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UA : Défendre les normes africaines en matière de droits humains

Les États membres devraient soutenir la CADHP et investir dans un programme de droits humains centré sur les personnes

Le logo de l'Union africaine, visible sur la grille située devant le siège de l'UA à Addis-Abeba, en Éthiopie. © 2021 Reuters/Tiksa Negeri

(Dakar) - Les États membres de l’Union africaine devraient aborder d’urgence les crises croissantes des droits humains et de la démocratie qui touchent le continent, notamment en Éthiopie, lors de la session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) qui débutera le 15 novembre 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les États devraient également s’engager à soutenir cette Commission.

La 69ème session ordinaire de la Commission, la dernière cette année, intervient à un moment critique. La pandémie de Covid-19 a mis en évidence des inégalités économiques flagrantes ainsi que la faiblesse des systèmes de protection sociale des gouvernements africains et leur incapacité à garantir les droits de leurs populations à la sécurité sociale et à un niveau de vie suffisant. Parallèlement, de nombreux autres problèmes préexistants, dans le domaine humanitaire et des droits humains, ont persisté. Tous ces problèmes sont aggravés par le fait que les États membres de l’UA donnent la priorité à la politique -par rapport aux droits humains, dans le cadre de leur engagement vis-à-vis de la CADHP.

« Le fossé qui se creuse entre les organes politiques de l’UA et les institutions africaines des droits humains menace de réduire à néant des décennies de développement du droit africain des droits humains », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice du plaidoyer au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. « L’UA et ses États membres devraient plutôt s’aligner sur les résolutions sur les pays spécifiques adoptées par la Commission africaine, et les mettre en œuvre dans le cadre d’un programme des droits humains axé sur les personnes ».

En Éthiopie, face à l’intensification et à la généralisation des combats, avec leur cortège d’exactions et les conséquences qui en découlent et dépassent le cadre de la région du Tigré, il est particulièrement important que l’UA démontre sa volonté de faire respecter les obligations des États membres eu égard aux normes et standards forts qu’elle a établis en matière de droits humains. À cet égard, la décision – bien que tardive – du Conseil de paix et de sécurité de l’UA de demander enfin au président de l’UA de lui fournir des mises à jour périodiques sur la crise offre l’occasion au président de l’UA de rendre compte publiquement des efforts régionaux réalisés en vue d’éviter de nouvelles atrocités et à demander des comptes aux responsables de ces atrocités.

Le Conseil devrait, conformément aux articles 9 et 10 du Protocole de paix et de sécurité, tenir des réunions d’urgence régulières sur les conflits, réels ou potentiels. Cependant, malgré plus d’un an de crise dans la région éthiopienne du Tigré, marquée par des tensions croissantes, la généralisation de l’état d’urgence au niveau national et un blocus humanitaire illégal imposé par les autorités éthiopiennes, le Conseil a attendu le 8 novembre pour tirer la sonnette d’alarme et demander au président de l’UA de lui fournir des informations périodiques sur la crise.

Le Conseil de paix et de sécurité devrait aussi continuer à soutenir le travail de la commission d’enquête de la CADHP et appeler les commissaires à informer le Conseil lorsque cette enquête sera achevée.

Le gouvernement de l’Éthiopie, État membre de l’UA, a critiqué la CADHP pour avoir mis en place une commission d’enquête sur les abus commis dans le conflit du Tigré et a demandé une enquête conjointe avec la Commission nationale des droits de l’homme de l’Éthiopie (EHRC). La CADHP a rejeté cette demande, invoquant le risque qu’une enquête conjointe avec une institution étatique dans un conflit auquel le gouvernement est partie n’altère et ne dilue l’indépendance d’une telle commission d’enquête.

L’Acte constitutif de l’UA et sa Charte de la démocratie, des élections et de la gouvernance contiennent plusieurs dispositions pouvant être invoquées pour condamner les changements de régime anticonstitutionnels et les amendements constitutionnels controversés susceptibles d’enfreindre les principes d’alternance démocratique. Ces instruments de l’UA sont particulièrement utiles pour contrer la multiplication des coups d’État militaires et leur impact négatif sur la démocratie et les droits humains en Afrique.

Malheureusement, l’UA a fait une application incohérente de ces deux instruments juridiques. Cette année, l’UA a rapidement suspendu le Soudan suite au coup d’État militaire du 25 octobre, mais n’a pas pris de mesures similaires fin avril après la prise du pouvoir par l’armée au Tchad. La CADHP a condamné les forces de sécurité tchadiennes pour l’usage excessif de la force don’t elles ont fait preuve contre des manifestants pacifiques qui réclamaient le retour à un régime civil et a appelé à des enquêtes rapides et crédibles, et à ce que les responsabilités pour les violences soient établies.

L’appel lancé par le Conseil de paix et de sécurité en 2014 en faveur d’une « tolérance zéro envers les politiques et actions qui peuvent conduire au recours à des moyens anticonstitutionnels pour renverser des systèmes oppressifs » n’a pas eu beaucoup d’effet. Dans la pratique, les organes politiques de l’UA sont souvent silencieux sur les violations des droits humains commises par les gouvernements, notamment celles qui conduisent à la corruption, aux inégalités, aux atteintes à l’État de droit et aux principes de bonne gouvernance.

Pour aider à prévenir les prises de pouvoir inconstitutionnelles, l’UA devrait activement s’attaquer aux problèmes de droits humains qui sont à l’origine de telles actions, tels que la persistance de l’impunité ou encore la faiblesse de la gouvernance, de l’État de droit et des institutions judiciaires. Cette approche produira des bénéfices à long terme pour l’ensemble du continent, a déclaré Human Rights Watch.

Les États membres de l’UA peuvent améliorer les droits en respectant les instruments juridiques applicables de l’UA, tels que la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Les États membres devraient également accorder la priorité aux décisions de la CADHP sur la justice et la responsabilité pour les abus passés et actuels commis par les forces gouvernementales et les groupes armés non étatiques dans le cadre des conflits et de la lutte contre le terrorisme, et mettre en œuvre ces décisions.

Les autorités africaines devraient prendre des mesures urgentes pour relever d’autres défis en matière de droits humains sur le continent, tels que les cas non résolus de disparitions forcées et d’assassinats illégaux de détracteurs des gouvernements, la répression gouvernementale exercée contre la liberté d’expression et d’association, la violence électorale sanctionnée par l’État, la discrimination à l’égard des femmes et des filles, ainsi que la violence et la discrimination de l’État contre les groupes de minorités sexuelles et de genre.

Malgré l’environnement politique difficile dans lequel la CADHP opère, avec des contraintes budgétaires importantes, elle continue à développer des innovations juridiques marquantes pour protéger les droits humains à travers toute l’Afrique. Au cours de l’année écoulée, la Commission a publié une observation générale sur le droit à la propriété en cas de séparation, de divorce ou d’annulation du mariage, des Lignes directrices sur le droit à l’eau en Afrique, des communiqués condamnant plusieurs crises humanitaires et crises des droits humains et formulant des recommandations à leur sujet, ainsi que de nombreuses résolutions sur les stratégies de lutte contre la pandémie basées sur les droits.

Au cours de la 69ème session ordinaire et celles qui suivront, les États membres de l’UA devraient s’assurer que leurs positions et leurs déclarations s’alignent systématiquement sur les lois et normes africaines en matière de droits humains. La CADHP, les États membres de l’UA et les organes politiques devraient collaborer et se coordonner sur des réponses alignées sur les droits humains, notamment à l’egard des coups d’État militaires et du conflit au Tigré.

Les États membres de l’UA devraient utiliser les instruments juridiques de l’UA qui sont à leur disposition pour replacer les personnes, les droits humains et la démocratie au centre des préoccupations du continent. Les États membres devraient également évoquer la situation des droits humains, notamment dans les conflits, lors des réunions du Conseil de paix et de sécurité et plaider en faveur d’enquêtes sur les droits humains menées par les Africains, et soutenir de telles initiatives, comme par exemple les commissions d’enquête créées par la CADHP.

« Alors que l’année touche à sa fin, les États membres de l’UA devraient renforcer leur soutien au mandat et à la juridiction de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples », a conclu Carine Kaneza Nantulya. « Dans un contexte d’intensification des crises qui ont des répercussions régionales importantes sur les droits humains et l’aide humanitaire, les États membres de l’UA devraient cesser de privilégier la politique par rapport aux droits humains, et se rallier aux mécanismes de prévention des conflits et d’enquête dirigés par les Africains ».

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