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Maroc : Inculpée pour des allégations sur sa vie privée

Une journaliste est en prison, accusée de relations sexuelles hors mariage et d’avortement

(Tunis) – En poursuivant et emprisonnant une journaliste accusée d’avoir avorté et eu des relations sexuelles hors mariage, les autorités marocaines violent de façon flagrante son droit à la vie privée et à la liberté, entre autres droits, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient abandonner toute accusation contre elle et la libérer immédiatement. 
La journaliste marocaine Hajar Raissouni. © Privé / Via Facebook
 
Le 31 août 2019, la police a arrêté Hajar Raïssouni, une journaliste de 28 ans, avant de l’interroger longuement sur sa vie intime. Deux jours plus tard, un procureur l’a inculpée d’avortement et de relations sexuelles en dehors des liens du mariage, et un juge a ordonné qu’elle soit placée en détention. Son procès doit s’ouvrir le 9 septembre. Si elle est reconnue coupable, elle risque jusqu’à deux ans de prison.
 
« Hajar Raïssouni est accusée d’actes de nature privée qui ne sont pas établis et qui de toute façon ne devraient pas être criminalisés », a déclaré Ahmed Benchemsi, directeur de la communication pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch. « De plus, en publiant des allégations détaillées sur sa vie sexuelle et reproductrice, les autorités ont bafoué son droit à la vie privée, cherchant apparemment à salir sa réputation. » 
 
Dans le cadre de la même affaire, les forces de police ont arrêté le fiancé de Raïssouni, l’universitaire soudanais Rifaat Al-Amin, mais aussi le médecin accusé d’avoir pratiqué l’avortement et deux de ses assistants. Al-Amin, accusé de complicité d’avortement et de relations sexuelles en dehors des liens du mariage, risque lui aussi deux ans de prison. Quant au médecin et à ses assistants, ils sont accusés de pratique de l’avortement et de complicité d’avortement, risquant jusqu’à dix ans de prison.
 
Vers 11h30 le 31 août, six policiers en civil ont arrêté Raïssouni et Al-Amin dans une rue du quartier de l’Agdal à Rabat, près d’un cabinet de gynécologie-obstétrique où Hajar Raïssouni était inscrite comme patiente. Les policiers les ont conduits dans ce cabinet, où ils ont arrêté le médecin et deux assistants, puis transporté les cinq personnes jusqu’à un poste de police de Rabat pour interrogatoire, a déclaré Saad Sahli, avocat de Raïssouni et d’Al-Amin, à Human Rights Watch.
 
Plus tard dans la journée, la police a conduit Hajar Raïssouni à l’hôpital Ibn Sina de Rabat, où le personnel l’a soumise à un examen gynécologique sans son consentement, a déclaré à Human Rights Watch un autre de ses avocats, Mohamed Sadkou. Ce type d’examen médical, quand il est réalisé sans le consentement de la personne, constitue un traitement cruel et dégradant selon les standards internationaux des droits humains.
 
Raïssouni est restée en garde à vue au poste de police pendant 48 heures, au cours desquelles les policiers l’ont longuement questionnée sur les détails de sa vie intime, et lui ont demandé si elle avait subi un avortement.
 
Le 2 septembre, la journaliste a été présentée devant un procureur du tribunal de première instance de Rabat puis inculpée d’avortement illégal et de relations sexuelles en dehors des liens du mariage, infractions passibles de jusqu’à deux et un an de prison respectivement, en vertu des articles 454 et 490 du code pénal. Le même jour, un juge du même tribunal a refusé sa requête de liberté provisoire, fixé la première audience au 9 septembre et envoyé l’accusée à la prison Al-Arjat de Salé, ville proche de Rabat.
 
Le tribunal a également refusé la liberté provisoire à Rifaat Al-Amin, au médecin et à ses deux assistants, eux aussi détenus à la prison Al-Arjat. Al-Amin est inculpé de relations sexuelles hors mariage et de complicité d’avortement en vertu des articles 490, 129 et 454 du code pénal et pourrait écoper de deux ans de prison. Le médecin et ses assistants sont inculpés de pratique ou de complicité d’avortement en vertu des articles 449, 450 et 451 et risquent, eux, jusqu’à dix ans de prison.
 
Le 5 septembre, Abdeslam Al-Imani, un procureur de Rabat, a publié un communiqué, largement diffusé aux médias, détaillant les allégations contre Hajar Raïssouni. Le communiqué contenait des détails extrêmement personnels sur sa santé sexuelle et reproductrice, en violation de son droit à la vie privée.
 
Il précisait que l’arrestation de Raïssouni n’était « en aucune façon connectée » au fait qu’elle était journaliste et s’était produite « incidemment », en conséquence du fait qu’elle s’était rendue dans un cabinet médical qui était déjà « sous surveillance, parce que la police judiciaire avait été informée que des avortements y étaient régulièrement pratiqués ».
 
Pourtant, dans une « lettre de prison » publiée par Al Yaoum 24, un site web associé à Akhbar Al Yaoum, le quotidien où elle travaille, Hajar Raïssouni affirme que les policiers lui ont posé plusieurs questions sur son travail de journaliste et sur des membres de sa famille, y compris un penseur islamiste et un journaliste, tous deux connus. Elle déclare également que les policiers lui ont posé des questions précises sur ses relations avec son fiancé, ce qui lui a fait réaliser que le couple était en fait sous surveillance.
 
Akhbar Al Yaoum est un des rares journaux critiques qui survivent au Maroc. Depuis sa création en 2009, les autorités ont pris de sévères mesures à son encontre à plusieurs reprises. En 2018, un tribunal de Casablanca a condamné Taoufik Bouachrine, fondateur et éditeur du quotidien, à 12 ans de prison pour agression sexuelle aggravée à l'issue d’un procès que le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies a décrit comme entaché de fautes de procédure. Akhbar Al Yaoum a largement couvert le procès des leaders du Hirak, mouvement de protestation de la région marocaine du Rif, qui s’est achevé par leur condamnation à jusqu’à 20 ans de prison. Le procès était largement construit sur des « aveux » à la police, dont les accusés disent qu’ils leur ont été arrachés sous la torture.
 
Hajar Raïssouni fait partie d’une famille d’opposants connue. Son oncle, Ahmed Raïssouni, un penseur islamiste reconnu, est le président de l’Union internationale des savants musulmans, une organisation de théologiens basée au Qatar. Un autre de ses oncles, Souleïman Raïssouni, est le rédacteur en chef d’Akhbar Al Yaoum, et s’est fait connaître par ses éditoriaux critiques. Son cousin Youssef Raïssouni est le secrétaire général de l’Association marocaine des droits humains, la plus grande organisation indépendante de défense des droits humains, depuis longtemps dans le collimateur des autorités.
 
Selon Chafik Chraïbi, président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin, entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour au Maroc en moyenne, dont les deux tiers par des médecins. Chraïbi a expliqué à Human Rights Watch que les arrestations liées à l’avortement visaient habituellement les médecins, mais presque jamais les patientes.
 
Des interprétations autorisées du droit international ont déterminé que les pays qui refusent l’accès à l’avortement légal, comme le Maroc, mettent en péril de nombreux droits humains, dont le droit à la vie, à la santé, à la vie privée, et à ne pas subir de traitement inhumain et dégradant. Les recherches de Human Rights Watch ont montré que les pays qui criminalisent l’avortement poussent les femmes et les filles vers des avortements clandestins qui mettent en danger leur santé et leur vie. Human Rights Watch a la conviction que la décision d’avorter ou non revient à la femme enceinte sans interférence des tiers, notamment l’État.
 
Le Maroc devrait également dépénaliser les relations sexuelles consensuelles entre adultes en dehors du mariage, par respect pour leur droit à la vie privée tel que garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le pays a ratifié.
 
« L’arrestation de Hajar Raïssouni, les poursuites pénales contre elle et la violation brutale de sa vie privée illustrent le manque de respect des libertés individuelles par le Maroc et aussi, apparemment, son application sélective de lois injustes afin de punir le journalisme critique et l’activisme », a conclu Ahmed Benchemsi. « Raïssouni et tous ses coaccusés doivent été libérés immédiatement, et toutes les accusations contre eux abandonnées. »
 
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