(New York/Rabat) – Depuis septembre 2019, les autorités marocaines ont arrêté et poursuivi au moins 10 activistes, artistes ou autres citoyens qui n’ont fait qu’exprimer pacifiquement des opinions critiques sur Facebook, YouTube ou via des chansons de rap, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et l’Association Marocaine des Droits Humains. Ces personnes n’ont fait qu’exercer leur droit à la liberté d’expression ; les autorités devraient les libérer immédiatement et abandonner les poursuites contre elles.
Les concernés sont accusés de « manque de respect dû au roi », « offense aux institutions de l’État » et « outrage envers des fonctionnaires publics ». Aucun n’a été poursuivi en vertu du code de la presse et de l’édition, qui couvre les délits liés à toutes formes de discours public ; tous le sont en vertu du droit pénal qui, contrairement au code de la presse et de l’édition, prévoit des peines de prison.
« De plus en plus de Marocains utilisent les réseaux sociaux pour exprimer des opinions politiques audacieuses, notamment au sujet du roi, et c’est leur droit le plus absolu », a déclaré Ahmed Benchemsi, directeur de la communication pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Face à l’autocensure qui s’érode, les autorités répriment frénétiquement dans le but de rétablir les lignes rouges. »
Au 5 février 2020…
7 hommes condamnés pour délit de parole purgent actuellement leurs peines en prison, dont
5 qui attendent leur procès en appel, et
2 dont les condamnations ont été confirmées en appel.
3 autres sont en liberté provisoire en attendant leur jugement, dont
1 en première instance, et
2 en appel.
Parmi ces hommes, des étudiants, des artistes, des journalistes citoyens et de simples utilisateurs des réseaux sociaux, arrêtés et inculpés pour leurs critiques non violentes des autorités marocaines. Certains ont contrasté la richesse et le mode de vie luxueux du roi Mohammed VI avec ce qu’ils perçoivent comme l’incapacité de l’État à garantir les droits fondamentaux des Marocains et à leur offrir des opportunités économiques. D’autres ont encouragé leurs concitoyens à manifester contre les injustices socioéconomiques.
En partenariat avec l’Association Marocaine des Droits Humains, Human Rights Watch a publié le 5 février un répertoire en ligne des Marocains récemment emprisonnés ou inculpés en violation de leur droit à l’expression libre et pacifique. Ce répertoire sera mis à jour à mesure que de nouveaux cas seront documentés.
En 2016, le Maroc a adopté un nouveau code de la presse et de l’édition qui, contrairement au précédent, ne prévoit pas de prison pour les délits d’expression. Cependant, le code pénal continue d’imposer des peines de prison pour toute une série d’infractions relevant du discours non violent, comme le manque de respect au roi, l’offense aux institutions de l’État, ou l’outrage aux fonctionnaire publics dans l’exercice de leurs fonctions. Toutes ces infractions sont définies vaguement, ce qui accentue le risque que les autorités y recourent pour réprimer tout discours critique.
Critiquer des responsables publics est une liberté garantie par le droit international, en particulier par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Maroc a ratifié en 1979.
Le journaliste Omar Radi a été brièvement détenu et risque jusqu’à un an de prison pour avoir critiqué un juge dans un tweet. Les opérateurs des chaînes YouTube populaires Moul Kaskita et We Love You, Morocco ont été condamnés à quatre et trois ans de prison, respectivement, pour manque de respect au roi. Pour la même infraction, des tribunaux de première instance ont condamné à trois ans de prison chacun les lycéens Ayoub Mahfoud et Hamza Sabbaar. Mahdouf n’avait rien fait de plus que poster sur Facebook les paroles d’une chanson, tandis que Sabbaar s’était contenté de partager des propos critiques sur Facebook et de scander, dans un stade de football, des slogans tirés d’une chanson de rap qu’il avait écrite.
Répondant à une question sur la flambée des arrestations pour délit de parole, le porte-parole du gouvernement Hassan Abyaba a déclaré le 9 janvier que le Maroc respecte les droits humains, y compris la liberté d’expression, tout en ajoutant qu’« il y a une différence entre exprimer son opinion librement et commettre un crime puni par la loi. »
« Exprimer une opinion non violente ne devrait jamais mener en prison », a déclaré Youssef Raissouni, secrétaire général de l’Association Marocaine des Droits Humains. « Un pays qui prend au sérieux les traités internationaux qu’il a signés devrait abolir les lois qui musèlent la liberté de parole, ou au minimum, cesser de les appliquer. »
Au cours des années précédentes, un certain nombre de journalistes ont été condamnés à de la prison au terme de procès inéquitables, mais pour des délits de droit commun. Cependant, les circonstances entourant ces procès laissaient penser que les accusations n’étaient que des prétextes, masquant des représailles de l’État contre les positions de ces journalistes ou leurs affiliations politiques.
Par exemple, Hamid El Mahdaoui, un journaliste dont les harangues critiques sur YouTube, en dialecte marocain, attiraient des dizaines de milliers de vues, purge actuellement trois de prison pour « non-dénonciation d’une menace contre la sécurité de l’Etat », une accusation, dans son cas, au contours douteux. En septembre 2019, un tribunal a condamné Hajar Raissouni, une autre journaliste, à un an de prison pour avortement, accusation qu’elle a niée. Après 45 jours de détention, elle a été libérée suite à une grâce royale. L’affaire était probablement motivée par l’appartenance de Raissouni à une famille de dissidents réputés, ainsi qu’à la rédaction d’Akhbar Al Yaoum, un quotidien indépendant souvent attaqué par les autorités.
« Les autorités marocaines ont longtemps pris prétexte de délits de droit commun pour punir les voix dissonantes ; renonçant aujourd’hui à ce cache-sexe, elles attaquent frontalement la liberté de parole », a conclu Ahmed Benchemsi. « Que sa forme leur plaise ou non, la critique pacifique est un droit, point final. »
Le 25 septembre 2018, des garde-côtes marocains patrouillant dans le détroit de Gibraltar ouvrent le feu sur une barque qui, semble-t-il, conduit vers l’Europe des candidats à l’émigration irrégulière. Parmi eux, Hayat Belkacem, une étudiante marocaine de 20 ans, est tuée. Deux jours plus tard, Soufian al-Nguad, 29 ans, copropriétaire d’une agence immobilière à Tétouan, salue et encourage, sur Facebook, l’appel à manifester en hommage à Hayat Belkacem lancé par les supporters de football de sa ville.
Le 3 octobre, la police arrête et interroge al-Nguad, puis un procureur de Tétouan l’inculpe d’« incitation à participer à une manifestation non autorisée ». Condamné à deux ans de prison par un tribunal de première instance, une cour d’appel commue sa peine à un an le 11 février 2019.
Al-Nguad a été emprisonné simplement pour avoir lancé un appel à manifester, une liberté garantie par le droit international des droits humains. Les lois marocaines ne devraient pas criminaliser de tels actes ; et tant que de telles lois existent, les autorités devraient s’abstenir de les appliquer.
Al-Nguad a été libéré en octobre 2019 après avoir purgé sa peine. Pendant qu’il était en prison, des agents de police ont approché sa femme et son père, et leur ont dit qu’il y retournerait « pour cinq ans » s’il « continuait ses écrits sur Facebook », a confié Al-Nguad à Human Rights Watch.
Le 30 décembre 2019, Al-Nguad et son épouse ont traversé la frontière vers Ceuta et immédiatement demandé l’asile en Espagne pour persécution politique.
Le 29 octobre 2019, trois rappeurs marocains sortent 3ach cha3b (« Longue vie au peuple »), une chanson critiquant le roi et les autorités, dont la vidéo récoltera plus de 22 millions de vues sur YouTube. Dans les paroles, on peut entendre les expressions « Notre chien le sixième », une référence indirecte, semble-t-il, au roi Mohammed VI, et « commandeurs des addicts », un jeu de mots en arabe sur l’expression « commandeur des croyants », le titre religieux du roi. Le 1er novembre, la police arrête l’un des interprètes de la chanson, Mohamed Mounir, 31 ans, « Gnawi » de son nom de scène, à Salé, une ville à proximité de Rabat.
Cinq jours avant la sortie de 3ach cha3b, Gnawi, sortant d’un bar à Rabat, avait été arrêté par une patrouille de police vers 4 heures du matin, a indiqué son avocat Mohamed Sadqo à Human Rights Watch. Gnawi a dit à Sadqo avoir été relâché contre paiement d’un pot-de-vin. Quelques minutes plus tard, il apparaissait dans une vidéo diffusée en direct sur Instagram, éructant et invectivant la police. Les autorités soutiennent que cette vidéo, et non la chanson 3ach cha3b, est à l’origine de l’inculpation du rappeur pour « outrage à agents de l’autorité dans l’exercice de leurs fonctions ».
Gnawi a été condamné à un an de prison, peine confirmée par la cour d’appel de Salé le 15 janvier 2020.
Bien que tout individu ou groupe de personnes, y compris des agents de police, peut compter sur l’Etat pour protéger sa réputation par des mesures raisonnables, et ce en vertu du droit à la vie privée garanti par le droit international, la diffamation, aussi vulgaire ou offensante soit-elle, ne doit jamais faire l’objet de poursuites pénales pouvant conduite à l’incarcération de son auteur.
Beaucoup au Maroc estiment que Gnawi a été emprisonné en représailles après le succès de 3ach cha3b. Le 6 janvier, à la demande d’une association royaliste, un procureur de Meknès a ouvert une enquête contre Youssef Mahyout (également connu sous le nom de scène Weld L’griya), l’un des deux autres interprètes de la chanson, pour offense au roi, un délit passible de cinq ans de prison.
Le 29 novembre 2019, Mohamed Sekkaki, 30 ans, YouTubeur populaire connu sous le pseudonyme Moul Kaskita (« L’homme à la casquette ») met en ligne une vidéo de 12 minutes critiquant Mohammed VI. Estimant que les bonnes intentions du roi, qui « bafouille en lisant des discours écrits pour lui par d’autres », ne se traduisent jamais par des actes concrets, Sekkaki déplore la complaisance du peuple marocain envers l’inégalité et l’injustice. Il est arrêté deux jours plus tard à son domicile de Settat, à 160 kilomètres au sud de Rabat, la capitale.
Inculpé d’ « offense aux institutions de l’État», de « manquement au respect dû au roi », et de possession de 15 grammes de cannabis (il nie en fumer ou en avoir eu la moindre quantité chez lui), le tribunal de première instance de Settat condamne Sekkaki à quatre ans de prison et à une amende de 40 000 dirhams (3 800 euros). Il a depuis fait appel.
Dans un communiqué publié après l’arrestation de Sekkaki, le procureur de Settat a déclaré que « les discours qui figurent dans la vidéo ne relèvent pas de la liberté d’expression ; ils constituent des crimes punis par la loi ». La critique des autorités est protégée par le droit international et ne devrait jamais donner lieu à des peines de prison, a déclaré Human Rights Watch.
La chaîne YouTube Moul Kaskita, sur laquelle Sekkaki a mis en ligne 277 vidéos pour un total de près de 66 millions de vues, compte plus de 350 000 abonnés.
Le 5 décembre 2019, la Brigade nationale de la police judiciaire arrête Mohamed Ben Boudouh, connu sous le pseudonyme Moul Hanout (« Le petit commerçant »), dans sa ville de Tiflet, à l’est de Rabat, et le conduit à Casablanca pour interrogatoire. Selon son avocat Hassan Tas, la police l’a questionné sur une série de vidéos qu’il avait publiées sur Facebook en 2019, dans lesquelles il critiquait la gouvernance au Maroc de manière générale, et le bilan et le mode de vie du roi Mohammed VI en particulier.
Tas a déclaré à Human Rights Watch que le rapport d’interrogatoire de le police indiquait que Ben Boudouh avait prononcé « des expressions, des phrases et des mots portant atteinte [au roi] », en particulier dans une vidéo datée du 1er décembre. Le 7 janvier 2020, le tribunal de première instance de Khemisset, une ville près de Tiflet, l’a condamné à trois ans de prison pour « offenses aux institutions constitutionnelles [et] outrage à fonctionnaire public ». Ben Boudouh est en prison à Tiflet. Il a fait appel.
En 2016, Ben Boudouh s’était fait remarquer à Tiflet en escaladant un relais de télécommunications et y campant une semaine en protestation contre l’expulsion de sa famille d’un café dont ils étaient les propriétaires. Depuis, il s’est fait connaître dans la région par ses vidéos cinglantes critiquant la corruption de responsables locaux.
Le 18 décembre 2019, Youssef Moujahid, un employé de banque qui a créé Nouhibouka Ya L’Maghrib (« On t’aime, le Maroc »), une chaîne YouTube qui publie des vidéos informatives sur l’actualité du pays, est arrêté à son domicile de Casablanca. Quelques jours avant son arrestation, il avait publié sur sa chaîne des extraits d’une vidéo dans laquelle Mohamed Ben Boudouh, dit « Moul Hanout », s’en prenait aux politiques et au mode de vie du roi Mohammed VI.
Un procureur a inculpé Moujahid de complicité d’ « offenses aux institutions constitutionnelles » et « outrage à fonctionnaire public » et renvoyé son affaire devant le tribunal de première instance de Khemisset, pour qu’elle soit jointe à celle de Ben Boudouh. Le 7 janvier 2020, les deux hommes sont condamnés à trois ans fermes chacun. Moujahid, aujourd’hui détenu à la prison de Tiflet, a fait appel.
La chaîne YouTube de Moujahid, sur laquelle il a mis en ligne environ 3 700 vidéos cumulant plus de 88 millions de vues, comptait plus de 100 000 abonnés en 2018.
Le 28 décembre 2019, des agents de police arrêtent Hamza Sabbaar, un lycéen de 19 ans, dans un stade près d’El-Ayoun, au Sahara occidental, lors d’un match de football. Le jugement accompagnant sa condamnation, que Human Rights Watch a pu consulter, affirme que Sabbaar scandait des slogans tels que « le régime dictatorial nous a fait du mal », tout en « levant les bras pour inciter d’autres spectateurs à reprendre (ses slogans) ».
Sabbaar est aussi un rappeur dont les textes sont volontiers critiques envers les autorités. Les slogans qu’il scandait au stade près d’El Ayoun étaient extraits des paroles d’une ses chansons, intitulée F’hemna(« On a compris »), sortie en octobre 2019.
Le jugement affirme que, pendant son interrogatoire dans un poste de police, des agents ont accédé au compte Facebook de Sabbaar et l’ont interrogé sur un statut dans lequel il aurait, selon eux, écrit « Sa Majesté le dictateur a exploité sa fonction pour amasser des richesses et devenir une des plus grandes fortunes du monde… tout en appauvrissant son cher peuple », au-dessus d’un photomontage superposant le roi Mohammed VI à un bidonville. Ce statut existe bel et bien sur Facebook, mais Human Rights Watch a constaté qu’il n’avait pas été rédigé ou mis en ligne par Sabbaar, mais par un autre compte intitulé « Assez de corruption ». Le lycéen a simplement partagé ce statut.
Le parquet a inculpé Sabbaar d’ « offense aux institutions constitutionnelles ».Le 31 décembre, un tribunal l’a condamné à quatre ans de prison et une amende de 10 000 dirhams (940 euros). Le 16 janvier 2020, une cour d’appel a confirmé le verdict tout en réduisant la peine à huit mois. Sabbaar est aujourd’hui incarcéré à la prison de Bouizakarn, à environ 500 kilomètres au nord d’El-Ayoun.
Critiquer pacifiquement les autorités, que ce soit dans le cadre de chants de stade, sur les réseaux sociaux ou toute autre plateforme de communication, est une liberté protégée et garantie par le droit international, et ne devrait jamais donner lieu à des peines de prison, a déclaré Human Rights Watch.
Le 2 décembre 2019, Saïd Chakour, un journalier de 23 ans, est admis dans un hôpital de Tétouan, une ville du nord du Maroc, après un accident de la circulation. Quelques heures plus tard, estimant ne pas avoir reçu l’attention et les soins requis par son état, il se fait filmer, visiblement souffrant, insultant le personnel hospitalier et les responsables marocains en général, qu’il blâme pour sa situation. La vidéo, postée sur YouTube, inclut des insultes adressées au roi Mohammed VI.
Deux jours plus tard, Chakour s’excuse via une seconde vidéo, dans laquelle il explique son accès de colère par un état second résultant de médicaments administrés par le personnel soignant. Environ 10 jours plus tard, il quitte l’hôpital après avoir subi une opération à la jambe, selon son avocat Ahmed Ben Abdelouhab.
Le 22 décembre, après la diffusion par les médias locaux de ses vidéos, Chakour est arrêté et un procureur l’inculpe d’« outrage à fonctionnaire public ». Le 6 janvier 2020, le tribunal de première instance de Tétouan le condamne à deux ans de prison. Chakour a depuis fait appel.
Le fait d’exprimer une opinion, aussi vulgaire ou insultante en soit la forme, à l’égard de fonctionnaires publics, est une liberté protégée par le droit international, et ne devrait jamais être puni par une peine de prison.
Chakour est actuellement incarcéré dans la prison civile de Tétouan, connue sous le nom de Somal. « Il souffre toujours de vives douleurs postopératoires et a constamment besoin de l’aide d’autrui, y compris pour se rendre aux toilettes. Ces conditions de détention ne sont absolument pas appropriées à son état de santé », a déclaré Ben Abdelouahab à Human Rights Watch.
Le 18 décembre 2019, Abdelali Bahmad, 35 ans, défenseur des droits humains communément surnommé Bouda, est convoqué dans un poste de police de Khenifra, où il vit. Il est interrogé au sujet de plusieurs statuts qu’il avait postés les semaines précédentes sur Facebook, a déclaré son avocat Houcine Titaou a Human Rights Watch.
Parmi ces statuts, on trouve une photo de lui portant un drapeau avec l’image du révolutionnaire argentin Ernesto « Che » Guevara, et les commentaires « Ceci est le drapeau qui me représente ... [plutôt que] le chiffon [qui est une] mare de sang avec une grenouille verte », apparemment en référence au drapeau du Maroc, rouge avec une étoile verte.
Poursuivi pour « offense au drapeau national et aux symboles de la nation », Bahmad est condamné le 9 janvier 2020 à deux ans de prison et une amende de 10 000 dirhams (940 euros). Il est aujourd’hui incarcéré à la prison de Khenifra, en attendant son procès en appel.
Le 2 décembre 2019, la police arrête le lycéen Ayoub Mahfoud, 18 ans, à Meknès. Il est interrogé à propos d’un statut Facebook dans lequel il aurait publié une photo de lui avec un chien, sous le commentaire « Notre chien le sixième, notre souverain est injuste ». L’expression est tirée des paroles de 3ach cha3b, une célèbre chanson de rap critiquant la monarchie marocaine. L’un des trois auteurs-interprètes de ce titre de rap purge actuellement une peine d’un an pour « outrage à fonctionnaire public », tandis qu’un autre est poursuivi pour manquement au respect dû au roi.
Selon le rapport d’interrogatoire de la police, Mahfoud a reconnu que « le but de sa publication sur Facebook était d’exprimer sa haine envers [les institutions constitutionnelles et les forces armées] ». Selon le jugement écrit de la cour, le lycéen est revenu sur cette déclaration devant le tribunal et déclaré qu’il avait signé le rapport d’interrogatoire sans le lire.
Le tribunal de première instance de Meknès a condamné Mahfoud à trois ans de prison pour « manquement au respect dû au roi », « offense aux institutions constitutionnelles », et « outrage à fonctionnaire public ». Le tribunal lui a accordé la liberté provisoire le 16 janvier en attendant son procès en appel, qui doit s’ouvrir le 30 mars.
Selon le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, la liberté d’expression signifie que chacun devrait avoir la liberté de critiquer les institutions et les agents publics à sa guise.
Le 6 avril 2019, le journaliste Omar Radi, 33 ans, publie un tweet critiquant un juge de Casablanca. Ce dernier venait de condamner lourdement (jusqu’à 20 ans de prison) les leaders de manifestations largement pacifiques de la région du Rif, accusés de violences envers les forces de l’ordre. Le verdict était principalement basé sur des aveux que les accusés disent avoir signés après avoir été torturés ou induits en erreur par la police – une allégation sur laquelle les tribunaux n’ont jamais enquêté sérieusement, même si elle était étayée par des rapports médicaux à leur disposition.
10 jours après la publication de son tweet, la police de Casablanca convoque Radi pour interrogatoire, puis ne donne pas suite jusqu’au 25 décembre. Ce jour-là, il est convoqué à nouveau mais cette fois, il est présenté dans la foulée à un procureur, arrêté et inculpé d’ « outrage à magistrat ».
Le 31 décembre, après six jours de prison, Radi obtient la liberté provisoire. Son procès a été depuis reporté au 3 mars. Il risque jusqu’à un an de prison.
Le Maroc est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis 1979. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui évalue l’état de mise en œuvre de cet instrument juridiquement contraignant par les États parties, a statué, dans son Observation générale sur le droit à la liberté d’expression, que « le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale ». Ainsi, « toutes les personnalités publiques, y compris celles qui exercent des fonctions au plus haut niveau du pouvoir politique […] sont légitimement exposées à la critique et à l’opposition politique ».
Le 11 janvier 2019, la police arrête Adnan Ahmadoun, 50 ans, journalier et membre du groupe islamiste Al Adl Wal Ihsane, alors qu’il s’apprête à franchir la frontière de Ceuta, une enclave espagnole. Des agents de police lui déclarent qu’il est en état d’arrestation sur la base d’un mandat d’arrêt datant d’août 2018, pour avoir partagé sur Facebook un appel à participer à des manifestations dans la ville minière de Jerada, au nord-est du Maroc.
Il est interrogé sur place pendant cinq heures, avant d’être finalement relâché. La police confisque son téléphone portable, selon elle un « élément de preuve » à verser à son dossier.
Ahmadoun est par la suite inculpé, en état de liberté provisoire, d’ « incitation à la rébellion ». Son procès, qui a débuté en septembre 2019, a été reporté à plusieurs reprises. Le 3 février 2020, Ahmadoun a été condamné à 4 mois de prison avec sursis. Son avocat, Rachid Amri, a déclaré à Human Rights Watch qu’il comptait faire appel.
Appeler à manifester est une forme de discours protégée par le droit international des droits humains. Les lois marocaines ne devraient pas criminaliser de tels actes, et tant que de telles lois existent, les autorités devraient s’abstenir de les appliquer.