En janvier 2016, le journaliste de France 24 Cyril Payen s'est vu refuser une demande de visa professionnel pour pouvoir travailler dans la province indonésienne de Papouasie. Ce n'est pas la première fois que des journalistes étrangers peinent à pouvoir faire leur travailler dans cette région du monde. Pour Phelim Kine, directeur adjoint de Human Rights Watch pour l'Asie, il y a un gros problème.
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Le chef de la sécurité du gouvernement indonésien, Luhut Pandjaitan, a juré le 11 novembre dernier qu’il prendrait les actions nécessaires si preuve lui était donnée que des membres du gouvernement ou des services de sécurité empêchaient des journalistes étrangers de se rendre dans la province indonésienne de Papouasie. "Revenez vers moi, et si nécessaire, nous les renverrons", a-t-il déclaré.
La récente expérience de France 24 et de son correspondant basé à Bangkok, Cyril Payen, montre que le moment est venu pour Pandjaitan de tenir sa promesse.
Des reportages "biaisés et partiaux" selon le gouvernement
Le 8 janvier, l’ambassade d’Indonésie à Bangkok a en effet informé Cyril Payen qu’elle refusait sa demande de visa de journaliste pour se rendre dans la province indonésienne de Papouasie dans le cadre d’un reportage. Ce refus a confirmé, sur le plan administratif, l’avertissement lancé par des responsables du ministère des Affaires étrangères à l’Ambassade de France à Djakarta, le 8 novembre dernier. Selon eux, les précédents reportages de Payen en Papouasie sur le sentiment indépendantiste dans la région étaient "biaisés et partiaux".
Le gouvernement indonésien aurait pu et dû opter pour le dialogue avec Payen et France 24 afin de discuter publiquement des prétendues inexactitudes du reportage. Au lieu de cela, dans un réflexe rappelant les 30 ans de régime autoritaire du dictateur Suharto, le gouvernement a opté pour une sanction disproportionnée : la menace d’une interdiction de visa pour une durée indéterminée pour tout journaliste de France 24 désirant faire un reportage dans le pays.
La jurisprudence Bourrat-Dandois
La volonté du gouvernement indonésien d’empêcher tout observateur étranger de se rendre en Papouasie n’est pas nouvelle. En octobre 2014, une cour indonésienne a condamné deux journalistes français, Thomas Dandois et Valentine Bourrat, travaillant pour la chaîne de télévision franco-allemande Arte, pour "usage abusif de visas d’entrée" alors qu’ils essayaient de faire un reportage sur la région.
Les deux journalistes ont été relâchés après plus de deux mois de détention. Mais le refus de visa de Payen montre le fossé béant entre la logique "d’ouverture" aux médias étrangers de la Papouasie et de la Papouasie Occidentale (communément désignées comme la Papouasie) annoncée par le président indonésien Joko "Jokowi" Widodo et la réalité beaucoup plus sombre pour les journalistes désirant s’y rendre.
Pressions sur les contacts des journalistes
Les efforts du gouvernement indonésien pour étouffer la liberté des médias en Papouasie s’étend aussi aux sources journalistiques. En octobre dernier, une semaine après que Marie Dhumières, une correspondante française basée à Jakarta, fut rentrée d’un reportage en Papouasie, la police a placé en détention un militant papou qui avait voyagé avec elle, ainsi que de deux de ses amis.
La police a interrogé les trois personnes pendant 10 heures, leur demandant des détails sur le reportage de Marie Dhumieres. La police a ensuite relâché les trois hommes sans retenir de charges contre eux. Marie Dhumieres a exprimé sa consternation à travers un tweet adressé à Jokowi :
So Mr @jokowi, foreign journalists are free to work anywhere in Papua but the people we interview get arrested after we leave? cc @jakpost
— Marie Dhumieres (@mariedh) October 9, 2015
Rien de cela ne devrait arriver.
Dissensions au sein du pouvoir
En effet, en mai dernier, Jokowi a enfin annoncé la levée de l’interdiction d’accès à la Papouasie qui pesait de fait depuis 25 ans sur les médias étrangers. Ce changement de politique était censé mettre un terme au flou juridique dans lequel se retrouvaient les journalistes soumis à un refus catégorique de toute demande de reportage en Papouasie ou simplement à une absence d’autorisation.
Les récentes expériences de Payen et de Dhumieres soulignent la différence, documentée dans un rapport de Human Rights Watch en 2015, entre les objectifs de la politique de Jokowi et l’opposition féroce de certains éléments du gouvernement indonésien et des forces de sécurité face à toute ouverture de la Papouasie aux médias étrangers.
Depuis que Jokowi a dévoilé sa nouvelle politique sur la Papouasie, de nombreux hauts fonctionnaires gouvernementaux s’y sont publiquement opposés. Parmi eux, le porte-parole de la police nationale et commandant supérieur Agus Rianto. Le 12 mai dernier, il a affirmé que le gouvernement continuerait de limiter l’accès des correspondants étrangers à la Papouasie, à travers un système de demande de permis d’entrée. Rianto a justifié le besoin de maintenir ces restrictions pour empêcher les médias étrangers de parler "à des personnes opposées au gouvernement" ainsi que pour bloquer l’accès à des "terroristes" qui pourraient prétendre être des journalistes pour s’introduire en Papouasie.
Le ministre de la Défense Ryamizard Ryacudu a averti le 26 mai dernier que la condition pour entrer en Papouasie, pour les journalistes, était qu’ils produisent de "bons reportages". Ryacudu n’a pas précisé ce qu’il entendait par "bons reportages", mais il a clairement assimilé les "mauvais reportages" des journalistes étrangers sur la Papouasie à de la "sédition" et a menacé d’expulsion tout journaliste dont les reportages déplairaient au gouvernement.
Des journalistes indonésiens harcelés, menacés, intimidés
Ces déclarations reflètent la perception inquiétante de nombreux responsables du gouvernement indonésien et des services de sécurité selon laquelle l’accès des médias étrangers à la Papouasie est synonyme d’instabilité dans une région déjà troublée par un mécontentement très répandu à l’égard de Jakarta, ainsi que par un mouvement indépendantiste de faible ampleur mais persistant.
Les défis de la liberté de la presse en Papouasie sont amplifiés par les obstacles rencontrés par les journalistes indonésiens, en particulier par les reporters issus de l’ethnie papoue. Les journalistes locaux qui travaillent sur des sujets politiques sensibles ou sur des violations des droits humains font souvent l’objet de harcèlement, d’intimidation et de violences de la part de responsables gouvernements, du public, et des forces pro-indépendantistes.
Des discussions avec des fonctionnaires indonésiens et des représentants du gouvernement au sujet de la fermeté des restrictions officielles d’accès à la Papouasie évoquent régulièrement le Timor oriental et le soupçon persistant que la présence de média étrangers et de militants des droits de l’homme ont mené, en 2002, cette ancienne province indonésienne à l’indépendance.
Beaucoup ont encore des choses à cacher
Ces obstacles officiels ne concernent pas que les journalistes. Les forces de sécurité présentes en Papouasie surveillent de près les activités des groupes internationaux que le gouvernement autorise à travailler dans la province, et sont particulièrement attentives aux organisations intervenant dans le domaine des droits humains.
Les ONG internationales telles que l’organisation néerlandaise de développement Cordaid, que le gouvernement a déclaré impliquée dans des "activités politiques", a été forcée de cesser ses opérations, et ses représentants interdits de voyager dans la région.
Même des représentants des Nations unies et des universitaires sont sujets à des restrictions d’accès à la Papouasie. En 2013, le gouvernement a refusé la proposition de visite de Frank La Rue, alors rapporteur spécial de l’ONU pour la liberté d’expression, parce qu’il avait insisté pour que la Papouasie fasse partie de son itinéraire. Les universitaires étrangers autorisés à visiter la région ont fait l’objet d’une surveillance étroite de la part des forces de sécurité. Ceux soupçonnés de sympathies pro-indépendantistes ont, comme Cyril Payen et France 24, été interdits de visas.
La liste noire du gouvernement indonésien concernant l’accès à la Papouasie montre qu’en dépit des meilleures intentions affichées par Jokowi, certains, au sein du gouvernement, ont encore beaucoup à cacher et sanctionneront tous ceux qui défient ses mesures répressives contre les médias étrangers.