(Moscou) – Les autorités russes manquent souvent à leur responsabilité de protéger les femmes contre les violences conjugales, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. De graves lacunes dans la législation russe, l'absence d'ordonnances de protection et des réponses inadéquates de la part de la police et des autorités judiciaires laissent les femmes pratiquement sans protection, y compris celles qui sont exposées à des violences physiques extrêmes.
Ce rapport de 84 pages, intitulé « ‘I Could Kill You and No One Would Stop Me’: Weak State Response to Domestic Violence in Russia » (« ‘Je pourrais te tuer, personne ne m'en empêcherait’: Faible réponse de l'État aux violences conjugales en Russie »), décrit en détail les obstacles auxquels font face les victimes en ce qui concerne la dénonciation des abus et l'obtention d'aide. Parmi ces obstacles figurent la stigmatisation sociale, l'absence de sensibilisation et la défiance envers la police. Celle-ci refuse souvent d'enregistrer ou d'enquêter sur les allégations de violences conjugales faites par des femmes, préférant les orienter vers un processus de poursuites privées manifestement inéquitable et extrêmement laborieux, dans lequel il incombe à la victime de recueillir toutes les preuves nécessaires et de supporter tous les coûts. Human Rights Watch a également constaté que les victimes se heurtent aussi à des obstacles pour trouver des refuges provisoires.
« Les femmes en Russie sont souvent laissées entièrement seules face aux violences conjugales », a déclaré Yulia Gorbunova, chercheuse sur la Russie à Human Rights Watch et auteure du rapport. « Les lois existantes ne les protègent tout simplement pas quand elles se retrouvent piégées dans un cycle d'abus à répétition, sans savoir comment s'en sortir. »
Le rapport est basé sur 69 entretiens approfondis avec des femmes vivant dans toutes les régions de Russie et qui ont subi des violences conjugales, ainsi qu'avec des avocats et d'autres experts, des activistes, des groupes de défense des droits des femmes, des membres du personnel de refuges et des responsables gouvernementaux.
Quoique les statistiques officielles sur les violences conjugales en Russie soient fragmentaires, plusieurs indicateurs laissent penser qu'elles sont omniprésentes. Des études officielles font ressortir qu'au moins une femme sur cinq en Russie a subi des violences physiques de la part de son mari ou compagnon.
Les femmes interrogées pour le rapport ont affirmé avoir été serrées à la gorge, battues à coups de poing, de bâton et de barre métallique, brûlées, menacées avec des armes, agressées sexuellement et violées, poussées du haut de balcons ou de fenêtres, avoir perdu des dents du fait de coups reçus et avoir été soumises à de sévères violences psychologiques. Pour les femmes ayant des enfants, les violences commençaient généralement ou s'aggravaient lorsqu'elles étaient enceintes et leurs enfants étaient eux aussi exposés aux violences. Les violences s'aggravaient généralement au fil du temps, durant des années dans certains cas, et laissaient des traces profondes et durables chez les victimes, en termes de santé physique et psychologique.
« J'ai vécu avec lui pendant 10 ans », a déclaré « Antonina », une victime de violences conjugales âgée de 33 ans. « Une fois, il m'a cogné la tête contre un angle du mur et m'a jetée hors de l'appartement alors que ma blessure à la tête saignait abondamment. Mais quand nous étions ensemble, je savais que je devais endurer cela … J'estimais que je devais maintenir l'unité de la famille. Si j'avais su [que j'aurais pu obtenir de l'aide], je l'aurais quitté beaucoup plus tôt et maintenant, mon fils ne serait pas aussi traumatisé psychologiquement. »
La Russie ne dispose pas d'une loi nationale sur les violences conjugales et celles-ci ne constituent un délit distinct ni dans le code pénal ni dans le code administratif. La législation russe ne prévoit pas non plus d'ordonnances de protection, qui pourraient permettre de mettre les femmes à l'abri de violences récurrentes en interdisant les contacts entre une victime et son agresseur. L'absence de telles lois renforce l'impression, largement partagée, que les autorités ne considèrent pas les violences conjugales comme constituant un crime important ou un sujet de préoccupation publique, a déclaré Human Rights Watch.
Le parlement a adopté en février 2017 des amendements législatifs controversés qui ont décriminalisé les premières infractions de coups et blessures entre membres d'une même famille – soit un grave recul qui a eu pour effet de réduire les peines encourues par les agresseurs et d'exposer les victimes à des risques accrus. Les organisations russes de défense des droits des femmes, les activistes et les avocats spécialisés dans les droits humains exhortent depuis des années le gouvernement à adopter une loi sur les violences conjugales. Plusieurs responsables de haut rang ont critiqué publiquement les amendements et ont reconnu qu'ils avaient conduit à davantage de violences.
La Russie devrait adopter d'urgence une loi exhaustive sur les violences conjugales, a affirmé Human Rights Watch. Elle devrait également signer et ratifier la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe sur la prévention et la répression de la violence à l'égard des femmes et de la violence conjugale. La Russie est l'un des deux seuls États membres du Conseil de l'Europe qui n'ont ni signé ni ratifié cette convention.
La violence conjugale en Russie est toujours considérée essentiellement comme une affaire privée, « familiale », a constaté Human Rights Watch. La police, les tribunaux et parfois même les prestataires de services rendent les victimes responsables et conseillent aux femmes qui cherchent à obtenir une protection de se réconcilier avec leurs agresseurs ou d'éviter de les « provoquer ». Les parlementaires qui ont poussé à l'adoption des amendements de décriminalisation de 2017 ont assimilé les efforts visant à prévenir et à punir la violence conjugale à une immixtion dans la famille russe et une atteinte aux « valeurs traditionnelles. »
« La violence conjugale n'est pas une ‘valeur traditionnelle’ et le fait qu'elle se produise derrière des portes closes ne suffit pas à en faire une simple ‘affaire de famille’ », a affirmé Yulia Gorbunova. « Il incombe au gouvernement russe de protéger les victimes de violences conjugales, et non pas de leur fermer la porte au nez tandis que les abus continuent. »
Les ressources allouées par l'État aux victimes de violences conjugales sont limitées et bien en-dessous des niveaux recommandés par le Conseil de l'Europe, dont la Russie est membre. La Russie dispose de peu de places dans les refuges spécialisés dans la protection des femmes contre les violences conjugales. Certains refuges gérés par l'État exigent un montant impressionnant de formalités administratives. Ils peuvent mettre des semaines à décider d'accorder refuge à des victimes, dont beaucoup se trouvent en situation de crise et sont exposées au risque immédiat de nouvelles violences.
Le parlement russe devrait adopter une loi qui considère la violence conjugale comme une infraction criminelle distincte méritant de faire l'objet d'une enquête et de poursuites judiciaires de la part de l'État, plutôt que de la cantonner aux poursuites privées. Il devrait également adopter des dispositions juridiques instituant la pratique des ordonnances de protection, à la fois immédiates et de plus long terme. Les autorités russes devraient aussi s'assurer que la police réponde efficacement aux allégations de violences conjugales et que les femmes qui y sont exposées, y compris dans les zones rurales, aient un accès réel à des services d'assistance, notamment, si nécessaire, à des refuges provisoires d'urgence.
« Si le gouvernement russe n'agit pas rapidement pour changer la situation, il continuera de mettre des vies en danger et de laisser les victimes de violences conjugales faire face seules au risque d'une poursuite des abus », a conclu Yulia Gorbunova. « Le parlement devrait adopter une loi sur les violences conjugales et l'accompagner de la mise en place de services dont les victimes ont un urgent besoin. »
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Dans les médias
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#Russie : Un nouveau rapport de HRW met en lumière le grave problème des #violencesconjugales et la passivité des autorités. Il faut amender la loi et mieux protéger ces #femmes, souligne HRW. https://t.co/bMTYpFy6q2
— HRW en français (@hrw_fr) 25 octobre 2018
Une femme sur cinq en #Russie subirait des violences physiques infligées par son mari ou compagnon, selon des statistiques officielles. Il est temps d'agir contre ces #violencesconjugales, souligne un nouveau rapport de HRW. https://t.co/bMTYpFy6q2 #Droitsdesfemmes pic.twitter.com/DuZbvSxgKC
— HRW en français (@hrw_fr) 25 octobre 2018
[VIDÉO] Le fléau des #violencesconjugales en #Russie. Témoignages et recommandations pour mettre fin aux abus >> https://t.co/sHEVfOilg7 (s/titres FR via cc)
— HRW en français (@hrw_fr) 25 octobre 2018
Russie : une femme sur cinq victime de violences domestiqueshttps://t.co/OMgdZsYyvN @hrw_fr pic.twitter.com/B0A6gXeGqQ
— L'important (@Limportant_fr) 26 octobre 2018
Violences domestiques en #Russie: les victimes souvent ignorées par la police. Article sur le nouveau rapport de @hrw. https://t.co/SeBapNKMUe via @lp_lapresse #AFP #violenceconjugale
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2019
#Russie : le projet de loi contre la #violenceconjugale ou familiale ne va pas assez loin, selon HRW. Il faudrait par exemple renforcer la protection des #femmes qui ont le courage de porter plainte contre leur mari ou conjoint, ou parfois père. https://t.co/C07SH7fdFF
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