Parmi les dirigeants mondiaux attendus à New York cette semaine pour la session annuelle de l’Assemblée générale des Nations Unies, il y en a un qui devrait, techniquement, déjà être à la retraite. Le deuxième et dernier mandat autorisé par la constitution du président Joseph Kabila a expiré l’année dernière. Mais il a utilisé un stratagème après l’autre pour retarder l’élection de son successeur et s’accrocher au pouvoir, menant une répression sans merci contre les opposants politiques et les activistes pro-démocratie et envoyant ses services de sécurité pour abattre plus de 170 manifestants pacifiques en 2015 et 2016.
Toutefois, lors de réunions à l’ONU cette semaine, le gouvernement de la République démocratique du Congo essaiera de convaincre les dirigeants mondiaux que le président Joseph Kabila s’est engagé à tenir des élections et à renoncer au pouvoir—si seulement il lui est accordé plus de temps. Accepter aveuglément de telles promesses vaines pourrait avoir des conséquences désastreuses pour le peuple congolais.
Alors que le président Kabila était toujours fermement installé dans ses fonctions après que la fin de son deuxième mandat soit passée en décembre dernier, l’Église catholique romaine a assuré la médiation d’un accord de partage du pouvoir d’urgence—le dénommé « accord de la Saint-Sylvestre »— qui appelait à une série de concessions de la part du gouvernement, y compris la désignation d’un nouveau premier ministre issu des rangs de l’opposition, et à la tenue d’élections avant la fin de 2017.
Cette nouvelle échéance approche rapidement, mais les élections ne sont toujours nulle part en vue.
Entre-temps, la coalition au pouvoir a défié les grands principes de l’accord de la Saint-Sylvestre en écartant les membres de la principale coalition d’opposition du nouveau gouvernement et en nommant un premier ministre qui avait été exclu du principal parti d’opposition. Elle a également interditsystématiquement les rassemblements et les manifestations de l’opposition politique tout en emprisonnant de nombreux leaders et de partisans de l’opposition, ainsi que des activistes pro-démocratie ou défenseurs des droits humains.
Beaucoup d’entre eux sont détenus au secret, sans que des chefs d’accusation n’aient été formulés à leur encontre et sans accès à leurs familles ou à des avocats. D’autres ont été poursuivis en justice sur base de chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces. En juillet, des hommes armés non identifiés ont tiré sur un juge qui avait refusé de rendre un jugement contre un leader de l’opposition. Il a échappé de peu à la mort. Le gouvernement a aussi fermé des médias congolais, expulsé des journalistes et des chercheurs internationaux critiques et a périodiquement restreint l’accès aux réseaux sociaux.
Pire encore, des sources bien placées au sein des services de sécurité et de renseignement décrivent des efforts officiels visant à semer la violence et l’instabilité à travers le pays par ce qui semble être une « stratégie du chaos » délibérée pour justifier de nouveaux retards dans l’organisation des élections. Depuis août 2016, des violences impliquant les forces de sécurité gouvernementales, des milices appuyées par le gouvernement et des groupes armés locaux ont fait plus de 3000 morts dans la région du Kasaï, dans le sud du pays. Six cents écoles ont été attaquées ou détruites, et 1.4 million de personnes ont été déplacées de leurs foyers. Quatre-vingt fosses communes ont été découvertes dans la région, dont la majorité contiendraient les corps de civils et de militants tués par les forces de sécurité gouvernementales.
En mars, deux enquêteurs de l’ONU — Michael J. Sharp, un Américain, et Zaida Catalán, de double nationalité suédoise et chilienne — ont été tués alors qu’ils enquêtaient sur les graves violations des droits humains dans la région. Les recherches de Human Rights Watch et une enquête de Radio France Internationale suggèrent une responsabilité du gouvernement dans le double meurtre.
De manière prévisible, le président de la commission électorale de la RD Congo a depuis invoqué la violence dans les Kasaïs comme la raison principale pour laquelle les élections ne peuvent pas être organisées cette année.
Le refus de Kabila de quitter le pouvoir peut s’expliquer en partie par la fortune considérable que sa famille et lui ont amassée depuis son arrivée au pouvoir. De récents rapports de Bloomberg et du Groupe d’Étude sur le Congo de l’Université de New York détaillent comment les membres de la famille de Kabila sont propriétaires, soit partiellement, soit dans leur totalité, de plus de 80 compagnies dont les revenus s’élèvent à des centaines de millions de dollars depuis 2003. Parallèlement, des centaines de millions de dollars versés ces dernières années par des compagnies minières à des organes de l’État « se sont évaporés », ne parvenant jamais dans les caisses du Trésor national, selon un rapport de Global Witness.
La corruption a contribué à priver le gouvernement de fonds pour répondre aux besoins fondamentaux d’une population appauvrie. Des centaines de fonctionnaires se sont mis en grève ces dernières semaines, y compris des employés d’hôpitaux qui n’ont pas été payés depuis 2016. Ceci survient au milieu d’une épidémie nationale de choléra et d’une famine imminente menaçant des millions de Congolais.
Les évêques catholiques de la RD Congo ont sonné l’alarme en juin, imputant la non-organisation de nouvelles élections conformément à l’accord de la Saint-Sylvestre à un petit groupe d’alliés de Kabila. Apparemment convaincus que Kabila ne quittera pas ses fonctions à moins qu’il n’y soit contraint, les évêques ont appelé les Congolais à « se mettre debout » et à « prendre [leur] destin en main ».
En réponse à cet appel, des leaders de mouvements de jeunes pro-démocratie, des organisations de la société civile et des représentants de l’Église catholique ont publié ensemble un « manifeste » en août, exigeant la démission de Kabila et appelant à une « transition citoyenne » — supervisée par des responsables qui ne pourraient pas se présenter aux élections — dont l’objectif premier serait d’organiser des élections crédibles.
Les partenaires internationaux et régionaux de la RD Congo devraient soutenir cette « transition citoyenne ». Pour augmenter la pression sur Kabila pour qu’il démissionne, les États-Unis et l’Union européenne devraient imposer de nouvelles sanctions ciblées à l’encontre des membres de la famille de Kabila et de ses proches collaborateurs qui ont détourné des fonds ou abusé de leur pouvoir pour miner le processus démocratique. La mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo devrait aussi avoir pour mandat la protection de la population congolaise durant la période de transition.
Les dirigeants du monde entier réunis à New York cette semaine devraient exprimer leur soutien à un Congo démocratique et appeler Kabila à se retirer. Garder le silence alors que les élections sont sans cesse retardées ne fera que l’encourager dans sa stratégie de répression, de violence et de vol.
#RDC - HRW appelle au départ du président Kabila, et à des élections libres et crédibles. pic.twitter.com/M6ek3ECIPy
— HRW en français (@hrw_fr) 21 septembre 2017