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Rwanda : Solidarité avec les victimes 25 ans plus tard

Les efforts de justice pour le génocide de 1994 se poursuivent

(New York) – Il est plus essentiel que jamais, à l’occasion du 25e anniversaire du génocide au Rwanda, de comprendre l’importance de l’action internationale pour empêcher les atrocités à grande échelle et de la nécessité de rendre justice à la suite de tels événements.

Human Rights Watch exprime sa solidarité avec les victimes et les survivants du génocide, l’un des épisodes les plus terrifiants de violence ethnique de l’histoire moderne, qui a été exécuté à une vitesse fulgurante.

« Le Rwanda et la région avoisinante font toujours face aux conséquences du génocide », a expliqué Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch. « Vingt-cinq ans plus tard, les victimes et les rescapés doivent rester au centre des pensées de chacun, mais nous devons aussi dresser le bilan des progrès accomplis quant à la nécessité de garantir que tous ceux qui ont dirigé ces actes atroces en répondent. »

Le 6 avril 1994, un avion transportant le président rwandais Juvénal Habyarimana et le président burundais Cyprien Ntaryamira a été abattu au-dessus de la capitale rwandaise, Kigali. Le crash a marqué le début de trois mois de massacres ethniques dans tout le Rwanda à une échelle sans précédent.

Des extrémistes politiques et militaires hutus ont orchestré le massacre des trois quarts environ de la population tutsie du Rwanda, faisant plus d’un demi-million de morts. Un grand nombre de Hutus qui ont tenté de cacher ou de défendre des Tutsis et ceux qui s’opposaient au génocide ont également été tués.

À la mi-juillet 1994, le Front patriotique rwandais (FPR), un groupe rebelle principalement tutsi basé en Ouganda qui luttait pour renverser le gouvernement rwandais depuis 1990, a pris le contrôle du pays et mis fin au génocide. Ses troupes ont tué des milliers de civils essentiellement hutus, même si l’ampleur et la nature de ces meurtres n’étaient pas comparables à celles du génocide.

Human Rights Watch a documenté en détail le génocide et les crimes du FPR de 1994. Alison Des Forges, conseillère senior auprès de la division Afrique chez Human Rights Watch pendant près de deux décennies, a publié un rapport de référence sur le génocide rwandais, intitulé « Leave None to Tell the Story » (« Aucun témoin ne doit survivre ») et a documenté l’indifférence et l’absence d’action de la part de la communauté internationale.

« Lorsque la communauté internationale exprima finalement sa désapprobation, les autorités du génocide l’entendirent suffisamment pour changer de tactique, sans néanmoins renoncer à leur objectif final », avait indiqué Alison Des Forges dans son compte rendu. « Loin d’être une source de satisfaction, ce succès limité ne fit que souligner la tragédie. Si de timides protestations avaient donné ce résultat à la fin du mois d’avril, que se serait-il passé si le monde entier s’était écrié à la mi-avril : “Plus jamais” ? »

Ce constat que le monde ne devrait pas rester passif alors que des atrocités de masse se produisent dans un État souverain a donné naissance au concept de « responsabilité de protéger », un engagement politique mondial pour empêcher les génocides, les crimes de guerre, les nettoyages ethniques et les crimes contre l’humanité.

Après son arrivée au pouvoir, le FPR a dû faire face au long et difficile processus visant à reconstruire un pays qui avait été presque entièrement détruit et à rendre la justice pour les victimes et leurs familles.

Vingt-cinq ans plus tard, un nombre important de personnes responsables du génocide, y compris d’anciens hauts représentants du gouvernement et d’autres figures importantes, ont été traduites en justice.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1994 en réponse au génocide. Le tribunal a inculpé 93 personnes, a jugé coupables et condamné 61 d’entre elles et en a acquitté 14. Cela a contribué à établir la vérité sur l’organisation du génocide et à rendre justice aux victimes. Alison Des Forges a comparu comme témoin expert dans 11 procès sur le génocide au tribunal.

Cependant, le TPIR a couvert un nombre limité de cas, et a refusé de juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par le FPR. Le tribunal a officiellement cessé ses activités le 31 décembre 2015.

« Le tribunal a représenté une mesure extraordinaire dans la réponse internationale aux violations graves et généralisées des droits humains », a expliqué Kenneth Roth. « Mais son héritage a été affaibli du fait de son absence de poursuites pour les abus commis par le FPR. »

Le système judiciaire rwandais a aussi jugé un grand nombre de personnes suspectées de génocide, à la fois dans les tribunaux conventionnels et dans les tribunaux communautaires gacaca au niveau local. Les normes de ces procès ont varié considérablement et les interférences et les pressions politiques ont conduit à certains procès inéquitables. D’autres affaires se sont déroulées avec un plus grand respect des procédures. Les tribunaux gacaca ont pris fin en 2012.

Alors qu’il mettait fin progressivement à son travail entre 2011 et 2015, le TPIR a transféré plusieurs affaires liées au génocide aux tribunaux rwandais. Pour assurer le transfert de ces affaires, ainsi que les extraditions de personnes suspectées de génocide depuis d’autres pays, le gouvernement rwandais a entrepris des réformes du système judiciaire visant à respecter les normes de procès équitable internationales. Mais les améliorations techniques et formelles des lois et de la structure administrative ne se sont pas accompagnées de progrès en matière d’indépendance de la justice et de respect du droit à un procès équitable.

Human Rights Watch a observé des procès dans lesquels des chefs d’accusation d’idéologie du génocide et d’incitation à l’insurrection ont été utilisés pour traduire en justice des détracteurs bien connus du gouvernement. Les normes de procès équitable ont été bafouées dans bon nombre de ces affaires politiquement sensibles. Malgré ces préoccupations, un nombre croissant de pays ont extradé des suspects pour qu’ils soient jugés pour des chefs d’inculpation liés au génocide au Rwanda.

Les autorités nationales de certains des pays où vivaient des Rwandais suspectés de génocide et dont ils avaient parfois pris la nationalité, ont mené des enquêtes qui ont conduit à plusieurs procès devant leurs tribunaux nationaux. Le principe de « juridiction universelle » permet aux procureurs nationaux de poursuivre des personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité dans certains crimes internationaux graves comme les actes de torture, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, même s’ils ont été commis ailleurs et même si les accusés et les victimes ne sont pas des ressortissants du pays en question. Des procès de Rwandais suspectés de génocide ont eu lieu dans des pays comme l’Allemagne, la Belgique, le Canada, la Finlande, la France, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse.

« Une leçon immuable du génocide est que l’impunité entraîne les atrocités », a conclu Kenneth Roth. « Malgré le temps qui s’est écoulé, les victimes méritent de voir tous les responsables du génocide et des crimes graves commis en parallèle arrêtés et jugés dans des procès équitables et crédibles. »

Tribunaux gacaca

Les tribunaux gacaca communautaires rwandais ont un héritage mitigé. Bien qu’ils aient permis de traiter des dizaines de milliers de cas d’une façon généralement acceptée par la population, ils n’ont pas réussi à fournir des décisions crédibles et rendre justice dans un certain nombre d’affaires.

La population a élu des juges sans formation juridique préalable. Ceux-ci ont jugé des affaires devant les membres de la communauté, qui étaient censés raconter ce qu’ils savaient concernant les actes des prévenus pendant le génocide. Une phase pilote des gacaca a débuté en 2002, mais ce n’est qu’en 2005 que les tribunaux gacaca ont commencé à fonctionner dans tout le pays. Ils ont alors traité près de deux millions d’affaires avant d’être fermés en 2012.

Certains ont salué le traitement rapide d’un nombre considérable d’affaires, la forte implication des communautés locales et l’opportunité pour certains rescapés du génocide de mieux comprendre ce qui était arrivé à leurs proches. Cependant, de nombreuses audiences ont conduit à des procès inéquitables. Les accusés avaient une capacité limitée pour se défendre efficacement ; de nombreux cas d’intimidation et de corruption des témoins de la défense, des juges et d’autres parties ont été observés et certaines prises de décision ont été entachées d’irrégularités, en raison de la formation insuffisante des juges non professionnels pour des affaires complexes, conduisant à des allégations d’erreurs judiciaires.

La décision du gouvernement de transférer les cas de viols liés au génocide aux tribunaux gacaca en mai 2008 a été problématique pour l’administration de la justice pour les victimes du génocide.

Les responsables du génocide ont employé les violences sexuelles comme un outil aussi brutal qu’efficace afin d’humilier et de soumettre les femmes et les filles tutsies, ainsi que les femmes et les filles hutues politiquement modérées. Souffrant de la perte de membres de leur famille et des conséquences physiques et psychologiques des violences, les femmes et les filles qui ont été victimes de violences sexuelles font partie des survivants du génocide les plus anéantis et défavorisés. La décision de transférer les cas de viols à des procédures à huis clos au sein des tribunaux gacaca a créé de nouveaux défis pour rendre la justice. La vie privée des victimes risquait d’être compromise car les communautés auraient connaissance des affaires, même sans entrer dans les détails, et mener les procès à huis clos a suscité des inquiétudes en raison de la nature des tribunaux gacaca, qui ont été conçus pour compter sur la participation des communautés.

L’héritage du Tribunal pénal international pour le Rwanda

Le TPIR était censé juger principalement les suspects haut placés et ceux qui ont joué un rôle majeur dans le génocide. Il a jugé et déclaré coupables plusieurs personnalités bien connues, dont Jean Kambanda, ancien Premier ministre, le général Augustin Bizimungu, ancien chef d’état-major de l’armée, et le colonel Théoneste Bagosora, ancien directeur de cabinet du ministère de la Défense.

Ce tribunal a réalisé des avancées notables et établi une jurisprudence dans le droit pénal international. Il a été le premier tribunal international à condamner une femme pour crimes de génocide, y compris le viol, quand il a reconnu Pauline Nyiramasuhuko, ancienne ministre rwandaise de la Famille et de la Promotion féminine, coupable pour son rôle dans la planification et les ordres donnés à d’autres pour exécuter ces crimes pendant le génocide. Il est aussi devenu le premier tribunal international depuis le tribunal de Nuremberg en 1946 à condamner des responsables de médias pour crimes de génocide.

Cependant, le tribunal était soumis à des limites intrinsèques et a attiré les critiques, en particulier de la part de Rwandais. Lors de l’événement de clôture du TPIR, le 1er décembre 2015, le ministre rwandais de la Justice, Johnston Busingye, a réitéré les critiques du gouvernement concernant l’absence de réparations pour les victimes et la localisation du tribunal hors du Rwanda, et a déploré le fait que des personnes condamnées pour génocide ont été autorisées à parler aux médias. Human Rights Watch et d’autres groupes de défense des droits humains ont aussi critiqué le nombre relativement faible d’affaires traitées par le tribunal, son coût de fonctionnement élevé, ses processus bureaucratiques et la durée des procès, ainsi que son absence de poursuites des crimes commis par le FPR.

Human Rights Watch a documenté des réformes judiciaires majeures au Rwanda pendant les années de fonctionnement du TPIR, mais ayant observé des procès et mené des recherches au Rwanda, Human Rights Watch est restée préoccupée par le fait que le système judiciaire manquait de gages d’indépendance suffisants pour garantir des procès équitables dans toutes les affaires confiées par le tribunal au Rwanda. Bien que Human Rights Watch et d’autres organisations aient porté ces questions à l’attention du tribunal, il a décidé en fin de compte qu’il était sûr de transférer des affaires aux tribunaux rwandais maintenant que le Rwanda avait répondu aux préoccupations antérieures du tribunal par des réformes législatives. Après le premier transfert d’une affaire du TPIR, plusieurs pays ont extradé des suspects pour qu’ils soient jugés au Rwanda.

Réforme du système judiciaire rwandais

Nouvelle chambre pour juger les crimes internationaux

Avant la fermeture du TPIR, le gouvernement rwandais a établi la Chambre spéciale pour juger les crimes internationaux et transnationaux (Chambre pour les crimes internationaux) au sein de la Haute cour en 2012. La chambre spéciale a compétence pour juger les affaires transférées au Rwanda par le TPIR, le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux ou les tribunaux d’autres pays. La chambre a été créée après que des pays comme le Canada, la Norvège et les Pays-Bas ont accepté d’extrader des personnes suspectées de génocide au Rwanda.

La Chambre pour les crimes internationaux, qui occupait précédemment les locaux de la Haute cour à Kigali, a récemment déménagé vers un nouveau complexe à Nyanza, la capitale administrative de la province du Sud du Rwanda. Le juge en chef Sam Rugege a déclaré aux médias lors de la cérémonie d’inauguration de juin 2018 que : « Le bâtiment offre des installations de tribunal modernes conformes aux normes internationales. Cela améliorera la capacité nationale pour juger de manière efficace et équitable les affaires sur le génocide transférées au Rwanda par le TPIR et nos juridictions. »

En décembre, le procureur général du Rwanda, Jean Bosco Mutangana, a indiqué aux médias que le Rwanda a rendu près de 1 000 condamnations depuis 2008 pour des Rwandais suspectés de génocide et vivant dans d’autres pays. Au moins 19 suspects de génocide ayant fui à l’étranger ont été extradés pour être jugés au Rwanda.

Idéologie du génocide et réformes judiciaires au Rwanda

Les autorités rwandaises ont amélioré l’administration de la justice au cours des 25 dernières années, une avancée notable étant donné les défis rencontrés après le génocide. Mais alors que les lois ont changé considérablement, la politisation sous-jacente de la justice subsiste, entravant la pleine concrétisation des réformes.

Le Rwanda a adopté plusieurs lois qui, bien que peut-être destinées à prévenir et punir le discours de haine du type qui a conduit au génocide de 1994, ont restreint la liberté d’expression et ont imposé des limites strictes sur la façon dont les personnes peuvent parler du génocide et des autres événements de 1994. Les accusations et les chefs d’inculpation d’idéologie du génocide ont été utilisés pour faire taire des détracteurs bien connus du gouvernement.

La loi rwandaise définit l’idéologie du génocide comme un acte public reflétant une idéologie qui prône ou soutient la destruction – en tout ou en partie – d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

Une version révisée en 2013 de la loi a défini l’infraction plus précisément et a requis des preuves de l’intention derrière le délit, réduisant la possibilité de poursuites judiciaires abusives. Mais la loi adoptée en 2018 a supprimé le texte exigeant des preuves d’un acte « délibéré ». « [A]ffirmer qu’il y a eu double génocide au Rwanda », ce qui pourrait être interprété comme renvoyant aux crimes commis par le FPR, et « donner de mauvaises statistiques sur les victimes du Génocide » sont désormais passibles d’une peine maximale de sept ans d’emprisonnement.

Normes de procès équitables et transfert des affaires restantes du TPIR au Rwanda

Pour obtenir le transfert des affaires du TPIR et les extraditions de personnes suspectées de génocide depuis d’autres pays, le gouvernement rwandais a entrepris des réformes législatives visant à répondre aux normes internationales de procès équitable. Certaines réformes ont été importantes et positives, notamment l’abolition de la peine de mort en 2007 et la création d’une unité de protection des témoins.

Néanmoins, les juges du TPIR ont refusé plusieurs demandes précédentes du procureur de transférer des affaires au Rwanda, notamment en 2008, car ils estimaient que le système judiciaire rwandais ne pouvait pas garantir un procès équitable. En réponse, le gouvernement rwandais a lancé des réformes supplémentaires, qui ont finalement ouvert la voie pour le transfert d’affaires par le tribunal au Rwanda pour des poursuites judiciaires nationales.

Depuis 2011, le tribunal a transféré plusieurs affaires liées au génocide aux tribunaux rwandais. La première concernait Jean Bosco Uwinkindi, ancien chef de l’église pentecôtiste hors de Kigali, qui a été envoyé au Rwanda en avril 2012. En décembre 2015, il a été condamné à la prison à perpétuité. Il a tenté de faire annuler la décision de transfert, alléguant que son droit à un procès équitable avait été bafoué au Rwanda.

La deuxième affaire transférée pour être jugée au Rwanda était celle de Bernard Munyagishari, qui a été envoyé au Rwanda en juillet 2013 et a été jugé coupable de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité en avril 2017. Le troisième transfert est celui de Ladislas Ntaganzwa, qui a été arrêté en République démocratique du Congo le 9 décembre 2015 et extradé au Rwanda. Il a été accusé d’avoir personnellement dirigé un groupe qui a tué plus de 20 000 Tutsis. Son procès s’est ouvert à la Chambre pour les crimes internationaux en 2017.

Le tribunal a aussi transféré deux affaires à la France : les tribunaux français ont prononcé un non-lieu dans l’affaire contre Wenceslas Munyeshyaka en octobre 2015, tandis que le procès de Laurent Bucyibaruta a été confirmé en décembre 2018.

Quand le TPIR a cessé ses activités, le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (IRMCT), créé en 2010, a été chargé d’arrêter et de juger les neuf fugitifs inculpés par le tribunal restants, dont huit sont toujours en liberté. Le Mécanisme conserve la compétence sur Augustin Bizimana, Félicien Kabuga et Protais Mpiranya, alors que les six affaires restantes ont été transférées aux autorités rwandaises. Cinq de ces suspects – Fulgence Kayishema, Charles Sikubwabo, Aloys Ndimbati, Ryandikayo et Phénéas Munyarugarama – sont toujours en fuite à l’heure actuelle, tandis que Ladislas Ntaganzwa est en train d’être jugé au Rwanda.

Dans son rapport de suivi de novembre 2018, l’IRMCT a mentionné que Ladislas Ntaganzwa avait déclaré au tribunal qu’il avait été placé à l’isolement pendant 25 jours et que les autorités pénitentiaires l’avaient harcelé, avaient menacé de le frapper et l’avaient intimidé pour avoir enfreint les règlements de la prison après qu’il a été trouvé en possession d’un téléphone portable. Lors d’une réunion en décembre, Ladislas Ntaganzwa a expliqué aux observateurs de l’IRMCT que ses avocats de la défense n’avaient pas été autorisés à le voir pendant son placement à l’isolement et que les autorités avaient confisqué son ordinateur portable pendant une journée, d’où son inquiétude qu’elles aient parcouru les documents de sa défense.

Procès au Rwanda et à l’étranger

Procès au Rwanda

De nombreux Rwandais ont fui le pays pendant et après le génocide en 1994 et ont demandé l’asile en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord. Parmi ceux revendiquant le statut de réfugiés, certains ont été suspectés d’avoir participé au génocide.

Jusqu’à la première décision de transfert du TPIR, la plupart des pays ont refusé les demandes d’extradition du Rwanda. En vertu du droit international relatif aux droits humains, le pays qui extrade pourrait être tenu pour responsable de violations des droits humains prévisibles du suspect au Rwanda.

Une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en octobre 2011 stipulant qu’il était sûr d’extrader Sylvère Ahorugeze, un Rwandais suspecté de génocide arrêté en Suède, a incité les gouvernements à extrader des suspects pour qu’ils soient jugés au Rwanda. Les procureurs et les juges dans les affaires d’extradition dans divers pays ont cité les décisions du tribunal et de la Cour européenne comme précédents pour plaider en faveur des extraditions.

Le gouvernement rwandais a sollicité la mise en place de traités d’extradition avec des dizaines de pays dans une volonté de juger les suspects de génocide restants au Rwanda. En 2018, il a ratifié des traités avec l’Éthiopie, le Malawi et la Zambie. Peu après la ratification du traité d’extradition, Vincent Murekezi a été extradé du Malawi vers le Rwanda, le 28 janvier 2019. Il a été condamné au Malawi pour des délits de fraude et a été transféré au Rwanda « dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers ». D’après le Service correctionnel du Rwanda, un tribunal gacaca l’avait précédemment jugé par contumace et condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir participé au génocide, principalement dans le district de Huye.

D’autres pays africains ayant des accords d’extradition en vigueur avec le Rwanda pour les crimes internationaux incluent la République du Congo, la Tanzanie, l’Ouganda et – dans le cadre des protocoles de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs – le Burundi et la République démocratique du Congo.

Jean Paul Birindabagabo, aussi connu sous le nom de pasteur Daniel Bagabo, a été expulsé de l’Ouganda vers le Rwanda en janvier 2015 pour répondre à des chefs d’accusation liés au génocide. L’Ouganda a extradé au moins deux autres suspects de génocide, y compris Jean-Pierre Kwitonda, qui a été renvoyé au Rwanda en décembre 2010 après qu’un tribunal gacaca l’a condamné à 19 ans de prison, et Augustin Nkundabazungu, qui a été arrêté et expulsé en août 2010 et a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité avec des dispositions spéciales par une Cour d’appel gacaca.

Certains pays ont extradé des suspects vers le Rwanda malgré l’absence de traités. Depuis que le TPIR a transféré une première affaire au Rwanda en 2011, le Canada, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège et les États-Unis ont extradé des suspects. Certaines extraditions se sont appuyées sur des verdicts de tribunaux gacaca.

En décembre 2018, Wenceslas Twagirayezu a été extradé du Danemark vers le Rwanda. Il aurait pris part à un massacre dans une église et une université au cours duquel plus de 1 000 personnes ont été tuées. Les médias rwandais ont indiqué qu’il a comparu devant le tribunal de première instance de Kicukiro pour une mise en examen formelle et une audience concernant sa détention provisoire en janvier 2019.

Wenceslas Twagirayezu est le deuxième Rwandais extradé du Danemark vers le Rwanda, après Emmanuel Mbarushimana, qui a été condamné à la réclusion à perpétuité par la Chambre pour les crimes internationaux à Kigali en décembre 2017 pour son rôle dans le génocide. Ce dernier a adressé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, qui a confirmé la décision du tribunal danois d’extrader Emmanuel Mbarushimana pour qu’il soit jugé au Rwanda en 2014.

Le premier suspect de génocide extradé par l’Allemagne était Jean Twagiramungu, qui a été expulsé vers le Rwanda en août 2017 pour y être jugé. Les autorités rwandaises ont aussi demandé l’extradition ou le jugement de quatre autres personnes suspectées de génocide vivant en Allemagne, tout en saluant les procès de suspects dans ce pays.

Le Canada a extradé Léon Mugesera, un ancien universitaire et responsable du gouvernement accusé d’avoir tenu des discours incendiaires pour inciter aux meurtres en janvier 2012. Son procès à la Haute cour à Kigali s’est ouvert en février 2012, où il a dû répondre de plusieurs chefs d’accusation, dont planification et incitation publique au génocide. Après un procès complexe, Léon Mugesera a été condamné à la prison à perpétuité en avril 2016 et son appel est en cours.

En novembre 2016, le Canada a extradé Jean-Claude Seyoboka, qui est accusé de crimes liés au génocide, dont des viols. Jean-Claude Seyoboka est un ancien membre des forces armées et est jugé par un tribunal militaire.

Après des années d’appels, les Pays-Bas ont extradé Jean-Baptiste Mugimba et Jean-Claude Iyamuremye en novembre 2016, et tous deux sont jugés au Rwanda. Charles Ndereyehe Ntahontuye, un autre suspect, a été jugé par contumace par un tribunal gacaca. En mars 2018, la Commission nationale de lutte contre le génocide au Rwanda a demandé aux Pays-Bas de l’arrêter et de l’extrader ou de le juger, et des procédures d’extradition sont en cours.

Le 10 mars 2013, la Norvège a extradé Charles Bandora vers le Rwanda. La Chambre pour les crimes internationaux à la Haute cour de Kigali l’a reconnu coupable de conspiration, génocide, et meurtres en tant que crimes contre l’humanité en mai 2015 et l’a condamné à 30 ans de prison. Le ministère public a allégué que Charles Bandora était si influent dans sa commune que le maire, les soldats, et la police, ainsi que les Interahamwe, la milice associée au parti au pouvoir, obéissaient à ses ordres. En novembre 2018, Charles Bandora a fait appel de sa condamnation, affirmant que les preuves utilisées pour établir sa responsabilité dans l’organisation et la conduite d’une réunion, le 7 avril 1994 afin de planifier le meurtre des Tutsis qui avaient trouvé refuge à la paroisse de Ruhaha étaient infondées.

Un autre suspect de génocide, Leopold Munyakazi, a été expulsé des États-Unis vers le Rwanda sur la base d’un mandat d’arrêt international l’accusant de génocide, de conspiration pour commettre un génocide et de négation de génocide. Un tribunal de première instance au Rwanda l’a reconnu coupable d’implication directe dans le génocide et l’a condamné à la prison à perpétuité en 2017. La Chambre pour les crimes internationaux a annulé sa peine d’emprisonnement à perpétuité en juillet 2018, mais a confirmé une peine de neuf ans pour négation de génocide. D’autres affaires concernent Jean-Marie Vianney Mudahinyuka et Marie-Claire Mukeshimana, tous deux reconnus coupables de crimes de génocide par contumace par des tribunaux gacaca, et en janvier et en décembre 2011, respectivement, ils ont été transférés au Rwanda pour y purger leur peine.

Même si un nombre croissant de pays extradent des personnes suspectées de génocide pour qu’elles soient jugées au Rwanda, certains refusent de le faire.

En décembre 2015, un juge de district au Royaume-Uni, après avoir étudié les procès des suspects précédemment extradés et le cadre juridique actualisé au Rwanda, a rejeté une demande d’extradition concernant cinq Rwandais suspectés de génocide au motif qu’ils risquaient de ne pas bénéficier d’un procès équitable au Rwanda. Vincent Brown, aussi connu sous le nom de Vincent Bajinya, Charles Munyaneza, Emmanuel Nteziryayo, Célestin Ugirashebuja et Célestin Mutabaruka ont été détenus au Royaume-Uni en 2013 après une demande d’extradition du gouvernement rwandais.

Les tribunaux français ont aussi refusé de multiples demandes d’extradition des autorités rwandaises pour diverses raisons, y compris des préoccupations concernant les normes de procès équitable.

Human Rights Watch convient que lorsqu’il est possible de garantir des procès équitables, il est préférable de juger les crimes internationaux graves comme le génocide et les crimes contre l’humanité là où ils ont été commis, à proximité des victimes et de la population touchée. Cependant, si, comme au Rwanda, le système judiciaire manque de totale indépendance et le gouvernement peut influer sur l’issue des procès, notamment dans les affaires sensibles sur le plan politique, Human Rights Watch s’interroge sur la possibilité pour les suspects de bénéficier d’un procès équitable devant les tribunaux nationaux.

Procès à l’étranger

Au cours des 25 dernières années, les autorités nationales de certains pays où vivent des Rwandais suspectés de génocide ont enquêté sur leur implication présumée dans des crimes liés au génocide et ont jugé plusieurs d’entre eux devant leurs tribunaux nationaux.

Habituellement, les tribunaux nationaux sont uniquement habilités à enquêter sur un crime lorsqu’il existe un lien entre le pays et le crime. Le lien typique est territorial, ce qui signifie que le crime ou un élément significatif du crime a été commis sur le territoire du pays souhaitant exercer sa compétence (principe de compétence territoriale). De nombreux pays engagent aussi des poursuites sur la base de la personnalité, ce qui signifie que le suspect est un citoyen de ce pays (principe de personnalité active) ou que la victime du crime est un citoyen dudit pays (principe de personnalité passive).

Cependant, certains tribunaux nationaux se sont vu accorder la compétence pour agir même sans lien de territoire ou de personnalité. En général, ce principe – dit de compétence universelle – peut uniquement être invoqué pour juger un nombre restreint de crimes internationaux, dont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les actes de torture, le génocide, la piraterie, les attaques contre le personnel de l’ONU et les disparitions forcées.

Certains pays ont créé des unités spécialisées dans les crimes de guerre au sein de leurs services d’application des lois et de poursuites judiciaires, axées sur le traitement des crimes internationaux graves commis à l’étranger, y compris le génocide.

Plusieurs pays ont jugé des Rwandais suspectés de génocide, dont l’Allemagne, la Belgique, le Canada, la Finlande, la France, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse. Pour certains, il s’agissait des premières affaires de génocide jugées dans leurs tribunaux nationaux. Des enquêtes pénales sont toujours en cours sur d’autres Rwandais suspectés de génocide dans plusieurs pays, dont la France et la Belgique.

En France, où de nombreux suspects de génocide connus ont fui après le génocide, ce n’est qu’en février 2014 que le premier suspect – Pascal Simbikangwa, un ancien chef des services de renseignement sous le gouvernement de Juvénal Habyarimana – a été jugé. Ce fut la première affaire jugée par l’unité des crimes de guerre récemment créée. Ce fut un moment important, car la France avait appuyé l’ancien gouvernement du Rwanda et avait soutenu et entraîné certaines des forces qui ont commis le génocide. Le 14 mars 2014, un tribunal de Paris a reconnu Pascal Simbikangwa coupable de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité et l’a condamné à 25 ans de prison. Sa condamnation a été confirmée en appel en mai 2018.

Le 16 juillet 2016, un tribunal français a condamné Octavien Ngenzi et Tito Barahira à la prison à perpétuité pour génocide et crimes contre l’humanité. Leurs peines d’emprisonnement à perpétuité ont été confirmées en appel en juillet 2018. Plusieurs autres affaires sont toujours en cours en France, mais la progression est lente. La France a rejeté des demandes d’extradition de nombreuses personnes qui font l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par le Rwanda.

La Suède a condamné trois Rwandais naturalisés suédois pour génocide et crimes de droit international. La première personne jugée pour génocide en Suède était Stanislas Mbanenande, qui avait obtenu la nationalité suédoise en 2008. Il a été reconnu coupable et condamné à la réclusion à perpétuité en juin 2013. Sa condamnation a été confirmée en appel en juin 2014.

La Suède a jugé Sadi Bugingo en vertu de la compétence universelle et l’a déclaré coupable d’avoir aidé ou encouragé le génocide et les meurtres en février 2013. Les juges l’ont, à l’unanimité, reconnu coupable du meurtre de 2 000 personnes dans trois attaques différentes. Il a été condamné à 21 ans d’emprisonnement et la condamnation a été confirmée en appel en août 2014.

Le premier procès au Canada en vertu de la nouvelle législation sur les crimes internationaux graves était aussi une affaire liée au génocide rwandais. Désiré Munyaneza a été reconnu coupable de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre et a été condamné à la prison à perpétuité en 2009.

Des procès tenus en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne pour des chefs d’accusation de génocide, de crimes de guerre, et d’incitation ont aussi donné lieu à des condamnations.

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Dans les médias

Le Monde    LaPresse.ca

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