Résumé
Alors que les groupes islamistes armés prolifèrent dans la région de Mopti, dans le centre du Mali, les violences communautaires ont, en 2018, tué plus de 200 civils, chassé de chez elles des milliers de personnes, détruit les moyens de subsistance et provoqué la généralisation de la famine. Les victimes sont principalement des Peuls ciblés par les « groupes d’autodéfense » des ethnies dogon et bambara au motif qu’ils soutiendraient des islamistes armés pour la plupart en lien avec Al-Qaïda.
Les communautés bambara et dogon, de tradition agricole, et la communauté peule, de tradition pastorale, sont depuis longtemps en conflit concernant l’accès aux sources d’eau et aux terres. Jusque-là, les désaccords étaient habituellement résolus sans affrontement sanglant. Depuis 2015 cependant, le nombre d’incidents mortels en lien avec la violence communautaire, mis en évidence dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement malien pour lutter contre l’augmentation des actes de violence commis par des groupes islamistes armés, a suivi une progression régulière. En 2018, la violence a atteint un niveau alarmant.
Les autorités maliennes n’ont pas mené d’enquêtes adéquates concernant les actes de violence, parmi lesquels plusieurs massacres ayant coûté la vie à plus d’une dizaine de personnes. Les trois communautés accusent les forces de sécurité du Mali de ne pas offrir une protection adaptée à leurs membres.
Depuis 2015, les groupes islamistes armés se sont propagés du nord vers le centre du Mali, où ils ont exécuté des dizaines de personnes accusées d’avoir collaboré avec les forces de sécurité du gouvernement ; ont installé des engins explosifs improvisés de manière indiscriminée ; ont contraint des civils à se rallier à leur vision de l’Islam, et ont compromis la participation de citoyens à des élections.
Les groupes islamistes armés ont axé leurs efforts de recrutement sur la communauté peule en exploitant les frustrations liées à l’augmentation du banditisme, à la corruption du gouvernement et aux tensions concernant les terres et les sources d’eau. Le recrutement des Peuls a attisé les tensions avec les Bambaras et les Dogons et est venu s’ajouter à la faible présence des forces de sécurité nationales pour entraîner la création de groupes d’autodéfense à caractère ethnique.
Les groupes d’autodéfense disent avoir pris en main leur sécurité car le gouvernement ne protégeait pas de manière adéquate leurs villages et leurs biens. L’accès facile aux armes à feu, y compris aux armes d’assaut militaires, a contribué au développement et à la militarisation des groupes d’autodéfense, rendant de plus en plus meurtrières les tensions communautaires existantes.
Des Peuls, parmi lesquels des dirigeants, assurent que les groupes d’autodéfense bambaras et dogons ont utilisé la lutte contre les islamistes armés comme un prétexte pour expulser les Peuls des terres fertiles et de valeur et pour prendre part à des actes de banditisme. Les violences ont poussé encore davantage d’hommes peuls à rejoindre des groupes islamistes armés.
Le présent rapport, qui s’appuie sur trois missions d’enquête menées en février, en mai et en juillet 2018, et sur des entretiens téléphoniques en 2018, documente les massacres, les attaques de villages et les meurtres de représailles de civils peuls, bambaras et dogons dans le centre du Mali en 2018, notamment des abus commis dans 42 villages et hameaux de la région de Mopti, particulièrement à proximité de la frontière avec le Burkina Faso et près de la ville de Djenné, inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Nous nous sommes entretenus avec des personnes qui ont été victimes ou témoins des meurtres et d’autres violations ; des leaders des groupes d’autodéfense ; des leaders communautaires peuls, dogons et bambaras ; des fonctionnaires gouvernementaux ; des diplomates ; des travailleurs humanitaires et des analystes de la sécurité. Au total, nous avons mené des entretiens avec148 personnes en 2018. Nous avons également utilisé un grand nombre d’entretiens conduits au Mali entre 2015 et 2017 pour définir les origines et le contexte des violations commises en 2018.
Le rapport documente le meurtre de 202 civils qui ont été la cible d’attaques délibérées et aveugles menées par des groupes armés. Les attaques contre les villages se sont presque toujours accompagnées de pillages, de la destruction ou de l’incendie de maisons et du vol à grande échelle de troupeaux. Des personnes sont mortes à l’intérieur de maisons ou de mosquées incendiées.
Le rapport rend compte de 26 attaques contre des villages peuls qui auraient été commises par des groupes d’autodéfenses bambaras et dogons lors desquelles au moins 156 civils peuls ont été tués. Ces attaques ont visé 10 villages : Koumaga, Dankoussa, Meou, Bombou, Someni, Dolda Haidara, Gueourou, Komboko, Pirga et dans les environs de Sofara, tuant toujours entre huit et 23 villageois. Un grand nombre des atrocités commises par des milices semblent être pour venger des meurtres de membres des communautés Dogon ou Bambara qui seraient le fait de groupes islamistes armés. Les groupes d’autodéfense ont fréquemment répondu en menant des attaques représailles contre des hameaux ou des villages entiers. Environ 50 villageois peuls, dont des enfants, qui étaient détenus par les milices ou qui ont fui les attaques, restent portés disparus au moment de la rédaction du présent rapport.
Le rapport documente également le meurtre de 46 villageois dogons au cours de 16 attaques qui auraient été menées par des groupes islamistes armés avec le renfort de groupes d’autodéfense peuls. Parmi ces attaques on peut citer l’exécution d’un marabout (enseignant musulman), le meurtre de plusieurs villageois partis chercher du bois, et le meurtre d’autres villageois brûlés vifs lors de l’attaque de leur village. Au moins dix Dogons sont morts en 2018 à cause des engins explosifs improvisés qui semblent avoir été mis en place par des islamistes armés.
Human Rights Watch estime que les meurtres et les autres graves abus décrits dans le présent rapport ne donnent qu’un décompte partiel du nombre total de personnes tuées ou blessées dans le cadre de violences communautaires dans le centre du Mali en 2018. Ce rapport ne comptabilise pas les morts en lien avec les violences communautaires dans les autres régions du Mali. Ainsi, en 2017 et 2018, des dizaines de civils ont été tués dans la région de Ménaka, située au nord du Mali, au cours de violences opposant les Peuls, les Touareg Imghad et les clans Doussak.
Les affrontements dans le centre du Mali correspondent à un conflit armé non international tel qu’il est défini par le droit de la guerre. L’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 s’applique, comme d’autres lois et coutumes de la guerre auxquels doivent se soumettre les forces armées nationales et les groupes armés sans lien avec le gouvernement. Le droit de la guerre exige le traitement décent de toute personne placée en détention, et interdit les exécutions sommaires, la torture, les violences sexuelles et tout autre mauvais traitement, les attaques contre les civils et les biens appartenant à des civils, ainsi que le pillage. Le gouvernement a l’obligation de mener des enquêtes impartiales et des poursuites appropriées contre ceux qui sont impliqués dans la commission de crimes de guerre.
Les autres inquiétudes relatives aux droits humains dans le centre du Mali portent sur les questions suivantes.
Violence et perte des moyens de subsistance
Des villageois ont décrit ce qu’ils considèrent comme étant des efforts déployés de manière organisée par la communauté adverse et sa milice pour détruire leurs moyens de subsistance et, à terme, les pousser à partir de leurs villages. Des villageois peuls ont déclaré que des groupes d’autodéfense dogons et bambaras les empêchaient d’acheter ou de vendre sur les marchés, et des villageois dogons ont affirmé que des hommes peuls armés sont venus dans leur village pour leur interdire de planter leurs semis et de travailler leurs terres.
Des villageois ont été tués par des hommes armés alors qu’ils faisaient paître leurs bêtes ou qu’ils travaillaient dans les champs, et tous les membres de la communauté ont décrit le vol généralisé de troupeaux qui a provoqué de graves difficultés économiques. D’après le gouvernement malien, des dizaines de villageois sont morts de malnutrition aigüe en lien avec l’insécurité en 2018. La violence a poussé environ 10 000 personnes à partir de chez elles.
Réponse inadéquate du gouvernement malien
Le gouvernement malien n’a pas honoré les promesses faites début 2018 de mener des enquêtes pénales relatives aux allégations de crimes graves, de protéger les communautés vulnérables contre la violence communautaire et de désarmer les groupes d’autodéfense auteurs d’abus. En outre, l’application de la mesure des forces de sécurité datant de 2017 et 2018 interdisant l’utilisation de motos pour les déplacements entre les villages de la région de Mopti n’a pas été impartiale.
Des dizaines de témoins ont déclaré avoir vu des membres de groupes d’autodéfense dogons et bambaras porter des armes et se déplacer librement sur des motos malgré l’interdiction gouvernementale. Des membres de ces groupes ont été vus équipés d’armes d’assaut dans des villages et des marchés, tenant des points de contrôle routiers, vérifiant les documents d’identité, menant des fouilles de maison en maison, et passant devant les locaux de la gendarmerie, de l’armée et de la police sans que les agents de l’État n’interviennent.
Absence de protection des civils par les forces de sécurité
Des leaders de toutes les communautés ont fait part d’inquiétudes portant sur la lenteur ou l’absence de réponse des forces de sécurité maliennes à la suite d’attaques contre leur communauté, même lorsque celles-ci avaient été prévenues avant. Ils affirment également avoir donné des renseignements sur la localisation des membres ou des bases des groupes armés responsables d’abus ou sur leur structure de commandement et que le nombre de mesures prises a été minime. Certains leaders peuls ont accusé l’armée de soutenir les milices, voire de collaborer directement avec elles, notamment en leur fournissant des armes et un appui logistique, des allégations que Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer.
Des fonctionnaires du ministère de la Défense ont dit à Human Rights Watch qu’ils comprenaient la gravité du problème posé par l’accroissement de la violence communautaire et qu’ils prenaient effectivement des mesures visant à y mettre un terme, mais que leur réponse était entravée par l’insuffisance des recours possibles.
Absence de justice pour les violences communautaires
Seul un petit nombre d’enquêtes a été mené, et aucune poursuite n’a été entreprise contre les auteurs des graves abus documentés dans le présent rapport. L’absence de recherche de responsabilité peut encourager les groupes armés à commettre d’autres abus et favorise un climat général d’impunité.
Des juristes ont fait savoir que plusieurs enquêtes relatives à de graves abus commis par des groupes d’autodéfense ont été ouvertes en 2018, mais que la situation précaire en matière de sécurité ralentit le travail des gendarmes et des juges.
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Human Rights Watch exhorte le gouvernement du Président Ibrahim Boubacar Keita, élu pour un deuxième mandat en août 2018, à se pencher sans délai sur les violences communautaires dont le présent rapport rend compte. Le gouvernement devrait mener des enquêtes, poursuivre les auteurs de tous bords responsables de graves abus et créer une commission chargée d’obtenir des informations sur le sort de civils portés disparus lors d'attaques communautaires. Les forces de sécurité devraient répondre immédiatement et de manière impartiale aux populations vulnérables menacées par des groupes d’autodéfense ou des groupes islamistes armés, et mettre en place des patrouilles destinées à les protéger.
Le parlement malien devrait, en outre, établir une commission d’enquête sur les origines de la prolifération des armes dans le pays ; les allégations selon lesquelles la réponse des forces de sécurité aux violences se fonde sur des motifs politiques et manque d’impartialité, et les causes sous-jacentes de la violence communautaire dans le centre du Mali. Les partenaires internationaux du Mali devraient exercer des pressions sur le gouvernement malien afin de garantir que les responsables d’actes de violence communautaire rendent des comptes de manière appropriée et de soutenir les efforts du Mali pour protéger plus efficacement les civils et rendre justice aux victimes.
Recommandations
Au gouvernement du Mali
- Dûment équiper et pourvoir en personnel le ministère de la Justice afin que les procureurs et les officiers de police judiciaire du pays puissent enquêter comme il se doit et poursuivre de manière équitable les responsables d’abus graves dans chaque camp.
- Dûment équiper et pourvoir en personnel les forces armées afin qu’elles soient en mesure de protéger les populations civiles exposées.
- Accélérer le déploiement de policiers, de gendarmes et d’agents du ministère de la Justice dans les villes et villages des zones touchées par les violences communautaires.
- Désarmer toutes les milices d’autodéfense violentes et poursuivre les membres de ces milices impliqués dans des abus.
- Mettre en place une commission pour aider les civils dont des proches ont disparu pendant ou après les attaques communautaires.
- Veiller à ce que les forces de sécurité appliquent de manière impartiale les restrictions relatives aux motos dans le centre du Mali.
- Mettre en place une surveillance des forces de sécurité pour veiller à ce qu’elles offrent une protection impartiale à tous les civils, quelles que soient leur ethnicité ou leur religion.
- Cesser d’avoir recours à des groupes d’autodéfense violents, pour quelque motif que ce soit, y compris pour des opérations de lutte contre le terrorisme, ou de leur apporter de l’aide.
Aux autorités judiciaires du Mali
- Accorder les ressources et l’appui nécessaires aux juges du Mali, ainsi qu’aux autres membres du personnel du système judiciaire en charge des affaires de violence communautaire.
- Travailler avec les donateurs étrangers afin d’augmenter la capacité des magistrats et des officiers de police judiciaire à mener des enquêtes crédibles, impartiales et indépendantes sur les violences communautaires et autres crimes graves, à poursuivre les responsables et à assurer la protection des témoins.
- Renforcer les mesures visant à garantir que le personnel judiciaire du centre du Mali soit dûment protégé afin qu’il puisse accomplir son travail dans un environnement sûr.
Aux forces de sécurité du Mali
- Prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils menacés par la violence communautaire, notamment en multipliant les patrouilles et en installant des postes de sécurité supplémentaires dans les zones vulnérables.
- Veiller à ce que les forces de sécurité protègent tous les civils de manière impartiale, quelles que soient leur ethnicité ou leur religion.
- Veiller à ce que les forces de sécurité appliquent de manière impartiale les restrictions relatives aux motos dans le centre du Mali.
- Désarmer tous les groupes d’autodéfense violents et remettre à la justice les membres impliqués de manière certaine dans la commission d’abus, y compris des membres occupant des postes de commandement.
- Mettre en place une assistance téléphonique accessible 24 heures sur 24, tenue par les autorités maliennes compétentes, pour permettre aux membres de toutes les communautés concernées de signaler des menaces et des attaques imminentes ou en cours.
- Veiller à une communication efficace et rapide entre le personnel assurant la permanence téléphonique, les autorités maliennes, et les forces chargées de la protection civile et du maintien de la paix de l’ONU.
Au procureur de la région de Mopti
- Rendre compte publiquement de l’avancée de toutes les enquêtes en cours sur les crimes liés à la violence communautaire dans le centre du Mali.
- Ouvrir des enquêtes criminelles sur les crimes graves liés à la violence communautaire, y compris ceux documentés dans le présent rapport, et poursuivre comme il convient les responsables.
- Ordonner aux gendarmes d’enquêter rapidement sur tous les actes graves de violence communautaire, quelle que soit l’appartenance religieuse ou ethnique des victimes.
- Organiser des réunions communautaires dans les zones touchées par la violence communautaire pour expliquer les dispositions prises pour enquêter sur les crimes présumés et l’intention du gouvernement de poursuivre toutes les personnes qui prendraient part à des représailles.
Au parlement du Mali
- Établir une commission indépendante chargée d’enquêter sur la violence communautaire dans le centre du Mali afin d’examiner les questions suivantes et de formuler des recommandations à leur sujet :
- origine des armes utilisées par les groupes islamistes armés et les groupes d’autodéfense ;
- allégations concernant la partialité des interventions des forces de sécurité face à la violence communautaire ;
- allégations concernant le soutien du gouvernement aux groupes d’autodéfense ;
- causes sous-jacentes des tensions communautaires dans le centre du Mali, y compris les tensions entre éleveurs et agriculteurs, la corruption du gouvernement, et le banditisme généralisé.
- Envisager de créer un programme de dédommagement pour les victimes civiles de la violence communautaire, et veiller à ce que ces dédommagements soient accordés de manière transparente, quelle que soit l’appartenance religieuse ou ethnique.
À la Procureure de la Cour pénale internationale
- Envisager d’enquêter sur les crimes documentés dans le présent rapport comme étant de possibles crimes de guerre relevant de la compétence de la CPI.
Aux Nations Unies
- Augmenter le nombre de patrouilles dans les zones exposées à la violence communautaire en coopération avec les forces de sécurité maliennes.
- Ordonner à la Division des droits de l’homme de la MINUSMA de publier davantage de rapports sur les violations de droits commises par tous les camps.
- Le Secrétaire général des Nations Unies devrait envisager de faire figurer les groupes d’autodéfense dogons, bambaras et peuls ayant commis des abus sur sa liste annuelle des auteurs de graves violations contre des enfants pour le meurtre et la mutilation d’enfants.
Aux partenaires internationaux du Mali (Union européenne, France, États-Unis et autres partenaires étrangers)
- Systématiquement et publiquement exhorter le gouvernement malien à veiller à ce que tous ceux qui sont impliqués dans des actes de violence communautaire fassent rapidement l’objet d’une enquête et soient dûment poursuivis.
- Apporter un appui au système judiciaire, notamment en soutenant la création d’un système de gestion des affaires, un programme de protection des témoins et des moyens en matière d'expertise scientifique.
- Soutenir la formation du personnel judiciaire aux bonnes pratiques en matière d’enquête sur les crimes violents, notamment en ce qui concerne la collecte et la conservation des preuves sur les scènes de crime, l’analyse scientifique, et les techniques efficaces et adaptées d’interrogation et de protection des témoins et d’interrogation des suspects.
- Aider la MINUSMA à combler son manque crucial d’équipement nécessaire pour mieux protéger les populations vulnérables.
Méthodologie
Le présent rapport fait état des abus commis contre des civils par plusieurs groupes d’autodéfense au Mali, dans la région centrale de Mopti, entre janvier et novembre 2018. Au cours de trois voyages de recherche et d’entretiens téléphoniques effectués en 2018, Human Rights Watch a mené 148 entretiens, dont 97 avec des victimes et des témoins d’abus. Les 51 autres entretiens ont été réalisés avec des leaders de groupes d’autodéfense ; des leaders des ethnies peule, dogon et bambara ; des fonctionnaires de gouvernements locaux, des forces de sécurité et de la justice ; des diplomates ; des travailleurs humanitaires locaux et internationaux ; des membres de groupes de victimes, et des analystes de la sécurité.
Les entretiens se sont déroulés en février, mai, et juillet 2018 à Bamako, la capitale, et à Sévaré et à Mopti, dans la région de Mopti. Les recherches par téléphone ont été menées tout au long de l’année 2018. Les victimes et les témoins interrogés sont des habitants de 42 villes et villages de la région de Mopti, notamment au sein des cercles, ou zones administratives, de Bandiagara, Bankass, Djenné, Dountza, Mopti et Koro.
Les personnes interrogées ont été identifiées avec l’aide d’individus et d’organisations de la société civile. Les entretiens ont été réalisés en français, en fulfulde, la langue parlée par l’ethnie peule, en bambara et en dogon. Les entretiens menés en fulfulde, en bambara et en dogon ont été réalisés avec l’aide d’interprètes.
Un nombre des personnes interrogées qui avaient été déplacées en raison de l'insécurité vivaient dans des camps informels de personnes déplacées à Bamako, Sévaré et ailleurs dans la région de Mopti. Ils se sont rendus à Bamako ou à Sévaré pour les entretiens.
Plusieurs victimes et témoins interrogés ne savaient pas ou ne se rappelaient pas la date exacte des incidents qu’ils avaient relatés. L’enquêteur a tenté de déterminer approximativement cette date grâce à différents points de repère, par exemple en situant l’incident avant ou après des événements importants tels que des vacances, des événement saisonniers ou des attentats.
Le nombre de morts indiqué dans ce rapport est déduit des récits des témoins oculaires uniquement. Lorsque les chiffres différaient entre les récits de témoins oculaires d’un même attentat, Human Rights Watch a repris celui faisant état du nombre de morts le plus faible.
Presque tous les témoins et victimes se sont montrés inquiets à l’idée que leur identité soit révélée. Par conséquent, nous avons gardé secrets certains éléments, y compris le lieu et la date exacte de certains incidents, qui pourraient permettre d’identifier les personnes qui se sont confiées à nous.
Human Rights Watch a informé toutes les personnes interrogées de la nature et de l’objet des recherches, ainsi que de notre intention de publier un rapport reprenant les informations collectées. Nous avons obtenu un consentement verbal pour chaque entretien et avons donné à chaque personne interrogée la possibilité de refuser de répondre aux questions. Toutes les personnes interrogées ont donné leur consentement verbal éclairé pour prendre part aux entretiens. Les personnes interrogées n’ont pas reçu de compensation matérielle en échange de leur entretien avec Human Rights Watch, bien que les frais de déplacement leur aient été remboursés.
Historique et contexte
La République du Mali, le huitième plus grand pays d’Afrique, fait environ deux fois la taille de la France. Depuis son indépendance de la France en 1960, le Mali a connu une forte instabilité politique, avec notamment trois coups d’État militaires et quatre conflits armés.
Doté de vastes ressources d’or et de coton, le Mali est habité par l’une des populations dont la croissance est la plus rapide au monde et se classe au 182ème rang sur 189 pays selon l’indice de développement humain des Nations Unies de 2018, qui mesure les progrès réalisés en matière de développement social et économique.[1]
La population malienne compte plus de 18 millions de personnes.[2] Elle comprend de nombreux groupes ethniques : Bambara, Sarakole, Malinké, Peul, Sénoufo, Dogon, Bozo, Touareg et Maure. Sur le plan administratif, le Mali est divisé en régions, communes et cercles.
Le centre du Mali est majoritairement peuplé de Peuls (aussi connus sous le nom de Foulanis) que l’on retrouve dans toute l’Afrique de l’Ouest et centrale ; de Bambaras, qui constituent le plus grand groupe ethnique du Mali ; et de Dogons, que l’on trouve près de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. [3] Les zones administratives du centre du Mali ne sont pas habitées par un seul groupe ethnique : toutes les communes et tous les cercles du centre du Mali sont partagés par plusieurs groupes ethniques, dont certains sont organisés en villages ou en quartiers de villages correspondant à leur groupe ethnique particulier.
Le conflit dans le nord du Mali
En 2012, des groupes armés séparatistes appartenant à l’ethnie touareg et liés à Al-Qaïda ont rapidement pris le contrôle des régions du nord du Mali. L’intervention militaire française de 2013 et l’accord de paix de juin 2015 entre le gouvernement et plusieurs groupes armés visaient à éliminer les groupes armés islamistes, à désarmer les Touaregs et d’autres combattants et à rétablir le contrôle de l’État sur le nord du pays. La mise en œuvre de cet accord a été lente.
Dans le même temps, depuis 2015, les activités et exactions des groupes islamistes armés se sont étendues au centre du Mali puis, à partir de 2016, au Burkina Faso. Les groupes islamistes armés ont largement recruté parmi les Peuls, l’un des nombreux groupes ethniques présents dans cette région.
Depuis 2012, Human Rights Watch a largement documenté les violations graves du droit international humanitaire et les violations des droits humains perpétrées par toutes les parties lors des récents conflits armés, notamment par les séparatistes touaregs, plusieurs groupes islamistes armés et les Forces armées maliennes (FAMA).[4]
L’insécurité croissante au Sahel a conduit à la création en 2017 d’une force multinationale de lutte contre le terrorisme, composée de soldats maliens, mauritaniens, burkinabè, nigériens et tchadiens. Cette force, connue sous le nom de Force conjointe du G5 Sahel, coordonne ses opérations avec les 4 000 soldats français et les 12 000 soldats de maintien de la paix des Nations Unies déjà présents au Mali.[5]
Le conflit dans le centre du Mali
Depuis 2015, dans les régions de Mopti et de Ségou au centre du Mali, une mosaïque de groupes liés à Al-Qaïda ont attaqué des bases de l’armée et des postes de police et de gendarmerie et ont commis des exactions contre des civils.[6] Des groupes islamistes armés liés à l’État islamique dans le Grand Sahara[7] sont présents dans les zones limitrophes du Burkina Faso depuis 2016 et ont également attaqué les forces de sécurité maliennes et commis des exactions contre des civils.
Les groupes islamistes armés ne contrôlent pas officiellement le territoire. Cependant, depuis leurs bases situées dans des zones boisées, ils se rendent souvent dans des villages, prêchent dans les mosquées locales et obligent les habitants à assister à des réunions au cours desquelles ils les menacent afin qu’ils ne collaborent pas avec le gouvernement, les forces françaises ou la mission de maintien de la paix de l’ONU.[8]
Certains habitants de ces villages ont déclaré à Human Rights Watch que depuis 2015, le banditisme et la criminalité avaient diminué en raison de la présence de groupes islamistes armés qui dispensent la justice dans leur version de la charia (loi islamique). Human Rights Watch a toutefois documenté comment ces groupes ont assassiné des dizaines d’hommes, chefs de village, imams, maires et administrateurs pour leur prétendue collaboration avec les forces de sécurité. [9] Depuis 2015, ces groupes ont, de manière aveugle, placé des engins explosifs improvisés sur les routes et les sentiers. En 2018, ces engins ont tué plusieurs dizaines de personnes dans le centre du Mali.[10]
Dans de nombreux villages, ces groupes interdisent aux habitants de célébrer leurs mariages ou leurs baptêmes ; ils imposent des interdictions de jouer de la musique ou de faire du sport, de boire de l’alcool et de porter certains types de vêtements ; ils interdisent aussi aux filles et aux femmes de faire de la moto avec des hommes autres que leur mari ou leurs proches.[11] Ils ont également perturbé la participation des citoyens aux élections locales de 2016 et à l’élection présidentielle de 2018 en attaquant les responsables des élections, en pillant les bureaux de vote et en détruisant le matériel électoral.[12]
Ils ont détruit des antennes de communication et incendié des véhicules et des bâtiments appartenant au gouvernement, notamment des écoles, les bureaux des maires et les locaux de gendarmerie, des mairies et des prisons, et provoqué la fuite de nombreux fonctionnaires et représentants des autorités locales.[13]
Depuis 2015, la violence des groupes islamistes armés et la réaction souvent brutale des forces de sécurité ont contraint des milliers de civils du centre du Mali à fuir leurs foyers. La peur de ces groupes a résulté dans la formation dans les villages de groupes de défense civile, bambaras et dogons notamment, pour protéger les habitants restés sur place.[14]
Les communautés bambaras et dogons ont fourni à Human Rights Watch des listes des membres de leurs communautés respectives, notamment des marabouts, des imams, des chefs de village, des agriculteurs et des hommes d’affaires qui auraient été tués depuis 2015 par des groupes islamistes armés présumés soutenus par les communautés peules élargie. Les dirigeants de ces deux communautés ont également déclaré avoir rencontré à plusieurs reprises des représentants du gouvernement pour leur demander une protection accrue, tout en expliquant que autorités n’avaient, au final, rien fait.
Recrutement de Peuls par les islamistes armés
Les groupes islamistes armés ont concentré leurs efforts de recrutement sur les Peuls et ont renforcé leur présence dans le centre du Mali. Pour ce faire, ils ont exploité les frustrations de la communauté peule dues à la pauvreté, au banditisme, aux exactions des services de sécurité, à la corruption du gouvernement et à la compétition dans l’accès aux terres et aux ressources en eau.[15] Ce recrutement a bénéficié du soutien du leader charismatique peul Hamadou Koufa Diallo,[16] un Islamiste originaire de la région de Mopti qui, depuis 2012 au moins, s’est associé aux groupes liés à Al-Qaïda au Mali.
Des dizaines de leaders de la communauté peule interrogés par Human Rights Watch depuis 2015 se sont dits préoccupés par le succès rencontrés par les islamistes dans leur entreprise d’infiltration et de recrutement au sein de leur communauté, soulignant l’importance du nombre d’hommes peuls qui ont rejoint les rangs des islamistes armés.[17]
Les villageois peuls ont déclaré que leur peuple rejoignait ces groupes pour plusieurs raisons : en soutien aux efforts des islamistes armés pour lutter contre le banditisme et la corruption d’État ; pour profiter du chaos en pratiquant le banditisme ou pour régler des comptes ; par conviction religieuse ; et pour se protéger, par peur de l’armée et, de plus en plus, des groupes d’autodéfense au comportement abusif.[18]
Plusieurs dirigeants peuls ont déclaré qu’à partir de 2017, certains hommes peuls avaient été recrutés de force. L’un de ces dirigeants a indiqué que les villageois de sa région avaient, lors de réunions de village, subi des pressions pour « donner leurs fils » aux islamistes.[19] Le chef d’un village proche de la frontière burkinabé a ainsi déclaré : « Les djihadistes sont des stratèges ; si votre enfant est avec eux, ils savent que vous ne pourrez pas les dénoncer aux autorités ».[20]
Parmi les responsables gouvernementaux et les leaders communautaires des différents groupes ethniques qui se sont entretenus avec Human Rights Watch, peu nombreux sont ceux qui ont contesté la présence croissante de villageois peuls au sein de groupes islamistes armés. Ces personnes ont toutefois estimé que la confusion des Peuls avec l’islam militant était généralement exagérée et instrumentalisée par différents acteurs pour des raisons opportunistes.[21]
Selon un sociologue malien, « les affrontements intra-ethniques sont créés et exploités par différents groupes : par les djihadistes qui cherchent de nouvelles recrues et par les milices ethniques de tous bords qui s’en servent comme d’une couverture pour se livrer au banditisme, au vol d’animaux à grande échelle et à l’appropriation frauduleuse de terres ».[22]
Un haut responsable militaire a déclaré : « J’ai discuté de l’intensification de la violence avec mes commandants et avec les chefs de village de tous bords. Oui, bien sûr, il y a des djihadistes dans cette zone, mais le vrai problème est le banditisme, le vol d’animaux, les règlements de comptes – certaines personnes s’enrichissent en se servant de la lutte contre les terroristes comme d’une couverture ».[23]
De nombreux leaders peuls ont déclaré que ce qu’ils décrivaient comme une « punition collective » infligées aux peuls ne servait qu’à augmenter le rythme des recrutements par les groupes islamistes qui commettent des exactions. Comme l’a noté un travailleur humanitaire, « le djihadisme suscite peu d’intérêt chez les Foulani [Peuls], mais si toute la communauté est ciblée, et si le gouvernement ne répond pas, ils n’auront d’autre choix que de se tourner vers les djihadistes pour leur protection ».[24]
De nombreuses victimes peules et plusieurs sages de village ont fait remarquer que le nombre de personnes tuées, enlevées ou maltraitées par les islamistes était plus élevé chez les Peuls que dans toute autre communauté du centre du Mali. « Les gens oublient toujours que nous avons nous aussi souffert à cause de ces gens. Nos chefs et nos imams ont été tués, nos traditions ont été supprimées et nos enfants enlevés ou soumis à des lavages de cerveau pour les rejoindre », a déclaré un sage. [25]
Human Rights Watch a documenté plusieurs meurtres présumés de chefs de villages peuls par des groupes islamistes armés en 2017 et 2018. Il s’agissait notamment d’un chef de village tué d’une balle dans la bouche dans un village du cercle de Bandiagara, d’un autre décapité et d’un troisième pendu à l’intérieur d’un puits. [26] Une travailleuse humanitaire a déclaré que ces dix dernières années, les meurtres de dix civils peuls, dont ceux d’un sage et d’un chef de village, avaient été portés à sa connaissance dans le cercle de Koro. Ces personnes avaient apparemment refusé de payer des « impôts » aux Islamistes de la région. [27]
Plusieurs dirigeants de la communauté peule ont expliqué que les attaques des groupes d’autodéfense et de l’armée contre les civils compliquaient les efforts du gouvernement pour lutter contre la progression des groupes islamistes armés. Un leader de jeunes peuls a déclaré :
Maintenant nous sommes attaqués sur trois fronts : les djihadistes, l’armée et les milices. Si [l’armée] et les milices dogons avaient ciblé les djihadistes au lieu des civils, nous, les Peuls, nous les aurions soutenues à 100 %. Mais le fait qu’ils s’en prennent à des innocents complique la lutte contre le terrorisme. Lorsque le G5 Sahel a été créé, tous les Peuls de mon village ont applaudi. Mais s’ils n’arrêtent pas de s’en prendre à nous au nom du contreterrorisme, ils pourront créer un G 10 Sahel, un G 15 Sahel, mais ils n’arriveront pas à se débarrasser de tous les nouveaux djihadistes qui prennent les armes à cause des abus de l’armée et des milices.[28]
De nombreux chefs de groupes d’autodéfense dogons et bambaras ont accusé les Peuls d’être responsables du renforcement de la présence d’islamistes armés. « Les djihadistes se cachent dans les hameaux peuls, d’où ils lancent leurs attaques pour nous tuer », a déclaré un dirigeant.[29] « Notre armée s’est révélée incapable de nous protéger. Notre population s’est révoltée parce qu’elle dit que nous ne pouvons pas continuer à accepter cela. Les chefs de village ont demandé aux chasseurs de les protéger, c’est ce que nous avons fait ».[30]
Certaines de ces déclarations laissent présager que de graves crimes internationaux auraient pu être commis. « La volonté existe de tuer tous les Peuls », a déclaré un chef de milice. « Ils sont tous complices : s’ils ne sont pas membres des groupes djihadistes, alors ils les cachent... non vraiment, il faut les éliminer ». [31]
Si le nombre de civils bambaras et dogons tués lors des violences communautaires en 2018 a été moindre, les dirigeants de ces communautés ont déclaré que les membres de la communauté peule semblaient parfois aussi leur faire porter la responsabilité d’actes perpétrés par certains groupes d’autodéfense bambaras et dogons. Comme l’a déclaré un sage dogon : « les Dogons ne sont pas tous membre d’une milice. Nos hommes ne peuvent pas aller aux champs et nous n’avons rien planté à plusieurs endroits cette saison. Nos femmes sont attaquées quand elles se rendent au marché ».[32]
Facteurs contribuant aux tensions communautaires dans le centre du Mali
La violence communautaire entre les groupes d’autodéfense Bambara et Dogon, qui affirment que les forces de sécurité de l’Etat n’arrivent pas à les protéger, et la communauté peule, qu’on accuse d’héberger et d’être en collusion avec les Islamistes, est exacerbée par plusieurs autres facteurs de violence communautaire, comme la lutte pour l’accès aux terres et aux ressources en eau et la facilité d’accès aux armes à feu de type militaire.
Différends concernant l’accès aux terres et aux ressources en eau
Les communautés Bambara et Dogon, traditionnellement agricoles, et les communautés peules, traditionnellement pastorales, ont depuis longtemps des désaccords concernant l’accès aux terres et aux ressources en eau. Mais ces désaccords ont rarement débouché sur des affrontements sanglants et ont généralement été solutionnés par les chefs de village ou des leaders tribaux ou religieux, voire parfois, de manière moins convaincante, par le système judiciaire malien.
Plusieurs leaders communautaires, villageois et universitaires ont déclaré à Human Rights Watch que la lutte pour l’accès aux ressources naturelles– qu’il s’agisse des terres cultivées ou de celles qui servent de pâturages – ne cessait d’augmenter dans le centre du Mali. Comme l’a souligné un universitaire : « Quand la démographie augmente, le bush se réduit ».[33] Un observateur politique qui a travaillé pendant plusieurs décennies dans les régions où vivent les Dogons et les Peuls a expliqué :
Les Dogons ont vécu isolés dans les falaises pendant des centaines d’années mais, il y a plusieurs dizaines d’années, face à l’augmentation rapide de la population, ils ont commencé à migrer en quête d’autres zones à cultiver. Alors que les Dogons élargissaient leurs cultures, les Peuls ont commencé à perdre des zones de pâture. À présent, les gens ne peuvent plus faire circuler leur bétail sans détruire des cultures, ce qui, depuis dix ans, est une source croissante de conflit. Le changement climatique et la mauvaise gestion des terres ont amplifié le problème.[34]
Un sociologue malien a souligné l’évolution du rôle joué par l’interdépendance économique dans la création des tensions entre communautés : « Les Dogons et les Bambaras échangeaient leur mil contre du lait produit par les Peuls, mais à mesure que les Dogons et les Bambaras s’enrichissaient et commençaient à acheter du bétail, ils étaient de plus en plus nombreux à ne plus avoir besoin des Peuls. Notre dépendance les uns vis-à-vis des autres nous incitait à trouver des solutions aux problèmes, mais c’est de moins en moins le cas. »[35]
Comme l’a souligné un universitaire, désormais les tensions communautaires générées par la lutte pour l’accès aux ressources « se mélangent et se confondent avec, et sont soulignées par, le cadre plus large de la lutte contre le terrorisme ».[36] Plusieurs chefs de village et analystes des questions de sécurité ont ainsi accusé les milices bambaras et dogons d’utiliser la lutte que le gouvernement mène contre le terrorisme comme un prétexte pour déloger les Peuls des terres fertiles et de valeur qu’ils occupent pour y installer des projets agricoles à grande échelle.
Prolifération des armes à feu de type militaire et autres
Les leaders communautaires, tous groupes ethniques confondus, et des analystes des questions de sécurité dans la région ont déclaré à Human Rights Watch que la prolifération de fusils d’assaut semi-automatiques et des autres armes dont disposent les groupes d’autodéfense et les groupes armés islamistes contribuait au caractère souvent mortel de la violence communautaire.
Si nombre de personnes ont affirmé que les cycles de conflits armés dans le nord du Mali favorisaient évidemment la prolifération des armes, elles se demandent aussi comment, plus récemment, les groupes d’autodéfense ont réussi à se procurer autant d’armes et de munitions sans que le gouvernement ne soit en mesure de contrôler ces flux. Un expert européen sur les questions de sécurité a ainsi déclaré : « Les milices d’autodéfense Dogon et Bambara ont de plus en plus d’AK-47 (des fusils d’assaut Kalachnikov) et des stocks de munitions en apparence inépuisables. Ces communautés sont très pauvres, dès lors comment peuvent-elles se permettre d’en acheter autant. »[37]
Des villageois ont déclaré que traditionnellement, les groupes d’autodéfense ou de chasse se servaient de fusils de chasse artisanaux ou à canon unique et que ce n’étaient que ces dernières années que les « armes de guerre » avaient fait leur apparition. « Les armes dont elles [les milices] se servent ne sont pas celles que nos pères utilisaient », a déclaré une femme sur un marché. « Quand ils tiraient, la terre tremblait ».[38]
Des dizaines de témoins ont décrit l’utilisation par des groupes d’autodéfense bambaras, dogons et peuls de kalachnikovs et parfois aussi d’autres armes militaires, notamment des mitraillettes et des lance-roquettes (RPG). Plusieurs villageois peuls ont décrit les tirs fournis des milices lors de leurs attaques. Un villageois a noté que « les milices ont tiré comme s’ils disposaient de balles en quantité illimitée ».[39]
Des Peuls de cinq villages différents ont dit avoir vu des mitraillettes « montées sur trois pieds », ou trépieds,[40] identifiées par certains comme des mitrailleuses lourdes Kord russes de 12,7 mm. Des villageois ont aussi dit avoir vu ce qui leur semblait être des RPG : « Ils ont tiré avec une arme longue et très lourde qu’ils portaient à l’épaule. Ça faisait un bruit de tonnerre et ça a mis le feu à la mosquée du village », a raconté un homme.[41]
Des leaders dogons et bambaras ont également fait part de leur vive préoccupation quant à la prolifération des armes dans leur région. Certains ont décrit les groupes islamistes comme étant « armés jusqu’aux dents ». Les leaders communautaires pensaient que les Islamistes armaient les villageois peuls tout en s’attaquant, de temps à autres, à leurs communautés.
Des habitants de Douna, dans le cercle de Douentza, ont décrit comment les forces d’autodéfense de leur village avaient fait l’objet d’attaques soutenues et répétées de la part d’hommes peuls lourdement armés qui, selon eux, appartiendraient à un groupe islamiste armé. « Les attaques ne ressemblent à rien de ce que nous connaissons – les djihadistes se servent d’armes de guerre, notamment des RPG... Ces attaques étaient violentes et audacieuses », a déclaré un sage.[42]
Un paysan dogon tombé par hasard sur un camp d’Islamistes armés près de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso au milieu de l’année 2018 a déclaré : « Ils ont surgi de la brousse en pointant leurs armes vers moi… Ils avaient des lance-roquettes, des AK-47, des cartouchières qui se croisaient sur leurs poitrines, des gilets pare-balles, des bottes et des uniformes militaires, des motos et des véhicules. Il y en avait environ une douzaine devant moi, et beaucoup derrière les arbres… tous lourdement armés ».[43]
Allégations selon lesquelles certains groupes d’autodéfense agiraient pour le compte du gouvernement
Des diplomates, analystes des questions de sécurité et autres qui se sont entretenus avec Human Rights Watch se demandaient comment les groupes d’autodéfense bambaras et dogons étaient armés. Certains ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils soupçonnaient le gouvernement malien de faire sous-traiter par ces groupes, de manière informelle, certaines de ses responsabilités en matière de défense. Ils estimaient qu’il appartenait au Parlement malien d’enquêter sur ces allégations.
Plusieurs universitaires, membres de la société civile et diplomates ont lancé des accusations crédibles selon lesquelles le gouvernement malien soutenait des groupes d’autodéfense qui lui étaient alliés d’un point de vue ethnique afin de les aider dans leurs opérations militaires, notamment contre les séparatistes touaregs et, plus récemment, contre les Islamistes armés.[44] Ces allégations de sous-traitance des responsabilités en matière de défense concernent non seulement la fourniture d’armes, mais aussi celle de munitions et de logistique.[45]
Au cours des rébellions séparatistes des Touaregs dans le nord du Mali en 1962-1964, 1990-1995, 2006-2009 et 2012-2013, le gouvernement aurait soutenu le Ganda Koi, plus tard connu sous le nom de Ganda Izo, un groupe d’autodéfense essentiellement constitué autour de l’appartenance ethnique aux Songhaïs, en soutien d’opérations de l’armée dans les régions de Gao et de Tombouctou. [46] À partir de 2006, le gouvernement aurait également soutenu une milice active dans la région de Tombouctou et une milice composée de Touaregs du clan Imghad et de quelques soldats. Des analystes maliens et un diplomate américain ont affirmé qu’à partir de 2014 au moins, le gouvernement soutenait le GATIA (Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés)[47], une milice composée de Touaregs de la communauté Imghad active dans la région de Kidal, dans le nord du pays[48]. À partir de 2017, le GATIA et le MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad), composé de Touaregs de la communauté Daoussahak, ont cherché à chasser les Islamistes armés de la région de Ménaka. [49] Tous ces groupes sont la cible d’allégations crédibles selon lesquelles ils auraient commis de graves violations des droits humains.[50]
Groupes armés responsables d’exactions dans le centre du Mali
Des victimes et des témoins ont identifié plusieurs groupes armés comme les responsables présumés de graves violations décrites dans le présent rapport.
Groupes d’autodéfense bambaras
Les Dozos
Actifs dans certains villages et villes du cercle de Djenné, les Dozos, ou « sociétés de chasseurs traditionnels », ont été impliqués dans de nombreuses exactions graves perpétrées contre des civils peuls. Un chef dozo a déclaré à Human Rights Watch que les Dozos avaient été « créés il y a plusieurs siècles » avant que les frontières nationales n’aient été tracées en Afrique, et organisées en confréries d’hommes ayant tous suivi un processus initiatique pendant plusieurs années. [51] Ces dozos sont essentiellement composés de groupes ethniques parlant la langue mande de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Burkina Faso. Au Mali, ils sont majoritairement composés de Bambaras, mais aussi de membres d’autres groupes ethniques, comme les Malinké et les Bozos.[52]
Les Dozos, dont les croyances sont ancrées dans le mysticisme, ont assumé le rôle de forces d’autodéfense dans les villages et utilisent généralement des fusils de chasse à un coup. Les chefs des groupes d’autodéfense bambaras qui opèrent dans les régions de Ségou et de Mopti ont déclaré qu’ils avaient commencé à répondre à la menace des groupes islamistes armés depuis 2014 environ et que, même si leur base restait leur village, ils répondaient si nécessaire aux menaces contre la sécurité d’autres villages.
Un autre chef dozo a déclaré que le fait que le gouvernement malien refuse ou soit dans l’incapacité d’affronter la menace grandissante des Islamistes dans le centre du Mali les avait obligés à renforcer et à réorganiser les structures établies de longue date dans leurs villages, à se former et à assumer des tâches relevant de la défense nationale pour aider non seulement leur village, mais aussi ceux des environs :
Notre peuple compte tant de tués ; nous avons signalé et dénoncé ces crimes aux autorités locales et de Bamako, mais en réponse nous n’obtenons que des excuses pour ne pas enquêter, pour ne pas nous protéger : la pluie, le danger, le manque d’armes à feu ou d’autres armes. Au final, nous avons décidé de nous protéger nous-mêmes. Nous savons que les Peuls ne sont pas tous des djihadistes, mais certains le sont.[53]
Le maire bambara d’une ville de la région de Mopti a déclaré :
Jusqu’en 2015 environ, les Dozos ne s’occupaient que de la chasse et de la protection des villages. Mais, à cause des djihadistes, ils forment maintenant un véritable groupe d’autodéfense, plus régional. Ils sont mieux organisés : ils se réunissent tous les 15 jours pour discuter des problèmes, installer des checkpoints, et même se lancer dans des opérations pour débusquer des djihadistes.[54]
La structure organisationnelle des dozos du centre du Mali est opaque. Des petits groupes de dozos de villages semblent faire partie d’unités plus larges liées aux dozos de la ville la plus proche. Les relations intercommunautaires varient néanmoins grandement d’une région à l’autre. Ainsi, suites aux périodes de tensions communautaires entre Bambaras et Peuls en 2016 et 2017, des groupes de dozos ont signé des « accords » informels avec leurs voisins peuls et même avec des groupes islamistes armés dans certaines zones des régions de Ségou et de Mopti.[55]
Groupes d’autodéfense dogons
Dan Na Ambassagou
Dan Na Ambassagou (« les chasseurs qui font confiance à Dieu » en dogon[56]) est un groupe de coordination de plusieurs groupes d’autodéfense basés dans les villages dogons de Koro, Bandiagara, Bankass et, dans une moindre mesure, dans plusieurs cercles de Mopti, tous situés près de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. [57]
Dan Na Ambassagou (« les chasseurs qui font confiance à Dieu » en dogon[58]) est un groupe de coordination de plusieurs groupes d’autodéfense basés dans les villages dogons de Koro, Bandiagara, Bankass et, dans une moindre mesure, dans plusieurs cercles de Mopti, tous situés près de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. [59] Les chefs Dan Na Ambassagou ont déclaré à Human Rights Watch que leur groupe armé avait été officiellement lancé en 2016 « pour protéger le pays Dogon » après l’assassinat en octobre 2016 de Théodore Soumbounou, qui dirigeait à l’époque la société des chasseurs dogons. « Avant sa mort, Théodore avait demandé aux chasseurs de s’organiser pour défendre notre communauté », a déclaré un membre de cette confrérie. « Il savait qu’il allait mourir, mais il s’est sacrifié pour nous ».[60]
Le chef d’une milice dogon a déclaré que « les djihadistes se cachent dans des hameaux peuls, d’où ils lancent des attaques et nous tuent. Notre armée s’est révélée incapable de protéger nos villages. Notre population s’est révoltée en disant que la situation n’était plus acceptable. Les chefs de village ont demandé aux chasseurs de les protéger, et c’est ce que nous avons fait ».[61] Un sage a déclaré : « Tous les Peuls sont complices – tous. Nous sommes vulnérables, mais nous sommes organisés. Ils ne nous chasseront pas d’ici ».[62]
En 2017, un chef du groupe Dan Na Ambassagou a déclaré à Human Rights Watch n’avoir qu’une base principale sur laquelle compter, de quelques centaines de membres, et que le chef du groupe, Youssouf Toloba, « voyageait beaucoup pour délivrer des ’médicaments’ spéciaux qui offraient une protection. Nous commençons le recrutement dans tout le pays dogon. Nous avons lancé un appel. Tous ceux qui sont prêts devraient se joindre à nous ».[63]
En 2018, leur mouvement comptait selon eux des centaines de combattants et opérait à partir de multiples bases, essentiellement dans la région de Koro. [64] Le 1er novembre 2018, un article de presse malien a décrit une réunion présidée par Youssouf Toloba où les représentants de 36 camps de milices de Dan Na Ambassagou se sont retrouvés à Bandiagara.[65]
Dan Na Ambassagou a une hiérarchie de type militaire. Human Rights Watch a consulté une liste de personnes occupant des postes de commandement et plusieurs combattants nous ont montré leur « carte de combattants » de Dan Na Ambassagou, toutes signées par leur chef d’état-major général, Youssouf Toloba, et estampillées d’un cachet officiel. Sur l’une de ces cartes, on peut lire : « En cas de perte de la carte, le porteur doit en informer le commandant de son unité ».
Le groupe s’est scindé en juillet 2018 après la signature par la faction dirigée par David Tembine d’un pacte unilatéral de non-agression avec les groupes armés peuls. La faction la plus militante est dirigée par Youssouf Toloba.
Groupes d’autodéfense dogons dans le cercle de Douentza
Les groupes d’autodéfense dogons de Douentza ont déclaré ne pas avoir rejoint les rangs de Dan Na Ambassagou et ne recevoir aucun soutien de ce groupe. Ils ont affirmé que depuis août 2018 au moins, les groupes d’autodéfense de plusieurs localités – Yangassadiou, Douna, Toikana, Banai et Tiguila – s’étaient regroupés de manière officieuse en coordination, dans le but de se renforcer mutuellement « en cas de besoin » et de recevoir le soutien financier de certains membres des familles vivant à Bamako ou de la diaspora.[66]
Le niveau de coordination entre groupes d’autodéfense bambaras et groupes d’autodéfense dogons reste flou. Les Dozos d’une part et Dan Na Ambassagou d’autre part ont déclaré que leurs groupes étaient des « sociétés de chasseurs traditionnels », mais les chefs de groupe ont refusé de fournir des détails sur de possibles opérations conjointes. Comme indiqué ci-après, les chefs des groupes d’autodéfense bambaras et dogons ont nié avoir reçu l’appui du gouvernement malien ou avoir coordonné leurs opérations avec lui. Ils ont aussi nié avoir commis des exactions contre des civils.
Groupes islamistes armés
Une mosaïque de groupes islamistes armés aux allégeances changeantes et qui parfois se chevauchent est active dans le centre du Mali. Ces groupes sont fortement représentés par des hommes peuls originaires du Mali et, dans une moindre mesure, du Niger et du Burkina Faso. Ils se présentent en général comme des « djihadistes ».
Front de libération de Macina
Le Front de libération de Macina (FLM, aussi appelé Katiba Macina) est apparu en 2015 après avoir revendiqué la responsabilité d’attaques au centre du Mali. Il est dirigé par le prédicateur malien Amadou Kouffa, allié aux groupes liés à Al-Qaïda depuis au moins 2012. Depuis 2017, le FLM est l’un des cinq groupes maliens liés à Al-Qaïda ayant fusionné sous le nom de Jama’at Nasr al- Islam wal Muslimin (JNIM) qui signifie « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans », lui-même dirigé par un vétéran djihadiste touareg et dirigeant du groupe Ansar Dine, Iyad Ag Ghaly.[67]
Ansaroul Islam
Ansaroul Islam, un groupe islamique armé burkinabé, a été fondé fin 2016 par Malam Ibrahim Dicko.[68] Le groupe a été entraîné et a reçu un soutien logistique de la part de groupes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique dans le Grand Sahara.[69] Malam Dicko a été tué dans une attaque des forces françaises en 2017 et remplacé par son frère Jafar.[70] Les combattants d’Ansaroul Islam, dont beaucoup sont originaires du Niger et du Mali, opèrent au Burkina Faso et au Mali, principalement dans la commune de Mondoro, dans le cercle de Douentza, et dans la commune de Dioungani, dans le cercle de Koro.[71]
Groupes d’autodéfense peuls
Alliance pour le salut au Sahel
L’Alliance pour le salut au Sahel (ASS) a été formée en mai 2018 dans le but de protéger la communauté peule au Mali et au Burkina Faso contre les attaques des dozos qui opèrent dans la région, et celles d’autres groupes armés.[72] Initialement, le mouvement avait pour objectif de regrouper au sein d’une même organisation tous les groupes d’autodéfense existants actifs dans les villages peuls. Les leaders peuls ont cependant expliqué que le groupe ne disposait d’aucun financement et qu’il n’était pas parvenu à rassembler dans ses rangs les groupes de défense des villages existants, et encore moins à attirer de nouvelles recrues. [73] Les milices dogons confondent volontiers cette alliance avec les groupes islamistes armés, mais les déclarations d’alliances réfutent fermement l’existence d’un tel lien. Une déclaration d’octobre 2018 indiquait ainsi que « l’ASS n’est affiliée militairement, idéologiquement ou politiquement à aucune autre organisation sur le théâtre des opérations ».[74]
Forces d’autodéfense des villages peuls
De nombreux villages peuls du centre du Mali disposent de groupes d’autodéfense. Ces groupes nient systématiquement leur affiliation à un groupe islamiste armé ou à l’ASS et affirment qu’ils sont uniquement composés d’habitants de ces villages. [75] Les villageois dogons réfutent cette affirmation et disent avoir vu à plusieurs reprises des Peuls appartenant aux forces de défense de telle ou telle localité s’activer aux côtés des groupes islamistes armés.[76]
Violence communautaire passée dans le centre du Mali
Les actes de violence communautaire entre Bambaras, Dogons et Peuls dans le centre du Mali sont en augmentation depuis 2015. Plusieurs dizaines de meurtres ont été commis, notamment ceux de leaders communautaires, auxquels se sont ajoutés plusieurs massacres à grande échelle.
Ces épisodes ont chaque fois suivi un schéma similaire, selon lequel l’assassinat d’un civil bambara ou dogon est imputé de manière crédible aux groupes islamistes armés et est suivi d’une vague de représailles brutales contre des hameaux et villages entiers et contre leurs habitants. Les dirigeants des trois communautés ont dénoncé l’injustice de ces assassinats et exactions commis contre leurs communautés respectives. Un seul de ces incidents – l’assassinat de plus de 30 villageois peuls en 2016 – a donné lieu à une enquête judiciaire approfondie et à une condamnation.
Incidents clés
Le 18 juillet 2015, des islamistes armés, dont plusieurs venaient Niger, ont exécuté six villageois dogons dans trois hameaux proches de la ville de Niangassadiou, près de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso dans le cercle de Douentza. L’incident s’est produit lors de la fête musulmane de l’Aïd al Fitr (Tabaski) et a été accompagné de pillages des biens de la communauté.[77]
À la fin du mois d’avril 2016, deux Bambaras soupçonnés d’être des informateurs des forces armées maliennes ont été tués par des islamistes armés présumés, apparemment des Peuls, à Maléimana, dans le cercle de Ténenkou, situé dans la région de Mopti. En réponse à ces meurtres, quatre Peuls ont été tués par des Bambaras, provoquant des représailles d’assaillants peuls, qui ont tué un adjoint au maire de l’ethnie bambara. Le lendemain, les Dozos bambaras ont ouvert le feu sur plusieurs hameaux peuls. Les affrontements, qui ont duré plusieurs jours, ont fait une trentaine de morts. En 2017, plusieurs Bambaras ont été reconnus coupables de meurtres pendant cette période.[78]
Le 11 février 2017, des assaillants peuls présumés auraient tué un commerçant bambara près de la ville de Ke-Macina dans la région de Ségou. Ce meurtre a déclenché une série d’attaques en représailles contre sept hameaux peuls par des dozos bambaras, faisant au moins 21 morts, y compris des enfants. De nombreuses victimes ont été brûlées dans leurs maisons. En réponse, des Islamistes armés présumés ont sommairement exécuté neuf commerçants – appartenant aux groupes ethniques Bozo et Bambara – alors qu’ils revenaient d’un marché dans la région de Ségou. Une commission d’enquête a été créée et a identifié plusieurs auteurs présumés, mais personne n’a été tenu pour responsable des violences commises pendant cette période.[79]
Le 16 juin 2017, des assaillants armés présumés peuls ont tué Souleymane Guindo, un membre important d’une société de chasseurs traditionnels alors qu’il rentrait d’un marché dans la commune de Dioungani, dans le cercle de Koro. Le meurtre a déclenché une série d’attaques en représailles de villageois dogons armés, notamment des proches de la victime, contre deux hameaux peuls, Nawodie et Tanfadala, faisant au moins 35 morts et forçant plusieurs milliers de civils à être évacués.[80]
Le chapitre qui suit décrit comment les épisodes de violence communautaire et le nombre de meurtres et de massacres dans le centre du Mali ont augmenté en 2018.
Violence communautaire dans la région de Mopti
La confusion et la suspicion planent constamment, et les gens ordinaires de chaque groupe sont pris entre deux feux. Les Dogons et les Bambaras accusent tous les Peuls d’être des djihadistes, et les Peuls disent que tous les Dogons et les Bambaras soutiennent les milices violentes. Avant, nous étions des frères. Qu’est-ce qui nous est arrivé ?
--Leader de jeunes bambara, juillet 2018
En 2018, Human Rights Watch a documenté 42 incidents de violence communautaire dans lesquels des groupes armés de la région de Mopti ont été impliqués, et au cours desquels 202 civils ont été tués, de nombreux autres blessés et des dizaines de villages détruits. Les exactions décrites ci-après ont eu lieu entre janvier et novembre 2018, pour la plupart dans les cercles administratifs de Douentza, Djenné et Koro. Plusieurs autres de ces exactions ont eu lieu dans les cercles de Bandiagara, Bankass et Mopti.
Vingt-six de ces incidents auraient été commis par des groupes d’autodéfense bambaras et dogons contre les communautés peules et auraient coûté la vie à 156 civils peuls. Dans dix de ces incidents – à Koumaga, Komboko, Dankoussa, Meou, Bombou, Someni, Pirga, Dolda Haidara, Gueourou et près de Sofara –au moins 8 civils ont été tués le même jour, parfois il s’agissait même de 23 victimes civiles en une journée. Au moins 50 villageois peuls, parmi lesquels plusieurs enfants, qui ont été arrêtés par les milices ou ont fui les attaques, n’ont toujours pas été retrouvés.
Seize des attaques documentées auraient été commises par des groupes islamistes armés, parfois aux côtés de groupes d’autodéfense peuls, faisant 42 morts parmi les civils dogons et bambaras.
Les témoins des attaques, toutes forces confondues, ont déclaré que la plupart des civils touchés avaient été délibérément pris pour cible par des tirs, tandis que d’autres avaient été blessés par des tirs aveugles de miliciens tirant au hasard et ou de manière imprudente dans les villages. D’autres sont morts piégés dans une structure incendiée. Les attaques de toutes ces forces étaient presque toujours accompagnées de pillages généralisés, de destruction ou d’incendies des villages concernés et de vol de bétail à grande échelle. La violence a entraîné le déplacement de milliers de villageois.
De nombreuses attaques, en particulier celles des groupes d’autodéfense bambaras et dogons, semblaient être une riposte aux assassinats perpétrés par des groupes islamistes armés contre des membres importants des communautés, tels des chefs ou sages de villages, des représentants des autorités locales ou des marabouts.
Certains villages peuls disposaient de forces d’autodéfense locales en nombre réduit et donc facilement maîtrisables ; dans d’autres cas, des échanges de tirs plus fournis s’ensuivaient. Les milices ont fréquemment pris part à des massacres en représailles contre le village peul accusé d’héberger des Islamistes armés. Dans plusieurs cas, des membres des milices dogons et bambaras ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient identifié des villageois peuls des environs parmi les combattants ayant pris part à une attaque antérieure.[81]
Human Rights Watch a documenté plusieurs « meurtres de représailles » dans lesquels un ou plusieurs civils peuls, bambaras ou dogons ont été abattus ou tués à l’arme blanche pendant qu’ils s’occupaient du bétail, travaillaient dans les champs, transportaient des marchandises en se rendant au marché ou en revenant de celui-ci, ou après avoir été forcés à descendre des transports en commun par des hommes armés à des postes de contrôle informels. Plusieurs membres des familles des victimes ont dit avoir récupéré les corps de proches dont ils imputaient la mort à des groupes d’autodéfense.[82]
Human Rights Watch a également appris l’existence de plus de 30 autres meurtres de représailles présumés de villageois bambaras et dogons qui devraient faire l’objet d’enquêtes approfondies. Si certains de ces meurtres pourraient être le résultat d’actes de banditisme ou de règlements de comptes à caractère personnel, tous alimentent le cycle des violences de plus en plus meurtrières et quasi quotidiennes qui touche la région.
Outre les cas documentés dans ce rapport, Human Rights Watch estime que le nombre réel de personnes tuées lors de violences communautaires au centre du Mali pendant l’année écoulée est beaucoup plus élevé. Depuis 2017, des dizaines de civils ont aussi été tués dans la région de Ménaka, au nord du Mali, lors de violences communautaires entre les clans peuls et touaregs Imghad et Doussak.[83]
En juillet 2018, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’homme (HCDH) s’est dit préoccupé par « l’augmentation de la violence perpétrée à travers des lignes de démarcation communautaires » au centre du Mali, notant que 289 civils avaient été tués dans 99 incidents de violence communautaire. Dans leur majorité – soit pour 76 d’entre eux – ces incidents sont survenus dans la région de Mopti. Le communiqué fait état de l’inquiétude particulière de l’organisation eu égard aux attaques présumées commises par les milices bambaras et dogons contre la communauté peule : « Ces attaques seraient motivées par le désir d’éradiquer les individus liés au groupe extrémiste violent Jama’at nusrat al-Islam wal Muslimeen (JNIM), en réalité, le Haut-Commissariat estime qu’ils ont ciblé sans discrimination les membres de l’ethnie peule ».[84]
Exactions contre les communautés peules
Ce qui avait commencé comme une lutte d’autodéfense contre les djihadistes a dégénéré en une guerre contre les Peuls.
– Leader de jeunes peul à Sevaré, mars 2018
Exactions commises par des groupes d’autodéfense bambaras
Tous les actes de violence impliquant des groupes d’autodéfense bambaras, ou dozos, documentés par Human Rights Watch dans ce chapitre se sont produits dans le cercle administratif de Djenné. La ville de Djenné, désignée comme site du Patrimoine mondial de l’humanité par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), se trouve à 400 km de Bamako et à 80 km de Mopti.[85]
Des analystes des questions de sécurité ont expliqué à Human Rights Watch que des groupes islamistes armés avaient commencé à s’infiltrer dans le cercle de Djenné à la fin de l’année 2016. [86] Avant 2018, les islamistes armés n’avaient mené que très peu d’attaques contre des cibles gouvernementales ou militaires maliennes et n’avaient pas pris part aux violences communautaires. Un analyste des questions de sécurité a déclaré qu’il avait enregistré environ 20 incidents de violence en 2018, contre un seul incident de ce type au cours des années 2016 et 2017.[87]
Les attaques commises par des Dozos ont généralement eu lieu dans des villages où les islamistes étaient peu présents, ou récemment arrivés, ou après des attaques de ces islamistes contre des Dozos des environs. Les attaques commies par des Dozos et qui ont été documentées ont été accompagnées de pillages importants et de vols de bétail, et ont forcé plusieurs milliers de Peuls à fuir leurs villages. Quelques-unes de ces attaques ont été suivies d’attaques de représailles par des islamistes armés contre des civils bambaras, qui toutes alimentent le cycle des violences.
Koumaga
Les 23 et 24 juin, des Dozos auraient tué 25 civils peuls à Koumaga même et dans les environs de ce village de quelques 2,500 habitants, situé à 18 kilomètres au nord de Djenné.[88] Human Rights Watch a interrogé 10 témoins des meurtres et a reçu une liste de noms et d’images de personnes tuées pendant ces attaques.[89]
Selon des témoins, le 23 juin entre 8 heures et 9 heures du matin, des dizaines de Dozos armés de fusils d’assaut Kalachnikov et de fusils de chasse, qui circulaient sur une trentaine de motos, ont encerclé le quartier peul et se sont mis à tuer les habitants, à l’intérieur de leurs maisons mais aussi alors qu’ils tentaient de fuir. Après l’attaque, les Dozos ont pillé le village, volé des bijoux, de l’argent, des téléphones portables et des réserves de nourriture.
Vingt-et-un civils ont été tués à Koumaga le 23 juin et deux villageois qui étaient allés plus tôt dans la matinée faire paître leur bétail ont par la suite été retrouvés morts en dehors de la ville. Le lendemain, les Dozos sont revenus et ont tué deux autres villageois, dont un garçon de 13 ans. Trois hommes enlevés le 23 juin par les Dozos sont toujours portés disparus.[90]
Plusieurs témoins ont déclaré avoir reconnu certains responsables de ces meurtres comme étant des habitants de plusieurs villages voisins, notamment Pertakou, à deux kilomètres de là. Les témoins ont fourni à Human Rights Watch une liste de chefs ou « commandants » dozos de leur région qui, selon eux, étaient responsables de ces meurtres.
Plusieurs témoins ont dit penser que cette attaque perpétrée par des Dozos était une riposte à la présence croissante d’islamistes armés dans le cercle de Djenné – notamment dans une zone boisée non loin de Koumaga – mais aussi à une embuscade tendue quelques jours plus tôt par des hommes armés ayant tué plusieurs Dozos de Dorobougou, un village voisin.[91] Deux villageois ont déclaré qu’après l’attaque de Koumaga, la milice peule et les islamistes avaient affronté les Dozos près du village et que cette attaque avait donné lieu à « une véritable bataille rangée ».[92]
Un témoin a décrit ainsi les événements du 23 juin :
J’étais chez moi et j’ai commencé à entendre des motos … puis des coups de feu, et les cris d’une femme. Je me suis caché avec ma famille, mais j’ai pu voir par une fenêtre que les Dozos étaient là. Je les ai entendus crier : « Arrêtez ! Arrêtez ! » en bambara. Je les ai vus entrer dans des maisons, l’une après l’autre, et tirer sur les gens qui s’enfuyaient, puis voler les bracelets et les bijoux de chaque famille peule, ainsi que des matelas, du riz et des téléphones. J’ai entendu l’un d’eux dire en bambara « Tuez tous les Peuls ! … Ne laissez personne s’échapper. »
Ce n’est que lorsqu’ils sont partis, vers 16 heures, que j’ai pu voir qui avait survécu et qui était mort. Les morts avaient entre 65 ans et environ 10 ans, un garçon, Housseni. J’ai vu Alhadji Sidibe, tué d’une balle dans la bouche dans son lit ; Bori, tué d’une balle dans la nuque dans sa maison ; Hamadoun Sidbe, tué d’une balle dans le dos près des toilettes ; Boucari Sankare et son frère Saidu, morts dans leur maison, et Oumarou Barrie et ses deux enfants. Nous avons enterré 21 personnes dans une fosse commune dimanche matin, après l’arrivée de l’armée ; deux autres n’ont pas été enterrées car elles ont été tuées dans la forêt.
Je pense que nous avons été attaqués parce que les djihadistes ne sont pas loin de notre village – j’ai commencé à les voir aller et venir il y a environ un an. Mais est-ce que c’est de notre faute ? Est-ce qu’ils doivent vraiment punir chaque Peul du village ? Et où était l’armée ? Elle n’était pas loin mais elle n’est pas venue et n’a arrêté personne, même si nous savons qui a fait ça.[93]
Une femme âgée a raconté avoir vu son mari se faire tirer une balle dans la bouche :
Lors de l’attaque, mon mari, ma belle-sœur et moi nous nous étions cachés dans la maison, quand soudain trois Dozos ont fait irruption dans la maison et se sont immédiatement dirigés vers mon mari, qui était dans son lit. J’ai reconnu un homme d’un village situé à quelques kilomètres. J’ai supplié : « Laissez-le, pour l’amour de Dieu. » Mais ils ont répondu : « Si tu interviens, on te tue aussi. » Ensuite, un des Dozos, qui portait deux armes, a mis l’une d’elles – une longue arme à feu – dans la bouche de mon mari et a tiré. Ils ont dit « Voilà, nous sommes venus pour vous tuer, les djihadistes, les Peuls. » Ensuite ils ont volé des choses, dont l’argent que mon mari avait dans ses poches.[94]
Une femme a raconté comment son fils de 15 ans avait été abattu alors qu’il tentait de prendre la fuite :
Soudain, des gens ont crié : « Les Dozos, ils tuent les Peuls ! » J’ai couru jusqu’à chez moi avec mes petits-enfants ; mon garçon venait de rentrer du travail et a couru pour se cacher chez les voisins, mais ils lui ont tiré dessus… il a été touché au côté gauche. Les balles sont ressorties par son côté droit. Je me suis cachée avec mes filles de 5 et 7 ans. Je les entendais aller de maison en maison. Puis ils sont entrés chez moi. Ils ont déboulé en disant : « Nous ne tuerons pas les femmes, mais tous les hommes peuls, nous les tuerons ». Ensuite, un d’eux a attrapé mon bras et a arraché mon bracelet. Je l’ai supplié de ne pas piller ma maison, mais ils l’ont fait quand même. Quand ils sont partis, je me suis enfuie avec mes filles ; il faisait nuit, c’était la panique… nous nous sommes enfuies sous la pluie jusqu’au village de Dankoussa.[95]
Selon des témoins, l’armée malienne est arrivée après les tueries du 23 juin et a aidé à inhumer les corps. Le lendemain, vers 16h, après que les villageois eurent enterré leurs morts et que l’armée fut repartie, les Dozos sont revenus. Selon deux témoins, un groupe d’une quinzaine de Dozos lourdement armés circulant sur huit motos ont arrêté huit civils, sur lesquels ils ont ensuite ouvert le feu, tuant un homme âgé et un adolescent et en blessant quatre autres. L’un des hommes blessés dans cet incident a déclaré :
Le dimanche, alors que nous pleurions nos morts, les Dozos sont revenus. Quelques-uns d’entre eux se sont approchés de notre groupe en disant : « Si vous n’êtes pas des djihadistes et si vous ne vous enfuyez pas, vous n’avez rien à craindre. » Ils avaient des Kalachnikovs. Nous avons dit « Ok, nous ne sommes pas des djihadistes », et ils sont partis. Mais cinq minutes plus tard, deux autres Dozos, que personne n’a reconnus, ont dit à huit d’entre nous de se lever et de marcher. L’un de nous avait environ 80 ans et nous avons dit : « Cet homme ne peut pas marcher ! », ce à quoi ils ont répondu : « C’est pas notre problème ». Nous avons marché sous la menace des armes pendant quelques minutes, terrifiés. Ensuite, près de la mosquée, nous sommes plusieurs hommes de notre groupe à être partis en courant, et l’un d’eux a ouvert le feu. L’autre nous a ordonné de nous arrêter, s’est vite mis en position, et a ouvert le feu à quelques mètres de distance. J’ai senti la brûlure de la balle qui m’éraflait. Boakarie Sidibe, qui n’avait que 12 ou 13 ans, est mort sur le coup d’une balle dans la poitrine, alors qu’un autre est mort à l’hôpital. Nous n’avons jamais retrouvé le corps du garçon ; le Dozo l’a enlevé avant qu’on puisse l’enterrer. Ils ne voulaient pas que les hommes politiques qui sont venus à Koumaga le lendemain le voient. Le papa de Bockarie a réussi à s’enfuir et m’a confié, plus tard : « J’ai senti mon fils tomber à mes pieds, mais je n’ai pas pu le prendre ».[96]
Quatre témoins ont décrit l’attaque menée par la milice dozo le 1er septembre contre le village de Dankoussa, à 30 kilomètres de Djenné, au cours de laquelle les Dozos ont enfermé 12 hommes peuls dans la mosquée du village, où ils ont exécuté 11 d’entre eux. Une douzième victime a été abattue à l’extérieur de la mosquée. Un sage du village a fourni à Human Rights Watch une liste des personnes tuées. Les villageois ont signalé que de nombreux Dozos avaient été tués plus tard dans la journée dans une embuscade tendues par des Peuls armés que les témoins de Dankoussa n’avaient pas identifiés.[97] Un témoin a déclaré :
Je faisais mes ablutions avec d’autres fidèles, quand tout à coup des dizaines de Dozos sur des chariots tirés par des chevaux et armés de AK-47 et de fusils ont fait irruption dans le village. Nous nous sommes précipités dans la mosquée ; ils nous ont encerclés, ont commencé à tirer, puis nous ont ordonné de sortir en file indienne en disant qu’ils allaient nous tuer parce que nous soutenions les djihadistes. L’un d’eux a ouvert le feu, tuant Allaye Cisse, 73 ans, sur place, les éclats [de plomb] me blessant au cou. Ensuite, ils ont blessé un autre homme qui criait : « Pourquoi nous tirez-vous dessus ? Nous sommes innocents. » Ils ont emmené une douzaine d’entre nous jusqu’au chef du village, puis nous ont fait revenir à la mosquée où deux d’entre nous ont été libérés ; ils ont dit que nous étions vieux et que nous devions rentrer chez nous. Mais ils ont emmené les hommes restants, dont le fils du chef du village, juste à l’extérieur du village. C’est là que nous avons retrouvé leurs corps plus tard.[98]
Un autre témoin a décrit l’exécution des 11 hommes peuls et le pillage du village qui s’est ensuivi :
Dès que j’ai vu les Dozos arriver, j’ai couru et depuis l’endroit où j’étais caché, j’ai vu les tueries. Les Dozos ont conduit les hommes à l’écart du village et leur ont donné l’ordre de s’asseoir. Il y avait tellement de Dozos autour d’eux qu’ils n’avaient aucun moyen de s’échapper. Ils les ont fait s’asseoir côte à côte. Puis l’un des Dozos a été choisi pour les tuer. C’est lui qui les a tous tués. Ils se sont servis d’un fusil de chasse. Ce Dozo leur tirait dessus dans le flanc, jusqu’à ce que le plomb leur traverse le corps en laissant un grand trou. C’est ce que j’ai vu plus tard en les enterrant. Deux d’entre eux ont reçu une balle dans la tête, mais tous les autres avaient été tués d’une blessure au flanc. Plus tard, les Dozos ont pillé tout le village. Ils entraient dans des maisons et des boutiques et volaient du riz, du sucre, des médicaments, de l’argent, des bijoux et même des panneaux solaires. C’est peut-être la raison pour laquelle ils étaient venus avec des charrettes. Après le départ des Dozos, il a commencé à pleuvoir et nous avons enterré les nôtres dans une fosse commune.[99]
Autour du 30 août, dans le village peul de Meou situé à 30 kilomètres au nord de Djenné, une milice dozo a tué au moins neuf civils dont un garçon de 12 ans. Un témoin a décrit comment des dizaines de Dozos ont encerclé le village et ont commencé à tirer sur des villageois terrorisés. « Quatre villageois se sont jetés dans la rivière. Les Dozos les ont poursuivis, ils tiraient des rafales de balles dans l’eau. Allaye Bah, 12 ans, était dans l’eau avec son père. Ils l’ont chassé comme un poisson. Ils ont tué son père et quand Allaye est remonté à la surface pour respirer, ils ont tiré quatre fois dans l’eau. Sa tête est ressortie une nouvelle fois pour respirer, et c’est là qu’il a été touché par l’une des balles ». Le même témoin a ensuite expliqué comment les Dozos avaient pillé le village. « Ils m’ont volé mon panneau solaire et 100 000 CFA [172 dollars des États-Unis] que j’avais cachés dans ma commode ».[100]
Le 7 août, des Dozo auraient apparemment arrêté, pour les interroger, un groupe de 12 commerçants peuls qui allaient vendre leurs bêtes au marché de Sofara, à 57 kilomètres de Djenné. Les commerçants venaient de plusieurs villages des environs et ont été arrêtés alors qu’ils attendaient pour traverser la rivière Bani, près de Sofara. Quelques heures plus tard, les Dozos auraient tué 11 de ces hommes. Human Rights Watch s’est entretenu avec un témoin de ces meurtres et avec deux villageois qui n’ont pas assisté au massacre, mais qui étaient au courant de l’incident et qui ont enterré les morts. Le témoin des meurtres a déclaré :
Je faisais partie du groupe de marchands qui attendait pour traverser la rivière pour aller au marché de Sofara, quand un groupe de Dozos a commencé à arrêter des marchands de bétail peuls. Après en avoir arrêté une dizaine, un des Dozos a passé un coup de téléphone. Je l’ai entendu dire : « Venez, venez tuer ces chiens. » Un peu plus tard, vers 11 heures, un autre groupe de Dozos est arrivé sur des motos. Ils ont ordonné aux hommes captifs, qui avaient les yeux bandés, de s’éloigner un peu…. Alors qu’ils s’éloignaient, je les ai entendus dire : « On va vous envoyer en enfer, sur le champ. » Quelques minutes plus tard, ils ont séparé les hommes en groupes de deux ou de trois et leur ont ordonné de s’allonger. Et ils ont ouvert le feu sur eux avec leurs fusils de chasse, presque à bout portant.[101]
Un témoin qui a participé à l’inhumation des corps a raconté :
Les hommes qui ont été tués étaient des habitués du marché de Sofara. Tout le monde les connaissait. À 16 heures les habitants du coin m’ont dit qu’ils avaient entendu les coups de feu. Le lendemain matin, nous sommes allés voir et nous les avons trouvés – certains sur le dos, d’autres sur le côté, certains les yeux bandés… ils avaient reçu des balles dans la tête, la poitrine, la nuque. Onze corps au total. La gendarmerie de Sévaré est allée enquêter un jour après, et a autorisé l’enterrement. Les assaillants leur avaient volé leur argent et leurs téléphones.[102]
Le 25 juillet, des miliciens dozos ont attaqué la ville de Somena, à 15 kilomètres au nord de Djenné, tuant au moins 17 hommes peuls âgés de 30 à 70 ans, dont ils ont jeté les corps dans le puits du village. Abdoul Aziz Diallo, responsable de l’association culturelle peule Tabutal Pulaako, a déclaré dans les médias qu’il pensait que ce massacre avait été perpétré en représailles de l’explosion d’une mine terrestre dans la région quelques jours avant.[103]
Human Rights Watch a reçu une liste de noms des personnes décédées ainsi que des photos, et s’est entretenu avec deux témoins de Somena, qui ont tous deux déclaré avoir identifié plusieurs des assaillants comme étant des Dozos originaires des villages voisins.[104] L’un de ces deux témoins a expliqué :
Environ 50 Dozos ont envahi la ville juste après la prière, vers 15 heures. La panique s’est installée alors que nous courions pour sauver notre peau, dans nos maisons, dans la forêt, pour tenter de survivre. Ils étaient armés principalement de fusils de chasse ; je connaissais plusieurs d’entre eux de deux villages voisins. Quelques instants plus tard, nous avons entendu des coups de feu et, après le départ des Dozos, nous avons vu qu’ils avaient tué et jeté des habitants de notre village – 17 corps – dans le puits situé à 100 mètres du village. Il y avait du sang partout ; une traînée de sang menait jusqu’au puits. Le lendemain, nous avons alerté les gendarmes, qui ont envoyé les pompiers pour nous aider à remonter les corps afin de les enterrer.
Nous avons fui et vivons maintenant à Djenné, mais chaque mardi, jour de marché, nous voyons les hommes qui ont tué les nôtres se promener avec leurs fusils.[105]
Exactions commises par des groupes d’autodéfense dogons
Des témoins de 19 villages et hameaux des cercles de Bandiagara, Bankass, Douentza, Koro et Mopti ont fait état de plusieurs attaques perpétrées contre des villages peuls par des groupes d’autodéfense dogons, notamment Dan Na Ambassagou – attaques qui ont fait des dizaines de morts et de blessés parmi les civils. Les témoignages ci-après proviennent, entre autres, de Bombou, Gueourou, Komboko, Arjene, Samani, Pirga et Amba. Les attaques étaient généralement précédées d’efforts apparemment coordonnés de porter atteinte aux moyens d’existence de la communauté peule et s’accompagnaient d’incendies et d’opérations de destruction de villages et de hameaux.
Quatre villageois de Gueourou, dans le cercle de Koro, ont raconté comment, le 4 juin au matin, la milice Dan Na Ambassagou a ouvert le feu sur des dizaines d’habitants rassemblés dans la maison du chef de village pour un baptême, tuant au moins huit civils, dont un bébé d’une semaine et son grand-père. L’un des témoins a perdu son vieux père, un autre son frère. Selon eux, Guerourou est réputé pour l’abondance de son bétail et après l’attaque, ces témoins affirment que les miliciens ont pris plusieurs milliers d’animaux, des réserves de nourriture et des bijoux.
Le bilan de l’attaque de Gueourou reste incertain : un témoin dit a vu 10 corps dans et autour de la ville, un autre 14, et un autre a déclaré qu’il avait participé à l’enterrement de huit personnes : « Lorsque nous nous sommes enfuis, je les ai vu bloquer la route avec leurs motos et se mettre à tirer. Après l’arrivée de l’armée, nous avons enterré huit morts, parmi lesquels Adama, Hamadou, Ali, Almadou, Moussa… et l’enfant ». Une femme qui assistait au baptême a déclaré :
Nous étions une cinquantaine à assister au baptême, pour la plupart assis pour parler pendant que la famille préparait la nourriture. Soudain, une trentaine de chasseurs sont arrivés à moto dans le village. Ils se sont arrêtés devant l’assemblée, à environ 15 mètres, et ils ont ouvert le feu sur la maison du chef. Le grand-père a été tué, touché à la poitrine. Ils ont tiré sur ceux qui essayaient de fuir avec leur bétail. Au final, sept des personnes qui assistaient au baptême sont mortes, y compris le bébé. D’autres sont morts en essayant de fuir. La mère préparait à manger dans la maison et comme la hutte a pris feu très vite, elle n’a pas eu le temps de sauver son bébé qui a été brûlé vif. Nous n’étions pas armés… c’était un baptême ! La bénédiction n’avait pas encore été donnée et le bébé n’avait même pas encore reçu de nom.[106]
Deux témoins ont déclaré que le 8 septembre, 14 villageois étaient morts dans une attaque de Dan Na Ambassagou contre le village peul de Komboko, dans le cercle de Koro. Ils ont déclaré que sept villageois, y compris des femmes âgées et des enfants, avaient été brûlés vifs dans leurs maisons.[107] Un analyste des questions de sécurité a émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’une attaque en représailles d’une autre attaque de Peuls armés contre Gourty-Dogon, un village des environs, à la fin du mois d’août, au cours de laquelle un habitant dogon avait été tué.[108] Un témoin a déclaré :
Les Dozos sont arrivés à pied par le sud du village, qui est sur une colline et entouré de champs de mil, ce qui empêche de voir les personnes qui approchent. Tout a commencé vers 5h40 du matin, à l’heure ou le village se réveillait. Certains se préparaient à prier, et j’étais avec mes vaches dans l’enclos quand j’ai vu un groupe de Dozos lourdement armés de fusils et de kalachnikovs. Ils sont entrés et se sont mis à tirer dans tous les sens. J’ai rassemblé toute la famille et nous nous sommes enfuis avec tous ceux qui le pouvaient. Malheureusement, plusieurs personnes âgées et enfants n’ont pas pu suivre. Le feu a pris de l’ampleur et ils ont brûlé à l’intérieur. C’était horrible pour nous de revenir et de voir leurs corps calcinés après l’incendie. Nous n’avions pas de force d’autodéfense au village ; on ne s’attendait pas à cette attaque. Nous n’avons pas fait venir les djihadistes au Mali, nous ne sommes pas avec eux, mais maintenant, notre village est complètement brûlé et il est à l’abandon.[109]
Le 1er juillet, au moins 10 civils ont été tués dans une attaque du groupe d’autodéfense dogon Dan Na Ambassagou contre le village peul de Bombou dans le cercle de Koro. Trois témoins ont déclaré à Human Rights Watch que les victimes, dont huit étaient âgées de 61 à 94 ans et une était un garçon de 13 ans, sont mortes après que les forces d’autodéfense du village aient été neutralisées par plusieurs centaines de miliciens dogons lourdement armés. La grande majorité des habitants ont été évacués en toute sécurité pendant les combats, mais ceux qui n’ont pu ou n’ont pas voulu partir ont été exécutés ou brûlés vifs chez eux et dans la mosquée. Les témoins ont également affirmé qu’au moins deux membres blessés du groupe d’autodéfense peul du village avaient été exécutés par les miliciens dogons. Un témoin a déclaré :
La milice dogon est arrivée par vagues, des centaines d’individus armés de AK-47 et de mitrailleuses. Nos hommes ont tenté de défendre notre village, mais ils ont été dépassés. Ils ont emmené les femmes et les enfants en lieu sûr, mais certains ont refusé de partir… d’autres ne pouvaient pas se déplacer. C’était la panique, car les gens fuyaient pour sauver leur peau. Lorsque nous sommes revenus le lendemain matin, nous avons trouvé le village complètement brûlé, des corps dans la rue, dans les maisons et dans la mosquée. Une vieille femme qui ne pouvait pas marcher a été brûlée vive dans sa maison.[110]
Un autre témoin a raconté :
Lorsque les Dogons ont envahi le village, ils ont incendié toutes les rues, les unes après les autres. Quand mon oncle a essayé de s’enfuir, il a reçu une balle dans le pied et ne pouvait plus marcher. Je l’ai traîné jusqu’à chez moi, pensant qu’il serait en sécurité, et je l’ai laissé avec trois hommes âgés qui s’étaient réfugiés dans notre maison parce que les murs sont en béton. Mais quand je suis revenu, le lendemain, j’ai vu que mon oncle et d’autres hommes avaient été tués d’une balle dans la tête. J’ai vu quatre corps calcinés dans la mosquée… et un près de la porte de la mosquée, comme si la personne avait essayé de rentrer. Tous nos objets de valeur avaient disparu – ils étaient allés dans chaque maison pour prendre de l’or, de l’argent, puis ils ont brûlé nos réserves de nourriture, nos vêtements, nos maisons, et pris toutes nos bêtes – j’avais 37 moutons, trois ânes et 12 vaches. Il ne reste plus personne dans le village.[111]
Trois témoins du village de Samani, dans le cercle de Koro, ont décrit l’attaque perpétrée le 28 avril par une vingtaine de miliciens dogons qui auraient tué trois civils, incendié une centaine de structures et procédé au pillage de centaines d’animaux et d’autres biens. Un témoin a déclaré :
Ils ont tiré au hasard, avec leurs Kalachnikovs et leurs mitrailleuses, alors qu’ils traversaient le village. Le premier mort a été mon neveu de 22 ans, touché aux côtes alors qu’il rassemblait ses bêtes… Je suis sorti en courant et je l’ai traîné dans la maison ; c’est Dieu qui m’a sauvé des balles qui fusaient au-dessus de ma tête. Il a murmuré : « Je suis désolé père, je ne pourrai pas survivre à ça… ». Il est mort seulement dix minutes après. Ensuite Bockarie Barrie, 66 ans, tué à peine quelques mètres plus loin. Ensuite Boureima, 39 ans... Je l’ai vu tomber alors qu’il s’enfuyait. J’ai entendu les miliciens dire : « Nous vous chasserons de nos terres, vous les djihadistes ». Ils ont tiré sur nos huttes… et tout le village a pris feu. J’ai crié : « Nous devons partir maintenant…. Personne ne nous protègera. » Ils ont tout volé – j’ai perdu des sacs de millet et de riz, et 100 bêtes.[112]
Quelques jours après l’attaque de Samani, la milice dogon a menacé de tuer des civils dans la ville voisine de Yidiji. Un témoin a déclaré :
Cette guerre avec les Dogons au nom du djihad a commencé il y a trois mois. Après avoir incendié et tué les habitants de Samani, c’était notre tour. Trente d’entre eux ont traversé le village, tirant des coups de feu en l’air et criant « Partez ou nous tuons tous les Peuls. » Nous avons chargé nos chariots. Le chef Momodou et sa famille sont partis les premiers, mais nous avons entendu dire qu’il a été tué en chemin.[113]
Un témoin qui se trouvait avec le chef du village de Yidiji a ajouté :
Alors que nous fuyions le village, nous avons été arrêtés par trois Dogons en tenue traditionnelle de chasseur. Ils nous ont demandé de l’argent. Nous leur avons donné le peu que nous avions. Le chef nous a dit de continuer à marcher, ce que nous avons fait avec réticence. Alors que nous nous éloignions, nous avons entendu les Dogons demander plus d’argent. Puis nous avons entendu des tirs. C’est le seul habitant de notre village qu’ils ont tué. Les FAMA [l’armée] nous ont aidés à évacuer le corps le lendemain.[114]
Au moins 12 villageois peuls des hameaux autour du village de Ouenkoro, dans le cercle de Bankass, ont été tués par des miliciens lors de trois attaques les 16, 20 et 21 novembre. Deux de ces attaques ont été dénoncées par le maire de Ouenkoro, Cheick Harouna Sankare, dans un entretien avec Agence France Presse.[115] Un villageois du hameau de Pirga, qui a survécu à l'attaque du 21 novembre au cours de laquelle neuf villageois ont été tués, a déclaré à Human Rights Watch :
Vers 17 heures les Dozos (de Dan Na Ambassagou) sont arrivés sur plus de 20 motos en provenance de l’ouest. Ils ont tiré des leur arrivée. J'en ai reconnu quelques-uns du village voisin (identité non divulguée). Après que le calme soit revenu, nous sommes retournés pour enterrer les membres de notre famille - certains avaient reçu une balle dans la tête, d'autres à la poitrine ; nous avons trouvé un père et son fils brûlés dans leur maison.[116]
Plusieurs témoins ont décrit la façon dont des civils avaient été tués lorsque des miliciens s’étaient mis à tirer sans discernement et au hasard dans plusieurs villages. Un homme de 70 ans a ainsi décrit une attaque commise par des hommes qui semblaient appartenir à Dan Na Ambassagou dans le village d’Arjene, à 30 kilomètres de Koro. Il a déclaré : « Je les ai vus tirer sans distinguer où étaient les enfants ou les femmes. Je me suis enfui avec ma petite-fille et quand je suis rentré quelques jours plus tard, le village avait été incendié et quatre villageois étaient morts – dont un dans sa maison, et un autre sur le seuil de sa porte ». [117] Un chef local a déclaré à Human Rights Watch qu’il connaissait six civils qui avaient été tués et huit autres blessés dans cette attaque.[118]
Au moins deux civils sont morts dans des circonstances similaires au cours de l’attaque qui aurait été perpétrée par Dan Na Ambassagou le 19 juin sur Youro, dans le cercle de Koro. Un témoin a déclaré :
J’ai vu 40 motos avec deux Dogons armés sur chacune d’elles… ils ont commencé par le quartier des esclaves peuls [caste des Rimaïbé][119]. Les femmes rimaïbés se sont enfuies en courant vers notre côté du village alors que les hommes tiraient partout. Plus tard, j’ai vu deux femmes mortes, là où elles étaient tombées – une femme enceinte tuée près de chez elle, et une autre, de 80 ans, non loin de là. J’ai aussi vu trois miliciens encercler un jeune Peul blessé, qui défendait notre village. Ils l’ont tué à bout portant.[120]
Selon plusieurs personnes qui ont suivi de près les événements, certaines victimes d’attaques de moindre envergure avaient été spécifiquement visées par la milice. Un berger qui n’a pas assisté à l’attaque a raconté qu’il se rendait à l’enterrement d’un homme de 18 ans qui aurait été tué par la milice dogon pour ne pas avoir tenu compte de leur « ordre » d’abandonner leur hameau, situé près de Pique, dans le cercle de Koro :
Le père, effondré, m’a dit que, en avril, les Dogons avaient ordonné aux Peuls de quitter le hameau [nom non divulgué].… nous sommes près de la frontière avec le Burkina et ils disaient que les djihadistes infiltraient cet endroit. Un jour du mois de mai, des miliciens sont venus dans le hameau et ont vu le père et le fils qui fabriquaient des cordes pour leurs bêtes. Ils se sont mis en colère et ont demandé au père pourquoi ils n’avaient pas obéi aux ordres. À ce moment-là, le fils sortait des toilettes, et ils l’ont tué, juste pour faire souffrir sa famille.[121]
Dans une autre affaire, deux témoins peuls ont décrit le meurtre d’un homme et de ses deux fils âgés de 8 et 14 ans, commis en juin par des hommes armés dans le cercle de Bandiagara. Un sage dogon de la région a déclaré que le motif n’était pas clair mais qu’il soupçonnait que ces meurtres avaient été commis pour répondre à la présence croissante d’Islamistes armés dans leur région. Les massacres ont provoqué la fuite de familles peules de la région et renforcé les tensions ethniques, suite au vol de plus de 150 têtes de bétail appartenant aux Dogons – des vols qui auraient été commis par des habitants peuls qui fuyaient la zone. Un témoin a déclaré :
Vers 20 heures, le père allait chercher sa théière, et la mère des couvertures pour couvrir les enfants qui se préparaient à dormir dehors, lorsque soudain des tirs ont éclaté et deux hommes armés ont fait irruption dans la maison. Ils se sont tout de suite dirigés vers le mari et l’ont tué à bout portant. La femme a supplié : « Au nom de Dieu, épargnez ma famille. » Un des assaillants l’a frappée avec sa machette et a commencé à lui trancher la gorge, mais il a été distrait et elle a pu s’enfuir. Ils l’ont rattrapée, mais lui ont laissé la vie sauve en échange de quelques bijoux. Deux autres assaillants ont attaqué les enfants à l’extérieur, tranchant la gorge de ceux de 8 et 14 ans, et laissant pour mort celui de 17 ans. Nous ne pouvions pas voir comment ils [les assaillants] étaient habillés, mais ils parlaient dogon. Nous avions entendu parler de Peuls qui avaient été chassés de leur village, mais nous ne pensions pas que ça arriverait ici. De nombreux Dogons qui vivent ici ont essayé de nous aider, mais au final nous sommes tous partis.[122]
Des habitants des hameaux peuls de Plogro et Doulda Haidare, dans le cercle de Douentza, ont déclaré que des Dogons armés du village voisin de Douna avaient tué au moins 10 civils, y compris des femmes et des enfants, et avaient brûlé le hameau en guise de représailles suite au meurtre, le 6 janvier, d’un marabout dogon. Le marabout avait été enlevé à la fin du mois de décembre 2017 à Douna par des Islamistes armés.
Un témoin a déclaré : « Ils sont venus à moto et à pied et ont encerclé notre hameau de six familles peules. Ils nous ont dit de partir et ont ouvert le feu. Nous avons fui… quand nous sommes rentrés, il y avait beaucoup de morts ».[123] Un autre témoin a déclaré : « Je préparais du thé. J’ai entendu des cris d’enfants et des femmes qui disaient : Nous sommes perdus ! J’ai mis des chaussures, j’ai appelé ma femme et mes deux enfants et je me suis mis à courir. Ils ont tué tous ceux qui ne pouvaient pas courir ou qui pensaient n’être pas obligés de fuir parce qu’ils n’avaient rien à voir avec le djihadisme. Nous ne pouvons pas les empêcher de passer par notre village pour attaquer les Dogons, mais nous n’avons jamais comploté contre nos voisins ».[124]
Une femme chargée d’enquêter localement sur les droits humains a déclaré qu’elle avait documenté plusieurs meurtres de civils peuls après leur arrestation à des postes de contrôle improvisés tenus par des membres de Dan Na Ambassagou.[125] Un guide touristique dogon a déclaré : « J’ai vu plusieurs fois les milices faire descendre des Peuls des bus dans lesquels ils circulaient. Nous, nous reprenons la route, mais Dieu sait ce qui leur arrive à eux. J’ai peur pour eux, parce qu’en ville, j’entends la milice dire qu’ils ont éliminé des personnes aux points de contrôle. Ce n’est pas normal ».[126] Le chef d’un village, Koro, a fourni à Human Rights Watch les détails qui lui ont été rapportés sur un meurtre de ce type :
Le chauffeur, un bon ami à moi, m’a raconté qu’il avait été arrêté par des Dam Na Ambassagou près de Dioungani. Il a dit qu’ils avaient demandé à tous les Peuls de descendre et, plus tard, avaient laissé les femmes et les enfants remonter. Mais ils ont gardé deux hommes. Le chauffeur voulait attendre, mais les miliciens ont crié « Pars maintenant, ou on tire dans tes pneus ». Alors que le conducteur faisait demi-tour, il a vu les deux hommes se faire tuer. Il était vraiment bouleversé quand il me l’a raconté.[127]
Certains groupes maliens de défense des droits humains ont estimé que les attaques de plus en plus fréquentes perpétrées contre les Peuls et décrites ci-dessus constituaient une forme de peine collective contre ce peuple. [128][129] Selon un défenseur des droits humains, les dirigeants peuls pensent qu’on les accuse « d’avoir ouvert la porte à l’insécurité et à l’expansion de l’islamisme armé dans le centre du Mali ».[130]
Réponse des Bambaras et des Dogons aux accusations d’exactions
Human Rights Watch a interrogé 10 dirigeants et autres membres de groupes d’autodéfense bambaras et dogons. Parmi les personnes interrogées figuraient cinq hommes du Dan Na Ambassagou dogon, deux hommes dogons participant à des groupes d’autodéfense de villages et deux hommes appartenant à des groupes d’autodéfense bambaras.
Les dirigeants bambaras et dogons ont nié avoir commis des exactions contre des civils et ont insisté sur le fait que toutes les personnes tuées au cours de leurs opérations appartenaient à des groupes armés peuls. Ils ont déclaré qu’ils respectaient la vie des civils et s’appuyaient sur des règles sacrées et un code de l’honneur propre aux sociétés de chasseurs.
Un dirigeant de haut rang du Dan Na Ambassagou a déclaré : « Nous, les chasseurs, avons des règles internes, des règles sacrées… nous ne nous comportons pas comme des djihadistes ou des criminels et notre position est claire : nous n’attaquons pas, nous ne faisons que défendre ». Comme l’a expliqué un autre membre de cette confrérie : « Il est strictement interdit de s’attaquer aux femmes et aux enfants. Cela est prohibé par notre code de conduite interne ».
Un leader dozo a déclaré : « Les chefs dozos ont des valeurs ancrées dans le mysticisme et l’honneur. On attend d’eux qu’ils soient les gardiens du village, qu’il s’agisse de moralité, de vérité, d’intégrité et de conduite respectueuse à l’égard d’autrui. Nous ne faisons aucun mal aux femmes et aux enfants. »[131]
Plusieurs leaders de Dan Na Ambassagou et bambaras ont reconnu avoir pris part à plusieurs des attaques contre des villages peuls décrites dans le présent rapport. Mais ils ont insisté sur le fait que toutes les personnes tuées étaient des Islamistes armés : « Bien sûr, nous avons parfois attaqué leurs hameaux et incendié leurs villages, mais jamais sans provocation de leur part. Nous ne tuons jamais de personnes désarmées, et nous n’avons jamais tué, ni ne tueront jamais, de femmes ni d’enfants ».[132]
Trois hauts dirigeants du Dan Na Ambassagou ont néanmoins semblé justifier le meurtre de civils pendant ce type d’opérations. Un responsable politique a ainsi déclaré : « Si quelqu’un tue, ou a l’intention de tuer votre famille, votre cœur s’embrase, vous ne vous contrôlez pas. Les djihadistes ont tué des familles entières, incendié des villages… à quoi vous attendez-vous ? »[133]
Certaines remarques faites par ces dirigeants sur le traitement des prisonniers étaient préoccupantes. Ils se plaignaient notamment du fait que plusieurs membres présumés de groupes islamistes armés qui avaient été livrés aux services de sécurité maliens avaient ensuite été remis en liberté par les tribunaux. Interrogés par Human Rights Watch, les dirigeants de Dan Na Ambassagou ont semblé justifier le meurtre de personnes détenues dans le cadre d’opérations qu’ils avaient menées. [134] Comme l’a affirmé un commandant de haut rang : « Nous avions l’habitude de livrer les assaillants aux FAMA, mais nous nous sommes rendus compte que plusieurs d’entre eux, qui avaient brûlé nos villages et tué les nôtres, avaient été libérés. En conséquence, nous ne gardons plus les prisonniers. Nous les éliminons. »[135]
Un commandant dozo a raconté : « Nos chasseurs ont arrêté deux jeunes suspects. Nous avons appelé les gendarmes, mais deux jours plus tard, ils avaient été libérés. Les gendarmes nous disent : Ne tuez pas les Peuls... livrez-nous les suspects ! Mais honnêtement, s’ils persistent à libérer les djihadistes et à laisser partir les malfaiteurs, c’est à nous de prendre les choses en main. »[136]
Trois représentants de haut rang et deux miliciens ont accusé les Islamistes armés de se servir des villageois peuls comme de boucliers humains quand ils tiraient sur les milices dogons. Un dirigeant dogon a déclaré : « Si les djihadistes peuls sont prêts à se servir de leur peuple comme d’un bouclier pour nous tirer dessus depuis leurs huttes sans murs, on ne peut pas nous rendre responsables de la mort des civils ».[137] Un autre dirigeant dogon a déclaré : « Ils nous tirent dessus depuis leurs huttes minuscules et utilisent leurs femmes et leurs enfants comme boucliers humains. S’ils meurent de la sorte, est-ce notre faute ? »[138]
Comme l’a déclaré un autre milicien : « Nous ne visons pas les femmes et les enfants, mais si vous autorisez les djihadistes à rester dans les villages, voilà ce qui arrive. Au lieu de nous accuser d’avoir tué des civils peuls, ils devraient nous dire où se cachent les djihadistes. »[139]
Abus contre les civils dogons et bambaras
Depuis quand nous haïssons-nous ? Nous étions des frères qui faisions tout ensemble. Je vous en prie, faites quelque chose pour arrêter ce bain de sang.
–Chef d’un village dogon, juillet 2018
En 2018, Human Rights Watch a documenté 16 attaques commises par des hommes peuls armés dans les cercles de Koro et de Douentza, lors desquelles 46 civils dogons ont été tués. Les assaillants ont aussi détruit et pillé des villages et volé du bétail. Parmi les personnes tuées se trouvaient un marabout, et des villageois chargés de ramasser le bois, de travailler les champs et d’apporter de la nourriture dans leur village. Plusieurs villageois dogons ont été brûlés vifs dans l’incendie de leur village par des miliciens peuls, et une dizaine de civils dogons ont été tués par des engins explosifs improvisés.
D’après les témoins, les auteurs des attaques seraient des membres de groupes islamistes armés agissant en coordination avec des villageois membres de groupes d’autodéfense peuls, appartenant notamment à l’Alliance pour le salut au Sahel (ASS). Plusieurs des attaques meurtrières documentées ci-dessous ont déclenché des représailles tout aussi meurtrières contre les communautés peules voisines Peuhl décrites précédemment.[140]
Un leader dogon a affirmé que plusieurs leaders de village avaient été tués par des islamistes armés depuis 2016, notamment des maires, des chefs de village et des conseillers communautaires. « C’était toujours le même modus operandi : des assassinats par des hommes peuls armés à moto », a-t-il décrit.
Des leaders dogons ont donné à Human Rights Watch la liste des 41 hameaux et villages dogons ayant été abandonnés par leurs habitants en raison de la violence.[141] Un responsable de la communauté Dogon a déclaré à Human Rights Watch que son groupe avait documenté l'assassinat par des hommes peuls armés de 35 civils dans le cercle de Koro en 2018, de 74 civils entre 2012 et 2018 dans le cercle de Douenzta, et de plusieurs autres dans les cercles de Bankass et de Bandiagara. Un membre d'une organisation humanitaire Dogon a fourni une liste de 27 personnes Dogon tuées lors d'attaques armées depuis 2015, mais parmi lesquels se trouvaient plusieurs membres de groupes d’autodéfense dogons.
Selon des villageois et des leaders communautaires dogons, des islamistes armés auraient transité par leur village depuis l’occupation du nord du Mali par des séparatistes touaregs et des groupes islamistes armés en 2012-2013, mais ils n’auraient commencé à commettre des abus contre les Dogons qu’à partir de 2015 environ. Ils ont présenté le meurtre, en juillet 2015, de six villageois dogons près de Niangassadiou, village situé à 15 kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso (fait précédemment documenté par Human Rights Watch[142]), comme un tournant dans leur relation avec la communauté peule.
Plusieurs personnes ont affirmé que les abus et l’augmentation du banditisme par les groupes armés peuls depuis 2015 avaient causé une « rupture totale » des relations communautaires avec « nos Peuls » et n’avaient fait qu’aggraver le cycle de la violence. Selon elles, la présence d’islamistes du Burkina Faso et du Niger, qui ont peu d’intérêt à entretenir de bonnes relations communautaires, ont contribué à ces abus. « Nous étions habitués à ce qu’ils viennent prier dans nos mosquées, en groupes de six ou huit, mais maintenant ils nous tuent, a déclaré un sage dogon. Nous pensons que les djihadistes modérés ne contrôlent plus la situation. Bon nombre de leurs hommes ne viennent même pas du Mali. »[143]
Un jeune leader dogon a déclaré :
Les djihadistes sont présents ici depuis 2012, mais jusque-là ils étaient bienveillants. Ils ont essayé de nous recruter, mais nous leur avons répondu : « Non, c’est bon. Nous sommes déjà musulmans ». Mais, à partir de 2015, certains Peuls de chez nous ont commencé à rejoindre leurs rangs. Les islamistes sont devenus plus agressifs, plus criminels. Ils ont menacé les imams dogons pour qu’ils changent leurs pratiques : ne plus célébrer les mariages et les baptêmes, arrêter de fumer, rejeter l’État et tout ce qui vient des Blancs, puis ils ont commencé à nous tuer.[144]
L’ONU a documenté des attaques contre les communautés dogons et bambaras par « des milices JNIM et fulanis (peules) ». Selon le communiqué du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en date du 17 juillet 2018, « Rien qu’entre le 7 et le 10 juillet, la MINUSMA a relevé cinq attaques sur des civils de ces communautés dans les régions de Djenné et de Koro, ayant causé au moins sept décès. Dans la plupart des cas, les victimes ont été tuées alors qu’elles travaillaient dans les champs. »[145] Dans son rapport du 25 septembre 2018 sur la situation au Mali, le Secrétaire général des Nations Unies faisait état d’une attaque menée par l’ASS, le 8 juillet 2018, dans le village de Dioungani, cercle de Koro, qui a fait quatre morts parmi les civils dogons.[146]
Meurtres dans les villages de Douna, Saberé et des autres villages
Quelques incidents lors desquels des civils dogons ont été tués ont déclenché de lourdes représailles de la part des milices dogons contre la communauté peule, ainsi qu’un cycle meurtrier d’opérations punitives menées par des hommes armés des deux communautés sur des civils. Le meurtre d’un marabout au village de Douna, dans le cercle de Douentza, en janvier 2018, et l’attaque de Sebaré, dans le cercle de Koro, en mars 2018, font partie de ces incidents.
Quatre témoins du village de Douna ont décrit les événements ayant entouré l’exécution, début janvier 2018, de Moussa Onguiba, marabout de 23 ans, qui avait été enlevé par des islamistes armés fin décembre 2017. Un témoin a déclaré :
Les djihadistes sont arrivés après le coucher du soleil. Certains ont pénétré dans le village et d’autres sont restés à l’extérieur … Leur visage était caché par leur turban ; ils avaient des armes lourdes, des ceintures de munitions qu’ils portaient sur leur poitrine et des gilets d’assaut. Ils se sont dirigés vers la maison du marabout ; le jeune Moussa était le fils d’un marabout très respecté. Ils ont tiré en l’air et ont dit à Moussa « On a besoin de toi » avant de le forcer à monter sur une moto. Sa famille et sa femme pleuraient. Nous pensions tous qu’ils allaient le sermonner parce qu’il utilisait des talismans … Nous pensions qu’ils allaient le ramener.[147]
Un autre témoin a ajouté : « Environ une semaine plus tard, des femmes parties chercher du bois à quelques kilomètres du village ont trouvé son corps près d’un baobab. Les sages ont ramené son corps. Je suis allé à son enterrement. Ses poings avaient été liés et il avait reçu une balle dans la tête. ».[148]
Suite à cet enlèvement de fin décembre 2017, des villageois dogons ont séquestré, interrogé puis tué deux islamistes armés qui s’étaient retrouvés séparés des autres. Selon un homme dogon :
Après leur avoir enlevé leur turban, nous les avons identifiés comme étant des nôtres, des Peuls du hameau voisin de Plogro, avec qui nous avions mangé, dormi et vécu depuis des générations. Ils ont été interrogés pour savoir avec qui ils travaillaient et où ils étaient basés, et on s’est occupé d’eux. Plus tard, nous avons chassé les Peuls de leur hameau pour qu’ils ne puissent plus nous attaquer.[149]
Ces meurtres ont déclenché un cycle d’attaques punitives dans le cercle de Douentza, qui ont frappé plusieurs villages pendant des mois.
En mars 2018, au moins 12 civils, dont plusieurs femmes et enfants, ont péri dans deux attaques que les Dogons attribuent à des hommes peuls armés affiliés à des groupes islamistes armés autour du village de Saberé, dans le cercle de Koro. Selon des leaders dogons et peuls, ces faits ont largement contribué à la cascade d’attaques perpétrées en 2018. Lors de ces attaques, le village a été incendié et pillé et le bétail volé. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux témoins des attaques, dont l’un a perdu sa femme et ses enfants. Au moins quatre civils auraient été tués lors de la première attaque, le 8 mars. Un témoin a déclaré :
L’attaque a eu lieu pendant la nuit et tous ceux qui ont pu s’échapper l’ont fait. Ils ont brûlé les greniers et volé toutes les vaches et les chèvres, tous les chameaux. Dans une maison, une femme et un enfant d’environ cinq ans… ils sont retournés à l’intérieur pour se protéger, et ils n’ont pas pu ressortir. Dans une autre maison, nous avons trouvé deux corps. Pour nous, tous nos voisins peuls sont devenus des djihadistes. Nos problèmes avec les Peuls ont commencé à Saberè.[150]
Trois villageois ont expliqué à Human Rights Watch que, lors de la deuxième attaque le 18 mars, des Peuls armés sont revenus pour attaquer Saberé et trois villages voisins, Yourou, Am et Poundourou. Selon eux, huit civils auraient été tués lors de ces attaques, dont certains qui auraient péri dans leur maison et deux hommes âgés, à Saberé, qui ont été tués par balle alors qu’ils tentaient de fuir les affrontements. « Ils sont venus en force cette fois-là, a déclaré un témoin. Plus de 50 motos et deux pickups remplis d’hommes et d’armes, pour brûler tout ce qu’ils n’avaient pas brûlé lors de la première attaque. »[151]
Début février, des islamistes armés auraient tiré sur des villageois de Niangassadiou, dans le cercle de Douentza, alors qu’ils ramassaient du fourrage pour leurs animaux, tuant cinq personnes dont trois enfants âgés de 12 à 15 ans. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux témoins, dont l’un a été blessé lors des faits. Selon un témoin :
Dès qu’on allait dans la brousse, on se faisait attaquer par les djihadistes. Mais nos animaux devaient vraiment manger alors nous sommes partis, un grand groupe d’une centaine de personnes, pour chercher du fourrage. Vers 9 heures du matin, nous sommes arrivés dans un endroit où poussait de l’herbe et nous avons commencé à la couper. Tout d’un coup, nous avons entendu un grand vacarme et j’ai vu un groupe d’hommes armés de fusils et qui portaient des vêtements militaires et des boubous. Je les ai entendus dire « Qui êtes-vous ? » en langue peule. Nous étions encerclés au nord, à l’ouest, au sud et à l’est. Nos enfants sont partis en courant et c’est là que les hommes ont ouvert le feu, en tuant cinq … Les enfants étaient tous de la même famille. Nous étions quelques-uns à posséder une carabine, mais nous n’avons pas tiré les premiers, nous avions tellement d’enfants avec nous ! J’ai vu les morts … l’un a été touché à la poitrine, un autre à la tête, et un autre a reçu une balle près de l’œil. Plus tard, les gens armés ont brûlé de nombreux chariots.[152]
En juin, des hommes peuls armés dont on pense qu’il s’agissait d’islamistes ont enlevé, et tué deux jours plus tard, un fermier qui vivait dans un hameau près de Toikana, cercle de Douentza. Il s’agissait d’une opération de représailles : deux membres de la famille de la victime ont affirmé que ce meurtre a été commis quelques jours seulement après une confrontation entre des Dogons et des Peuls, laquelle a précédé le meurtre punitif d’un fermier peul par un Dogon. Selon un témoin :
Vers 5 heures, après la prière du matin, quatre hommes armés sont venus sur des motos. Nous n’avons pas de porte, ils ont donc pu entrer facilement. Ils ont dit « Viens, on a besoin de toi, on t’emmène ». Il a supplié « Pitié, ne me tuez pas dans ma maison ». Sa femme les a implorés, en disant qu’il était bon avec tout le monde. Ils lui ont dit de se taire. Cela s’est passé juste après un affrontement entre des Peuls et des Dogons à Gassel. Nous avons reconnu la voix de certains des assaillants. Nous les connaissons bien : ce sont les Peuls qui ont rejoint les rangs des djihadistes qui ont fait ça.[153]
Un enseignant dogon a décrit le meurtre, en novembre 2017 d’un fermier de 70 ans, Ousman Onguiba, dans un village proche de la frontière avec le Burkina Faso :
Je ne sais pas pourquoi ils s’en sont pris à lui. Pour nous c’est un homme simple qui gagne sa vie en fabriquant de la ficelle et des cordes. Ils sont arrivés sur trois motos à 18 heures, et lui ont dit « Couche-toi. Couche-toi tout de suite ». Ils ont tiré une fois sur lui et une autre à l’aveugle, blessant des jeunes du village. Ensuite, ils sont repartis très vite.[154]
Le 17 mai, Kadiry Onguiba, fermier dogon de 34 ans, a disparu alors qu’il était parti chercher du bois à quelques kilomètres de Tiguila, un village entouré de hameaux peuls dans le cercle de Douentza. Le lendemain, une vingtaine de villageois ont organisé une battue ; deux d’entre eux ont été tués lorsque le groupe est tombé sur ce qui semblait être un camp d’islamistes armés. Kadiry Onguiba est toujours porté disparu. Un témoin a déclaré :
Nous nous sommes enfoncés profondément dans la brousse et avons laissé la majorité du groupe derrière nous. Certains avaient des fusils de chasse. Nous avons désigné un petit groupe de personnes plus âgées pour continuer, en espérant pouvoir plaider en faveur de la remise en liberté de Kadiry. Un groupe important de djihadistes lourdement armés est alors apparu ; il était certain qu’il s’agissait d’un camp rebelle. Ils ont pointé leurs armes vers nous et nous ont forcés à nous asseoir. Ils ont dit que les Dogons n’avaient pas le droit d’être là et que nous allions tous mourir. Quinze minutes plus tard, nous avons entendu des coups de feu : ils avaient trouvé le groupe que nous avions laissé en arrière. Ils ont alors ouvert le feu et deux d’entre nous ont été tués. Nous n’avons jamais retrouvé Kadiri, mais nous avons vu son chariot … il est certainement tombé sur ce même camp djihadiste, tout comme nous, et a été tué.[155]
En mai, des islamistes armés ont attaqué et incendié Ibi-Kara, un hameau Dogon, Koro cercle. Un témoin a déclaré :
En fin d’après-midi, un large groupe est arrivé sur des motos, en tirant en l’air avec des armes lourdes (nous n’avons pas ce type de fusils) … Nous nous sommes enfuis. Grâce à Dieu, personne n’est mort, mais ils ont volé neuf motos, des charriots, des ânes, 46 vaches, 370 moutons et chèvres… tout ce qu’ils ont pu prendre. Je courrais, mais j’ai pu les voir incendier le village avec de l’essence. Les maisons, les greniers, les boutiques, tout a brûlé. Nous les connaissons … ils étaient du village d’à côté. Ce sont des bandits, mais formés par les dhijadistes.[156]
Trois témoins ont affirmé que, le 14 août 2018, un convoi de villageois rentrant avec des stocks de vivres et des dons de nourriture pour surmonter la grave crise alimentaire qui frappe le village de Tiguila est tombé dans une embuscade tendue par des islamistes armés. Six villageois ont été tués. D’après les témoins, le convoi était escorté par plusieurs membres du groupe d’autodéfense du village. Un villageois blessé lors des faits a déclaré :
Le 13 août, nous sommes allés de Tiguila à Niangassadiou car nous n’avions plus rien à manger dans notre village. La famine avait causé des morts et beaucoup de maladies. On nous avait dit que des ONG et le gouvernement allaient distribuer de la nourriture à Niangassadiou le lendemain, qui était jour de marché. Cela a commencé à 13h45, alors que nous retournions chez nous sur nos tricycles à moteur avec notre cargaison, quand nous sommes tombés dans une embuscade tendue par un groupe de djihadistes équipés d’armes lourdes, de fusils de chasse et même, pour certains, de machettes. Ceux chargés de nous défendre ont répliqué et il y a eu un gros affrontement. Finalement, ils nous ont volé toutes les denrées qu’on nous avait données, et tout ce que nous avions acheté : du sucre, de l’huile, de l’essence pour nos motos, tout. Ils ont tué six personnes et en ont blessé huit. Nous ne partions pas pour la guerre, nous ramenions de la nourriture dans notre village.[157]
Le 5 octobre, au moins quatre villageois dogons ont été tués et cinq autres blessés lorsque leur convoi de chariots a été la cible de tirs provenant d’un groupe d’hommes peuls armés affiliés à des groupes islamistes armés alors qu’ils revenaient de Djoulouna, dans le cercle de Douentza. Parmi les victimes se trouvaient au moins deux enfants malades qui étaient allés se faire soigner. Le convoi était escorté par plusieurs membres de groupes d’autodéfense de villages locaux, qui se trouvaient à moto à l’arrière du convoi. Human Rights Watch s’est entretenu avec trois témoins, dont un membre de la famille de l’enfant de deux ans qui a été blessé à l’abdomen. L’un des témoins a déclaré : « Nous étions partis de Banai et de Toikana pour chercher des marchandises et recevoir des soins. Vers 15 heures, sur le chemin du retour, des assaillants nous ont tiré dessus alors que nous traversions une zone boisée…. Deux enfants d’environ 13 ans sont morts… ces enfants étaient malades, deux ont été tués et le petit de deux ans a été blessé à l’abdomen. »[158]
Des habitants locaux ont déclaré que deux commerçants dogos du village d'Endeme – Ali Aldo Niangaly, 53 ans et Allaye Diadio Tolo, 36 ans – avaient été tués et une troisième personne, une femme, blessée, lors d’une embuscade commise par des Peuls armés alors qu'ils revenaient d'un marché local à Madougou, dans le cercle de Koro, le 19 novembre 2018.[159] Un chef de la communauté dogon a indiqué que quatre autres civils qui roulaient sur des tricycles motorisés avaient été tués dans le cercle de Koro lors d'une embuscade similaire le 10 novembre 2018.[160]
Plusieurs villageois ont décrit des faits lors desquels sept fermier et commerçants locaux ont été tués par des personnes ressemblant à des islamistes armés. Ces villageois n’avaient pas été témoins des meurtres, mais pensaient que leurs auteurs étaient des islamistes car les victimes n’avaient pas été détroussées, ce qui laisse penser que le motif était autre que le vol ; ces meurtres avaient eu lieu dans un contexte de grande tension intercommunautaire entre les Dogons et les islamistes armés ; d’autres villageois avaient vu les victimes détenues par des hommes qui semblaient être des islamistes armés ; dans un cas, les islamistes avaient reconnu que les meurtres étaient dus à l’indiscipline d’un de leurs hommes.
Un homme a décrit les événements entourant le meurtre de son père, âgé de 60 ans, commis mi-mai 2018 à Douentza :
Mon père est parti à la recherche de son frère, qui n’était pas encore rentré au village avec ses chameaux. Quelques heures plus tard, des femmes qui revenaient du marché m’ont dit : « J’ai vu des djihadistes qui forçaient ton père à monter sur leur moto ». Elles ont reconnu les djihadistes grâce à leurs vêtements. Nous avons retrouvé son corps un peu plus tard, à quelques kilomètres du village. Il avait une blessure par balle à la main, comme s’il avait prié pour sa survie, et une autre au cou. On lui avait bandé les yeux avec son turban. Ils n’ont rien volé. Il n’était pas armé. Pourquoi lui ?[161]
Civils dogons tués par des engins explosifs improvisés
Selon des leaders de la communauté dogon du cercle de Douentza, environ dix villageois dogons ont été tués par des engins explosifs improvisés qui auraient été délibérément plantés par des islamistes armés pour les éloigner de leur communauté. Human Rights Watch s’est entretenu avec des personnes qui avaient retrouvé les corps de huit villageois tués lors de quatre incidents distincts impliquant des engins explosifs improvisés.
Pour appuyer l’idée que les responsables étaient des islamistes armés, des villageois dogons ont évoqué la rare présence des services de sécurité gouvernementaux sur les routes et aux dates des attaques (des jours de marché ou proches des jours de marché). « Les militaires sont rarement présents sur ces routes, voire jamais », a déclaré un leader de la société civile. « Les villages sont isolés, et ils n’effectuent pas de patrouilles depuis leur base de Mondoro. »[162]
Un sage dogon a déclaré : « Aucun doute, ces mines sont destinées à nous punir. Les FAMA ne vont jamais sur ces voies. Les explosions ont eu lieu sur des routes que nous empruntons souvent, pour aller au marché et en revenir ; sur des routes qui relient nos villages. Les Peuls ne meurent pas de faim ou en sautant sur des mines, nous oui. Quelle conclusion devons-nous en tirer ? »[163]
Comme évoqué ci-dessous, les engins explosifs improvisés ont gravement nui au commerce et ont contribué à la crise alimentaire dans le cercle de Douentza. Des leaders dogons se sont plaints que, du fait des attaques avec des engins explosifs improvisés, les villageois avaient extrêmement peur de se rendre sur les marchés locaux.
Un marabout qui avait aidé à évacuer les morts et les blessés après deux explosions d’engins explosifs improvisés en juin 2018 a déclaré :
La scène était horrible. Le tricycle [à moteur] avait quitté Banai pour livrer du pétrole à Niangassadiou et il était sur le chemin du retour. Le conducteur… son corps a été déchiqueté de la poitrine jusqu’aux pieds. La tête de l’homme assis à côté de lui a été détruite. Le troisième a perdu son bras gauche. Et juste quelques semaines plus tard, pas très loin de là, un autre a touché un charriot qui ramenait du millet au village et tué deux autres villageois.[164]
Un villageois de Banai a déclaré avoir vu les restes d’un chariot tiré par une mule qui avait roulé sur une mine le 2 août près de son village, tuant un commerçant. Un villageois de Dioulouna a déclaré que deux hommes avaient été tués par un engin explosif improvisé le 21 septembre près de son village, là aussi, dans le cercle de Douentza : « Le vendredi, comme chacun le sait, est le jour de marché à Djoulouna. Les FAMA ne viennent pratiquement jamais par ici. Le 21 septembre, vers 10 heures, nous avons entendu une explosion entre Banai et Djoulouna. …Nous sommes allés voir ce qui s’était passé, et là j’ai vu deux hommes jeunes, mutilés et morts. Leur moto avait roulé sur une mine. »[165]
Attaques contre des civils bambaras dans le cercle de Djenné
Depuis début 2018, Human Rights Watch a documenté plusieurs attaques qui auraient été perpétrées par des groupes islamistes armés contre des Bambaras et d’autres civils dans la région de Mopti. Cependant, comme expliqué dans la partie contexte ci-dessus, la plupart de ces attaques auraient ciblé des collaborateurs du gouvernement appartenant à tous les groupes ethniques ; il semblerait donc qu’elles ne soient pas liées aux tensions communautaires sous-jacentes.
En 2018, il semblerait que peu de civils bambaras aient été tués dans le contexte de la violence communautaire ou dans le cadre de représailles. Toutefois, plusieurs hommes bambaras ont été tués alors qu’ils travaillaient dans des champs quelques jours ou semaines après des attaques de Dozos sur des civils peuls. Plus de dix civils, y compris des Bambaras, ont été tués dans au moins cinq explosions d’engins improvisés dans le cercle de Djenné, notamment en juillet, lorsqu’un engin explosif improvisé a tué des civils et détruit deux chariots entre Dorobougou et Sofara.
Civils portés disparus à la suite de violences communautaires
Quand les tirs ont commencé, les enfants se sont mis à courir, vite, vers la forêt. Une fois que les assaillants se sont enfuis, ils sont sortis de leur cachette et sont revenus chez eux. Mais certains, dont mon premier garçon, ne sont jamais revenus.
- Villageois peul du cercle de Koro, juillet 2018.
Des familles et des sages de cinq villages ont fourni à Human Rights Watch des listes contenant les noms de personnes portées disparues, 51 au total, alors qu’elles fuyaient ou avaient été capturées par des miliciens dogons ou bambaras dans d’autres circonstances. La grande majorité de ces personnes étaient des Peuls, et parmi elles se trouvaient de nombreux enfants.
Parmi les personnes portées disparues se trouvent neuf enfants qui n’ont pas été vus depuis l’attaque du 1er juillet attribuée à la milice dogon à Bombou ; dix hommes capturés par la milice Bambara aux alentours de Koumaga ; 14 personnes, dont au moins quatre enfants, portées disparues après l’attaque de Gueuerou, et 13 habitants qui ont disparu près du village de Tagari, dans le cercle de Koro. Deux hommes dogons sont toujours portés disparus, y compris un habitant de Tiguila qui n’est pas rentré chez lui après être allé chercher du bois près de son village ; on craint qu’il ait été exécuté par des islamistes armés.
Des sages du village de Koumaga ont dit que les trois hommes capturés lors de l’attaque des Dozos le 23 juin étaient toujours portés disparus. On est également sans nouvelles de sept hommes originaires des environs du village de Dodala, à 10 kilomètres de Koumaga, capturés le 24 juin par un grand groupe de Dozos. Deux villageois ont donné à Human Rights Watch une liste d’hommes portés disparus, recherchés dans des centres de détention tenus par les gendarmes, la police et l’armée. Selon eux, ces hommes sont âgés de 40 à 80 ans. Un villageois peul a déclaré :
Aux alentours de 9 heures du matin, des dizaines de Dozos sont arrivés deux par deux à moto et ont fait irruption dans la partie peule du village. Ils sont restés 30 minutes et sont passés de maison en maison. J’ai reconnu plusieurs Dozos qui appartenait à la communauté bambara du village, et d’autres portaient des masques. Ils ont arrêté quatre membres de notre famille et en ont relâché un, un homme d’affaires, après l’avoir détroussé. Aux autres ils ont crié : « Monte, monte ! » et ils ont emmené sept hommes avec eux. J’ai entendu l’un d’entre eux dire « Louanges à Dieu, chaque [Peul] mort est un djihadiste de moins ». En voyant cela, nous nous sommes tous enfuis … Nous avons appris qu’ils étaient revenus le lendemain pour voler nos animaux, notre riz et même les portes de nos maisons. Nous avons cherché ces hommes partout sans pouvoir les retrouver.[166]
Deux villageois de Bombou ont déclaré que neuf enfants âgés de 7 à 14 ans ont disparu le 1er juillet lors de l’attaque de leur village par la milice dogon. Le père d’un garçon de sept ans a déclaré : « Les enfants sont partis avec les animaux lorsque [le village] a commencé à brûler. Depuis, je n’ai pas revu mon fils. »[167]
Quatorze villageois, dont un homme d’environ 70 ans et au moins quatre enfants, ont disparu début juin 2018 après l’attaque par les Dan Na Ambassagou du village de Gueuerou, dans le cercle de Koro. Un villageois a fourni à Human Rights Watch une liste des disparus. Un homme dont le fils de 16 ans fait partie des disparus a déclaré :
Pendant l’attaque qui a eu lieu le jour du baptême, nous nous sommes tous enfuis, et une fois le calme revenu nous n’avons pas pu trouver 14 des nôtres. Nous avons appelé l’armée qui est finalement venue deux jours plus tard. Ils nous ont emmenés, nous étions tout un groupe, dans un convoi de quatre camions de l’armée pour les chercher. Nous sommes allés dans tous les villages environnants parmi lesquels dix localités dogons ; quand nous sommes passés ils se sont cachés et tout ce que nous avons vu ce sont les carcasses des vaches qu’ils avaient abattues, pendues et en train de sécher. Personne à qui poser des questions, seulement les vaches qui séchaient. Le premier jour nous sommes allés de village en village, et nous avons recommencé le deuxième jour, mais nous n’avons jamais retrouvé leur trace.[168]
Dix-sept personnes, dont plusieurs adolescents, vivant près de Birga (Tialogol-Belco), cercle de Koro, sont parties de chez elles avec leurs bêtes le 4 juillet ou aux environs de cette date. « Il n’y avait pas de nourriture, peu d’eau et nous avions peur, donc elles ont décidé de partir pour un endroit plus calme où les bêtes pourraient paître. Elles nous ont appelés alors qu’elles étaient en chemin les premiers jours, puis elles n’ont plus répondu au téléphone », a déclaré le proche d’un disparu.[169] Après avoir été capturées par un groupe d’autodéfense des villages de Toroli et de Tensagou, quatre personnes, dont des enfants, ont réussi à s’échapper alors que les treize autres restent portées disparues. Une des trois personnes qui se sont échappées a déclaré à Human Rights Watch :
Nous sommes 17 à avoir quitté le village avec 40 vaches, 177 chèvres et moutons, et 11 ânes, en voyageant de nuit car nous craignions d’être attaqués. Aucun d’entre nous n’était armé. Nous nous sommes perdus en chemin, et, alors que nous nous cachions, nous sommes tombés sur des Dogon dans leurs champs, qui ont appelé leur milice. Six hommes armés sont arrivés, nous ont traités de chiens et nous ont battus. Ils ont pris nos animaux, et pendant qu’ils ligotaient les adultes j’ai sauté par-dessus la clôture et j’ai pu m’enfuir. J’ai passé une semaine dans la brousse à chercher mon village, en buvant de l’eau mais sans manger. Nous avons été quelques-uns à réussir à prendre la fuite, mais nous n’avons pas vu les autres.[170]
Deux sages du village ont dit penser que ces 13 personnes avaient été tuées puis jetées dans un puits découvert début juilletprès du village de Tagari, dans le cercle de Koro.[171] L’un d’eux a expliqué :
Ils ne répondaient plus quand on les appelait au téléphone, alors nous avons demandé aux FAMA de nous aider à les retrouver. Les Dan Na Ambassagou sont partout et c’était trop risqué pour nous d’y aller seuls. Les FAMA nous ont transportés, nous les villageois, pendant des heures et à plusieurs endroits à la recherche de traces des disparus. Nous sommes allés à Baye, Kologo, Ekanga, Tensagou, demandant à chaque fois : « Avez-vous vu un groupe de Peuls avec leurs troupeaux ? » Sur le chemin du retour, les soldats ont vu des vautours voler au-dessus de Tagari, et ont fait demi-tour pour savoir pourquoi. Nous avons utilisé nos turbans pour couvrir notre bouche car l’odeur qui sortait du puits était horrible… il y avait des turbans et des chaussures éparpillés. Je crains que ce soit là que se trouvent les membres de nos familles.[172]
Le cas des villageois dont on pense qu’ils ont été tués et jetés dans un puits à Tagari a été mentionné dans le rapport du Secrétaire général des Nations Unies du 25 septembre 2018 sur la situation au Mali.[173]
Trois hommes peuls capturés par des Dozos début 2018 dans le village à majorité bambara de Gagna, situé à 10 kilomètres de Djenné, sont toujours portés disparus. Un proche a affirmé à Human Rights Watch avoir reçu des informations crédibles selon lesquelles ces hommes avaient fini par être remis aux services de renseignement du pays et restaient, au moment de la rédaction de ce rapport, placés en détention. Ils n’ont pas pu voir leurs familles ni un avocat.
Violences communautaires, déplacements et famine dans la région de Mopti
Nous n’avons rien, nous sommes malades et nos enfants ont faim, nous n’avons pas de troupeau ni de terre. C’est comme s’ils nous avaient jetés dans un puits en enlevant la corde.
– Chef de village peul du cercle de Koro, juillet 2018.
Impossible de s’éloigner de nos fermes de plus d’un kilomètre sans se faire attaquer. Nos troupeaux ont été volés, nous n’avons plus accès aux marchés, le commerce est paralysé, les routes sont minées. Nos stocks de nourriture sont épuisés. Les habitants meurent de faim dans les villages ; déjà cinq morts cette semaine.
– Chef de village dogon du cercle de Douentza, juillet 2018.
D’après les Nations Unies, plus de 10 000 habitants de la région de Mopti ont été contraints de fuir leurs domiciles en 2018 à cause de la violence communautaire. [174] Selon le Haut Commissariat aux droits de l’homme (OHCHR), cette violence a entraîné « de nombreux déplacements de la population civile, déjà vulnérable en raison d’un manque de protection et de services sociaux de base fournis par l’État ».[175]
La grande majorité des déplacés dans la région de Mopti venaient des cercles de Koro et de Douentza, de villages proches de la frontière avec le Burkina Faso, et du cercle de Djenné. Bon nombre de leurs villages ont été incendiés soit pendant une attaque, soit après le départ des habitants.
Le chef du village de Briga-Peul a affirmé que les attaques par des groupes d’autodéfense dogons avaient contraint plus de 3 000 civils peuls d’une dizaine de villages à chercher refuge dans son village. Selon lui, ils craignaient de quitter le village pour cultiver les champs ou chercher de la nourriture.[176]
En août, un groupe d’aide humanitaire travaillant dans le cercle de Koro a envoyé à Human Rights Watch une liste de 41 hameaux dogons dont les habitants avaient été « tirés hors de chez eux sans avoir le temps de prendre quoi que ce soit ».[177] Les habitants de plusieurs villages dogons situés dans les cercles de Koro et de Douentza, en particulier dans des zones proches de la frontière avec le Burkina Faso, ont décrit comment ils avaient été forcés à fuir, parfois après avoir été directement menacés par des groupes islamistes armés majoritairement peuls.
Trois agents d’autorités locales ont envoyé à Human Rights Watch des listes de 23 villages et nombreux hameaux peuls dont les habitants étaient partis de chez eux après avoir été menacés par des groupes d’autodéfense bambaras et dogons.[178] Parmi ces villages, on en compte sept complètement détruits par les Dan Na Ambassagou dans le cercle de Koro ; 11 villages et hameaux dont les habitants avaient été contraints de partir de chez eux par un groupe d’autodéfense dogon dans le cercle de Douentza,[179] et cinq hameaux dont les résidents avaient été forcés à partir par des miliciens bambaras dans le cercle de Djenné.[180]
Human Rights Watch a interrogé de nombreuses personnes vivant dans des camps improvisés sordides à Bamako, Sofara, Sévaré et Bandiagara. « Nous n’avons rien, pas de terres à cultiver, nos vaches ont été volées, nous survivons en envoyant nos enfants mendier », a confié un habitant peul du village de Koporo-Pen déplacé à Sévaré.[181]
Destructions de moyens de subsistance par des groupes d’autodéfense
Des dizaines de Peuls, de Dogons et, dans une moindre mesure, de Bambaras venant de plus de 40 villages et hameaux ont décrit ce qui semblent être des actions organisées par le camp adverse et ses groupes d’autodéfense pour détruire leurs moyens de subsistance et les forcer à quitter leur village.
De nombreux villageois peuls ont rapporté que des groupes d’autodéfense dogons et bambaras les avaient soumis à un « embargo », autrement dit qu’ils les avaient empêchés de vendre ou d’acheter des marchandises sur des marchés. Plusieurs chefs peuls et dogons ont affirmé que les membres de leur communauté avaient été tenus à l’écart et contraints de subir ce qu’ils appellent « un blocus » par les groupes de défense de la communauté adverse, qui selon eux avaient menacé ou attaqué des personnes qui faisaient paître leurs bêtes ou travaillaient dans les champs. Plusieurs chefs dogons ont déclaré que des villages entiers s’étaient tout bonnement vu interdire de cultiver leurs champs. Bien que les dynamiques diffèrent légèrement d’une communauté à l’autre, le résultat est le même : d’importantes difficultés économiques et une crise alimentaire.
« Embargo » sur les villageois peuls
Des villageois et chefs peuls ont affirmé que les pressions subies pour quitter leur village ont commencé approximativement en février 2018 et ont fait suite au meurtre de civils et de membres de groupes d’autodéfense dogons que ces derniers ont attribué à des groupes islamistes armés. Tous ont décrit un enchaînement de faits ayant commencé avec « l’embargo », suivi de menaces directes, puis d’attaques, et souvent de l’incendie de leur village.
L’épouse d’un chef de village du cercle de Koro a déclaré : « ils n’ont pas vraiment pointé leurs armes sur nous en disant "partez". Lorsque nous allions au marché, les Dogons nous disaient : "Vous les Peuls, vous entretenez la présence des djihadistes dans nos villages et vous devez partir". »[182]
Les membres de groupes d’autodéfense dogons étaient plus directs. Une femme travaillant sur le marché d’un village du cercle de Koro a déclaré : « Lorsque les miliciens m’ont vue au marché, ils s’en sont pris à moi en disant "Nous avons interdit à vos maris de venir au marché. Pourquoi es-tu là ? Vous ne faites qu’acheter et vendre pour les nourrir et nourrir les djihadistes. Va-t’en tout de suite !" ».[183]
Dans d’autres cas, l’ « embargo » a été décrété par un chef local. Une femme travaillant sur un marché du cercle de Koro a déclaré : « Le chef du village, un Dogon, est venu nous voir en disant "N’allez pas au marché ou les Dozos vous tueront !".[184] Nous avons répondu : "Ne sommes-nous pas aussi des habitants de ce village ? N’êtes-vous pas le chef du village ?" Il n’a pas répondu. À partir de ce jour, nous avons eu trop peur d’aller au marché, et la famine a commencé. »[185]
De nombreux villageois peuls ont affirmé que leurs amis dogons les avaient avertis qu’ils ne devaient pas se rendre sur les marchés locaux : « Souvent, nos amis dogons venaient discrètement dans notre camp le soir pour nous dire "Demain, n’allez pas au marché car la route sera barrée par la milice". »[186]
Une femme peule travaillant au marché a ajouté : « Nous connaissions ces femmes dogons depuis toujours ; certaines ont pleuré quand nous sommes partis. Elles disaient que les ordres venaient d’ailleurs. Nous n’avons jamais vu les djihadistes, et pourtant ils sont la cause de toute cette confusion, de toute cette souffrance. »[187]
De nombreux Peuls ont expliqué que des villageois et chefs dogons semblaient opposés aux actions des miliciens dogons. Un villageois de Koro a déclaré : « Un mois après l’embargo, le maire a dit "J’ai peur pour votre peuple ; nous sommes tous Maliens, mais vous devez partir. Nous ne pouvons plus vous protéger." Après que nous soyons partis, ils ont incendié ma maison, mes réserves de céréales, et volé mon chameau, mes ânes, mes moutons, mon chariot et ma moto. »[188] Un autre villageois peul de Koro a déclaré :
La première fois que nous avons vu les miliciens, c’était en février. À chaque fois ils étaient plus nombreux, et avec toujours plus d’armes. Ils venaient la nuit, ce qui était terrifiant, et menaçaient les hommes, en particulier les jeunes. Nous gardions les enfants à l’intérieur et une nuit, le chef dogon, qui était fermement opposé à tout ça, a conseillé à mon mari de partir pour ne jamais revenir … c’était trop dangereux. Je suis restée pour m’occuper de notre maison, je n’arrivais pas à me résigner à quitter le village où j’avais grandi. J’ai emménagé chez le chef, mais les dix derniers jours je n’ai pas pu aller au marché, puis finalement je n’ai plus pu sortir de la maison. Le chef m’a dit : « Il n’y a pas de solution à ce problème. Je ne peux pas te protéger ».[189]
Blocus, engins explosifs et malnutrition au sein des communautés dogons
Selon des leaders de la communauté dogon, des groupes islamistes armés et des groupes d’autodéfense peuls auraient soumis leur communauté à des blocus. Ils ont expliqué que ces groupes auraient « interdit » aux villageois dogons de faire des plantations ou de travailler leurs terres, et d’après eux, de nombreux hommes dogons auraient été tués en le faisant. Ils ont affirmé que ce blocus avait engendré des difficultés économiques majeures et conduit à une crise alimentaire dans de nombreux villages.
Un leader de jeunes dogon a déclaré : « Nous survivons grâce à nos stocks de millet mais, hier, ma mère m’a dit que notre stock serait bientôt épuisé. Les gens meurent littéralement de faim dans nos villages. »[190] Un sage dogon vivant dans le cercle de Koro a déclaré : « Depuis mai, ce sont les islamistes qui font la loi dans la brousse. Ils nous empêchent de cultiver nos terres et volent nos animaux. Nous sommes terrifiés à l’idée d’aller dans nos fermes. »[191]
Un habitant du village de Douna, cercle de Douentza, a confié à Human Rights Watch : « Depuis janvier, après que les djihadistes ont tué un jeune marabout de notre village, ils nous empêchent de cultiver nos terres et volent nos animaux – nous sommes affamés et fatigués. »[192]
Un homme d’affaires dogon venant d’un village proche de Saberé a expliqué que les difficultés économiques avaient poussé sa famille à fuir son village :
Après l’attaque de Saberé, les Peuls ont appelé les doyens dogons de notre partie du village et ont dit que nous devions partir. Nous pensons que ce sont les jeunes qui avaient rejoint les rangs des djihadistes qui étaient derrière tout ça. Nous avions déjà été la cible d’un embargo ; ils nous empêchaient d’aller au marché local de Douna Pen. Mais lors de cette réunion, ils ont dit : « C’est clair, nos peuples sont en guerre. Vous devez partir ». Ma famille est partie le lendemain, et les autres ont suivi. Aujourd’hui, il ne reste pas un poulet dogon dans notre village.[193]
D’autres ont expliqué qu’ils avaient dû parcourir de longues distances pour éviter des hameaux peuls dans lesquels ils imaginaient des hommes armés prêts à les attaquer. Un fermier de Dioulouna, grand village dans le cercle de Douentza, a déclaré : « le seul moyen de faire du commerce est d’aller vers le sud, au Burkina Faso. Mais même hier, des Dogons ont été arrêtés par des hommes peuls armés au Burkina Faso qui leur ont dit qu’aucun Dogon ne passerait. »[194]
Comme expliqué ci-dessus, les villageois dogons pensaient que des groupes islamistes armés avaient placé des engins explosifs improvisés sur des routes locales pour cibler les marchands dogons se rendant sur les marchés ou en revenant.
Dans le cercle de Douentza, une « maladie mystérieuse » caractérisée par des oedèmes et des furoncles, et que certains avaient au départ attribué à l’empoisonnement de puits par des islamistes armés[195], a été identifiée au mois d’août par des agents de santé maliens comme étant des symptômes de malnutrition aigüe, dus à « une pénurie alimentaire liée au conflit intercommunautaire dans la commune de Mondoro ».[196]
Depuis août 2018, dans trois villages et de nombreux hameaux comptant une grande partie d’habitants dogons, la malnutrition a causé, selon un rapport du gouvernement
consulté par Human Rights Watch, 224 cas de maladie et 35 décès, pour la plupart des Dogons.[197]
Vol de bétail généralisé
Les deux communautés ont décrit des vols d’animaux généralisés qui ont précipité des cycles de représailles meurtrières et ont eu des conséquences économiques et alimentaires désastreuses. Une dizaine de chefs de village représentant tous les groupes ethniques ont montré à Human Rights Watch un décompte des animaux volés dans leur village, les chiffres atteignant souvent plusieurs milliers.
De nombreux hommes peuls ont expliqué à Human Rights Watch qu’ils avaient essayé désespérément, et souvent en vain, de rassembler leurs bêtes quelques minutes avant d’être chassés de leur village par des miliciens dogons et bambaras. Une personne a confié : « Pour nous, nos vaches, c’est toute notre vie, notre source de nourriture pour nos familles, de l’argent qu’on met à la banque, sans elles nous ne sommes rien et nous ne pouvons pas survivre. »[198]
Plusieurs villageois du cercle de Koro ont déclaré avoir parcouru des centaines de kilomètres jusqu’à Bamako pour chercher les bêtes qu’on leur avait volées. Un éleveur a accusé des miliciens dogons de lui avoir volé 103 vaches, alors qu’un autre a affirmé que 1 000 animaux avaient été volés dans son village de Guererou. « J’ai perdu 100 vaches ; 200 moutons et de nombreuses chèvres. Je n’ai retrouvé que deux vaches. » Ces deux hommes ont retrouvé quelques-uns de leurs animaux à Bamako et ont dit que les gendarmes locaux avaient arrêté des marchands dogons qui avaient tenté de les vendre.[199]
Une dizaine de villageois dogons ont également déclaré s’être fait voler leur bétail. Un fermier a expliqué que, lors d’une attaque dans son village au mois de mai, « ils ont pris 205 chameaux, 240 vaches, 500 moutons et des centaines d’ânes. »[200] Un habitant du village d’Ibi a confié : « En mai, les Peuls ont volé des centaines de nos bêtes et de nouveau, fin septembre, ils ont volé plus de 400 vaches de chez nous, près de Madougou. La situation est très tendue. »
De nombreux autres villageois dogons ont rapporté que, alors que les tensions communautaires s’intensifiaient, des éleveurs peuls à qui ils avaient confié leurs animaux pour s’en occuper avaient volé les bêtes lorsqu’ils (les Peuls) avaient fui la région.
Citations diverses : Points de vue sur la justice à l’égard des violences communautaires Sans justice, comment lutter contre la récidive, contre le désir de vengeance des familles de ceux qui ont été tués. J’ai peur que tout cela continue tant que l’injustice reste à l’ordre du jour. – Un leader de jeunes, octobre 2018 Nous avons tous la vengeance dans nos cœurs. Si justice n’est pas rendue, comment pouvons-nous procéder à la réconciliation ? -Leader de jeunes dogon, septembre 2018. Les pauvres n’obtiennent jamais justice. Au Mali, cela n’arrive tout bonnement jamais ; nos peuples ne sont plus. Nous nous en sommes remis à Dieu. – Fermier bambara, juillet 2018 Un Peul n’obtient pas justice. Nous sommes des gens simples, des gens pauvres ; ils vont demander de l’argent que nous n’avons pas, nous ne savons plus quoi faire maintenant. – Un vendeur d’animaux, juillet 2018 Les meurtres et l’anarchie ont créé un climat de « ni foi ni loi ». – Un sage d’une localité dogon, juillet 2018 Vingt-trois personnes ont été abattues comme des moutons ce jour-là. Les Dozos qui ont fait ça nous inspirent de la terreur. Nous voulons qu’ils soient arrêtés, car c’est la seule façon de mettre un terme à tout cela. – Un villageois, juillet 2018 Beaucoup de personnes rejoignent les Dozos parce qu’ils sont à la recherche de l’or et des vaches des Peuls plus qu’autre chose. Les meurtres et les pillages ne cesseront pas tant qu’on en n’arrêtera pas quelques-uns. – Le sage d’un village, mai 2018 Pour être honnête, si l’État avait arrêté ne serait-ce que quelques-uns de ces gens, un message clair serait passé … mais il ne l’a pas fait, et les atrocités se sont poursuivies. – Un fonctionnaire gouvernemental, juillet 2018 Deux jours après les meurtres, des ministres et des responsables se sont rendus en délégation à la fosse commune, ont présenté leurs condoléances et ont déclaré que les Dozos n’auraient pas dû tuer ces vingt personnes de notre communauté. Depuis, rien. – Un villageois peul, juillet 2018. Il y a tout le temps des meurtres. Hier encore, deux personnes ont été tuées par balle alors qu’elles emmenaient un proche à l’hôpital. Rien au monde ne nous permet d’espérer qu’une enquête soit menée. – Un villageois bambara, 2017 Nous voulons la paix, nous voulons que les choses redeviennent comme avant, nous ne voulons pas que les Dogons souffrent et soient tués ; nous ne voulons pas non plus que les Peuls souffrent et soient tués. Nous voulons juste revenir en arrière, au temps où nous étions frères. – Un chef dogon, juillet 2018 |
Rôle du gouvernement du Mali
En 2018, la situation a failli dégénérer en guerre civile ; c’est la logique prévalente, selon laquelle les armes sont la solution, qui m’inquiète le plus. La violence ne peut pas résoudre des problèmes qui trouvent leur origine dans l’absence de justice, le manque de sécurité, les fonctionnaires irresponsables, la mauvaise gestion des ressources naturelles décroissantes, la pauvreté et le manque d’éducation. Si cela continue, la région entière risque d’être détruite et cela ne fera que consolider l’action des djihadistes, qui seront les vrais vainqueurs.
—Modi Diallo (décédé depuis), mai 2018
Presque toutes les personnes avec qui nous nous sommes entretenues dans le cadre de ce rapport ont exprimé de profondes inquiétudes relatives à la détérioration de la situation en matière de sécurité et à l’augmentation du nombre d’attaques meurtrières dans le centre du Mali en 2018. Pour elles, le gouvernement malien n’a pas réussi à protéger les civils vulnérables et à demander aux membres des groupes d’autodéfense des deux camps auteurs de graves abus de rendre des comptes.
Un membre du Parlement qui a pris part à la délégation de mars 2018 chargée d’enquêter sur la montée de la violence a fait remarquer que les membres de tous les groupes ethniques ayant participé aux violences avaient les mêmes griefs à l’encontre du gouvernement : « Tous se sont plaints de la lenteur de la réponse apportée par l’armée dans les situations d’urgence. Tous ont demandé le désarmement. Et tous se sont plaints de l’absence d’enquête sur les meurtres et les autres crimes commis. »[201]
Un leader communautaire a fait remarquer : « Quelle que soit son origine, la violence communautaire vit aujourd’hui d’elle-même. Le nombre d’attaques, de morts et de déplacés a atteint un niveau alarmant…et ça ne s’arrête plus. ».[202] D’après un travailleur humanitaire, « plus les choses empirent, plus cela devient difficile d’essayer de stopper le cycle de la présence djihadiste et des représailles dans la région ».[203]
Les personnes qui ont répondu à nos questions ont décrit de nombreux efforts déployés par les autorités nationales, régionales et locales, par la mission de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies et par des organisations non gouvernementales, dont le Centre pour le dialogue humanitaire[204] et World Vision, pour mettre un terme aux violences meurtrières basées sur les représailles, réconcilier les communautés et s’attaquer aux problèmes à l’origine de l’insécurité. Durant une grande partie de l’année 2018, des leaders communautaires, des universitaires et des représentants du gouvernement ont fait part de leurs inquiétudes car, comme l’a formulé un universitaire, « rien ne semble fonctionner ».[205]
De manière plus générale, la plupart des personnes interrogées estimaient que le gouvernement devait agir rapidement et sans prendre parti pour protéger les civils, ramener la sécurité et demander des comptes aux auteurs des exécutions et d’autres crimes.
Entamer un processus de désarmement et exiger des auteurs d’abus qu’ils rendent des comptes : des engagements non tenus
En 2018, la démarche adoptée par le gouvernement à l’égard des auteurs de crimes s’est traduite par des menaces d’arrestation et de poursuites mais également par des efforts de réconciliation sans qu’un aspect judiciaire ne soit apparemment évoqué. En mars, face à la montée de la violence communautaire, le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga et une délégation gouvernementale menée par le ministre de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale, composée d’ONG de premier plan, de parlementaires et de leaders de villages des communautés dogon et peule se sont rendus dans la région de Mopti en réponse à la détérioration de la situation sécuritaire.[206]
Au cours d’une visite effectuée seul le 25 mars, le Premier ministre, M. Maïga, a promis de « désarmer de gré ou de force les milices qui détiennent des armes de guerre »[207], y compris celles possédant des permis et des fusils de chasse traditionnels. En outre, à l’occasion de rencontres avec des habitants des villages, le gouvernement s’est engagé à déployer des milliers d’agents des forces de sécurité dans la région afin d’assurer la sécurité et de mener des enquêtes sur les actes de violence communautaire.[208]
Le gouvernement n’a pas du tout honoré ses promesses. « La promesse que le gouvernement nous a faite était claire, a expliqué un fonctionnaire gouvernemental peul. Ils ont fait un communiqué disant que seule l’armée pouvait posséder des armes ; le ministère de la Justice a dit que quiconque désobéirait serait poursuivi. C’était clair. C’était précis. Nous avons applaudi. Nous étions soulagés. Mais pas plus tard que la semaine suivante, les Dozos ont recommencé. ».[209]
De nombreux leaders dogons et peuls ont déclaré que les attaques contre leur communauté s’étaient en fait intensifiées après les déclarations du gouvernement du mois de mars[210]. Beaucoup des faits dont le présent rapport rend compte se sont déroulés après les promesses du mois de mars.
Abdoul Aziz Diallo, président de l’association culturelle peule Tabital Pulaaku, a déclaré : « Malgré les promesses et les engagements du gouvernement…il est clair que la situation s’aggrave. » Il a ajouté que la communauté peule « se réservait le droit de se défendre contre toutes les attaques venant de n’importe quelle milice »[211].
Après le massacre en juin d’environ 25 civils peuls à Koumaga, dans le cercle de Djenné, une délégation gouvernementale s’est déplacée à la rencontre de la communauté et s’est une nouvelle fois engagée à enquêter[212]. Un communiqué daté du 23 juin et publié à la suite des meurtres annonce qu’un détachement de soldats envoyés en renfort « procédera au désarmement de tous les détenteurs d’armes à feu dans ladite localité » et répète la promesse de poursuivre les personnes impliquées dans les faits.[213] Cependant, à l’heure de la rédaction du présent rapport, des membres de la communauté ont dit à Human Rights Watch qu’ils n’avaient constaté aucun signe laissant penser qu’une enquête serait menée relativement à ces faits ou aux autres graves abus commis par les groupes d’autodéfense.
Au mois d’octobre, le gouvernement semblait s’être détourné de la démarche visant à exiger des auteurs d’abus qu’ils rendent des comptes. Le 27 septembre, le responsable du personnel des Dan Na Ambassagou, M. Toloba, a signé un accord négocié grâce à un processus soutenu par le Centre pour le dialogue humanitaire au nom du gouvernement et appelant à la paix entre les communautés peule et dogon, ainsi qu’à l’arrêt des violences communautaires, notamment les meurtres, les actes de pillage et le vol de troupeaux.[214] [215] Le 2 octobre, le Premier ministre M. Maïga a rencontré des leaders des Dan Na Ambassagou et a promis d’aider les membres de groupes d’autodéfense à profiter du programme gouvernemental « Désarmement, Démobilisation et Réinsertion » (DDR), et d’aides financières pour commencer une activité lucrative.[216]
À propos du cessez-le-feu, un jeune leader communautaire de la région de Mopti a déclaré : « Sans justice, j’ai peur que le cessez-le-feu ne soit mort-né, car seule la justice peut briser le cycle de la vengeance. »[217] Un enseignant peul a observé : « Les milices ne sont-elles pas récompensées pour tous leurs meurtres et leurs actes de destruction ? Après tant de violences mortelles, tant de meurtres, aucune enquête, pas de justice, pas de dédommagement. C’est comme si la vie d’un Peul n’avait pas de valeur. »[218]
Le 22 novembre, Dan Na Ambassagou a annoncé son retrait de l’accord de cessez-le-feu de septembre, à la suite d'un affrontement avec l'armée et de plusieurs attaques meurtrières qui ont causé la mort de civils peuls et dogons. [219]
Partialité de la réponse à la violence communautaire
Des sages et des leaders communautaires peuls, des diplomates et des travailleurs humanitaires internationaux ont exposé plusieurs facteurs remettant en question l’impartialité de la réponse du gouvernement à la violence communautaire dans le centre du Mali. Le premier est le fait que les forces de sécurité n’ont pas désarmé les miliciens auteurs d’abus. Le deuxième est le fait que les forces de sécurité ont appliqué avec partialité une mesure datant de 2018 interdisant l’utilisation de motos pour les déplacements entre les villages de la région de Mopti (comme mesure de sécurité). Selon eux, cette interdiction a rarement été appliquée en ce qui concerne les groupes d’autodéfense bambaras et dogons. Le troisième facteur est l’absence de réponse des autorités aux demandes d’aide des communautés peules lorsqu’elles subissaient des attaques.
Des leaders peuls ont, entre autres, fait part de leurs inquiétudes concernant un possible soutien du gouvernement aux groupes d’autodéfense dogons et bambaras, la manière dont ils obtenaient leurs armes et la raison pour laquelle la justice n’avait que faiblement progressé dans les enquêtes relatives aux crimes graves commis par ces groupes.
Déplacements des groupes d’autodéfense avec des armes, au mépris de l’interdiction visant les motos
Des dizaines de villageois, parmi d’autres témoins, ont dit avoir vu des membres de groupes d’autodéfense dogons et bambaras avec des armes à feu après l’ordre de mars 2018 donné par le Premier ministre interdisant à quiconque, à l’exclusion des membres des forces de sécurité, de posséder des armes à feux. Les miliciens ont souvent été vus avec leurs armes sur des motos, lesquelles, depuis 2017, faisaient l’objet de deux interdictions du ministère de la Défense ayant pour but de contrer la propagation des groupes islamistes armés, qui utilisent fréquemment des motos pour se rendre d’un village à un autre dans le centre du Mali.[220]
Des villageois ont décrit avec précision comment des membres de groupes d’autodéfense, par groupe de deux à presque 100 personnes et visiblement équipés d’armes d’assaut militaires et de fusils de chasse, se déplaçaient à pied dans les villes, les villages et les marchés, tenaient des points de contrôle, contraignaient des personnes à descendre des transports publics, vérifiaient les cartes d’identité, dirigeaient des fouilles de maison en maison, passaient en conduisant des véhicules devant les locaux de la gendarmerie, de l’armée et de la police, et discutaient avec des membres des forces de sécurité.[221]
Un chercheur en sciences sociales qui se déplace fréquemment sur les routes du cercle de Koro a déclaré :
Ces quatre derniers mois, je vois régulièrement la milice dogon tenir des checkpoints à l’entrée et à la sortie de chaque village. Ils arrêtent les voitures et font des contrôles d’identité comme s’ils étaient des policiers. Le gouvernement a dit que tous les hommes armés devaient être désarmés, et pourtant ils laissent faire ; ils sont coupables d’accepter, si ce n’est de soutenir, les milices. Hier encore, alors que je me rendais à Yorou, je suis passé devant plusieurs Dogons armés dans chaque village.[222]
Un homme peul déplacé après l’attaque du 1er septembre au cours de laquelle 12 hommes peuls ont été tués par des Dozos à Dankoussa, dans le cercle de Djenné, a dit :
C’est inconcevable … Les Dozos, dont j’ai vu certains membres tuer des personnes il y a quelques jours de cela, viennent à Djenné à moto, malgré l’interdiction, et ils se déplacent à pied dans Djenné les jours de marché, à la vue de tous … Ils se promènent et passent devant le bureau du préfet et du juge, devant la gendarmerie : des agents de l’État qui savent qu’ils ne devraient pas être armés, et pourtant ils sont là ![223]
Début 2018, le sage d’un village a expliqué avoir vu « environ 50 Dogons armés sur leurs motos traverser Koro, avec des armes La route passe devant le camp des gendarmes. Ils se rendaient à leur camp d’entraînement dans la montagne. C’est l’État qui est en faute, il ne traite pas tout le monde de la même manière. »[224]
Une autre personne a décrit ce qu’elle a vu mi-2018 dans la ville de Bankass :
Il y a de cela environ trois mois, j’ai vu un groupe d’une centaine de membres de milices dogons sur un grand nombre de motos, dont certains avec des armes, s’arrêter devant le camp militaire aux environs de 7 ou 8 heures du matin. Quelque temps après, ils sont partis, selon nous vers leur camp d’entraînement sur la falaise. À 16 heures, nous les avons vus revenir en traversant Bankass pour retourner dans leurs villages. Nous ne savons pas de quoi ils ont parlé avec l’armée, mais ça aurait pu être l’opportunité de les désarmer ![225]
Un vendeur d'animaux du cercle de Koro a déclaré :
À partir du mois de février, ils [les miliciens Dogons] ont érigé des checkpoints. … Si nous voulions les éviter, il fallait faire des détours de plusieurs kilomètres. Il y a quelques semaines, j’ai été arrêté à l’entrée de Koporo Pen et plus tard à Diangatene. Ils étaient des dizaines, avec leurs fusils de chasse : 10 ici, 5 là. Ils m’ont demandé ma carte d’identité (…) l’un d’eux a dit qu’il fallait m’emmener, mais un autre, avec qui j’ai grandi, a dit « Laissez-le passer ». J’étais terrifié.[226]
Des membres de groupes d’autodéfense de villages peuls se sont demandé pourquoi il est arrivé que l’armée du Mali leur confisque leurs armes et pas celles des groupes d’autodéfense dogons ou bambaras des villages voisins. Un habitant du village de Bombou a témoigné :
Avant la septième attaque des Dogons contre notre village, les FAMA ont désarmé sept des nôtres … ils passaient par là et ont trouvé certaines de nos sentinelles qui faisaient le guet. Lorsque, ce jour-là, les FAMA ont rencontré le chef du village, nous avons demandé pourquoi ils avaient pris nos armes et pas celles des Dogons. Les Dogons nous ont attaqué, une fois de plus, et ont tué plusieurs de nos femmes et de nos enfants. Ils ont toujours leurs armes.[227]
Un diplomate européen a déclaré : « Nous avons démarché le gouvernement à propos de son incapacité à désarmer les milices et ce qui apparaît comme étant une absence d’impartialité dans l’application de l’interdiction des motos ; très clairement, cette interdiction ne s’applique pas aux Bambaras et aux Dogons, qui jouissent d’une totale liberté de mouvement. »[228]
D’après un analyste de la sécurité européen, « Le décret de l’armée du mois de février était clair : pas de circulation autorisée pour les motos. Point. Et pourtant, nous voyons les miliciens passer devant les bases militaires, traverser la ville en passant devant le siège de la gendarmerie. Pourquoi cela est-il permis alors que la violence et les meurtres intercommunautaires augmentent ? »[229]
« Tout cela nous pousse à croire que le gouvernement tolère, voire coordonne, ou encore pire, collabore avec les Dozos », a ajouté un autre analyste de la sécurité.[230]
Au cours d’un entretien avec Human Rights Watch en juillet, des leaders communautaires et des dirigeants de milices ont reconnu l’ultimatum du gouvernement concernant le désarmement ; ils avaient tous connaissance de l’interdiction relative aux motos imposée début 2018. Cependant, ils ont refusé de se soumettre aux règles. « Rendre les armes reviendrait à nous exposer aux massacres. Nous ne le ferons pas, a expliqué un milicien. La présence continue des djihadistes et leurs attaques répétées contre nous signifient clairement qu’ils n’ont pas été désarmés. Dans ce cas, comment le pourrions-nous ? », a demandé un autre.[231]
En mai et juillet, quelques leaders communautaires dogons ont déclaré qu’ils avaient demandé au gouvernement de remplir plusieurs conditions en contrepartie du désarmement et du respect de l’interdiction des motos, mais que celles-ci n’étaient pas encore remplies.[232] La première condition est le déploiement de l’armée en grand nombre, l’établissement de bases dans des villages stratégiques exposés aux attaques, et le maintien de la sécurité dans tout le pays dogon. S’ils ont reconnu les efforts récemment déployés par l’armée pour établir des camps dans le cercle de Koro, ils les ont qualifiés de « symboliques » et ont dénoncé la lenteur de leur délai de réponse. La deuxième condition est un programme de développement visant à améliorer les routes, la fourniture d’eau et d’électricité et offrir des opportunités d’emploi. Ils ont remarqué que le conflit de 2012 et la présence des groupes islamistes armés avaient anéanti l’industrie du tourisme et favorisé le chômage. « Le gouvernement a investi des millions dans le nord, mais ils nous ont oubliés. »[233] La troisième condition porte sur l’inclusion des Dogons dans un programme de désarmement, de démobilisation et de démobilisation.
Un milicien dogon a déclaré : « L’armée n’est tout simplement pas là. Nous ignorons si c’est l’essence ou la volonté de défendre qui leur manque ou autre, mais une chose est sûre : si on nous tue, on ne va pas rester là les bras croisés. Nous allons nous défendre. Nous savons aussi que la solution sur le long terme est une armée professionnelle et plus forte. »[234]
Allégations de soutien de l’État aux milices dogons et bambaras
Comme évoqué précédemment, d’après des leaders peuls, le gouvernement malien fournirait des armes, des munitions et un appui logistique et financier aux milices dogons et bambaras. Human Rights Watch n’a pas pu confirmer ces allégations ; cependant, quelques miliciens ont déclaré avoir reçu, parfois recu un soutien officieux de la part de certains membres du gouvernement agissant indépendamment, dont des membres des forces de sécurité. Les allégations en question méritent une enquête plus approfondie.
Des membres de groupes d’autodéfense dogons et bambara ont dit à Human Rights Watch qu’ils possédaient des armes d’assaut militaires semi-automatiques mais ont nié les allégations selon lesquelles ils auraient reçu ces armes, ou n’importe quelles autres armes, du gouvernement malien. Cependant, ils ont déclaré avoir demandé à plusieurs reprises le soutien du gouvernement pour chasser les islamistes armés de leurs zones d’action et ont critiqué le gouvernement pour ne pas leur avoir apporté un appui.
Plusieurs membres des Dan Na Ambassagou et un leader dozo ont affirmé que toutes les armes, à l’exception des fusils de chasse qu’ils avaient en leur possession, avaient été prises à des islamistes armés. Un membre des Dan Na Ambassagou a déclaré : « Personne ne nous aide ! Nous récupérons les armes des terroristes qui s’enfuient, que nous tuons ou que nous capturons. Nous en avons obtenu un grand nombre après avoir renversé l’un de leurs gros camps près de la frontière avec le Burkina Faso. »[235]
Deux dirigeants de haut niveau des Dan Na Ambassagou et un leader dozo ont expliqué à Human Rights Watch que, en 2017, en l’absence de soutien par le gouvernement du Mali, ils avaient sollicité des fonds pour armer et soutenir leur organisation auprès de membres, notamment des hommes d’affaires, des communautés Dogon et Bambara. Ils n’ont pas fourni de détails sur le soutien reçu mais ont évoqué des « dons » faits par un petit nombre de membres des forces de sécurité et de fonctionnaires gouvernementaux. Selon l’un d’entre eux :
L’armée ne nous donne jamais d’armes … ils ont refusé de nous aider, mais nous essayons d’obtenir de l’aide des hommes d’affaires dogons du Mali et de la diaspora dogon. Nous recevons aussi, de temps à autre, des petites sommes de la part d’amis dans les forces de sécurité (20 000, 30 000, 50 000 francs CFA [soit respectivement 34, 52 et 86 dollars US] via Orange Money [un service de transfert de fonds en ligne], et nos partisans nous offrent parfois du riz. Les maires, les élus, les soldats et les gendarmes nous disent « Ce que vous faites est bien, cela va nous aider, vous allez là où on ne va pas, vous nous aidez à régler ce problème ».[236]
Des leaders communautaires peuls ont accusé le gouvernement d’armer les milices bambaras et dogons et également de les entraîner. Selon eux, les tactiques employées par celles-ci pour attaquer leurs villages sont devenues de plus en plus complexes, et ne pouvaient avoir été apprises que dans le cadre d’un véritable entraînement.[237]
Des témoins ayant assisté à quelques affrontements lors desquels les Dan Na Ambassagou et les Dozos avaient facilement eu le dessus sur les groupes d’autodéfense de villages peuls ont dit avoir observé des stratégies militaires « que nous n’avions jamais vues auparavant »[238]. Un habitant d’un village du cercle de Koro a expliqué : « Cette année, ils ont commencé à utiliser des tactiques comme s’ils avaient suivi un entraînement militaire ; pendant l’attaque un groupe avance, un autre apport de l’eau et un autre encore emporte les blessés »[239]. Un autre habitant a remarqué que « lorsqu’ils avancent, c’est d’un bloc, et quelqu’un crie des ordres. Impossible que de simples fermiers réussissent à mettre ça au point. Où ont-ils appris à faire ça ? »[240]
Des leaders Dan Na Ambassagou ont nié avoir suivi un entraînement dans une structure officielle par des membres des forces de sécurité du Mali, mais ont déclaré qu’ils avaient été formés par des anciens membres des forces de sécurité du Mali ou des Dogons qui avaient combattu lors d’autres conflits de l’Afrique de l’Ouest.[241] Un leader dogon a déclaré :
Les FAMA ne nous forment pas directement, mais nous avons quatre anciens membres des forces armées qui se rendent à Sevarè pour recevoir des orientations et des conseils auprès de leurs frères d’armes de temps à autre … ils reviennent ensuite pour nous transmettre l’information. Dès qu’on a besoin d’être formés, on les envoie. C’est ce qu’on a fait en décembre 2016, lorsque nos hommes se sont rassemblés la première fois dans les bases pour notre formation initiale (l’entraînement s’est fait dans les montages et sur la falaise). Les gendarmes ne connaissent pas cette zone, et ensuite, cela s’est fait de temps à autre.[242]
Deux autres membres des Dan Na Ambassagou ont dit que l’entraînement avait été assuré par des Dogons qui avaient combattu au sein de groupes armés dans le nord du Mali, ou en tant que mercenaires en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone ou au Liberia. Selon l’un des miliciens, « les Dogons sont réputés pour être des combattants féroces. Beaucoup ont combattu aux côtés des Forces nouvelles de Guillaume Soros [ancien groupe rebelle de Côte d’Ivoire] pendant des années. Quand nos problèmes ont commencé, ils sont revenus chez eux pour former leurs propres frères. »..[243]
Un rapport de Human Rights Watch datant de 2017 sur les violences communautaires dans le centre du Mali cite les témoignages de villageois bambaras et peuls qui décrivent comment ils pouvaient facilement acheter des fusils militaires auprès de marchands en faisant des allers-retours en Mauritanie et en Algérie. Un leader de jeunes peul avait alors expliqué : « Le prix d’une belle vache, c’est ce que coûte une Kalachnikov ». Un villageois bambara avait déclaré : « L’État ne donne rien aux Dozos, sauf du riz et une aide pour les frais médicaux. Non, les Dozos et même les Peuls achètent leurs Kalachnikovs. L’État n’est pas présent alors nous le faisons tous…. il n’y a pas de contrôles à la frontière – ou de douane… Nous savons comment faire pour en acheter et à qui nous adresser.»[244]
Réponse des forces de sécurité aux violences communautaires
De nombreux témoins provenant des communautés Bambara, Peul, et Dogon ont à la fois loué et critiqué la réaction des forces de sécurité face aux violences communautaires du centre du Mali. Des témoins et des leaders de villages ont attribué aux forces de sécurité le mérite d’avoir essayé d’apaiser les tensions en menant des patrouilles de proximité ; en aidant les habitants à retrouver des proches portés disparus et à localiser du bétail volé ; en évacuant les civils blessés ; en assurant la sécurité des déplacements de civils d’un village à l’autre ; en escortant des convois d’élèves pour leur permettre de passer leurs examens ; en récupérant les corps de personnes tuées ; en appelant des chefs des forces d'autodéfense à cesser de commettre des abus ; et en assurant l’acheminement de l’aide humanitaire.[245]
Cependant, de nombreux sages des trois communautés se sont plaints amèrement de la lenteur ou de l’absence de réponse aux attaques par les forces de sécurité du Mali alors qu’ils les auraient prévenues avant ou pendant les attaques contre leur communauté. Les sages de 14 villages ont dit à Human Rights Watch que les forces de sécurité n’avaient apporté aucune réponse à 23 attaques, au cours desquelles des civils ont été tués. Selon eux, même si une intervention rapide n’aurait peut-être pas permis de sauver toutes ces vies, elle aurait pu en épargner certaines.
Les leaders de village ont également affirmé avoir communiqué les lieux où se trouvaient les bases de groupes armés auteurs d’abus, des informations sur leur structure de commandement et les noms des commandants impliqués dans la commission d’abus, mais ont déclaré n’être au courant d’aucun effort visant à démanteler les bases en question ou à placer les hommes armés en détention.
Plusieurs chefs de village et sages ont montré à Human Rights Watch des messages SMS envoyés aux gendarmes ou aux officiers de l’armée pour demander leur protection immédiate. Les leaders communautaires avaient dans le même temps alerté les représentants gouvernementaux en les exhortant de faire appel aux forces de sécurité pour mieux protéger leur village. Tous ont dit avoir informé la base des forces de sécurité la plus proche, qui se trouvait selon les cas à une distance allant de 10 à 40 kilomètres.
Communauté peule et protection par les forces de sécurité
Des leaders peuls ont formulé des critiques acerbes à l’encontre des forces de sécurité du Mali pour la lenteur ou l’absence de réponse aux violences subies par leur communauté, qui selon eux équivaut à fermer les yeux sur la violence anti-Peuls ou constitue une collusion totale avec les milices bambaras et dogons.
Un leader peul dont le village a perdu une dizaine de civils au cours d’une attaque par un groupe d’autodéfense a déclaré : « Quand vous leur donnez des renseignements sur des attaques prévues, ils ne réagissent pas ; lorsque vous les appelez, ils ne viennent pas. S’ils finissent par venir, c’est généralement trop tard. Nous payons nos taxes pour qu’ils nous protègent tous de la même manière. »[246] Le fils du chef du village a expliqué que son père avait appelé les soldats lorsque leur village, dans le cercle de Koro, avait été attaqué à de multiples reprises par les Dan Na Ambassagou :
Notre village a été attaqué à huit reprises. Chaque fois, mon père a appelé la base des FAMA, qui se trouve à 25 kilomètres. Avant la pire des attaques, nous avons entendu dire à la nuit tombée que les milices allaient attaquer le lendemain. J’étais là quand il a appelé les FAMA vers 9 heures et personne n’a répondu. Lorsqu’on a vu les miliciens arriver, nous avons rappelé ; ils ont répondu mais ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas venir. Ils sont venus seulement une fois que nous avions enterré les morts.[247]
Un sage de Koumaga a dénoncé l’absence de réponse de l’armée à l’attaque de juin 2018 par des Dozos qui a causé la mort d’au moins 23 civils. « L’armée a une base à Djenné qui se trouve à seulement 18 kilomètres de Koumaga, a-t-il expliqué. Nous les avons appelés ; de nombreuses personnes ont appelé l’armée, les gendarmes…Tout le monde a des membres de sa famille à Djenné, et ils ont donné l’alerte eux aussi. Ils ont fini par venir vers 16 heures, alors que les Dozos avaient passé la journée à tuer ».[248] Deux témoins ont déclaré que des Dozos se trouvaient à proximité lorsque l’armée est arrivée, mais qu’ils n’ont pas été arrêtés par les militaires pour être interrogés.[249]
Un autre leader peul a demandé pourquoi les forces de sécurité n’avaient pas apporté de réponse à une attaque contre son village de Bombou qui a duré plusieurs heures. Il a déclaré : « La base de l’armée n’est pas loin, et tous ces coups de feu ! Le craquement des armes à feu s’entend facilement dans la brousse ; l’armée ne pouvait pas ignorer que nous étions attaqués. »[250]
Plusieurs villageois peuls ont cité d’autres éléments venant étayer leurs allégations de complicité voire de collaboration non dissimulée entre les forces de sécurité du Mali et les milices. Ainsi, un témoin dont le père a été blessé lors d’une attaque par les Dan Na Ambassagou dans le cercle de Koro a raconté comment le convoi militaire qui les transportaient lui et son père blessé s’est arrêté à une base des Dan Na Ambassagou : « En allant à l’hôpital, nous nous sommes rendus dans le village où se trouvait la base de la milice. Le convoi militaire dans lequel nous étions a été contraint de s’arrêter pendant environ cinq minutes, pendant lesquelles les Dozos et les soldats ont discuté. Cela semble étrange. Qui a le contrôle ici ? »[251]
Deux villageois peuls ont dit qu’ils avaient vu des militaires et des miliciens à proximité de leur village alors que celui-ci était attaqué. Quelques habitants ont rapporté des témoignages de seconde main, qui n’ont pas pu être confirmés par Human Rights Watch, selon lesquels des miliciens auraient passé des points de contrôle militaires en transportant des biens volés, des membres des forces de sécurité auraient entraîné des miliciens pendant leurs congés ou leurs week-ends, et des cartes d’identité de membres des forces de sécurité auraient été retrouvées sur les corps de miliciens bambaras et dogons tués lors d’affrontements avec des groupes d’autodéfense de villages peuls.[252]
De nombreux villageois ont réclamé une intervention musclée des forces de sécurité pour éviter de nouvelles attaques. La déclaration d’un Peul leader de jeunes résume l’opinion de beaucoup de peuls interrogés par Human Rights Watch : « Je jure que si aujourd’hui les FAMA venaient en force et confisquaient leurs armes à ne serait-ce que trois ou quatre unités de la milice, et arrêtaient ne serait-ce que quelques personnes, ce problème serait terminé. »[253]
Communautés bambara et dogon, et protection par les forces de sécurité
Des représentants de groupes d’autodéfense bambaras et dogons ont cité la protection inadéquate de leurs communautés comme étant la raison de leur création. « Dès 2016, nous avons écrit à nos maires, nos préfets, nos ministres et notre armée pour leur dire de faire quelque chose », a déclaré un membre des Dan Na Ambassagou.[254] « Nous les avons appelés après chaque assassinat, après chaque attaque. Nous les avons appelés pour leur donner des renseignements sur des camps djihadistes et les attaques à venir, mais il ne se sont pas déplacés. »[255]
Un leader bambara occupant une position élevée au sein des Dozos a dit : « Dès 2014 nous avons appelé les gendarmes et l’armée, nous avons écrit aux ministères de l’Administration territoriale, de la Défense, de la Réconciliation et de la Justice…et au Premier ministre afin de sonner l’alarme. Nous ne voulions pas que le problème du nord devienne celui du centre. Mais ils ont mis du temps à répondre et, dans tous les cas, ils ne peuvent pas être partout. Une guerre asymétrique est compliquée, même pour les FAMA, et nous voulions les aider. »[256]
Des leaders de village dogons ont également dit avoir le sentiment de n’être pas suffisamment protégés par les forces de sécurité du Mali, à qui ils avaient demandé protection avant ou pendant les nombreuses attaques menées par un groupe armé peul. « Après chaque attaque, et il y en a eu beaucoup, nous appelions les FAMA, qui ne sont qu’à 25 kilomètres à Mondoro, mais ils sont venus rarement, voire jamais », a dit un villageois. D’après un autre villageois, « Nous avons le sentiment d’être abandonnés. Ces attaques ont été violentes et puissantes…Nous avons appelé les FAMA mais ils nous ont laissé nous défendre nous-mêmes face aux terroristes. Je crois que les gendarmes ne sont même pas venus sur place pour faire un rapport après le meurtre d’un sage. »[257]
Le maire d’une localité a déclaré que « Si les FAMA avaient réagi rapidement, les choses ne se seraient pas détériorées jusqu’au point où elles en sont aujourd’hui. Mais à chaque fois, ils sont venus deux ou trois jours plus tard, ou pas du tout. Parfois ils sont venus seulement pour présenter leurs condoléances, ou pour aider à évacuer un corps, avant de repartir. »[258] Un sage dogon du cercle de Koro a expliqué : « Après l’attaque du mois de mai contre Saberé, nous avons appelé les FAMA, qui sont venus deux jours plus tard. Nous nous sommes ensuite plaints auprès du préfet, qui nous a répondu qu’il s’en occuperait « plus tard ». Ils ne voyaient simplement pas l’urgence. C’est pourquoi nous faisons confiance aux Dan Na Ambassagou. »[259]
Beaucoup de villageois de tous les camps ont supplié les FAMA de rester dans leur village après une attaque. « Les FAMA ont sécurisé la zone pour que nous puissions enterrer nos morts, et nous les avons suppliés de rester, mais ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas. Ils ont dit qu’ils n’avaient pas assez d’hommes pour le faire. »[260]
Manque d’enquêtes sur les violences communautaires
Des leaders communautaires bambaras, dogons et peuls avaient connaissance d’un petit nombre d’enquêtes mais pas de poursuites à l’encontre des auteurs de graves abus commis dans le centre du Mali depuis 2017. Ils ont fait part de leurs inquiétudes face au fait qu’il n’est pas exigé des groupes armés qu’ils rendent des comptes, ce qui les encourage à commettre encore de nouveaux abus dans un climat d’impunité.[261]
Depuis 2013 au moins, de nombreuses occurrences de violences communautaires, mises en exergue par les tensions ethniques et la présence de groupes islamistes armés, ont fait plusieurs centaines de morts et ont provoqué le déplacement de milliers de personnes, la plupart en 2018. [262] Un seul fait, qui s’est déroulé près de la ville de Dioura, dans le centre du pays, en 2016, s’est conclu par l’arrestation des auteurs présumés, un procès et une condamnation.
Un avocat malien de la région de Mopti a constaté que l’absence d’enquête par les représentants de la justice dans la région de Mopti alimente le cycle de l’impunité :
En juin 2017, un incident grave a entraîné la mort de six Dogons et de 20 Peuls. Le gouvernement est venu, a déclaré que c’était mal, a promis une enquête, mais ni la réponse de la justice ni celle de l’armée n’a été adéquate. Et regardez ce qui s’est passé : un an plus tard, presque jour pour jour, un autre incident grave s’est produit, avec encore plus de morts. Qu’est-ce que vous en pensez ?[263]
Quatre victimes de cette attaque dans le cercle de Koro, par des miliciens dogons pour venger le meurtre d’un sage dogon par des islamistes armés, ont dit à Human Rights Watch en 2017 qu’elles avaient reconnu les personnes impliquées dans la commission de ces meurtres, dont elles connaissaient le nom. Un homme a témoigné de la mort par balle de son père, à laquelle il a assisté, et un autre a vu un enfant tué par un tireur qui l’avait blessé.[264]
Des témoins ayant assisté à la plupart des massacres et à plusieurs des attaques de moindre ampleur documentés dans le présent rapport ont donné à Human Rights Watch les noms des auteurs présumés, qui pour beaucoup ont été reconnus sur les lieux des crimes ou étaient des connaissances personnelles. « Nous les connaissons, nous avons grandi ensemble, ils ne cachent pas leur visage ! » a déclaré le chef d’une localité du cercle de Djenné.[265]
Quelques-uns d’entre eux, qui ont montré à Human Rights Watch des messages qu’ils avaient envoyés depuis leur téléphone aux gendarmes locaux avec les noms des auteurs présumés, pensent qu’aucun de ces derniers n’a été placé en détention pour être interrogé. Plusieurs leaders de village dogons ont expliqué qu’ils avaient donné aux autorités maliennes les noms des personnes qu’ils savaient avoir participé à la commission d’abus contre leur communauté.
La plupart des personnes tuées lors d’affrontements ethniques documentés par Human Rights Watch étaient des Peuls, et les critiques à l’encontre du gouvernement pour ne pas avoir rendu justice dans le contexte des violences communautaires ont été principalement formulées par des leaders communautaires peuls. De nombreux témoins ont vu des miliciens impliqués dans la commission de certaines des pires atrocités se déplacer librement dans les marchés locaux quelques jours seulement après les meurtres. D’autres ont déclaré que les soldats ou les gendarmes arrivés pas plus tard que quelques heures après des attaques contre des villageois peuls n’ont pas recueilli de preuves ni arrêté les miliciens toujours présents sur les lieux ou à proximité.
Des leaders de Koumaga ont dit qu’ils avaient vu des soldats et des leaders de milice dans les environs quelques heures seulement après que les meurtres du 23 juin 2018 ont été commis. « Mais ils ne les ont pas arrêtés ! » a affirmé un témoin. « Vingt-trois personnes venaient d’être abattues et ils n’arrêtent personne pour les interroger ? »[266]
Un autre témoin a déclaré que « deux jours après les meurtres, le jour de la visite de la délégation gouvernementale dans la région pour évaluer les dégâts et essayer de calmer les choses, les Dozos qui avaient participé aux meurtres étaient là, armés, se déplaçant à pied…nous savons qui commande ces gens. Nous l’avons dit aux autorités, mais personne n’a été arrêté. »[267]
D’après des leaders peuls, l’armée et les dirigeants politiques, les structures de commandement et les bases des groupes d’autodéfense dogons et bambaras étaient connus de tous. « Ils parlent à la radio et à la télévision tout le temps ; nous voyons leur nom dans les journaux et sur Internet. Si leurs hommes tuent des gens et brûlent des villages, pourquoi eux, les commandants, sont-ils toujours libres ? », s’est interrogé un sage peul.
En 2018, les autorités du Mali ont promis de conduire des enquêtes sur les atrocités commises dans le cadre des violences communautaires. Ainsi, le 25 juin, deux jours après les meurtres commis à Koumaga, le porte-parole du gouvernement a déclaré sur Radio France Internationale (RFI) : « Nous avons ouvert une enquête…Le gouvernement ne laissera aucun crime impuni. »[268] Cependant, une dizaine de chefs de village qui ont répondu aux questions de Human Rights Watch ont déclaré qu’ils n’avaient pas connaissance d’enquêtes en cours, et que ni eux ni leurs administrés n’avaient reçu de convocation de la justice.[269]
Réponse des autorités du Mali
Human Rights Watch a partagé les principales conclusions et recommandations contenues dans ce rapport avec des représentants du gouvernement lors de réunions au Mali et aux États-Unis et dans une lettre envoyée au gouvernement le 14 novembre 2018 par l’intermédiaire de l’ambassadeur du Mali aux États-Unis.
Les 28 et 29 novembre 2018, Human Rights Watch a reçu des lettres du ministère de la Défense et des anciens combattants, du ministère de la Sécurité intérieure et de la Protection civile, ainsi que de l’ambassadeur du Mali aux États-Unis, écrites au nom du gouvernement et détaillant les mesures prises pour lutter contre la violence communautaire. En outre, ces lettres faisaient part de la volonté du gouvernement d’améliorer la protection des populations civiles et d’assurer un meilleur accès à la justice pour les crimes graves répertoriés dans le rapport, mesures que nous exhortons le gouvernement à prendre. Les trois lettres sont jointes en annexe du rapport.
Réponse du gouvernement eu égard aux allégations de soutien de l’Etat aux milices
Le gouvernement a nié tout soutien aux groupes d’autodéfense du centre du Mali. Dans sa réponse écrite à Human Rights Watch, le ministère de la Sécurité intérieure et de la Protection civile a déclaré que « les forces armées et de sécurité n’apportent ni équipement, ni formation aux milices qu’elles cherchent plutôt à désarmer ».[270]
Cette affirmation avait déjà été faite lors d’entretiens avec plusieurs responsables du ministère de la Défense et deux commandants de gendarmerie au Mali. Lors d’une réunion en juillet, le général Keita, chef de cabinet des Forces armées du Mali, a déclaré à Human Rights Watch : « Nous n’avons jamais, et ne fournirons jamais, ni d’armes, ni de munitions, ni de soutien logistique ou de formation à des groupes d’autodéfense dans la région de Mopti. » Il a également noté que « la protection des populations civiles et de leurs biens contre des groupes terroristes dans le centre du Mali relève de notre responsabilité et pas des acteurs non étatiques. Personne n’est autorisé à faire notre travail à notre place ».[271]
Lors de réunions qui se sont tenues au Mali, des représentants des forces de sécurité ont fait référence à l’engagement pris par le Premier ministre M. Maïga en mars 2018 selon lequel « le gouvernement ne va pas sous-traiter sa sécurité », en faisant clairement référence aux milices.[272]
Réponse du gouvernement à l’absence de progrès dans le désarmement des miliciens coupables d’exactions
Des responsables des forces de sécurité interrogés au Mali ont déclaré qu’ils avançaient de manière constante et progressive dans le désarmement des milices du centre du Mali. En juillet 2018, le général Keita a déclaré :
« Le gouvernement a décidé et a ordonné le désarmement de toutes les personnes qui se trouvent dans les zones en proie à la violence dans le centre du Mali, y compris les fusils de chasse traditionnels qui sont des biens culturels et cultuels dans les familles depuis les générations. Toutes les armes sont désormais interdites. L’ordre a été clairement communiqué par le gouvernement et c’est ce que nous faisons ».[273]
En octobre 2018, il a fait savoir que le gouvernement avait, depuis le début de l’année, récupéré 360 armes auprès de toutes les parties au conflit et créé un poste de commande placé sous l’autorité du commandant de la Garde nationale à Koro afin de mieux coordonner la réponse apportée par le gouvernement à la violence communautaire, notamment le désarmement des milices, et brûlé une centaine de motos lors d’une opération contre les miliciens dogons en juillet 2018.[274]
La lettre du ministère de l’Intérieur réaffirmait les revendications du général Keita et indiquait que la Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre et le Secrétariat permanent contre la prolifération des armes légères et de petit calibre contribuaient au processus de désarmement.[275]
Réponse du gouvernement concernant les insuffisances présumées en matière de protection des populations civiles
Tant dans ses réponses écrites qu’à l’occasion d’entretiens avec des responsables des forces de sécurité au Mali, le gouvernement a déclaré comprendre la gravité du problème posé par la montée de la violence communautaire et prendre des mesures pour protéger les civils, à la fois en désarmant les milices et en s’attaquant aux causes profondes de la violence. Le général Keita a affirmé : « Nous sommes très conscients et extrêmement préoccupés par la violence communautaire exploitée par les terroristes. Et nous agissons ».
La lettre du ministère de la Défense et des Anciens combattants indiquait que l’approche du Mali en matière de lutte contre la violence communautaire avait plusieurs facettes, intégrant des aspects liés à la sécurité, des aspects politiques par le biais d’un processus de négociation visant à réconcilier les différents groupes ethniques, et un soutien social qui consistait à renforcer la délivrance de services sociaux, à créer des opportunités économiques, et à mettre en place un programme de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) pour les combattants du centre du Mali. Cela dit, les auteurs déclaraient connaître parfaitement leurs obligations nationales et internationales en matière de protection des civils et de justice pour les crimes graves qui auraient été commis.[276]
Le général Keita et la lettre du ministère de l’Intérieur signalaient tous deux que 16 nouveaux postes de sécurité avaient été créés dans le centre du Mali ces derniers mois, que d’autres devaient être créés, et que des programmes avaient été mis en place visant à renforcer la confiance entre les populations locales et les forces de sécurité.[277]
Les responsables des forces de sécurité ont nié avoir réagi de manière partisane aux violences communautaires.[278] Ils ont affirmé que les allégations de lenteur dans la réponse à la violence communautaire « s’expliquent principalement par l’environnement opérationnel difficile, notamment l’insuffisance des ressources et l’impraticabilité du terrain ».[279] Le général Keita a indiqué que « nous combattons les terroristes dans le nord et maintenant au centre. La mobilité est difficile, nous manquons d’hélicoptères utilitaires pour la projection d’effet militaire ».[280]
Les autorités politiques et militaires ont déclaré qu’elles avaient besoin de davantage de soutien de la part des partenaires de développement du Mali pour les aider à remplir leur mandat de protection des populations civiles. La lettre du ministère de la Défense indiquait qu’il était « essentiel que la communauté internationale soutienne les efforts déployés par le gouvernement pour renforcer la FAMA dans l’accomplissement de son mandat, notamment la protection des civils pris au piège de la violence communautaire ».[281]
Des spécialistes de la sécurité ont reconnu les défis auxquels doivent faire face les forces de sécurité du Mali. Un analyste de la sécurité européen a déclaré : « Nous ne pensons pas que les FAMA apportent un soutien aux milices de manière officielle, et elles interviennent parfois pour stopper les attaques. Mais leurs capacités opérationnelles en matière de déploiement sont trop faibles, trop lentes et font avec trop peu. »[282]
Un autre analyste de la sécurité a expliqué : « Les FAMA rencontrent d’énormes difficultés, sur le plan des ressources et de la motivation, qui proviennent principalement de problèmes de sécurité partout, tout le temps. Mais un autre problème est leur hiérarchie et leur bureaucratie, qui sont pesantes et qui ralentissent le délai de réaction. » [283]
Un autre analyste de sécurité a apporté des précisions : « La force conjointe du G-5 au Mali, qui est essentiellement une opération à la frontière pour stopper l’avancée du djihadisme, reçoit des millions, alors que l’armée du Mali responsable des opérations partout ailleurs a désespérément besoin de ressources pour mieux protéger les civils… on leur demande beaucoup et ils n’ont tout simplement pas les ressources pour le faire ».[284]
Réponse du gouvernement concernant la justice pour crimes graves
Le gouvernement s’est engagé à progresser dans la lutte contre l’impunité et à s’assurer que justice soit rendue, notamment pour les crimes graves de violence communautaire. Une lettre soulignait que le gouvernement du Mali « est profondément convaincu que la vérité doit être absolument établie et que justice soit faite pour les violences commises à la fois au nom du droit des victimes et comme précondition à l’instauration d’une paix durable ».[285]
Dans sa lettre de réponse au nom du gouvernement, l’ambassadeur du Mali aux États-Unis, Mahamadou Nimaga, a déclaré que, malgré les difficultés liées à la situation précaire du point de vue sécuritaire, des enquêtes judiciaires sont systématiquement ouvertes sur les crimes graves commis dans le centre du Mali et qui sont portés à l’attention du pouvoir judiciaire.[286]
Le gouvernement a déclaré que certaines des enquêtes conduites par le bureau du Procureur du Pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre le terrorisme du Parquet du Tribunal de Grande instance de Mopti avaient résulté dans des condamnations, sans donner plus de détails. Le gouvernement a aussi souligné que certaines enquêtes et poursuites judiciaires engagées ne sont pas toujours communiqués au public, mais que cela « ne signifiait en aucun cas que celles-ci n’étaient pas menées ».[287]
Un juriste travaillant dans le centre du Mali a déclaré à Human Rights Watch que plusieurs enquêtes sur de graves abus commis par les groupes d’autodéfense avaient été ouvertes en 2018, mais que la situation précaire en matière de sécurité avait limité les capacités des gendarmes et des juges locaux à aller plus loin. Il a précisé :
« Dès que la branche judiciaire a connaissance d’un fait de violence communautaire, une enquête judiciaire est ouverte, techniquement parlant. De nombreuses enquêtes ont été ouvertes sur des crimes liés à la violence communautaire – meurtres, vols de grands animaux, trafic d’armes. Cependant, la zone est extrêmement peu sécurisée à cause des menaces djihadistes, des attaques et du nombre croissant d’EEI [engins explosifs Improvisés]. Cela a non seulement obligé de nombreux juges de la paix à fuir - notamment dans les cercles de Koro et de Djenné, les épicentres de la violence cette année - mais a également rendu difficile pour nos gendarmes de mener une enquête en bonne et due forme. L’armée n’a pas encore été déployée dans plusieurs des zones où des violations ont été commises ces derniers mois. Et si l’armée n’est pas là, les gendarmes ne peuvent pas y aller et il est difficile de progresser ».[288]
Deux commandants de gendarmerie du centre du Mali ont dit à Human Rights Watch qu’ils manquaient de ressources pour enquêter de manière approfondie sur les nombreuses allégations reçues sur le trafic d’armes d’assaut militaires dont bénéficiaient à la fois les groupes armés islamistes et les groupes d’autodéfense.[289]
En juillet, un commandant de gendarmerie a déclaré qu’il avait « soumis à un interrogatoire quelques responsables locaux qui exacerbaient les tensions », et qu’il enquêtait sur plusieurs cas de trafic d’armes. « Encore récemment, nous avons arrêté un camion qui allait en direction de Bankass à un point de contrôle près de Sévaré, et nous avons trouvé des armes dans des sacs de millet. ». Selon lui, les enquêtes sont entravées par un manque de ressources. « Cela exige des ressources, du carburant, des véhicules, des hommes pour assurer le suivi de tous ces rapports, ce que, franchement, nous n’avons pas. ».[290]
Plusieurs juristes ont cité l’arrestation en 2016 et la condamnation en 2017 de plusieurs hommes bambaras pour le meurtre d’hommes peuls en 2016 près de Maleimaina comme un exemple positif de justice.
Lorsque Human Rights Watch a demandé à un fonctionnaire du gouvernement pourquoi des auteurs d’abus, connus de tous, n’avaient pas été arrêtés ou au moins interrogés, il a répondu que le gouvernement avait donné la priorité à l’apaisement des tensions et à l’équilibre social plutôt qu’à la justice :
La priorité du gouvernement est d’éteindre le feu. À l’occasion des condoléances présentées aux victimes par les délégations gouvernementales, nous avons discuté et tenté d’exercer des pressions sur les groupes armés, mais à l’heure actuelle, et pour des raisons de sécurité, il est compliqué de les placer en détention … cela pourrait aggraver une situation déjà explosive [291]
Partenaires internationaux du Mali
Outre son engagement solide à l’échelle régionale avec d’autres pays du Sahel, le Mali compte les Nations Unies, l’Union européenne, la France et les États-Unis parmi ses principaux partenaires internationaux.
En juin 2017, le Mali a rejoint le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie et le Niger pour créer le G5 Sahel, une force militaire multinationale de lutte contre le terrorisme, qui a obtenu le soutien du Conseil de Sécurité des Nations Unies et de l’Union africaine. Comprenant sept bataillons rassemblant 5 000 personnes provenant des pays participants, la Force conjointe a son siège à Bamako et concentre la plupart de ses actions au Mali. Elle a bénéficié d’engagements de financement de la communauté internationale, notamment de l’Union européenne, qui a contribué à hauteur de 100 millions d’euros, des États-Unis, qui ont contribué à hauteur de 111 millions de dollars US, et l’Arabie saoudite, qui a contribué à hauteur de 100 millions d’euros.
En 2013, les Nations Unies ont établi la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) pour apporter un appui aux négociations et, plus tard, à l’accord de paix de 2015, protéger les civils et favoriser la stabilité politique au Mali.[292] La mission, qui compte plus de 15 000 Casques bleus et membres du personnel, travaille régulièrement de manière coordonnée avec les Forces armées du Mali et a fourni un appui logistique aux troupes du G5 Sahel. La MINUSMA a également apporté une contribution significative à la formation des forces de sécurité du gouvernement et au personnel judiciaire.
La MINUSMA a compétence pour offrir une protection aux civils menacés par des groupes armés en ayant recours à des moyens militaires et autres tels que des mesures de réconciliation et de sensibilisation des communautés. En 2016, sa mission de protection des civils a été renforcée par la fourniture d’un appui aux efforts déployés par les forces de sécurité du Mali pour éviter le retour des groupes armés auteurs d’abus dans le nord. Son mandat a été renouvelé en 2018 en élargissant ses responsabilités en matière d’appui apporté aux forces de sécurité du Mali et de restauration de l’autorité dans le centre du Mali. La MINUSMA a également vocation à documenter les violations des droits et à en rendre compte publiquement.
L’Union européenne contribue au renforcement des capacités des Forces armées du Mali par l’intermédiaire de la Mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM Mali), établie en 2013 et qui collabore avec l’armée du Mali, et la mission de renforcement des capacités au Mali (EUCAP Mali), qui a débuté en 2014 et qui cible la police, la gendarmerie et la Garde nationale. Mali. En mai 2018, le Conseil de l’Union européenne a annoncé la prorogation de la mission de l’EUTM jusqu’à mai 2020 au minimum et a élargi sa portée afin de prévoir davantage de formation et un plus large soutien à la Force conjointe du G5 Sahel.[293]
Par l’intermédiaire du Fonds européen de développement (FED), l’Union européenne a financé de nombreux programmes de soutien au développement du Mali, notamment des plans destinés à répondre aux besoins humanitaires les plus urgents, à favoriser la stabilisation, et à restaurer l’administration publique et les services de base. De plus, le Fonds européen a approuvé pour l’année 2014 une enveloppe de 12 millions d’euros afin de soutenir la réforme du système judiciaire et une autre de 5 millions pour un projet de prévention des conflits et de réconciliation.[294]
Les forces militaires françaises, au travers de l’opération Barkhane, une force antiterroriste déployée dans le Sahel depuis 2014 et comptant 4 500 soldats, mène des opérations régulières au Mali, y compris en collaboration avec les forces du Mali et du G5-Sahel.[295] En 2017, la France et l’Allemagne ont conjointement établi l’Alliance Sahel, un programme de développement économique d’envergure qui s’intéresse aux principaux facteurs d’insécurité dans le Sahel.[296] Pour la France, le Mali est un pays prioritaire en matière d’aide humanitaire. En 2017, l’Agence française de développement a soutenu plus de 50 programmes, engageant 357 millions d’euros et en accordant la priorité aux prêts, aux subventions et à l’accompagnement technique.[297]
Les États-Unis apportent une assistance aux services de sécurité du Mali au moyen du programme Security Governance Initiative, débuté en 2015 et qui se concentre sur le renforcement du système judiciaire militaire, la formation des officiers et l’appui à la création d’un conseil de sécurité national, la réforme du secteur de la défense, et l’entraînement d’une unité d’intervention anti-terroriste.[298] L’Agence des États-Unis pour le développement international a approuvé un investissement de 690 millions de dollars pour les exercices 2016 à 2020 pour la fourniture d’une aide humanitaire ; améliorer la prestation des services publics et lutter contre l’extrémisme violent.[299]
Le Mali est un État partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), qui a ouvert, en janvier 2013, une enquête sur les allégations de crimes de guerre et d’autres crimes graves commis depuis janvier 2012. Au mois de mars 2018, l’enquête avait débouché sur deux affaires : Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, qui est accusé de crimes de guerre et dont l’audience de confirmation des charges devrait avoir lieu dans la première moitié de 2019, et Ahmad Al Faqi Al Mahdi, qui a été reconnu coupable et condamné à neuf ans d’emprisonnement en 2016. [300]
Remerciements
Les recherches et la rédaction de ce rapport ont été réalisées par Corinne Dufka, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. Une assistance en matiere de recherches a été fournie par Morgan Hollie, collaboratrice de la division Afrique, ainsi que des personnes qui nous ont mis en relation avec des temoins et ont agi en tant qu’interprètes. Ce rapport a été relu par Mausi Segun, directrice exécutive de la division Afrique. James Ross, directeur des affaires juridiques et politiques et Babatunde Olugboji, directeur adjoint du bureau des Programmes, en ont révisé les aspects juridiques et programmatiques. José Martinez, coordonateur senior, et Fitzroy Hopkins, directeur administratif, ont fourni une aide à la production. La traduction en français a été réalisée par Griselda Jung et Fanny Mourguet, ainsi que par David Boratav, et a été relue par Peter Huvos.
Human Rights Watch remercie les victimes et les témoins, qui ont été nombreux à apporter leur témoignage pour ce rapport, souvent en courant de grands risques. Nous sommes aussi reconnaissants envers les fonctionnaires gouvernementaux maliens, les travailleurs humanitaires, les militants de la société civile, les leaders communautaires et les diplomates d’avoir partagé leurs expériences et leurs opinions avec nous. Même si, pour des raisons de sécurité, nous ne pouvons pas les remercier nominativement, leur soutien et leur courage ont grandement facilité notre travail de recherche.