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UE : Donner l’exemple face à la crise migratoire mondiale

L'Union européenne devrait cesser de sous-traiter l’accueil des migrants et augmenter les réinstallations, respectant ainsi des normes élevées en matière d’accueil des demandeurs d’asile

(Bruxelles, le 23 novembre 2016) – Face aux migrations actuelles, les gouvernements de l’Union européenne (UE) ont adopté des politiques qui remettent en cause la protection et les droits humains des réfugiés, tout en ternissant la position éthique de l’UE, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 24 pages, intitulé « EU Policies Put Refugees at Risk: An Agenda to Restore Protection » Les politiques européennes mettent les réfugiés en danger : recommandations pour rétablir une protection adéquate »), analyse les efforts de l’UE pour déléguer ses responsabilités envers les demandeurs d’asile et les réfugiés à d’autres régions du monde qui accueillent déjà la grande majorité des réfugiés. Le rapport montre aussi que, la tendance dans l’UE est à restreindre les droits des réfugiés et que celle-ci a échoué à passer à la vitesse supérieure pour les réinstallations de réfugiés. Le rapport émet des recommandations pour guider la réponse européenne face aux migrations, maritimes et autres, et conclut qu’il est urgent que les gouvernements de l’UE changent radicalement de politique.

Sauvetage d’un homme en mer Méditerranée par un membre de l'ONG Proactiva Open Arms, à environ 20 milles nautiques au nord de la Libye, le 3 octobre 2016. © 2016 Getty Images

« On se souviendra de l’année 2016 comme du moment où l’UE a décidé de fermer sa porte aux réfugiés et de rendre la vie plus difficile à ceux qui s’y trouvaient déjà », a déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Cette volonté précipitée de transformer l’UE en un environnement hostile et d’empêcher à tout prix les gens de franchir les frontières se fait au mépris des risques qu’ont pris ces personnes, qui mettent souvent leur vie en danger pour fuir les conflits, la persécution et les violations des droits humains, et va à l’encontre de toutes les valeurs européennes. »

En 2015, une mauvaise gestion et un manque de coordination entre les gouvernements de l’UE ont contribué à créer une crise politique et humanitaire, lorsque plus d'un million de demandeurs d’asile et de migrants ont débarqué en Europe par voie maritime. Même si les arrivées sont beaucoup moins nombreuses en 2016 – moins de 340 000 – des problèmes importants restent à résoudre, alors que les pays situés en première ligne du territoire européen affrontent plus que leur part de responsabilité. Sans oublier que pour l’année 2016, à ce jour, plus de 4 600 personnes sont mortes ou portées disparues en essayant d’atteindre l’Europe par la mer – ce qui en fait l’année la plus meurtrière qu'on ait jamais connue.

En 2016, les efforts de l’UE se sont portés sur deux objectifs : empêcher les nouvelles arrivées et déléguer sa responsabilité envers les demandeurs d’asile et les réfugiés auprès de régions et de pays situés hors de l’UE, a déclaré Human Rights Watch. Cette approche est bien illustrée par l’accord conclu entre l’UE et la Turquie relatif aux réfugiés, qui constitue un cadre inédit pour les relations avec des pays-tiers, fondées sur la coopération en matière de migration, ainsi que par la formation dispensée par l’UE aux garde-côtes et officiers de marine libyens.

Ces trois politiques ont des aspects positifs. Nous notons notamment l’assistance fournie pour améliorer la vie des réfugiés et des communautés qui les accueillent dans les pays où ils arrivent en premier et où ils demandent l’asile, ainsi que l’amélioration de la capacité à sauver des vies en mer. Mais d’un autre côté, ces politiques entraînent des risques importants de violations des droits des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants. En effet, il semble que l’UE ait exploité l’aide humanitaire pour faire pression sur l’Afghanistan et le persuader d’accepter le retour de dizaines de milliers de demandeurs d’asile, et ce malgré la situation sécuritaire précaire dans la plus grande partie du pays.

Les gouvernements des pays de l’UE revoient à la baisse les droits des demandeurs d’asile, notamment le droit au regroupement familial. La Commission européenne a proposé une série de réajustements des directives régissant les demandes d’asile, notamment des mesures qui durcissent les critères permettant de demander asile dans les pays de l’UE, qui sanctionnent les demandeurs d’asile s’ils se déplacent d’un pays de l’UE à un autre, et qui instaurent des réexamens obligatoires afin de faciliter le retrait du statut de réfugié et le retour forcé. De manière plus positive, nos recommandations tendraient à augmenter les dispositifs de protection dans les procédures de demande d’asile, et à inclure, dans la définition de la famille, les frères et sœurs ainsi que les familles formées pendant la migration.

L'incapacité à répartir la responsabilité du traitement des demandes d’asile de manière juste entre les pays européens est un des points faibles du système actuel, et a joué un grand rôle dans le chaos observé aux frontières de l’Europe en 2015, a déclaré Human Rights Watch. Pourtant, une proposition de 2016 de la Commission européenne vise à réformer le règlement de Dublin, qui détermine le pays chargé de traiter une demande d’asile, en mettant particulièrement l’accent sur la restriction des déplacements des demandeurs d’asile d’un pays européen à l’autre, grâce à des mesures dissuasives et des sanctions. La proposition tend à renforcer la responsabilité première des pays d’arrivée, qui sont souvent déjà débordés.

Les modifications du règlement de Dublin qui ont été proposées ne prennent absolument pas en compte la destination souhaitée par les demandeurs d’asile au sein de l’UE, qui se base sur les liens ou sur d’autres considérations d’ordre familial, culturel ou linguistique, qui sont autant de facteurs clés pour une intégration réussie sur le long terme, a ajouté Human Rights Watch. Le programme européen en matière de relocalisation d’urgence, adopté en 2015, n’a pas fonctionné comme souhaité, avec seulement 7 000 demandeurs d’asile transférés hors de Grèce et d’Italie, bien loin des 106 000 espérés.

L’UE a également échoué à accélérer de façon significative la réinstallation des réfugiés reconnus depuis d’autres régions du monde. La Commission européenne a proposé un programme de réinstallation qui pourrait, en pratique, conditionner le choix des pays à partir desquels l’UE prendrait en charge la réinstallation de réfugiés, à « la coopération efficace » de leurs gouvernements pour remplir les exigences de l’UE en matière de contrôle migratoire. La réinstallation est la meilleure façon d’aider les réfugiés reconnus à reconstruire leurs vies sans avoir à se lancer dans des voyages périlleux. Faire dépendre cette option du degré de coopération de leur pays d’accueil avec les intérêts européens remet en cause le principe de la responsabilité partagée et entrave l’objectif de fournir des solutions durables aux réfugiés les plus vulnérables, a déclaré Human Rights Watch.

L’UE et ses États membres devraient œuvrer ensemble à inscrire dans leurs priorités le fait de sauver des vies en mer, grâce à des opérations soutenues de recherche et de sauvetage le long des principales routes migratoires en Méditerranée. Ils devraient améliorer les voies sûres et légales que les réfugiés peuvent emprunter pour arriver sur le territoire européen, afin de réduire les trafics et les voyages dangereux. Ainsi montreraient-ils la voie dans cette crise migratoire mondiale. L’UE devrait également respecter les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés qui sont déjà sur son territoire en garantissant les meilleurs standards possibles dans le domaine des procédures de demande d’asile et du respect des droits et des prestations. Elle devrait répartir équitablement les responsabilités en son sein en accélérant les relocalisations d’urgence et en réformant le système de Dublin de façon à remédier à ses défauts les plus criants.

« Avec la fin du mandat de Barack Obama aux États-Unis, on ne sait pas quel rôle joueront les États-Unis en matière de réfugiés, et le monde a donc d’autant plus besoin que l’Europe montre l’exemple en la matière, et qu’elle assure un leadership moral », a déclaré Jude Sunderland. « Ce n’est pas seulement la décision la plus juste, c’est aussi crucial si l’Europe veut que d’autres pays continuent à accueillir et à protéger les réfugiés. »

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