(Budapest, le 12 juillet 2016) – Des migrants à la frontière hongroise sont sommairement renvoyés vers la Serbie, dans certains cas de manière cruelle et violente, sans prendre en considération leur demande de protection, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
De nouvelles lois et procédures adoptées en Hongrie l'année dernière forcent tous les demandeurs d'asile qui souhaitent y entrer en Hongrie à le faire par une zone de transit située sur le territoire hongrois sur laquelle le gouvernement exerce une fiction juridique en soutenant que les personnes s'y trouvant ne sont pas encore « entrées » en Hongrie. Human Rights Watch a établi qu'alors que certains groupes vulnérables sont transférés vers des installations d'accueil ouvertes en Hongrie, depuis mai 2016, le gouvernement hongrois rejette sommairement les demandes de la majorité des hommes célibataires sans prendre en considération leurs besoins de protection.
« La Hongrie enfreint toutes les règles relatives aux demandeurs d'asile qui transitent par la Serbie, rejetant sommairement les demandes et renvoyant les demandeurs de l'autre côté de la frontière », a déclaré Lydia Gall, chercheuse sur l'Europe de l'Est et les Balkans à Human Rights Watch. « Les gens qui franchissent la frontière hongroise sans autorisation, y compris des femmes et des enfants, ont été sauvagement battus et obligés de passer de nouveau la frontière de l'autre côté. »
Les restrictions relatives au nombre de personnes susceptibles de pénétrer dans les zones de transit signifient que des centaines de migrants et de demandeurs d'asile, y compris des femmes et des enfants, sont bloqués dans un « no man's land » dans de très mauvaises conditions dans l'attente de pénétrer dans les zones de transit. Human Rights Watch a établi que les demandeurs d'asile et autres migrants qui tentent d'entrer de manière informelle sans passer par la zone de transit sont contraints de retourner en Serbie, parfois violemment, sans tenir aucunement compte de leurs besoins de protection.
Human Rights Watch a interrogé 41 demandeurs d'asile et migrants ainsi que des membres d'un groupe non gouvernemental, du personnel du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), des avocats défenseurs des droits humains, des activistes, du personnel du Bureau de l'immigration et de la nationalité hongrois et la police hongroise. Parmi les personnes interrogées se trouvaient trois hommes qui avaient été refoulés en Serbie depuis les zones de transit après que leurs demandes ont été jugées irrecevables sans examen substantiel de leurs demandes d'asile ou de temps suffisant pour déposer un recours.
Human Rights Watch a aussi interrogé 12 personnes appréhendées sur le territoire hongrois après avoir tenté d'y pénétrer de manière irrégulière et qui ont affirmé avoir pénétré en Hongrie en groupes parmi lesquels se trouvaient des femmes et des enfants. Ils ont dit avoir été brutalement frappés et maltraités par des agents avant d'être refoulés vers la Serbie. Ils ont affirmé que les agents les avaient souvent aspergés de produits provoquant des sensations de brûlure aux yeux, avaient lâché les chiens sur eux, leur avaient donné des coups de pied et les avaient roués de coups à mains nues et à l'aide de matraques, leur avaient passé des menottes en plastique aux poignets et les avaient forcés à passer au travers de petites ouvertures pratiquées dans les clôtures de fil barbelé, entraînant d'autres blessures.
Un homme qui avait été arrêté en Hongrie parmi un groupe de 30 à 40 personnes, notamment des femmes et des enfants a déclaré qu'ils avaient été roués de coups deux heures durant : « Je n'ai jamais vu un tel passage à tabac, même pas au cinéma. Cinq ou six soldats nous ont pris les uns après les autres pour nous rouer de coups. Ils nous ont lié les mains dans le dos avec des menottes en plastique. Ils nous ont tapé dessus avec tout ce qu'ils avaient sous la main : les poings, les pieds et les matraques. Ils nous ont délibérément infligé de graves blessures. »
Un autre membre du groupe, qui portait encore les stigmates de ses blessures 16 jours après les faits, a déclaré que la police avait lâché les chiens sur le groupe, le faisant tomber au sol et qu'un agent de police lui avait donné des coups de pied ou l'avait frappé au visage tandis qu'il gisait à terre.
Le 25 mai, le HCR a publiquement exprimé ses préoccupations au sujet de refoulements concernant des demandeurs d'asile qui auraient eu lieu à la frontière hongroise, s'accompagnant, dans certains cas, de violence. Le Haut-Commissariat a appelé les autorités hongroises à enquêter sur l'affaire.
Les ministères de la Défense et de l'Intérieur hongrois devraient enquêter sur les allégations d'abus impliquant leurs agents et la milice civile qui patrouille également sur certains segments de la frontière, et ils devraient obliger les responsables à rendre compte de leurs actes, a déclaré Human Rights Watch.
En septembre 2015, la Hongrie a édifié une clôture de fil barbelé et deux zones de transit sur sa frontière avec la Serbie afin de repousser les migrants. Elle a d'abord renvoyé des individus après la déclaration du gouvernement en juillet selon laquelle la Serbie était un pays sûr où les demandeurs d'asile et les migrants pouvaient être renvoyés. Toutefois, en vertu d'accords bilatéraux de réadmission avec la Hongrie, la Serbie n'accepte aucun retour à l'exception de ceux concernant ses propres ressortissants et des personnes originaires du Kosovo.
De fin septembre à mai, pour ainsi dire aucun véritable retour n’a eu lieu en partie en raison d'un avis rendu par la Cour Suprême de Hongrie selon lequel les décisions individuelles concernant les demandes d'asile devraient être prises même dans les cas où les autorités ont invoqué le principe du « pays tiers sûr ». Or, la Cour a retiré son avis en mars, ouvrant ainsi la voie à l'expulsion des demandeurs d'asile des zones de transit vers la Serbie sans considération aucune du bien-fondé de leurs demandes. À ce jour, les autorités hongroises ont refoulé 13 demandeurs d'asile non Serbes ou Kosovar depuis les zones de transit vers la Serbie sans en informer les autorités serbes.
Des membres de groupes vulnérables qui sont déplacés vers des centres d'accueil pourraient toujours voir leurs demandes rejetées sans véritable examen de leur situation. Un plafonnement des admissions journalières vers les zones de transit, actuellement fixé à 15 admissions par zone, signifie que des centaines de demandeurs d'asile sont coincés à l'extérieur des zones de transit à la fois en territoire hongrois et serbe.
Le 8 juin, environ 550 personnes – dont 200 enfants et 160 femmes – étaient bloquées à l'extérieur des zones de transit situées à Tompa et Röszke parmi lesquelles 200 enfants et 160 femmes sans aucune aide humanitaire adéquate comme un abri, des douches et de la nourriture. Des toilettes mobiles ont finalement été installées par les autorités serbes à la zone de transit de Röszke début juin.
En juin, le parlement a adopté une loi qui autorise les gardes-frontières hongrois à refouler sommairement vers la Serbie les demandeurs d'asile et les migrants appréhendés jusqu'à huit kilomètres à l'intérieur de la Hongrie. Cette loi a pris effet le 5 juillet et selon un communiqué de presse publié par le gouvernement le jour même, les 6 000 policiers supplémentaires envoyés par les autorités vers les zones frontalières ont arrêté et escorté vers la Serbie 151 personnes ayant franchi irrégulièrement la frontière au cours des 12 premières heures de l'entrée en vigueur de la loi. Le 5 juillet, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme s'est également dit préoccupé du fait que la loi pourrait signifier que les organismes chargés de l'application des lois ne respectent pas les droits humains des migrants ; il a en outre exprimé son inquiétude quant au non-respect de la législation internationale concernant le refoulement des individus par la force en l'absence de toute procédure judiciaire.
Human Rights Watch a écrit au Bureau de l'immigration et de la nationalité hongrois (OIN) et aux ministères de la Défense et de l'Intérieur hongrois le 13 juin les informant des résultats de ses recherches et leur demandant une réponse. L'Organisation n'en a pas encore reçu à ce jour.
Il ressort des éléments disponibles que la Serbie ne devrait pas être considérée comme un pays tiers sûr, autrement dit qu'il ne s'agit pas d'un pays dans lequel un demandeur d'asile donné jouit de droits conformes à la Convention de 1951 relative aux réfugiés. Human Rights Watch a documenté de sérieux abus commis contre des demandeurs d'asile et des migrants ainsi que des dysfonctionnements dans le système d'asile, notamment l'absence de protection qui entoure les enfants non accompagnés. Sur les 583 demandes d'asile déposées en 2015, dont la majorité émanait de Syriens, seules 16 personnes ont reçu le statut de réfugié et 14 une protection subsidiaire, ce qui constitue un faible pourcentage d'octroi comparé au taux de 97 pour cent d'acceptation de demandeurs d'asile dans l'Union européenne. En raison des défaillances observées dans le système d'asile serbe, les directives actuelles de l'UNHCR consistent à dire que la Serbie ne devrait pas être considérée comme un pays tiers sûr. L'Agence exhorte les États à ne pas refouler d'individus vers la Serbie.
Le 10 décembre 2015, la Commission européenne a engagé une procédure d'infraction contre la Hongrie relative à sa législation en matière d'asile énonçant son « incompatibilité, dans certains cas, avec le droit communautaire. » Au moment où le présent communiqué a été rédigé, aucune autre information relative à cette procédure n'a été communiquée.
Les pays membres de l'UE devraient s'abstenir de renvoyer les demandeurs d'asile vers la Hongrie jusqu'à ce que le pays garantisse un véritable accès à l'asile, notamment suffisamment de temps pour se pourvoir en appel. Ils devraient en outre faire pression sur la Hongrie afin qu'elle cesse de renvoyer de manière violente et sommaire les demandeurs d'asile vers la Serbie, a déclaré Human Rights Watch.
« Les violences perpétrées à l'encontre des demandeurs d'asile et des migrants vont à l'encontre des obligations de la Hongrie aux termes du droit communautaire, du droit des réfugiés et du droit relatif aux droits humains », a commenté Lydia Gall. « La Commission européenne devrait utiliser ses pouvoirs de mise en application du droit pour contraindre Budapest à respecter ses obligations en vertu du droit de l'Union européenne afin de fournir un accès significatif à l'asile et des procédures équitables pour ceux qui se trouvent à ses frontières et sur son territoire. »
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Le Figaro / AFP 13.07.16
Valeurs Actuelles 13.07.16
Tribune de Genève 13.07.16
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