusées de délits mineurs ont été libérées de plusieurs prisons, dont celle de Gitega.

Le gouvernement devrait s’attaquer immédiatement à la surpopulation carcérale dangereuse en libérant tous les prisonniers détenus pour avoir exercé leurs droits fondamentaux et ceux détenus arbitrairement, y compris ceux qui ont purgé leur peine ou ont été acquittés, a déclaré Human Rights Watch.

En vertu du droit international, les autorités gouvernementales ont une obligation de protection des personnes incarcérées, y compris l’obligation de protéger leurs droits à la vie, à la santé, à la sûreté et à la sécurité. Dans sa Résolution sur les Prisons en Afrique de 1995, la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a déclaré que les pays africains devraient se conformer aux « normes et standards internationaux pour la protection des droits de l’Homme des prisonniers ».

L’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (« Règles Mandela ») stipule que les détenus doivent être traités avec dignité et avoir rapidement accès à des soins médicaux, et qu’en cas de décès en détention, la prison signalera les cas aux autorités judiciaires ou autres autorités indépendantes pour garantir une enquête rapide, impartiale et efficace. La Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques obligent les gouvernements à enquêter et à sanctionner de manière appropriée les responsables d’abus contre des personnes en détention et à fournir des réparations aux victimes.

« Cette tragédie devrait servir d’avertissement », a conclu Lewis Mudge. « De nouveaux retards dans la lutte contre la surpopulation carcérale et les conditions de détention épouvantables mettront davantage de vies en danger. Le gouvernement devrait libérer de toute urgence les prisonniers qui n’ont aucune raison d’être détenus et enquêter de manière transparente sur tout manquement des autorités pénitentiaires à protéger les droits des prisonniers, y compris le droit à la vie et l’accès à la justice et à la responsabilisation. »

----------------

Tweets

 

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays