(Bruxelles, le 6 juillet 2016) – Les efforts déployés par l’Union européenne pour endiguer la migration en provenance de la Libye risquent de condamner les migrants et les demandeurs d'asile à de violentes exactions infligées par les responsables gouvernementaux, les milices et les bandes criminelles dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Parmi les abus récemment documentés figurent des actes de torture, de viol et d'homicides commis dans des centres de détention sordides où les migrants, notamment des personnes interceptées en mer par les gardes-côtes libyens, sont détenus.
Le 20 juin 2016, l'UE a prorogé le mandat de son opération navale de lutte contre le trafic de migrants en Méditerranée centrale, en y intégrant la formation des gardes-côtes libyens et de la marine libyenne qui interceptent des embarcations afin de renvoyer les migrants et demandeurs d'asile vers la Libye. L'UE a également sollicité l’aide de l'OTAN dans le cadre de cette opération. Les pays membres de l'OTAN évoqueront différentes options lors du sommet de Varsovie qui se tiendra les 8 et 9 juillet.
« L'UE ne renvoie pas directement les gens en Libye sachant que cela est illicite, et préfère donc sous-traiter le sale boulot aux forces libyennes », a déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « L'UE – peut-être bientôt avec l'appui de l'OTAN – délègue ni plus ni moins les forces libyennes pour l’aider à fermer les frontières européennes. »
À l'heure actuelle, les navires de l'UE et de l'OTAN ne sont pas autorisés à opérer dans les eaux territoriales libyennes. L'UE a reconnu qu'en vertu du droit international, elle ne peut pas renvoyer en Libye des gens secourus dans les eaux internationales en raison des dangers extrêmes encourus dans ce pays.
En juin, Human Rights Watch a interrogé 47 personnes en Sicile, 23 femmes et 24 hommes qui s'étaient récemment rendus de Libye en Italie à bord de bateaux de passeurs. Les personnes interrogées, originaires du Cameroun, de l'Érythrée, de Gambie, de Guinée, de Côte d'Ivoire, du Nigeria, du Sénégal et du Soudan, ont déclaré avoir fui leur pays afin d'échapper à la persécution, notamment au service militaire abusif, au mariage forcé ou pour chercher une éducation et du travail. Ils ont décrit de graves atrocités commises en Libye par des responsables gouvernementaux, des passeurs et des membres de milices et de bandes criminelles et ont évoqué la collaboration occasionnelle entre responsables et passeurs. L'anarchie et les violences rampantes partout en Libye ont convaincu ceux qui s'étaient rendus dans ce pays pour y travailler d'effectuer la dangereuse traversée de la Méditerranée vers l'Europe.
« En Libye, ils font ce qu'ils veulent, car il n'y a pas de loi, il n'y a rien », a déclaré un Gambien âgé de 31 ans à Human Rights Watch dont la femme, selon ses dires, a été violée par des criminels.
Huit personnes parmi celles interrogées ont affirmé que les forces libyennes qu'elles pensaient appartenir aux gardes-côtes ou à la marine avaient intercepté leur bateau lors de plusieurs incidents et les avaient ramenées à terre avec d'autres passagers, en leur assénant parfois des coups de matraque. À terre, elles avaient été retenues dans des centres de détention des services d'immigration avec d'autres individus appréhendés sur le territoire libyen pour y être entrés de manière irrégulière ou ne pas détenir de permis de séjour.
La majorité des centres est gérée par le ministère de lutte contre la migration illégale (Department for Combating Illegal Migration, DCIM) qui relève du ministère de l'Intérieur, lui-même contrôlé nominalement par le Gouvernement d'entente nationale soutenu par l'ONU et reconnu par l'UE, l'une des trois autorités concurrentes en Libye. Selon un groupe de travail international chargé de visiter les infrastructures, le DCIM gère environ 20 centres, situés pour la plupart dans l'ouest de la Libye, qui détiennent approximativement 3 500 personnes. Des milices et des passeurs gèrent de nombreux autres établissements de détention non officiels.
Les conditions dans les centres DCIM à Tripoli, Zawiya et Subratha étaient épouvantables aux dires d'anciens détenus. Ils ont fait état de surpopulation extrême, de pièces sales et de pénurie de nourriture. Au rang des atrocités commises figuraient des homicides, des passages à tabac, du travail forcé et des violences sexuelles perpétrées à l'encontre des hommes et des femmes.
« Guyzo », Camerounais âgé de 40 ans, a rapporté avoir été détenu dans la ville méridionale de Sebha en décembre 2014 pour défaut de permis de séjour en règle et avoir passé un an en détention, dans trois centres différents, les six derniers mois à Tripoli :
Là-bas, le traitement était inhumain. J'ai de nombreuses cicatrices... Six hommes se sont pendus dans la chambre que j'occupais. [C'était] des hommes qui avaient été sodomisés, qui n'en pouvaient plus. Je me suis fait violer à sept reprises, par quatre ou cinq hommes à la fois, qui me frappaient pour m'obliger à rester à terre. Si on résiste, ils en appellent d'autres pour vous frapper encore plus.
Outre les violences physiques, tous les anciens détenus ont déclaré que personne ne les avait menés devant un juge ou permis de contester leur détention. La détention prolongée sans examen judiciaire équivaut à de la détention arbitraire ce qui est interdit par le droit international.
Quatre personnes ont relaté des atrocités et des manœuvres dangereuses en mer commises par les gardes-côtes. Dans un cas, les forces ont poursuivi le canot pneumatique d'un migrant, provoquant la panique. Une Nigériane est morte écrasée.
Réagissant au chaos et à la violence qui règnent en Libye, en octobre 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a appelé tous les pays à « permettre aux civils (ressortissants libanais, résidents habituels de Libye et citoyens de pays tiers) fuyant la Libye d'accéder à leurs territoires ».
Les politiques de l'UE qui empêchent les migrants et les demandeurs d'asile de quitter la Libye ou qui les renvoient en Libye où ils font face à de sérieuses atrocités, vont à l'encontre de l'esprit de l'appel lancé par l'UNHCR et violent la législation internationale, a déclaré Human Rights Watch. L'Article 12(2) du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (ICCPR) accorde à quiconque le droit de quitter un pays, y compris le sien.
L'UE devrait garantir qu'aucune partie de l'aide qu'elle accorde en matière de formation, de financement ou d'assistance matérielle aux gardes-côtes libyens et autres autorités libyennes n'aggrave la situation des droits humains, a déclaré Human Rights Watch. L'UE devrait soutenir la surveillance et les rapports publics réalisés par des observateurs internationaux, notamment les agences de l'ONU et de l'UE, sur les établissements de détention en Libye, y compris les centres où les personnes secourues ou interceptées par les gardes-côtes libyens sont détenues. L'UE devrait également exhorter les autorités libyennes à mettre fin aux atrocités commises en détention, proposer des alternatives à la détention des immigrants et ratifier la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
Afin d'aider tant les Libyens que les non-Libyens, l'UE et ses États membres devraient généreusement financer la réponse humanitaire en Libye, a déclaré Human Rights Watch. À fin avril 2016, l'appel humanitaire de l'ONU n'avait reçu que 18,2 pour cent des 165,6 millions de dollars américains nécessaires.
Toute aide apportée à l'UE par l'OTAN dans le cadre d'opérations navales devrait éviter de contribuer à piéger les migrants et les demandeurs d'asile en Libye. Tous les navires de l'OTAN en Méditerranée centrale devraient avoir le mandat et la capacité de mener des missions de recherche et de sauvetage.
Le gouvernement libyen soutenu par l'ONU devrait œuvrer à mettre fin à la torture et aux autres mauvais traitements perpétrés dans les établissements de détention placés sous son contrôle. Il devrait détenir des individus pour des raisons d'immigration seulement lorsque cela est strictement nécessaire et le moins longtemps possible.
« L'aide apportée aux forces libyennes devrait s'accompagner de mesures pour mettre un terme aux actes de torture et aux exactions commises dans les établissements où ces mêmes forces envoient les individus », a commenté Judith Sunderland. « Secourir ou intercepter des personnes en mer est inacceptable si cela signifie les renvoyer ensuite vers un pays où elles risquent de subir des exactions. »
Pour des constatations et recommandations plus détaillées, veuillez consulter la version intégrale de ce communiqué en anglais :
www.hrw.org/news/2016/07/06/eu/nato-europes-plan-endangers-foreigners-libya
TWEETS en 2017 :
#Migrants – Projet d’accord #UE #Libye est une source de profonde nquiétude selon @sunderland_jude @hrw https://t.co/lvsQ9sLtPX @TV5MONDE
— HRW en français (@hrw_fr) 29 août 2017
#Migrants - interview de @sunderland_jude @hrw https://t.co/PoPPjoNyp7 @RFI #UE #Libye
— HRW en français (@hrw_fr) 28 août 2017