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« Ce sera la dernière loi. La première et la dernière. » C’est ainsi qu’Emmanuel Macron répond à la question que je viens de lui poser : « Que se passera-t-il, monsieur le Président, si par malheur une nouvelle attaque terroriste venait à se produire en France dans les prochains mois ? Proposerez-vous encore une nouvelle loi ? »

La police française et des membres de la brigade anti-criminalité (BAC) sécurisent une rue au cours d'une opération anti-terroriste dans plusieurs quartiers d'Argenteuil, France, le 21 juillet 2016.  © 2016 Reuters/Charles Platiau

L’échange se déroule il y a une dizaine de jours. J’étais à l’Elysée, dans le cadre d’une délégation de responsables d’organisation de défense des droits humains, d’avocats et de magistrats, reçue par le président de la République et deux de ses conseillères. Représentant le réseau « Etat d’urgence-antiterrorisme », nous étions venus exprimer nos critiques et nos craintes au sujet de deux projets de loi élaborés par le gouvernement et soumis au Parlement : la sixième prolongation de l’état d’urgence et le nouveau projet de loi antiterroriste, directement inspiré des mesures de ce régime d’exception. Cette loi pérenniserait des pouvoirs exceptionnels, supposés être temporaires et introduits dans le cadre des circonstances particulières d’un état d’urgence limité dans le temps.

Pendant plus d’une heure trente d’échanges nourris, nous avons pu exposer méthodiquement les abus commis contre des citoyens ordinaires en vertu de ces pouvoirs de l’état d’urgence. Nous avons alerté le Président sur le fait que le projet de loi antiterroriste perpétuerait des pouvoirs d’exception dans la loi ordinaire, menaçant les droits et l’État de droit. Nous avons dénoncé l’absence d’évaluation de l’efficacité des mesures de l’état d’urgence et de l’arsenal législatif français en matière d’antiterrorisme. Nous avons déploré le choix de la procédure accélérée pour l’examen parlementaire de ces deux projets de loi, privant le pays d’un réel débat démocratique sur la question des libertés, l’une des valeurs fondatrices du pays.

Mais cette discussion n’aura pas ébranlé le président Macron.

Loin de renforcer les libertés, comme ce dernier l’a proclamé le 3 juillet lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès, le nouveau projet de loi pérenniserait dans le droit commun des pouvoirs abusifs introduits dans le cadre de l’état d’urgence. Il normaliserait les pouvoirs considérables que ce régime d’exception octroie au ministère de l’Intérieur et à la police administrative. L’affaiblissement de la garantie judiciaire, fondement de l’Etat de droit et rempart essentiel contre les abus, deviendrait permanent. De fait, cela reviendrait à considérer que la France est toujours en état d’urgence. En autorisant des « ordres d’assignation à résidence », selon lesquels la liberté de mouvement de personnes est sévèrement limitée, même si ces personnes ne sont pas accusées d’un crime, le nouveau projet de loi confirme également un dangereux glissement vers ce que l’on peut appeler une justice préventive. Nous avons appris récemment que 708 ordres d’assignation à résidence avaient été pris depuis la déclaration de l’état d’urgence en novembre 2015. Plus d’un par jour. Il s’agit d’une tendance, pas d’un petit nombre d’actions isolées. La « logique du soupçon », sur laquelle reposent ces ordres, ouvre la porte à de nombreux abus.

Pendant le rendez-vous, le président de la République reconnaîtra que l’état d’urgence peut « libérer des comportements arbitraires » et a mené à « des excès ». Alors candidat, Emmanuel Macron a lui-même très bien dit, dans son ouvrage Révolution, que « la diminution des libertés de tous et la dignité de chaque citoyen n’a jamais provoqué nulle part d’accroissement de la sécurité ». Malgré cela, Emmanuel Macron fait le choix d’emboîter le pas des gouvernements successifs qui, ces deux dernières décennies, ont répondu à la menace terroriste par des lois toujours plus dures - dotant la France de l’arsenal législatif antiterroriste le plus robuste d’Europe. Les membres du Parlement, largement acquis à la cause du Président, adopteront probablement le projet de loi sans grande opposition. Emmanuel Macron a beau dire que ce sera sa « première et dernière loi » en matière de lutte antiterroriste, l’histoire récente en France et ailleurs montre qu’une fois que les États empruntent cette pente législative, des lois toujours plus répressives suivent.

Si l’on se réfère à ces dix-huit derniers mois, la France pourrait bien être droguée à l’état d’urgence. En tant que dirigeant occupant les plus hautes responsabilités, la tâche du président de la République française devrait être de mettre un terme à cette addiction et de résister à la tentation de réagir à la peur d’une nouvelle attaque par des lois causant plus de dommages en matière de droits qu’elles ne produisent d’effets en matière de sécurité. En tant que militants, avocats, juristes, et voix de la société civile, c’est ce que nous continuerons à dire au Président et à nos représentants élus. Mettez réellement un terme à l’état d’urgence, n’injectez pas une dose de cet état d’exception dans notre droit commun.

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