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UE : Tentative de reporter sur d'autres pays les responsabilités vis-à-vis des réfugiés

Les pays voisins invités au sommet du 8 octobre n'ont toutefois pas la capacité de protéger les réfugiés

(Bruxelles, le 7 octobre 2015) – À la veille d'une réunion de haut niveau sur les migrations qui doit se tenir le 8 octobre, l'Union européenne (UE) semble s'apprêter une nouvelle fois à reporter les responsabilités de ses gouvernements vis-à-vis des réfugiés et des demandeurs d'asile sur les pays voisins, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Le 8 octobre, la Conférence de haut niveau sur la « route de la Méditerranée orientale et des Balkans occidentaux » réunira les ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères des États membres de l'UE, de Turquie, du Liban et de Jordanie. L'objectif officiel de la réunion est d'« accroître la solidarité avec ceux qui portent l'essentiel du fardeau des flux de réfugiés en provenance de Syrie » et d'assurer « une gestion ordonnée des flux de réfugiés et de migrants le long de cette route ».

« Ce sommet vient souligner ce que nous avons constaté à de nombreuses reprises, à savoir que les gouvernements de l'UE considèrent que la réponse à la crise relève de pays qui sont en dehors de l'UE », a déclaré Benjamin Ward, directeur adjoint de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. «  Or, la Turquie abrite déjà près de deux millions de Syriens à qui elle accorde une protection temporaire qui ne leur donne pas un statut sûr de réfugié, tandis que la Serbie et la Macédoine n’ont manifestement pas la capacité de gérer le haut nombre actuel de réfugiés, même pour de courtes périodes. »

Les tentatives méritoires de renforcer dans des pays non membres de l'UE les capacités de traiter équitablement et d'accueillir humainement les demandeurs d'asile représentent un effort sur le long terme, a déclaré Human Rights Watch. Mais elles devraient être considérées comme un complément des efforts de l'UE, et non pas comme une solution de substitution exonérant les gouvernements de l'UE de leur devoir d'agir conformément à leurs obligations découlant du droit international et des règles de l'UE.

La réunion survient alors que s'accroissent les préoccupations concernant le souhait apparent de l'UE de reporter la responsabilité des demandeurs d'asile sur les pays des Balkans occidentaux et sur la Turquie. Un projet de Plan d'action UE-Turquie, publié le 6 octobre, comprend notamment parmi ses objectifs centraux d'« empêcher les flux migratoires incontrôlés de la Turquie vers l'UE ». La Hongrie a d'ores et déjà désigné la Serbie comme un pays tiers sûr et a commencé à y renvoyer sommairement des demandeurs d'asile.

La réponse de l'UE à la crise des réfugiés a été d'ampleur limitée et s'est axée essentiellement sur les moyens de renforcer les frontières de l'UE, d'interdire l'accès à son territoire à des personnes qui ont besoin de protection et de lutter contre les réseaux de passeurs clandestins. Le 22 septembre, les ministres de l'Intérieur de l'Union européenne ont accepté de relocaliser 120 000 demandeurs d'asile supplémentaires de Grèce et d'Italie vers d'autres zones de l'UE, en plus des 40 000 qui avaient été acceptés en juillet. Les gouvernements de l'UE ont également accepté d'accueillir un petit nombre de réfugiés accueillis temporairement à l'extérieur de l'UE.

Avant de demander à d'autres pays de faire davantage, les gouvernements de l'UE devraient assumer leurs propres responsabilités, y compris en prenant des mesures pour améliorer les conditions d'accueil et d'octroi de l'asile dans les États membres et en accroissant à la fois le partage des responsabilités et les offres de réinstallation, a affirmé Human Rights Watch. L'UE devrait également fournir un appui technique et financier afin d'accroître les capacités des systèmes d'octroi de l'asile dans les pays voisins des Balkans occidentaux et à augmenter de façon substantielle l'aide humanitaire à la Turquie, à la Jordanie et au Liban.

Les voisins de l'UE dans les Balkans occidentaux, notamment la Serbie et la Macédoine, sont incapables de gérer les flux de demandeurs d'asile et de migrants, dont la plupart entrent dans ces pays via la Grèce qui, elle, est un État membre de l'UE. Human Rights Watch a documenté en 2015 de graves lacunes dans le système d'accueil et d'octroi de l'asile de la Serbie qui, depuis 2008, n'a accordé une protection internationale qu'à 42 personnes et n'a pas intégré celles qui ont obtenu le statut de réfugié.

Human Rights Watch a également documenté de graves abus – y compris des cas d’extorsion de fonds – commis par la police à l'encontre de demandeurs d'asile et de migrants. Le gouvernement serbe dément toutes les allégations d'abus et s'est abstenu d'enquêter effectivement sur les allégations d'exactions policières, créant une situation d'impunité pour les crimes commis contre des demandeurs d'asile et des migrants.

Un rapport de Human Rights Watch paru en septembre sur les abus et les mauvais traitements par la police de migrants et de demandeurs d'asile en Macédoine a documenté les conditions épouvantables dans lesquelles sont maintenus et maltraités des demandeurs d'asile et des migrants dans le centre de détention pour immigrants Gazi Baba à Skopje. Gazi Baba a été fermé pour rénovations en juin mais le ministère macédonien de l'Intérieur a annoncé son intention de continuer à l'utiliser à l'avenir.

Amnesty International a soulevé des inquiétudes similaires en ce qui concerne le traitement de migrants dans les Balkans occidentaux en juillet, et le Comité des Nations Unies contre la Torture a fait de même en mai, a souligné Human Rights Watch. Le Haut Commissariat de l'ONU aux réfugiés (UNHCR), dans son rapport de 2009 sur la Serbie, a affirmé que ce pays ne pouvait être considéré comme un pays tiers sûr pour y renvoyer des demandeurs d'asile –position que l'UNHCR a depuis lors gardée.

Le projet de Plan d'action UE-Turquie comporte une série de mesures visant à « empêcher de nouvelles arrivées de migrants illégaux en Turquie et des départs illégaux de réfugiés et de migrants de Turquie vers l'UE ». Ceci serait accompli en luttant contre les réseaux de passeurs et en renforçant la coopération avec des États membres de l'UE comme la Grèce et la Bulgarie dans le domaine de la surveillance des frontières, entre autres mesures. Le plan comprend également une assistance très nécessaire à la Turquie afin de soutenir ses efforts pour accueillir des réfugiés syriens et irakiens, ainsi qu'une intensification des opérations de recherche et de secours en mer.

« L'appel à empêcher les arrivées de migrants illégaux en Turquie, contenu dans le Plan d'action, pourrait facilement être interprété comme signalant que l'UE serait prête à détourner le regard si la Turquie empêchait les Syriens et les Irakiens de franchir sa frontière pour chercher asile, tant que la Turquie coopérera afin de contenir le flux de demandeurs d'asile vers l'UE », a affirmé Benjamin Ward.

Bien que certains éléments du plan soient positifs, la Turquie ne peut pas être considérée comme un pays tiers sûr, a affirmé Human Rights Watch. Elle conserve une limitation géographique de la Convention de 1951 sur les réfugiés qui lui permet de n'accepter que des réfugiés d'Europe, ce qui empêche les Syriens, les Afghans ou les Irakiens d'obtenir le statut de réfugié en Turquie. La Turquie a certes été généreuse dans son accueil de ressortissants syriens sous un régime de protection temporaire, mais la situation des non-Syriens est beaucoup plus précaire, et même les Syriens sont protégés de manière discrétionnaire plutôt qu'en vertu de la loi.

L'absence d'un système d'octroi d'asile opérationnel qui soit de nature à fournir le statut de réfugié à des non-Européens en Turquie signifie également que le renvoi en Turquie de demandeurs d'asile risque de constituer une violation du principe de non-refoulement inscrit dans la Convention sur les réfugiés, qui interdit de renvoyer des réfugiés « de quelque manière que ce soit » dans des lieux où leur vie ou leur liberté serait menacée. Ce principe s'applique également aux renvois indirects.

« Bien qu'un accroissement de l'aide à la Turquie soit tout à fait nécessaire, tout plan de l'UE qui ferait de la Turquie, de la Serbie et de la Macédoine des déversoirs de demandeurs d'asile serait particulièrement mal inspiré et pourrait mettre des vies en danger », a conclu Benjamin Ward. « L'UE peut faire beaucoup pour aider la Turquie et les pays des Balkans occidentaux à mettre leurs systèmes d'octroi de l'asile et leurs conditions d'accueil en conformité avec les normes internationales, mais ces améliorations doivent être accomplies avant que ces pays se voient attribuer davantage de responsabilités vis-à-vis des demandeurs d'asile. »

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