(Tunis, le 11 avril 2017) –Le Conseil national de l’Ordre des médecins de Tunisie a publié, le 3 avril 2017, une déclaration dans laquelle il demande aux médecins de cesser de procéder à des examens forcés des parties anales et génitales, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Cette décision marque un jalon vers la fin de ces « tests » dégradants, discriminatoires et non scientifiques censés établir la preuve de comportements homosexuels.
La Tunisie fait partie de plusieurs pays dans lesquels Human Rights Watch a documenté l’utilisation d’examens anaux forcés au cours des six dernières années. Ces examens invasifs et humiliants, qui s’appuient sur des théories discréditées du 19ème siècle, sont généralement pratiqués par des médecins ou des personnels de santé qui introduisent de force leurs doigts et parfois des objets dans l’anus de l’accusé. Les fonctionnaires chargés de l’application des lois qui ordonnent de tels examens affirment qu’en fonction de la tonicité du sphincter anal ou de la forme de l’anus, il est possible de conclure à un comportement homosexuel. Des affirmations rejetées par les experts légistes.
« Les médecins tunisiens ont pris une mesure courageuse pour s’opposer à l’utilisation de ces examens cruels », a déclaré Neela Ghoshal, chercheuse senior auprès de la division LGBT de Human Rights Watch. « Pour en finir une fois pour toutes avec les examens anaux forcés en Tunisie, la police devrait cesser d’ordonner ces examens et les tribunaux devraient refuser d’admettre les résultats comme éléments de preuve. »
Les examens anaux forcés violent la Convention contre la torture, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Comme l’a souligné le Comité des Nations Unies contre la torture, ils « n’ont aucune justification médicale et ne peuvent être consentis de manière libre et éclairée par les personnes qui les subissent et qui seront, de ce fait, poursuivies en justice ». Pour les praticiens, pratiquer de tels examens constitue une violation du code médical, a déclaré Human Rights Watch.
La déclaration du Conseil national de l’Ordre des médecins tunisiens affirme que les médecins doivent désormais informer les patients de leur droit de refuser l’examen. Interdire aux médecins de pratiquer des examens anaux sans consentement est un pas dans la bonne direction, mais en raison de leur absence de scientificité, le recours à des examens anaux pour déterminer un comportement homosexuel consensuel devrait cesser complètement, indépendamment de la question du consentement, a déclaré Human Rights Watch. En ce sens, la déclaration est insuffisante, puisqu’elle laisse la possibilité qu’une personne accusée d’homosexualité consentie se soumette à un examen anal sous la pression de la police, de crainte qu’un refus ne soit retenu contre elle, ou persuadée qu’elle sera disculpée.
En 2015, des médecins de Sousse et de Kairouan ont soumis à des examens anaux forcés au moins sept hommes accusés de sodomie en vertu de l’article 230 du Code pénal, déclenchant des protestations de la société civile. Human Rights Watch a interviewé les hommes, dont certains ont décrit les examens anaux forcés comme étant des viols. Un étudiant de 22 ans soumis à un examen anal à Kairouan a déclaré à Human Rights Watch : « Je me sentais comme un animal, parce que j’étais privé de respect. J’avais l’impression qu’ils me violaient. Je le ressens encore aujourd’hui. »
Le Comité des Nations Unies contre la torture a condamné le recours à des examens anaux en Tunisie en mai 2016 et le Service européen pour l’action extérieure a, en janvier 2017, demandé à la Tunisie de mettre immédiatement fin à de telles pratiques lors d’un dialogue entre l’Union européenne et la Tunisie relatif aux droits de l’homme.
La déclaration du Conseil national de l'ordre des médecins de Tunisie fait suite à un cas plus récent, celui de deux jeunes hommes arrêtés pour accusations de sodomie en décembre 2016. Ils ont été soumis à des examens anaux forcés et, en dépit de résultats « négatifs », condamnés en mars 2017 à huit mois de prison.
Dans un rapport en date de juillet 2016, Human Rights Watch a documenté et condamné le recours aux examens anaux forcés au Cameroun, en Égypte, au Kenya, au Liban, au Turkménistan, en Ouganda et en Zambie. La Tanzanie y a également eu recours, sur des hommes homosexuels présumés à Zanzibar en décembre dernier, dans le cadre d’une répression anti-LGBT.
Au Liban, le recours aux examens anaux forcés a considérablement décliné en 2012 lorsque, suite à une campagne de militants contre les « tests de la honte », l’Ordre des Médecins du Liban à Beyrouth a émis une circulaire appelant les médecins à cesser ces examens. Mais des cas isolés ont été recensés jusqu’en 2015, attestant que l’action d’un ordre de médecins est insuffisante à endiguer complètement cette pratique.
Les chefs d’Etats et de gouvernements devraient prendre des mesures légales pour mettre fin aux examens anaux forcés dans le cadre de poursuites judiciaires relatives à des comportements consensuels entre individus du même sexe, par exemple grâce à des ordonnances en interdisant le recours ; en présentant et promouvant une législation interdisant les examens anaux forcés ; ou en demandant aux ministères pertinents de prendre des mesures pour les interdire, a recommandé Human Rights Watch.
Les autorités judiciaires devraient interdire aux juges et magistrats d’admettre les résultats d’examens anaux dans les cas impliquant des accusations criminelles de rapports homosexuels consentis et les responsables de l’application des lois s’abstenir d’imposer les examens.
Les ministères de la santé et les ordres nationaux de médecins ou les organismes de réglementation similaires devraient interdire au personnel médical de procéder à des examens anaux sur les personnes accusées de rapports homosexuels consentis. Les institutions nationales des droits de l’homme devraient enquêter sur le recours aux examens anaux forcés et demander aux autorités compétentes de mettre un terme à cette pratique.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) devrait publier une directive claire condamnant l’utilisation des examens anaux forcés dans le cadre des poursuites judiciaires vis-à-vis des homosexuels, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch appelle tous les pays à abroger les lois pénalisant les rapports homosexuels consentis, qui violent les droits internationalement reconnus sur la vie privée et la non-discrimination.
« Il est temps pour le monde de dire ‘non’ de manière retentissante au recours aux examens anaux forcés où que ce soit », a conclu Neela Ghoshal. « Il est encourageant de voir les médecins tunisiens ouvrir la voie. Les ordres de médecins du monde entier, ainsi que les organismes d’application des lois et autres organismes gouvernementaux devraient suivre leur exemple. »
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Tunisie : Les médecins s’opposent aux « tests anaux » pour homosexualité https://t.co/kWGJtArbK1
— HRW en français (@hrw_fr) 12 avril 2017