(Tunis) – Un tribunal marocain a condamné un journaliste de renom à trois ans de prison sous l'accusation douteuse de non-dénonciation d’une menace contre la sécurité de l’Etat, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les autorités avaient déjà poursuivi Hamid El Mahdaoui, connu pour ses opinions politiques critiques, à plusieurs reprises, notamment pour des chefs d'accusation qui violaient son droit à la liberté d'expression pacifique. Il finit actuellement de purger une peine d'un an de prison pour « incitation à participer à une manifestation non autorisée. »
Le 28 juin 2018, le tribunal de première instance de Casablanca a condamné El Mahdaoui à la peine de prison assortie d'une amende de 3 000 dirhams (271 Euros), sur la base d'un appel téléphonique qu'il avait reçu, au cours duquel un homme déclarait son intention de fomenter des troubles armés au Maroc. Le tribunal a récusé la ligne de défense principale d’El Mahdaoui, selon laquelle en tant que journaliste célèbre, il recevait régulièrement des appels d'inconnus, et qu'il avait conclu que les déclarations inconséquentes de cet homme étaient dénuées de toute de crédibilité et ne justifiaient pas d'alerter les autorités. Le journaliste a fait appel du jugement.
« À en croire les autorités marocaines, les accusations contre Hamid El Mahdaoui relèvent de la protection de la sécurité nationale », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « En fait, cette affaire relève plutôt de l’usage arbitraire de la loi contre un journaliste critique, par des autorités qui ont déjà radicalement réduit le champ de la libre expression au Maroc. »
El Mahdaoui avait été arrêté le 20 juillet 2017 à Al Hoceima, chef-lieu de la région du Rif, dans le nord du Maroc. La veille, sur l'une des places publiques de la ville, il avait publiquement condamné la décision du gouvernement d'interdire une manifestation prévue pour le 20 juillet par le « Hirak », un mouvement qui organisait des manifestations depuis octobre 2016 pour protester contre la négligence gouvernementale dont le Rif ferait l'objet. Le 11 septembre 2017, il a été condamné pour incitation à participer à une manifestation interdite.
Peu après son arrestation, El Mahdaoui a été transféré à Casablanca en même temps que 53 activistes du Hirak. Un procès collectif de presque un an s’est ensuivi. Alors que le procès touchait à sa fin, le tribunal a dissocié les activistes du Hirak d’El Mahdaoui, et a jugé ce dernier individuellement sous l'inculpation de « non-dénonciation de tentative de nuire à la sécurité intérieure de l’État ». Le 26 juin, les activistes du Hirak ont été déclarés coupables de « rébellion » et d'organisation de manifestations non autorisées, et condamnés à des peines allant jusqu'à 20 ans de prison.
Le procès d’El Mahdaoui était entièrement basé sur des conversations téléphoniques datées du 27 et 28 mai 2017, et dont la police judiciaire avait obtenu la teneur en mettant sur écoute la ligne de son interlocuteur, selon des documents présentés au tribunal. La défense d'El Mahdaoui a soutenu, sans succès, que le tribunal devrait classer l'affaire sans suites au motif que ces écoutes téléphoniques étaient juridiquement irrecevables. En effet, selon un document judiciaire consulté par Human Rights Watch, la police n'avait reçu l'ordre de placement sur écoute du procureur que le 30 mai, c'est-à-dire après la date de l'enregistrement des conversations litigieuses.
Lors de ses appels, l'interlocuteur s'est présenté, sous le nom de « Noureddine », comme un activiste marocain anti-monarchiste basé aux Pays-Bas, toujours selon les documents judiciaires. Lors d’une conversation de 23 minutes datée du 27 mai, « Noureddine », identifié ultérieurement par la police sous le nom de Brahim Bouazzati, a affirmé que lui et d’autres personnes avaient l'intention d'importer clandestinement au Maroc des armes en provenance de Russie et d'« acheter des chars » afin d'appuyer militairement le mouvement Hirak.
Au tribunal, El Mahdaoui a argué avec insistance que « Noureddine » n’avait aucune crédibilité et que ses plans n'étaient guère plus que « des discours creux. » Il a affirmé qu'à ses yeux, ces déclarations ne méritaient pas une couverture médiatique, et ce en dépit de l'insistance de son interlocuteur lors des conversations téléphoniques enregistrées – qui ont été données à entendre au tribunal – pour qu'il en fasse état publiquement.
Selon le quotidien Le Monde, El Mahdaoui a déclaré au sujet de « Noureddine »: « Je le considérais comme un fou, un menteur ou quelqu'un qui cherchait à me piéger […] Je n'ai jamais pris ses dires au sérieux. »
Les attendus du tribunal justifiant la culpabilité d’El Mahdaoui n'ont pas encore été publiés. Toutefois, à aucun moment du procès, auquel Human Rights Watch a assisté, l'accusation n'a présenté de preuves que le journaliste savait la menace assez sérieuse pour justifier d’alerter les autorités, ou que sa décision de ne pas la considérer comme telle relevait de la négligence criminelle.
Selon le droit international, le droit pénal doit être clair, précis et appliqué de manière telle que n'importe quel individu puisse raisonnablement être en mesure de prédire qu'un acte particulier (ou son omission) est assimilable à un crime.
El Mahdaoui, qui dirigeait le site internet badil.info avant que son emprisonnement n'entraîne sa fermeture, est devenu très populaire au Maroc à force de diffuser, sur les réseaux sociaux, des vidéos dans lequelles il émettait des opinions politiques et sociales, ou conduisait des entretiens avec des personnalités publiques. Il avait été précédemment condamné pour dissémination de « fausses nouvelles » dans des affaires impliquant le ministre de la Justice de l'époque, un gouverneur et le chef de la police nationale. Dans les deux premières affaires, le tribunal avait condamné El Mahdaoui à des peines de prison avec sursis. La troisième affaire avait été classée après que le plaignant eut abandonné les poursuites.
« En condamnant El Mahdaoui à trois ans de prison simplement pour n'avoir pas rapporté des menaces extravagantes, les autorités marocaines envoient un message glaçant à ce qui reste de journalistes indépendants dans le pays : ‘nous pouvons vous traîner dans les tribunaux sous n'importe quel prétexte’ », a affirmé Sarah Leah Whitson.
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Mars 2019 (autre affaire)
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