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Mali : Les autorités de transition devraient promouvoir la justice

La junte militaire devrait respecter l’indépendance judiciaire et soutenir les efforts visant à traduire en justice les auteurs d’abus commis dans le passé

Les dirigeants du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) ayant saisi le pouvoir au Mali, dont son président, le colonel Assimi Goita (au centre), son vice-président Malick Diaw (au centre-gauche), et son porte-parole Ismaël Wagué (à gauche), étaient photographiés lors d’une réunion avec une délégation de la CEDEAO à Bamako, le 22 août 2020.  © 2020 AP

(Bamako) – La junte militaire malienne devrait pleinement respecter les droits humains et l’indépendance judiciaire, et soutenir les efforts visant à établir les responsabilités pour les atrocités commises dans le passé, y compris celles impliquant les forces de sécurité, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les autorités de transition devraient également établir rapidement un calendrier électoral précis pour le retour à un régime civil démocratique, respectant le droit des Maliens d’élire leurs propres dirigeants.  

Le 18 août 2020, des officiers militaires maliens ont renversé le gouvernement du président Ibrahim Boubacar Keita, au nom d’une meilleure gouvernance et gestion de la situation sécuritaire au Mali. Le coup d’État fait suite à des mois de manifestations menées par une large coalition de partis politiques d’opposition, de chefs religieux et de groupes d’activistes protestant contre le taux de chômage élevé, l’instabilité dans le nord et le centre du pays ainsi que contre la corruption au sein du gouvernement.

« La détérioration du climat des droits humains et de la sécurité au Mali n’a pas fondamentalement changé en raison d’un changement de gouvernement », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Les dirigeants de la transition devraient respecter scrupuleusement les droits humains et l’indépendance du pouvoir judiciaire, et soutenir les progrès dans les enquêtes sur les atrocités du passé commises par toutes les parties, y compris l’armée. »

Les putschistes, qui se font appeler le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), ont arrêté une dizaine d’anciens responsables gouvernementaux, dont le président Keita, le Premier ministre et plusieurs généraux, détenus à la caserne militaire de Kati ou placés en résidence surveillée. Les autorités doivent leur garantir un traitement humain, comme l’ont demandé les gouvernements partenaires, l’ONU et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Elles devraient également permettre leur accès à un avocat et à leurs proches, et engager à leur encontre des poursuites sur la base de chefs d’accusation légalement reconnus ou libérer ceux qui restent en détention.

Le Mali est confronté à l’instabilité depuis le coup d’État de 2012, qui a coïncidé avec la conquête des régions du nord par des groupes armés séparatistes touareg et liés à Al-Qaïda. Depuis lors, la situation sécuritaire n’a cessé de se détériorer, malgré une intervention militaire internationale dirigée par la France en 2013, un accord de paix en 2015 envisagé pour rétablir le contrôle gouvernemental sur le nord et la présence d’une force de maintien de la paix des Nations Unies. Depuis 2015, les attaques de groupes armés islamistes se sont multipliées dans le centre du Mali, exacerbant les tensions entre communautés agraire et pastorale.

Les violations graves sont en hausse constante depuis 2015. Human Rights Watch a largement documenté les atteintes au droit international humanitaire et aux droits humains dont se sont rendus coupables les groupes armés islamistes, les forces de sécurité de l’État et les milices ethniques. Peu ont fait l’objet d’enquêtes.

« L’histoire récente du Mali a été rythmée par des massacres et autres atrocités commis par des forces qui tuent, brûlent et pillent sans crainte d’être traduites en justice », a déclaré Dufka. « Ce climat d’impunité alimente le soutien aux milices abusives, compromet le développement et fragilise la confiance dans les institutions étatiques. »

Des groupes armés islamistes ont tué des civils lors d’attaques perpétrées dans des villages, semé aveuglément des engins explosifs improvisés sur les principales routes, tué des Casques bleus de l’ONU et exécuté des soldats maliens capturés. Ils ont également tué des dirigeants locaux considérés comme des collaborateurs du gouvernement, roué de coups ceux qui se livraient à des pratiques culturelles qu’ils avaient interdites et imposé leur version de la charia, ou loi islamique, via des tribunaux qui ne respectaient pas les principes d’un procès équitable.

Depuis 2015, les milices ethniques ont tué plus de 600 civils dans des centaines d’incidents dans le centre et le nord du Mali. Au nombre de ces violences, deux massacres dans le village d’Ogossagou – perpétrés en 2019 et 2020 – qui ont provoqué la mort de 180 civils peuls, et de nombreuses attaques meurtrières contre des villages dogon.

Sans succès, le gouvernement s’est engagé à plusieurs reprises à désarmer et à dissoudre les milices de mieux en mieux armées responsables de ces attaques. Dans de nombreuses localités, celles-ci contrôlent les checkpoints, extorquent les villageois et font régner leur propre loi. Les autorités ont également tardé à répondre aux urgents appels à une intervention lancés par des villageois visés par l’attaque imminente de divers groupes armés.

Human Rights Watch a également documenté des allégations selon lesquelles les forces de sécurité maliennes auraient exécuté des dizaines de suspects au cours d’opérations antiterroristes, tandis que des dizaines auraient disparu de force. L’ONU a documenté une hausse inquiétante des allégations d’exécutions sommaires ces derniers mois. En outre, l’agence nationale de renseignement a détenu des terroristes présumés dans des centres de détention illégaux et en l’absence de garanties de procédure régulière.

Les autorités de transition devraient remédier à l’incapacité des militaires à protéger adéquatement les civils et à dissoudre les milices meurtrières. Elles devraient demander des comptes aux commandants impliqués dans des exactions, notamment s’agissant des allégations d’exécutions extrajudiciaires commises par l’armée à Diourra, Boulekessi, Nantaka, Maleimana et Binedama.

De même, peu de progrès ont été accomplis pour obtenir justice pour les abus graves commis par d’autres groupes armés. Les juges ouvrent rarement des enquêtes sur les atrocités et, lorsqu’ils le font, les affaires avancent lentement, voire pas du tout.

Des centaines de personnes sont maintenus en détention provisoire prolongée en raison de l’incapacité des tribunaux à traiter correctement les affaires. Selon des groupes locaux, le gouvernement est réticent à interroger ou à inculper les chefs de milice impliqués de manière crédible dans des massacres, privilégiant des efforts de réconciliation à court terme pour atténuer les tensions intercommunautaires.

«Le gouvernement de transition du Mali a l’opportunité de promouvoir un plus grand respect des droits humains, de la justice et de l’État de droit dont dépendent la stabilité et les progrès du pays », a conclu Corinne Dufka. « Y renoncer signifierait la poursuite des cycles de violence et de représailles. »

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