(Nyon, Suisse) – Le rapport de la Fédération internationale de basket-ball (FIBA) portant sur le harcèlement et les abus sexuels systémiques au sein de la Fédération malienne de basket-ball (FMBB) valide certaines allégations portées par des victimes d’abus, des survivantes et des lanceuses d’alerte qui ont pris d’énormes risques pour faire connaître ces abus, a déclaré aujourd’hui la Sport & Rights Alliance.
Après que le New York Times et Human Rights Watch ont décrit en juin 2021 les abus sexuels et les tentatives de les dissimuler qui ont eu lieu dans le milieu du basket malien, la FIBA a désigné le juriste canadien Richard McLaren, chargé de l’intégrité à la FIBA, pour conduire une enquête indépendante via McLaren Global Sports Solutions. Son rapport de 149 pages, publié le 14 septembre, a vérifié les récits dénonçant des faits d’exploitation sexuelle, d’extorsion et de représailles au sein de la Fédération malienne de basket-ball, révélant « une acceptation institutionnalisée des abus sexuels ».
« Le rapport de la FIBA confirme les abus systémiques commis depuis des années à l’encontre de joueuses de basket-ball adolescentes au Mali », a déclaré Minky Worden, directrice des Initiatives mondiales à Human Rights Watch. « Même s’il est important que le principal entraîneur ait été inculpé et sept responsables du basket-ball suspendus, la FIBA et le gouvernement malien devraient rapidement mettre en place des politiques efficaces protégeant les enfants ainsi que les joueuses apportant leur témoignage ».
En juillet, les autorités maliennes ont arrêté et inculpé Amadou Bamba, le principal entraîneur de l’équipe de basket-ball nationale malienne féminine des moins de 18 ans, qui doit être jugé pour « pédophilie, tentative de viol et attentat à la pudeur ». La FIBA a par ailleurs suspendu le président de la FMBB, Harouna Maiga, pour avoir entravé l’enquête et dissimulé des abus sexuels.
Il n’en demeure pas moins que l’approche adoptée par l’équipe McLaren chargée de l’enquête indépendante présente d’importantes défaillances, notamment en ce qui concerne la confidentialité, le soutien apporté aux personnes ayant subi un traumatisme et la protection des témoins, a déclaré la Sport & Rights Alliance. Depuis le début, l’enquête est marquée par la dangereuse absence d’une approche axée sur les survivantes et d’un processus tenant compte des traumatismes.
Le rapport souligne que 22 survivantes, ayant été intimidées par diverses personnes impliquées, notamment des responsables de la fédération de basket, ont décidé de ne pas fournir d’éléments à l’équipe McLaren. Celles qui ont accepté de témoigner ont précisé elles aussi qu’elles craignaient des représailles. Une joueuse a rapporté que la fédération malienne avait exercé des représailles directes, après qu’elle et sa famille avaient dénoncé des violences sexuelles, en la retirant de la liste de l’équipe nationale participant à la Coupe du monde.
Au-delà du milieu du sport, la violence sexuelle et basée sur le genre est un problème généralisé au Mali. Un sondage réalisé par l’Institut national de la statistique en 2018 a constaté que près de la moitié des femmes et des filles maliennes âgées de 15 à 49 ans avaient subi des violences liées au genre.
Toutes les institutions compétentes sur la question, en particulier le système judiciaire malien, le ministère malien de la Jeunesse et des Sports, la Fédération malienne de basket-ball et la FIBA, devraient enquêter sur les abus et les tentatives de dissimulation décrites dans le rapport McLaren. Le ministère de la Jeunesse et des Sports devrait mettre sur pied une commission d’enquête gouvernementale afin d’enquêter de façon impartiale sur les abus sexuels systémiques dans le basket-ball féminin junior et les autres sports où évoluent des filles au Mali. Le ministère devrait également agir pour garantir que les joueuses ne subissent pas de représailles pour avoir porté plainte, et collaborer avec des organisations défendant les droits des femmes et des services médicaux experts en matière d’abus sexuel et de traumatisme, afin que les survivantes aient accès à des services de soutien de qualité à long terme.
« Le manque de systèmes de protection de la part de la FIBA et de l’équipe McLaren a exposé les survivantes et les témoins à de grands risques et probablement rendu possible les nombreux actes d’intimidation et de représailles de la part des responsables de la fédération qui sont détaillés dans le rapport », a déclaré Julie Ann Rivers-Cochran, directrice exécutive de The Army of Survivors, une organisation de plaidoyer, dirigée par d’anciennes sportives de haut niveau et des survivantes, qui aspire à mettre fin à la culture systémique d’abus sexuels dans le milieu du sport. « La FIBA ne s’est pas encore excusée de n’avoir su ni protéger les joueuses maliennes des abus sexuels pendant des années, ni fournir des voies de recours comme l’indemnisation, une aide en cas de traumatisme ou encore des opportunités de jeu à ces courageuses jeunes sportives. »
Les défaillances des mesures de protection de l’enquête McLaren sont révélatrices des problèmes fondamentaux de la FIBA en matière de gouvernance, de structure et de responsabilités vis-à-vis des joueuses de basket. Le rapport affirme qu’en 2012, des joueuses de basket-ball ayant tenté de créer un syndicat au Mali avaient été menacées par des responsables de ne pas être sélectionnées dans l’équipe nationale. Dans de nombreux pays, les unions qui représentent les sportifs de haut niveau peuvent porter plainte en leur nom de façon à les protéger et leur permettre d’apporter des preuves en toute sécurité.
« La réussite du basket-ball mondial dépend du respect et de la protection des joueurs et des joueuses, qu’il s’agisse de femmes ou de filles », a déclaré Terri Jackson, directrice exécutive de la Women’s National Basketball Players Association. « En tant qu’instance dirigeante du basket-ball mondial, la FIBA est responsable de la justice rendue aux joueuses, de la lutte contre l’impunité et de leur protection. La FIBA doit respecter les droits des joueurs à s’organiser sans crainte de la discrimination et agir en faveur de la sécurité et de leur participation à la prise de décisions au plus haut niveau. »
Comme le révèle un récent communiqué de la FIBA, le président de la FIBA, Hamane Niang, a pu choisir de reprendre officiellement ses fonctions malgré l’absence de mécanisme efficace de protection de l’enfance lors de sa présidence à la Fédération malienne de basket-ball de 1999 à 2007. Le rapport de la FIBA conclut également qu’il n’existe pas de mécanisme digne de ce nom pour que les joueuses puissent dénoncer les abus sexuels, et que lorsqu’elles le faisaient, les responsables étouffaient l’affaire, permettant aux abus de se poursuivre.
« La conclusion du rapport de la FIBA, selon lequel ‘les mécanismes de protection de l’enfance existant au sein de la Fédération malienne de basket-ball sont totalement insuffisants’, signifie que les survivantes, les victimes d’abus et les lanceuses d’alerte n’étaient pas protégées et ne le sont toujours pas jusqu’à présent », a fait remarquer Andrea Florence, directrice par intérim de la Sport & Rights Alliance. « Cela exige des mesures correctives urgentes de la part de la FIBA et du gouvernement du Mali. »
La Sport & Rights Alliance appelle à de nouvelles mesures et réponses de la part de la FIBA, notamment :
- Des garanties protégeant contre les représailles des responsables de la fédération impliqués dans les abus sexuels, et assurant la sécurité physique des témoins, des survivantes et de leurs familles ;
- Un rétablissement des opportunités de jeu et de progression pour tous les témoins et personnes survivantes ;
- Une aide psychologique et relative au traumatisme, des soins médicaux, un soutien et un accompagnement afin d’atténuer le risque que les survivantes et lanceuses d’alerte revivent le traumatisme lorsqu’elles témoignent, avec notamment un accès à l’aide juridique ;
- Des moyens immédiats de recours et d’établissement des responsabilités, notamment l’indemnisation, l’accès à une aide psychosociale continue, la réconciliation et des excuses publiques aux survivantes, aux victimes d’abus et leurs familles ;
- Une enquête supplémentaire comblant les lacunes de l’enquête McLaren ;
- Des réformes systémiques pour prévenir et réagir aux affaires d’abus au sein des structures gouvernantes de la FIBA ainsi qu’un réexamen systémique complet des mécanismes de protection de l’enfance et de plainte dans les fédérations de basket-ball du monde entier ; et
- La garantie que le droit des joueurs à s’organiser en associations soit respecté et qu’aucune action ne soit prise à leur encontre lorsqu’ils forment des organisations collectives pour protéger et favoriser leurs intérêts.
En août, l’équipe féminine malienne des moins de 19 ans est devenue la première équipe africaine à atteindre les demi-finales de la Coupe du monde de basket-ball des moins de 19 ans de la FIBA.
« Malgré le traumatisme résultant de la révélation d’abus sexuels systémiques dans leur fédération nationale de basket et l’inculpation de leur entraîneur, l’équipe malienne féminine des moins de 19 ans est entrée dans l’histoire », a conclu Terri Jackson. « Ces courageuses joueuses méritent des excuses, un soutien et l’opportunité de retrouver les joies que leur procurait leur sport. »
Pour accéder à des services de soutien locaux et gratuits, veuillez suivre le lien :
https://worldplayerscare.co/local-support
Parmi les partenaires de la Sport & Rights Alliance (SRA) figurent The Army of Survivors, le Comité pour la protection des journalistes, Football Supporters Europe, Human Rights Watch, ILGA World (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association), la Confédération syndicale internationale (CSI, ou ITUC en anglais),Transparency International Germany et World Players Association-UNI Global Union. En tant que coalition mondiale composée d’ONG et de syndicats de premier plan, la SRA permet une collaboration dont l’objectif est que les instances sportives, les gouvernements et les autres parties concernées favorisent un univers du sport qui protège, respecte et réalise les normes internationales en matière de droits humains, de droits des travailleurs, de bien-être et de protection des enfants et de lutte contre la corruption.
La Women’s National Basketball Players Association (WNBPA) est le syndicat de joueuses professionnelles de basket-ball qui évoluent actuellement au sein de la ligue américaine de basketball, la WNBA. La WNBPA est le premier syndicat de femmes sportives de haut niveau. Elle a été créée en 1998 pour protéger les droits des joueuses et les aider à réaliser tout leur potentiel sur le terrain et en-dehors. La WNBPA gère la négociation des conventions collectives, introduit des réclamations au nom des joueuses et les conseille sur leurs avantages et leurs opportunités de carrière post-WNBPA. La WNBPA sert également de ressource pour les joueuses lorsqu’elles participent à des compétitions internationales hors saison.
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