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Rwanda: Deux disparitions appellent à des enquêtes crédibles

Un mois plus tard, un journaliste et un membre de l’opposition toujours portés disparus

Eugène Ndereyimana (à gauche) et Constantin Tuyishimire (à droite).  © 2019 Human Rights Watch

(Nairobi) – Un journaliste et un membre de l’opposition au Rwanda n’ont toujours pas donné signe de vie un mois après leur disparition lors de deux incidents distincts. Leurs proches n’ont aucune nouvelle d’eux et les autorités n’ont donné aucune information sur leurs enquêtes.

Eugène Ndereyimana, membre de l’opposition affilié au parti non enregistré Forces démocratiques unifiées (FDU)-Inkingi, a été porté disparu par ses collègues le 15 juillet 2019, quand il a manqué d’arriver à une réunion à Nyagatare, dans la Province de l’Est du Rwanda. Ses collègues, qui étaient en contact avec lui alors qu’il était en route, affirment qu’il n’est jamais arrivé. Dans un autre incident apparemment sans rapport, Constantin Tuyishimire, journaliste de la chaîne TV1 Rwanda qui couvre le nord du pays, a été lui aussi porté disparu, le 16 juillet, alors qu’il était censé être en reportage dans le District de Gicumbi, ont indiqué à Human Rights Watch des personnes proches de ce journaliste.

« Ces incidents sont les derniers en date d’une longue série de disparitions suspectes, d’arrestations pour des motifs politiques et de détentions illégales au Rwanda, en particulier de personnes soupçonnées d’être des opposants ou des détracteurs du gouvernement », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités devraient mener des enquêtes transparentes et crédibles sur ces disparitions et faire rendre des comptes aux personnes qui en sont responsables. »

Il n’est pas possible à ce stade d’établir avec certitude un lien entre la disparition de Tuyishimire et son activité professionnelle ou entre celle de Ndereyimana et son activité politique. Le Bureau d’enquêtes rwandais (Rwanda Investigation Bureau, RIB) a informé TV1 Rwanda le 23 juillet que Tuyishimire s’était probablement enfui en Ouganda à cause de dettes impayées, alors que ses proches n’ont pas été en mesure de confirmer cette hypothèse et sont sans nouvelles de lui.

Les journalistes au Rwanda sont souvent dans l’incapacité ou non désireux de se livrer à du journalisme d’investigation sur des sujets politiquement sensibles, à cause de manœuvres d’intimidation, de menaces et de poursuites en justice. Dans un cas particulier, John Ndabarasa, un journaliste qui avait disparu en août 2016, est réapparu à Kigali le 6 mars 2017, plus de six mois plus tard. Dans un récit qui a suscité bien des doutes, il a affirmé aux médias qu’il s’était enfui du pays mais avait décidé de revenir. Human Rights Watch a documenté de nombreux cas au Rwanda dans lesquels d’anciens détenus avaient été forcés de faire de fausses déclarations au bout de plusieurs mois de détention illégale et secrète, et de tortures.

Les disparitions pour des motifs politiques ne sont pas une nouveauté au Rwanda, et elles font rarement l’objet d’enquêtes crédibles et transparentes. Dans une déclaration, le parti FDU-Inkingi a affirmé que la présidente du parti, Victoire Ingabire, et l’épouse de Ndereyimana avaient informé le RIB de sa disparition 48 heures plus tard, le 17 juillet. Depuis lors, elles n’ont reçu aucune information sur l’enquête.

La disparition de Ndereyimana survient cinq mois seulement après la mort dans des circonstances mystérieuses d’Anselme Mutuyimana, un assistant de Victoire Ingabire. Le parti a affirmé que le cadavre de Mutuyimana avait été découvert dans une forêt dans le nord-ouest du Rwanda et qu’il présentait des marques de strangulation. Le RIB avait déclaré à l’agence Reuters qu’il ouvrait une enquête, mais il n’a rendu public aucun constat et n’a donné aucune information aux collègues de Mutuyimana depuis. Avant sa mort, ce dernier venait d’être libéré de prison, où il avait purgé une peine de six ans avec Sylvain Sibomana, le secrétaire général du parti, pour avoir organisé une réunion en 2013.

Human Rights Watch a écrit le 5 août au porte-parole du RIB, sollicitant des informations au sujet des enquêtes sur les disparitions de Ndereyimana et Tuyishimire et sur la mort de Mutuyimana, mais n’a pas reçu de réponse.

Ingabire a été condamnée à 15 ans de prison pour complot visant à porter atteinte au pouvoir établi ainsi que de négation du génocide après avoir tenté de se présenter à l’élection présidentielle de 2010. Elle a purgé huit ans de cette peine avant d'être liberée en septembre 2018, lorsque le président Paul Kagame a accordé une grâce présidentielle à plus de 2 000 détenus.

En octobre 2018, le numéro deux des FDU-Inkingi, Boniface Twagirimana, a « disparu » de sa cellule de prison à Mpanga, dans le sud du Rwanda. Il avait été inculpé, en compagnie de plusieurs autres membres du parti, d’atteintes à la sécurité de l’État et la dernière fois qu’il a été vu, il était en détention. Les autorités rwandaises sont responsables de sa disparition forcée présumée et de ce qui a pu lui arriver depuis.

En mars 2016, Illuminée Iragena, une activiste politique membre des FDU-Inkingi, a été portée disparue, très probablement victime d’une disparition forcée lors d’une détention inavouée du gouvernement. Des proches d’Iragena ont affirmé qu’après sa disparition, ils avaient reçu des messages, prétendument de sa part, affirmant qu’elle allait se rendre à l’étranger. La famille d’Iragena ne croit pas qu’elle ait quitté le pays et craint qu’elle ne soit morte.

De gauche à droite : Boniface Twagirimana, Illuminée Iragena et Anselme Mutuyimana. © 2019 Human Rights Watch

Dans un entretien avec la chaîne France 24 largement diffusé, le président Kagame a récemment rejeté le rapport de 2018 de l’Union européenne faisant état de « graves violations des droits civils et politiques » au Rwanda, le qualifiant de « ridicule », et a balayé d’un revers de main les questions relatives aux allégations selon lesquelles certains de ses détracteurs auraient été tués, agressés physiquement, emprisonnés, réduits au silence ou contraints à s’exiler lors de la période qui a précédé l’élection présidentielle de 2017

À la suite de cette élection, Human Rights Watch a fait état d’une récurrence inquiétante d’abus contre les opposants politiques au Rwanda. Depuis lors, Human Rights Watch a documenté les efforts persistants du gouvernement pour réduire au silence ses détracteurs et les personnes perçues comme étant des opposants politiques, par le biais d’arrestations arbitraires, de menaces et de disparitions forcées.

Il est essentiel pour l’État de droit au Rwanda et pour assurer de manière appropriée la protection des droits à la vie, à la liberté et à la sécurité, que soient menées des enquêtes pouvant permettre d’identifier les auteurs de tout acte répréhensible relatif à tous ces incidents, a déclaré Human Rights Watch. 

« Il n’est ni normal ni acceptable que des journalistes et des opposants politiques puissent disparaître ou être retrouvés morts, comme cela se passe au Rwanda », a affirmé Lewis Mudge. « Le signal délibérément glaçant que cela adresse à quiconque est assez courageux pour contester le statu quo au Rwanda ou pour en parler doit prendre fin, et cela commence par la réalisation par les autorités d’enquêtes crédibles sur ces incidents. »

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Dans les medias

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