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Note d’information à l’attention de l’UA au sujet des droits humains

Mémo à l’attention de l’Union africaine

Human Rights Watch (HRW) a l’honneur de présenter cette note d’information à l’Union africaine dans le but de contribuer à ses efforts en matière de protection des droits humains et des libertés fondamentales sur le continent africain. Ce document s’appuie sur les enseignements tirés des recherches menées par HRW, ainsi que des travaux réalisés par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples afin de promouvoir la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

Défis relatifs aux droits humains en Afrique subsaharienne

Dans un contexte marqué par la pandémie mondiale du Covid-19, 2020 a été une année difficile pour l’Afrique. Des élections générales ont eu lieu dans plus d’une dizaine de pays, dont un grand nombre ont été entachées de violence. À travers le continent, les premières victimes des crises humanitaires et des droits humains ont été les populations civiles, notamment du fait du conflit continu dans la région éthiopienne du Tigré.

Les conflits armés et la violence communautaire se poursuivent dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne, notamment au Burkina Faso, au Cameroun, au Mali, au Mozambique, au Niger, au Nigeria, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, en Somalie et au Soudan du Sud. Des groupes armés non étatiques et des membres des forces gouvernementales ont été impliqués dans des massacres, des meurtres ciblés et des viols, ainsi que dans des incendies et des pillages visant des villages. Sans oublier les enlèvements, les recrutements forcés, les attaques ciblant des élèves et des enseignants et l’occupation illégale d’établissements scolaires.

Certaines forces gouvernementales ont également été impliquées dans de graves atteintes aux droits humains alors qu’elles menaient des opérations de lutte contre le terrorisme ; elles s’en sont notamment prises à des minorités ethniques et ont bafoué les droits d’expression, d’association et de rassemblement pacifique au nom de la sécurité nationale.

Les recherches de HRW démontrent que les campagnes de recrutement des groupes islamistes armés sont en grande partie facilitées par le mécontentement des populations, ainsi que par les atteintes aux droits humains généralisées et par le fait que les forces de sécurité ne sont pas tenues de rendre compte des exécutions de masse qu’elles commettent. La Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies réaffirme les liens inextricables entre les droits humains et la sécurité. Elle place le respect de l’état de droit et des droits humains au coeur des efforts nationaux et internationaux de lutte contre le terrorisme.

Il est par ailleurs primordial que des progrès soient réalisés en matière de justice rendue pour les crimes graves afin d’encourager le respect de l’état de droit, des droits humains et des institutions démocratiques. Toutefois, les États africains, qui ont été les premiers à accuser la CPI de « parti pris » à l’encontre des dirigeants africains, et ce, alors que la plupart des affaires jugées par la Cour sont des requêtes émanant d’États membres de l’Union africaine, n’ont pas fourni d’alternatives pour une justice pénale nationale ou hybride. Conformément au principe qu’elle revendique de longue date, à savoir « Des solutions africaines à des problèmes africains », l’UA devrait promouvoir et mettre en oeuvre des mécanismes judiciaires africains afin de faire progresser le concept de reddition des comptes en cas de crimes graves et d’atteintes au droit international et de permettre aux victimes d’accéder à une justice crédible.

À cet égard, l’UA devrait exhorter la Guinée à démarrer le procès tant attendu des auteurs du massacre commis dans un stade guinéen en 2009. Le Soudan devrait coopérer avec la CPI dans son enquête et sa poursuite en justice des auteurs de crimes commis au Darfour, conformément à la résolution 1593 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Soudan du Sud devrait instaurer une cour hybride, et la République démocratique du Congo devrait renforcer ses capacités internes à juger les délits graves commis dans le pays au cours des dernières décennies.

En réponse à la pandémie du Covid-19, de nombreux gouvernements africains ont introduit des restrictions sévères à la liberté de rassemblement et de mouvement. Dans certains cas, ils ont même instauré un confinement total. Si ces mesures sont susceptibles d’avoir contribué à ralentir la propagation du virus dans certains contextes, elles ont eu un impact disproportionné sur les populations démunies. De nombreux gouvernements n’ont pas fourni d’aide adéquate pour amortir l’impact du ralentissement économique, accentuant la pauvreté et les inégalités qui existaient déjà à travers le continent africain.

On constate un manque de transparence dans la gestion, par un grand nombre de gouvernements, des fonds qui leur ont été octroyés pour soutenir leur réponse au Covid-19, d’où des allégations de corruption. La pandémie a également mis en évidence d’importantes lacunes au niveau des services sanitaires et des services de santé et de protection sociale, soulignant combien il est important que les gouvernements africains réalisent des investissements significatifs pour améliorer l’accès à des soins de santé de qualité ainsi qu’à l’eau et à l’assainissement. Les confinements prolongés, la distanciation sociale et des perturbations généralisées au sein des services sociaux ont facilité l’émergence d’une crise dans le secteur de la santé mentale, exacerbant les risques que courent les personnes atteintes de handicaps psychosociaux (troubles de santé mentale) qui sont souvent enchaînées dans les maisons d’habitation par les leurs ou enfermées dans des établissements surpeuplés. Les mesures d’urgence associées au Covid-19 ont également servi de prétexte à certains gouvernements pour restreindre les droits civils et politiques, notamment en Guinée, en Ouganda et en Tanzanie, où les autorités ont militarisé la pandémie afin de réprimer les manifestations populaires et de harceler les politiciens de l’opposition et leurs partisans, ainsi que les journalistes et les activistes.

Il est important de noter que la résolution 449 sur les droits de l’homme et des peuples de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) réaffirme que les droits humains sont un pilier central des efforts consentis par les États pour répondre à l’impact social, économique et politique de la pandémie du Covid-19 et se redresser.

Principales recommandations à l’attention des dirigeants de l’Union africaine

C’est dans ce contexte que nous encourageons l’UA à oeuvrer en priorité dans cinq domaines cruciaux : (1) surveillance régionale de la situation des droits humains et engagements militaires, (2) droits humains et gouvernance, (3) justice et obligation de rendre des comptes, (4) engagements multilatéraux axés sur les droits, et (5) stratégies fondées sur les droits pour lutter contre le Covid-19.

1. Surveillance régionale de la situation des droits humains et engagements militaires
  • Soutenir et imposer le respect d’un cadre conjoint convenu entre l’UA et l’ONU sur les droits humains et l’obligation de rendre des comptes en assurant la pleine mise en oeuvre de la politique du HCDH relative à la diligence raisonnable en matière de droits de l’homme dans les pays où l’UA mène des opérations de maintien de la paix et de lutte contre le terrorisme, et instaurer au sein du Département Paix et Sécurité de l’UA une unité dédiée aux droits humains et chargée d’apporter un soutien technique à ces opérations.
  • Promouvoir des stratégies de lutte contre le terrorisme respectueuses des droits humains, en condamnant ouvertement les abus commis par les forces de sécurité et en imposant des sanctions aux individus qui bafouent les droits. Exhorter les gouvernements africains à s’assurer que toutes les forces de sécurité déployées dans le cadre d’opérations de lutte contre le terrorisme fassent l’objet d’un examen minutieux et, comme cela a été établi avec l’AMISOM, imposer la mise en oeuvre de tribunaux itinérants pour chaque contingent africain prenant part à des opérations de maintien de la paix et de lutte contre le terrorisme.
  • En collaboration avec la CADHP, accroître la présence de spécialistes des droits humains dans les missions africaines de lutte contre le terrorisme et veiller à ce que les accords de coopération relatifs aux opérations de lutte contre le terrorisme comprennent des clauses spécifiques énonçant les normes en matière de droits humains telles que la Politique de diligence voulue en matière de droits de l’homme de l’ONU.
  • En collaboration avec les partenaires régionaux et internationaux, appuyer les efforts significatifs et efficaces de réforme du secteur de la sécurité, et prendre des mesures concrètes afin d’améliorer le respect du droit international par les forces de sécurité. Il s’agit notamment d’instaurer des organes civils de surveillance et des mécanismes de groupes armés.
  • En collaboration avec les partenaires internationaux, exhorter les États membres à apporter dans les moindres délais un recours adéquat aux victimes civiles d’atteintes au droit de la guerre en instaurant un dispositif de paiement de réparations à l’attention des victimes civiles et des victimes de dégâts matériels. Outre des paiements monétaires, ce dispositif pourrait comprendre une reconnaissance publique, la présentation d’excuses et un appui aux moyens d’existence, en fonction des circonstances et des besoins des civils affectés. Les responsables de crimes de guerre devraient être poursuivis en justice.
  • Suivre la nouvelle « Observation générale sur l’article 22 » du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être des enfants dans les situations de conflit, interdire explicitement le recours aux établissements scolaires lors des opérations de lutte contre le terrorisme. Veiller à ce que cette interdiction explicite soit adoptée avant l’ouverture de la Quatrième conférence internationale sur les écoles sécurisées qui se tiendra au Nigeria en octobre 2021.
2. Droits humains et gouvernance
  • Accorder la priorité à un agenda des droits humains en renforçant l’indépendance du mandat des institutions africaines de défense des droits humains et en veillant à ce que les États membres n’interviennent dans le fonctionnement d’aucune institution régionale de défense des droits humains.
  • En collaboration avec les blocs économiques sous-régionaux, soutenir la ratification rapide de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’UA par les 55 États membres de l’UA.
  •  En collaboration avec la CADHP, exhorter ouvertement les gouvernements à veiller au respect et à la protection des droits. Il s’agit notamment d’organiser des élections régulières, libres, équitables et crédibles, ainsi que de veiller au droit d’expression, de manifestation pacifique et de rassemblement. 
  • Accroître les pressions diplomatiques et exhorter publiquement les États membres à prendre des mesures rapides, crédibles et impartiales pour enquêter sur les allégations de meurtres, de passages à tabac et d’attaques perpétrés dans le contexte électoral par les forces de sécurité, et veiller à demander des comptes aux responsables.
  • Conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, aux Lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique de la CADHP ainsi que de l’initiative « Faire taire les armes » de l’UA, exhorter les institutions des gouvernements africains à passer en revue et réévaluer leurs institutions militaires et de sécurité pour s’assurer qu’elles respectent et promeuvent pleinement les droits humains et ne portent pas atteinte à la liberté d’expression et d’association, et à vérifier que les partis politiques et les organisations de la société civile peuvent opérer librement et de manière indépendante.
3. Justice et obligation de rendre des comptes
  • Appuyer les mesures propices à l’obligation de rendre des comptes en intentant des procès équitables et crédibles à l’encontre des principaux individus responsables des atrocités de masse et d’autres atteintes graves aux droits humains, y compris en mettant en oeuvre des mécanismes spécialisés dédiés à l’obligation de rendre des comptes tels que le Tribunal hybride pour le Soudan du Sud. Parmi les autres cas figurent celui de la Guinée, qui doit procéder à l’ouverture du procès des auteurs présumés du massacre du stade de 2009, et celui de la République démocratique du Congo, qui doit renforcer ses capacités internes à juger les crimes graves commis dans le pays.
  • En collaboration avec la CADHP, encourager la coopération avec la Cour pénale internationale au sujet d’affaires, d’enquêtes et d’accusations pertinentes conformément à la résolution 1593 du Conseil de sécurité de l’ONU, notamment en matière d’enquête et de poursuite en justice des responsables d’atrocités commises au Darfour (Soudan).
  • Avec le soutien des partenaires internationaux, appuyer l’instauration d’un régime de sanctions dirigé par l’UA comprenant l’imposition d’une interdiction de déplacement et d’un gel de leurs avoirs aux responsables d’atteintes graves et persistantes aux droits humains.
  • Opérationnaliser le Fonds fiduciaire au profit des victimes des crimes de Hissène Habré; l’Union africaine a joué un rôle capital dans le procès historique de Hissène Habré mais les victimes, qui ont fait campagne pendant 25 ans pour que justice soit faite, attendent depuis quatre ans que le Fonds commence à fonctionner.
  • Appuyer la pleine mise en oeuvre de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en encourageant tous les États parties au Protocole à faire une déclaration reconnaissant que la Cour a compétence à recevoir des requêtes émanant d’ONG et de particuliers.
4. Engagements multilatéraux axés sur les droits
  • Étendre et appuyer la feuille de route UA-ONU d’Addis Abeba afin de renforcer la collaboration entre mécanismes régionaux dédiés à l’obligation de rendre des comptes tels que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.
  • Appuyer un agenda général dédié aux droits humains au sein de l’architecture de paix et de sécurité de l’UA en investissant dans l’élaboration d’outils performants de gestion et de prévention du conflit ainsi que dans des réponses aux crises émergentes qui soient axées sur les droits.
  • Promouvoir et entretenir une coopération plus étroite entre les institutions de défense des droits humains internationales, par exemple le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et l’Institut interaméricain des droits de l’homme, et les institutions de défense des droits humains de l’UA.
  • Encourager un dialogue plus soutenu sur les questions relatives aux droits humains entre les blocs économiques et les organisations sous-régionales de défense des droits humains. Promouvoir publiquement le soutien apporté par l’UA aux institutions nationales de défense des droits humains et aux organisations de la société civile.
  • Exhorter les gouvernements nationaux à interdire l’enchaînement des personnes atteintes de troubles mentaux et élaborer des services communautaires bénévoles de qualité pour le soutien à la santé mentale.
5. Stratégies fondées sur les droits pour lutter contre le Covid-19
  • Promouvoir l’accès à des soins de santé pour tous en encourageant les États membres de l’UA à s’engager à octroyer 15 % de leur budget national aux dépenses de santé conformément à la déclaration d’Abuja.
  • Veiller à ce que les plans nationaux et locaux de réponse au Covid-19 tiennent compte de l’impact de la pandémie sur les femmes et les filles. Élaborer des réponses adaptées en consultation avec les organisations de défense des droits des femmes et des filles et octroyer les ressources nécessaires.
  • ▪ S’assurer que les plans nationaux et locaux de réponse au Covid-19 tiennent compte de l’impact de la pandémie sur les personnes atteintes d’un handicap, y compris les enfants handicapés, ainsi que sur les personnes âgées, étant donné l’impact du Covid-19 sur ces groupes. Élaborer des réponses adaptées en consultation avec les organisations de personnes handicapées et de personnes âgées et octroyer les ressources nécessaires.
  • Prendre des mesures concrètes, au niveau de l’UA et de ses États membres, pour veiller à ce que la fabrication et la distribution des vaccins contre le Covid-19 se déroulent de manière juste, équitable et transparente. Cela concerne notamment l’intégralité des financements octroyés à la recherche sur le vaccin contre le Covid-19, son développement, sa fabrication ou sa distribution nécessitant un transfert de technologies. Cela permettrait un partage du droit de propriété intellectuelle, des données et d’autres formes de « savoir » afin d’assurer la fabrication à grande échelle des vaccins potentiels retenus.
  • Encourager tous les États membres de l’UA à avaliser et mettre en oeuvre le dispositif de l’OMS « COVID-19 Technology Access Pool (C-TAP) », qui regroupe et met en commun les droits d’accès aux technologies, données et « savoirs » dont toute entité dans le monde pourra se servir afin de fabriquer des produits médicaux nécessaires à la lutte contre le Covid-19, y compris les vaccins. Le dispositif C-TAP requiert l’octroi de licences de propriété intellectuelle mondiales, ouvertes et non exclusives afin d’optimiser les résultats de la recherche scientifique.
  • Demander aux États membres d’apporter un appui financier ciblé aux familles dont les enfants, pour des raisons économiques, ne peuvent plus retourner à l’école ; et de veiller à ce que la scolarité dans le primaire et le secondaire soit gratuite et dénuée de frais indirects, notamment les écoles dont l’ouverture est tributaire des dépenses liées aux mesures prises suite au Covid-19. Dans les pays où le taux de filles inscrites ou terminant leurs études de secondaire est inférieur à celui des garçons, les gouvernements devraient envisager de lancer ou de maintenir des mesures incitatives financières afin que les parents puissent permettre à leurs filles de reprendre leur scolarité dès qu’elles pourront le faire sans craindre pour leur sécurité.

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